L`horizon anthropologique des transferts culturels - H-Net

publicité
Michel Espagne, u.a. L‘horizon anthropologique des transferts culturels. Paris : Presses Universitaires de France (PUF),
2004. 269 S. ISBN 978-2-13-054090-8.
Reviewed by Marina Chauliac
Published on H-Soz-u-Kult (September, 2005)
L‘horizon anthropologique des transferts culturels
Un texte de Jürgen Trabant ouvre la réflexion et
permet de replacer dans le cadre des échanges francoallemand l’apport de Wilhelm von Humboldt à la pensée anthropologique en particulier à travers sa définition
de la langue créatrice d’une vision du monde. Si sa rencontre avec les Basques jouent ici un rôle déterminant,
c’est aussi dans les échanges avec des penseurs français
confrontés à l’altérité des peuples « primitifs » qu’il pose
les premières pierres pour une anthropologie non évolutionniste qui considère l’autre comme un citoyen du
monde. David Simo quant à lui tente de présenter et illustrer les différents modes d’appréhension de l’altérité en
Europe et le type d’échange inégal qui s’est installé entre
elle et le reste du monde. Même dans le rejet de la domination occidentale, il constate que « partout dans le
monde, parler de l’Europe c’est parler de soi et on ne peut
parler de soi sans parler de l’Europe » (p. 38). En retour,
cela ne signifie pas que l’étude des peuples non européens
n’a été qu’un alibi pour parler de soi et n’a pas eu d’effet
sur les visions européennes du monde. Remarquons l’imL’ouvrage est découpée en trois parties : une première pact de la notion de branchement de Jean-Loup Amselle
partie consacrée à la confrontation avec différentes no- dans le champ scientifique qu’il présente brièvement ici
tions (notamment métissage, créolisation, hybridité, traà partir d’une critique du terme de métissage. Ce terme
duction, branchement) et le rôle joué par les échanges
présente en effet l’inconvénient de renvoyer à une idée
franco-allemand dans l’apparition et l’utilisation de ces d’entité culturelle délimitée et donc de frontière, de seuil
notions. Dans une seconde partie, les transferts cultu- à ne pas franchir - avec dans une certaine lecture polirels sont interrogés non plus sous l’angle des concepts tique la notion la race « pure ». Issue de l’informatique,
mais appréhendés de façon diachronique à travers des la métaphore du « branchement » permet dès lors de se
exemples précis. Enfin les derniers textes offrent un padémarquer de « l’approche qui consiste à voir dans notre
norama des tentatives allemandes pour penser la divermonde globalisé le produit d’un mélange de cultures vues
sité des peuples en mettant en évidence l’influence de la elles-mêmes comme des univers étanches et à mettre au
philologie dans les différentes modélisations.
centre de la réflexion l’idée de triangulation, c’est-à-dire
Ce numéro de la Revue germanique internationale
qui se propose de questionner dans une approche historiographique et conceptuelle les transferts culturels a fait
appel à la contribution de quinze auteurs qui de par leurs
disciplines (histoire, anthropologie, études allemandes,
études indiennes ou encore romanistique) et leurs origines géographiques sont à eux seuls une illustration des
échanges scientifiques et des variétés de points de vue sur
l’objet. L’enjeu de l’ouvrage est ambitieux : s’interroger
sur les concepts et les auteurs qui permettent de penser
les transferts culturels au-delà du cadre européen dans
un dialogue constant entre anthropologie et histoire, tout
en replaçant les œuvres dans un contexte historique et
culturel particulier. Un de ses mérites réside ainsi dans sa
volonté de traduire la complexité des situations, de multiplier les angles d’approche et de déconstruire les ethnocentrismes. C’est aussi là que réside peut-être sa faiblesse : une lecture souvent ardue et une impression d’hétérogénéité dans les contributions.
1
H-Net Reviews
de recours à un élément tiers pour fonder sa propre identité » (pp. 50-51). De même que Jean-Loup Amselle, Laurier Turgeon analyse les usages et réappropriations politiques de certains concepts anthropologiques comme
acculturation, transculturation, traduction (qui sera étudiée plus spécifiquement dans la contribution suivante de
Marc Crépon), métissage ou encore créolisation et hybridation. A ce propos l’auteur montre de manière particulièrement frappante combien le paradoxe de ces derniers
termes qui pour penser le mélange partent de l’idée d’une
culture ou d’une ethnie « pure » amène un discours postcolonial qui prône le métissage « tout en déplorant la disparition de l’autre, tandis que l’autre lui-même, souvent,
entreprend de retrouver son histoire particulière, antérieure à la colonisation, dans une nostalgie, curieusement
similaire, de cette pureté originelle disparue » (p. 67).
plomates chinois. De leurs observations sur cette altérité
totale que leur semble être l’Occident, on retiendra notamment un point commun avec les voyageurs occidentaux en Orient, à savoir leur ethnocentrisme à travers la
représentation inversée de leur propre monde. Leurs témoignages demeurent toutefois uniques grâce à leur possibilité de traduire les techniques et traditions occidentales dans des termes qui ne soient pas ceux du passé ou
de l’avenir.
La dernière partie consacrée plus spécifiquement à
l’appréhension de quelques penseurs allemands de la pluralité des peuples (bien que ceux-ci soient présents dans
tout le reste de l’ouvrage) contribue à redéfinir leurs
œuvres en tant que produits de nombreux échanges entre
l’Allemagne et la France. Wolfgang Kaschuba montre que
derrière la réception un peu caricaturale des œuvres de
Herder, Jahn et même Arndt se trouve une réflexion sur la
consistance d’une culture, la gallophobie du dernier pouvant même être conçue comme une forme d’interprétation culturaliste de l’univers. Notons également combien
la définition non essentialiste de la culture par Herder
à partir d’une manière commune de sentir et de se souvenir est actuelle. On a ici les bases pour une « culturalisation » de la différence qui devient universelle (p.
194) Céline Trautmann-Waller s’intéresse quant à elle à
la façon dont Adolf Bastian, souvent considéré comme
le père de l’ethnologie allemande s’est interrogé sur la
diversité des cultures. Postulant une unité psychique de
l’humanité, il n’en a pas recherché l’origine mais, dans
une perspective comparatiste, a tenté d’établir des liens
entre les caractéristiques d’un peuple (ses pensées élémentaires) et le contexte géographique dans lequel ces
pensées se sont développées. C’est à nouveau l’histoire de
l’anthropologie qui fait l’objet de l’article de Michel Espagne. On y retrouve de façon exemplaire l’importance
des échanges franco-allemand dans l’étude des mythes
et de leur circulation. La revue L’Homme témoigne ainsi
combien la recherche structuraliste associant langues et
sociétés ou la recherche sur la mythologie s’inscrit « dans
le cadre d’une tradition de controverses ou d’affirmation
identitaires franco-allemande » (p. 226) La contribution
de Matthias Middell qui se clôt sur l’influence actuelle de
la construction de l’Europe sur la recherche scientifique
permet encore une fois de montrer combien l’étude des
transferts culturels est elle-même dépendante de l’environnement politique et a tout intérêt à dépasser un « nationalisme méthodologique » pour se nourrir et nourrir
elle-même une « global history ».
La seconde section de l’ouvrage nous permet d’appréhender de manière plus empirique les mécanismes
de transferts culturels. C’est également l’occasion de décentrer son regard quant à leurs interprétations, comme
l’illustre Marika Moisseef à propos de la remémoration spatiale des emprunts culturels chez les Aranda, un
groupe aborigène de l’Australie centrale. A travers les récits de déambulation d’être éternels, les Aranda offrent
une vision a-historique et non hiérarchisée des échanges
entre différents groupes qui s’éloigne du schéma occidental marqué par l’évolutionnisme. Le décentrement
du regard est diachronique dans les trois interventions
suivantes consacrées à la formation et l’influence des
conceptions de l’altérité en Occident, à savoir, la façon
dont est instrumentalisée et traduite l’histoire des Incas dans l’Espagne du XVIè siècle (Carmen Bernand), la
description des peuples amérindiens par Alexander von
Humboldt qui amorce une réflexion comparative entre
les peuples et replace les « sauvages » dans l’histoire
de l’humanité (Christian Helmreich), enfin la résonance
posthume qu’a connu l’œuvre du philosophe allemand
Karl Krause dans l’Espagne de la deuxième moitié du
XIXè siècle (Pierre Bidart). En se penchant sur l’introduction du roman dans l’empire russe ainsi qu’en Inde britannique, Sergei Serebriany se distingue des textes précédents en proposant lui-même une analyse comparée
d’un transfert culturel. Le regard rétrospectif et comparatif permet ici d’éclairer deux histoires de réappropriations dont le succès, pour l’une, et l’échec, pour l’autre,
ont des répercutions sur le marché mondial actuel. Toute
aussi stimulante est la réflexion de Michael Harbsmeier
sur la perception de l’Occident du XIXè siècle par des di-
If there is additional discussion of this review, you may access it through the network, at :
2
H-Net Reviews
http ://hsozkult.geschichte.hu-berlin.de/
Citation : Marina Chauliac. Review of Espagne, Michel ; u.a., L‘horizon anthropologique des transferts culturels. HSoz-u-Kult, H-Net Reviews. September, 2005.
URL : http ://www.h-net.org/reviews/showrev.php ?id=19242
Copyright © 2005 by H-Net, Clio-online, and the author, all rights reserved. This work may be copied and redistributed for non-commercial, educational purposes, if permission is granted by the author and usage right holders. For
permission please contact [email protected].
3
Téléchargement