D’où l’orientation de la présente revue de questions, à la fois vers ces expertises de sûreté,
vers ces recherches et développements en matière de sûreté, vers ces pratiques de
management et de formation et vers la détermination des recherches scientifiques et
technologiques à mener qui seraient susceptibles d’y contribuer. Nous verrons comment cette
revue de questions, bien qu’elle n’aborde qu’une partie du problème à résoudre d’une telle
ingénierie des situations sûres, contribue à sa définition globale et à la définition des notions,
outils et méthodes de ceux qui sont susceptibles de la mettre en œuvre.
Du fait de la priorité à accorder au fond commun à ces expertises de sûreté, à ces recherches
et développements et à ces pratiques de management et de formation relativement à leurs
spécificités de droit, mais aussi du fait des limites de la littérature scientifique et
technologique sur la culture et la sûreté et du pari que nous faisons de nous y tenir, nous ne
chercherons pas ici à préciser les spécificités de droit de l’abord de ces deux problèmes à
travers ces diverses pratiques. A fortiori, nous ne chercherons pas non plus à dégager leurs
spécificités de fait aujourd’hui. Nous renverrons cette question des spécificités aux personnes
effectivement engagées aujourd’hui dans ces trois sortes de pratiques.
Ce problème de la place à accorder à la culture dans cette ingénierie des situations sûres et sa
formulation ne peuvent qu’être renouvelés par l’accident nucléaire majeur de Fukushima –
c’est ce constat qui nous a conduit à dater avec précision les versions successives de ce
dossier. Mais, dans un premier temps, il est certain que nous n’aurons droit qu’à des essais
journalistiques vantant la culture du collectif et de la conscience de l’impermanence des
choses dans la population nippone, comme produits respectifs de son confucianisme et de son
bouddhisme. Dans un second temps, peut-être aurons-nous droit aussi à d’autres essais
journalistiques portant sur le rôle joué par le respect confucianiste de la hiérarchie, par le
fatalisme bouddhique et par l’idolâtrie shintoiste des Kami (un autel consacré au Kami du feu
se trouve à l’entrée de toutes les salles de contrôle des réacteurs nucléaires japonais) dans la
genèse éducative, organisationnelle et culturelle de la catastrophe. Il faudra attendre
longtemps pour obtenir des éléments sérieux sur cette genèse, à moins que la culture du secret
chez Tepco, l’opérateur de Fukushima, ne connaisse un effondrement brutal et que des
recherches en profondeur sur cette genèse ne soient entreprises. La littérature scientifique et
technologique portant sur les processus industriels et les normes ou recommandations qu’ils
devraient respecter pour assurer la sûreté, donc la littérature en ingénierie des processus
industriels nucléaires sûrs, est déjà d’après Fukushima, même si toute une part consiste en
quelques petits arrangements en famille. Mais celle portant sur la culture et la relation entre
culture et sûreté, si elle se développera à l’ombre de Fukushima, restera encore pendant
quelque temps d’avant Fukushima dans ses contenus essentiels, sauf évidemment si des
recherches et études sont réalisées, qui partiraient d’un bilan prospectif semblable à celui qui
résultera de la présente revue de questions. C’est sur elle qu’il faudra nous appuyer pour
résoudre ce problème de la place à accorder à la culture dans une ingénierie des situations
sûres et dans les recherches susceptibles d’y contribuer. Comme aujourd’hui cette place est
occupée par la notion de "culture de sûreté", ce problème est rencontré au moins en partie à
travers cette notion. Nous devrons donc nous intéresser à la littérature la concernant.
0.1 De l’accident nucléaire majeur de Tchernobyl à la notion de "culture de sûreté"
La notion de "culture de sûreté" a été proposée à l’origine par un rapport (INSAG-4) du
Groupe Consultatif International pour la Sûreté Nucléaire de l’AIEA en 1991 à la suite du
rapport d’enquête sur l’accident nucléaire majeur de Tchernobyl de 1986 (rapport IAEA Safety
Series n°. 75-INSAG-1, Septembre 1986, réactualisé par le rapport IAEA Safety Series n°. 75-
INSAG-7, Novembre 1992). On peut noter que, sur 25 pages de ce rapport réactualisé, moins
d’une page, répartie en deux demies pages, est consacrée à des "déficiences dans la culture de
sûreté" et à des "remarques générales sur le manque de culture de sûreté", et que, sur 9 points
résumant les conclusions, seul le dernier pointe "un manque général de culture de sûreté