général de Gaulle menait sa politique sans prêter beaucoup d'attention aux coassements de Cassandre
des économistes et disait: « Rétablissons la confiance et l'intendance suivra! »
(2) La « théorie des contrats », en particulier, se propose de faire révéler à des dissimulateurs leur
information. Elle reprend de façon savante de vieilles pratiques assurantielles fondées sur la perception
qu'ont les assureurs des catégories à risques (les jeunes qui ont plus d'accidents de voiture que les autres,
par exemple).
Jacques Attali, grand économiste s'il en est, définit un économiste comme « celui qui est toujours capable
d'expliquer magistralement le lendemain pourquoi il s'est trompé la veille ». Keynes disait à peu près la
même chose et recommandait à ses pairs une place modeste, subalterne, comparable à celle des
dentistes, capables de soigner avec des instruments, des médicaments et des méthodes qu'ils n'ont pas
inventés. Il affirmait que demain « simplement, on ne sait pas » (3). L'économiste se heurte et se heurtera
à jamais au mur d'airain de l'incertain. D'ailleurs, s'il savait, s'il anticipait le futur économique mieux que
d'autres, il serait milliardaire. Mais regardons-le s'agiter, entre deux heures supplémentaires à l'université,
dans les journaux ou à la radio, lorsqu'on lui demande « oui, d'accord, mais demain? Ça s'arrange? » On
comprend alors qu'il ne peut pas grand-chose pour nous. D'autres économistes (Kondratieff, Schumpeter,
Marx ou encore l'historien Braudel) croyaient en de grandes « pulsations » économiques, de grandes
phases d'expansion et de récession. Mais il s'agit aussi plus de croyances que de vraies lois car il n'y a
pas de lois économiques.
(3) « Théorie générale de l'emploi »", in Quartely journal of Economy, 1936, repris dans La Pauvreté dans
l'abondance, Gallimard, colI. « Tel », Paris, 2002, p. 240-260.
Prégnance de l'économie
« L'argent est un instrument qui permet de mesurer la quantité de douleur et de plaisir. »
Jeremy Bentham
Pourtant, peut-on échapper à l'économie? Existe-t-il un seul domaine social qui ne soit imprégné
d'économie? Le sport? Le sexe? La guerre? « Combien coûterait une guerre avec l'Irak? » titrait en une
Le Monde du 4 janvier 2003. Quand on parle de sport ou de sexe, surgissent illico les aspects
économiques du problème: salaires, ventes, marchandisation de la vie. Tout aspect de la vie des hommes
en société a toujours un aspect monétaire et quantitatif; mais désormais cet aspect est essentiel et tend à
expliquer ou impliquer tous les autres. Il existe toujours une « raison économique » des choses. Le pétrole
pour l'Irak, l'argent pour l'édition, le marché de la pub pour la télé... Les deux grands systèmes de pensée
dont a accouché le capitalisme, à savoir le socialisme et le libéralisme, colorent tout des couleurs de la
raison et de la quantité. L'un et l'autre s'abreuvent à la source utilitariste (4). La « rationalisation » du
monde et sa « quantification » portées par les Lumières, puis l'expansion de la science, de la recherche et
de l'expérimentation, voguent de concert avec sa marchandisation. Notre économiste, quantificateur et
rationnel, se tient, faraud, à la proue du « progrès » de l'humanité. Il explique, rationalise et calcule, et
d'ailleurs explique en termes de calcul rationnel. Est-il plus ou moins rentable d'être un criminel qu'un
honnête homme, nous demande le prix Nobel 1991 Gary Becker. Plus ou moins rentable, pour un
ménage, d'avoir un enfant de bonne qualité que deux de mauvaise. Est-il plus ou moins rentable, pour un
homme politique, d'être corrompu qu'honnête, questionne le prix Nobel 1986 James Buchanan.
L'ouverture des frontières de tel pays était-elle plus ou moins rentable pour ce pays, étant donné ses
pesanteurs politiques et culturelles, analyse magnifiquement a posteriori le prix Nobel 1993 Douglass
North. Comment expliquer rationnellement, en termes de coûts-avantages, l'autarcie de la Chine et
l'expansion de l'Europe? Nul doute qu'on puisse toujours rationnellement et économiquement expliquer le
retard de l'Afrique, l'avance des États-Unis ou la stabilité de la demande de camembert, « étant donné le
contexte » ou « toutes choses égales par ailleurs ».
(4) Jeremy Bentham (1748-1832) fut le père de l'école « utilitariste » à l'origine de la théorie économique dite
néo-classique (la seule enseignée aujourd'hui). En bref: un individu est rationnel et il acquiert, dans la limite
de ses revenus, les biens qui lui apportent le plus d'utilité possible afin de satisfaire des besoins. D'où sortent
les besoins, le revenu? Mystère. On remarque que c'est un principe de rareté qui fonde l'économie: revenu