Troubles anxieux
et comorbidités
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Troubles anxieux
et comorbidités
Stéphane Bouchard Ph. D. et Pierre Verrier M.D.
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Louise vient de sortir du cabinet de son médecin après avoir reçu le diagnostic
de dépression majeure. Elle se sent soulagée de savoir qu’elle va enfin pouvoir
recevoir de l’aide pour ses problèmes. Par contre, elle demeure ambivalente
envers ce qu’elle aurait pu lui dire et qu’elle n’a pas osé parler, comme par exem-
ple l’agression dont elle a été victime et qui la hante encore quotidiennement,
sa consommation fréquente d’alcool, et son malaise à parler à des gens qu’elle
ne connaît pas de peur de faire rire d’elle. Elle se dit que «déjà, recevoir un dia-
gnostic c’est assez», et «on va me prendre pour une folle». Pourtant, il n’est ni
rare ni gênant de souffrir de plus d’un problème en même temps. C’est ce qui
s’appelle la comorbidité.
Qu’est-ce que la comorbidité ?
La comorbidité signifie que les difficultés et les symptômes vécus par une personne
représentent des manifestations de deux ou plusieurs problèmes de santé. Le profes-
sionnel émettra alors plus d’un diagnostic, le terme morbidité étant simplement un
terme médical indiquant que la vie d’une personne est affectée par un problème ou
une maladie. L’ensemble de ces diagnostics forme ce que l’on appelle le tableau clini-
que. Ainsi, une personne peut souffrir d’un trouble panique et en plus avoir une
dépression majeure.
En présence de comorbidité, les professionnels
utilisent les termes diagnostic principal et secon-
daire. La décision de considérer un trouble de santé
comme diagnostic principal repose sur une évalua-
tion de l’ordre d’apparition des problèmes, des rela-
tions de cause à effet entre eux et de leur sévérité
respective. Bien entendu, tout cela pourrait influ-
encer le type de traitement.
Est-ce un phénomène important ?
On sait que 56% des gens qui souffrent d’un problème de santé mentale ont été
atteints au moins une fois dans leur vie d’un autre problème de cette nature. Ceux-ci
peuvent apparaître à des périodes différentes ou au même moment. Certaines per-
sonnes souffrent d’ailleurs parfois de trois troubles comorbides et plus. Le fait que la
comorbidité constitue un phénomène si fréquent renforce l’hypothèse selon laquelle
un trouble d’anxiété peut avoir certaines origines communes avec les autres troubles
anxieux mais aussi également avec la dépression.
Dans le cas bien précis des troubles d’anxiété, la présence d’un autre problème de
santé mentale à un moment quelconque de la vie semble être la norme plutôt que l’ex-
Le fait que la comorbidité
constitue un phénomène si
fréquent renforce l’hypothèse
selon laquelle un trouble
d’anxiété peut avoir certaines
origines communes avec les autres
troubles anxieux mais aussi
également avec la dépression.
Le traitement pharmacologique de la dépression accompagnée de troubles d’anxiété
comorbides sera pour sa part assez différent. Premièrement, on retrouve générale-
ment chez l’individu anxieux une perception amplifiée des sensations corporelles.Un
tel phénomène rendra la personne plus inquiète face aux effets secondaires des
médicaments. Cela encouragera le clinicien à débuter le traitement avec de plus
petites doses afin de favoriser une adaptation graduelle aux effets secondaires.
Deuxièmement, le clinicien privilégiera des substances qui ont également des pro-
priétés calmantes. Ainsi, certains antidépresseurs (ISRS et IRSN) ont pu obtenir une
double indication dans le traitement tant de la dépression que de l’anxiété.
Généralement, il faut compter de six à huit semaines avant d’obtenir l’effet optimal
du médicament. Cependant, ce délai peut se voir allongé en présence de symptômes
anxieux.
Troisièmement, il n’est pas rare qu’un médica-
ment contre l’anxiété soit ajouté au traitement,
par exemple une benzodiazépine. Une telle pra-
tique permet d’apporter un soulagement plus
rapide, le temps que l’effet antidépressif et
anxiolytique de l’antidépresseur se fasse sentir.
Pour une psychothérapie, les défis posés par la
comorbidité sont: (a) plus de résistance, à s’investir dans les exercices à la maison;
(b) plus de difficulté à évaluer les progrès accomplis, et (c) moins d’habilité à focali-
ser sur un seul problème à la fois, semaine après semaine.
Les études sur l’efficacité de la psychothérapie cognitivo-comportementale se font
toutefois rassurantes. On sait déjà qu’elle s’avère efficace pour le traitement du pro-
blème principal auquel elle s’adresse. Mais on découvre aussi qu’elle agit indirecte-
ment sur les problèmes comorbides. Par exemple, plusieurs personnes cessent de
souffrir de phobie sociale ou de dépression lors du traitement du trouble panique
avec agoraphobie. On croit que les effets se généralisent parce que la personne
apprend à utiliser auprès des problèmes comorbides les nouvelles stratégies qu’elle a
développées en thérapie. Il pourrait aussi y avoir un effet d’entraînement où le traite-
ment du problème principal viendrait agir sur ce qui cause ou maintient les pro-
blèmes comorbides.
On a longtemps cru que la présence de troubles comorbides réduisait fortement
l’efficacité de la psychothérapie. En effet, la présence de troubles comorbides peut
compliquer l’élimination des comportements d’évitement et des croyances provo-
quant de l’anxiété et de la panique. Par contre, les études indiquent que les profes-
sionnels qui savent adapter la thérapie obtiendront aussi d’excellents résultats.
Un tel phénomène rendra la personne
plus inquiète face aux effets
secondaires des médicaments.
Cela encouragera le clinicien à débuter
le traitement avec de plus petites
doses afin de favoriser une adaptation
graduelle aux effets secondaires.