L`horizon anthropologique des transferts culturels - H-Net

Miel Espagne, u.a. L‘horizon anthropologique des transferts culturels. Paris : Presses Universitaires de France (PUF),
2004. 269S. ISBN 978-2-13-054090-8.
Reviewed by Marina Chauliac
Published on H-Soz-u-Kult (September, 2005)
L‘horizon anthropologique des transferts culturels
Ce numéro de la Revue germanique internationale
qui se propose de questionner dans une approche histo-
riographique et conceptuelle les transferts culturels a fait
appel à la contribution de quinze auteurs qui de par leurs
disciplines (histoire, anthropologie, études allemandes,
études indiennes ou encore romanistique) et leurs ori-
gines géographiques sont à eux seuls une illustration des
échanges scientiques et des variétés de points de vue sur
l’objet. L’enjeu de l’ouvrage est ambitieux : s’interroger
sur les concepts et les auteurs qui permeent de penser
les transferts culturels au-delà du cadre européen dans
un dialogue constant entre anthropologie et histoire, tout
en replaçant les œuvres dans un contexte historique et
culturel particulier. Un de ses mérites réside ainsi dans sa
volonté de traduire la complexité des situations, de mul-
tiplier les angles d’approche et de déconstruire les eth-
nocentrismes. C’est aussi là que réside peut-être sa fai-
blesse : une lecture souvent ardue et une impression d’hé-
térogénéité dans les contributions.
L’ouvrage est découpée en trois parties : une première
partie consacrée à la confrontation avec diérentes no-
tions (notamment métissage, créolisation, hybridité, tra-
duction, branchement) et le rôle joué par les échanges
franco-allemand dans l’apparition et l’utilisation de ces
notions. Dans une seconde partie, les transferts cultu-
rels sont interrogés non plus sous l’angle des concepts
mais appréhendés de façon diachronique à travers des
exemples précis. Enn les derniers textes orent un pa-
norama des tentatives allemandes pour penser la diver-
sité des peuples en meant en évidence l’inuence de la
philologie dans les diérentes modélisations.
Un texte de Jürgen Trabant ouvre la réexion et
permet de replacer dans le cadre des échanges franco-
allemand l’apport de Wilhelm von Humboldt à la pen-
sée anthropologique en particulier à travers sa dénition
de la langue créatrice d’une vision du monde. Si sa ren-
contre avec les Basques jouent ici un rôle déterminant,
c’est aussi dans les échanges avec des penseurs français
confrontés à l’altérité des peuples « primitifs » qu’il pose
les premières pierres pour une anthropologie non évo-
lutionniste qui considère l’autre comme un citoyen du
monde. David Simo quant à lui tente de présenter et illus-
trer les diérents modes d’appréhension de l’altérité en
Europe et le type d’échange inégal qui s’est installé entre
elle et le reste du monde. Même dans le rejet de la do-
mination occidentale, il constate que « partout dans le
monde, parler de l’Europe c’est parler de soi et on ne peut
parler de soi sans parler de l’Europe » (p. 38). En retour,
cela ne signie pas que l’étude des peuples non européens
n’a été qu’un alibi pour parler de soi et n’a pas eu d’eet
sur les visions européennes du monde. Remarquons l’im-
pact de la notion de branchement de Jean-Loup Amselle
dans le champ scientique qu’il présente brièvement ici
à partir d’une critique du terme de métissage. Ce terme
présente en eet l’inconvénient de renvoyer à une idée
d’entité culturelle délimitée et donc de frontière, de seuil
à ne pas franchir - avec dans une certaine lecture poli-
tique la notion la race « pure ». Issue de l’informatique,
la métaphore du « branchement » permet dès lors de se
démarquer de « l’approche qui consiste à voir dans notre
monde globalisé le produit d’un mélange de cultures vues
elles-mêmes comme des univers étanches et à mere au
centre de la réexion l’idée de triangulation, c’est-à-dire
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de recours à un élément tiers pour fonder sa propre iden-
tité » (pp. 50-51). De même que Jean-Loup Amselle, Lau-
rier Turgeon analyse les usages et réappropriations po-
litiques de certains concepts anthropologiques comme
acculturation, transculturation, traduction (qui sera étu-
diée plus spéciquement dans la contribution suivante de
Marc Crépon), métissage ou encore créolisation et hybri-
dation. A ce propos l’auteur montre de manière particu-
lièrement frappante combien le paradoxe de ces derniers
termes qui pour penser le mélange partent de l’idée d’une
culture ou d’une ethnie « pure » amène un discours post-
colonial qui prône le métissage « tout en déplorant la dis-
parition de l’autre, tandis que l’autre lui-même, souvent,
entreprend de retrouver son histoire particulière, anté-
rieure à la colonisation, dans une nostalgie, curieusement
similaire, de cee pureté originelle disparue » (p. 67).
La seconde section de l’ouvrage nous permet d’ap-
préhender de manière plus empirique les mécanismes
de transferts culturels. C’est également l’occasion de dé-
centrer son regard quant à leurs interprétations, comme
l’illustre Marika Moisseef à propos de la remémora-
tion spatiale des emprunts culturels chez les Aranda, un
groupe aborigène de l’Australie centrale. A travers les ré-
cits de déambulation d’être éternels, les Aranda orent
une vision a-historique et non hiérarchisée des échanges
entre diérents groupes qui s’éloigne du schéma occi-
dental marqué par l’évolutionnisme. Le décentrement
du regard est diachronique dans les trois interventions
suivantes consacrées à la formation et l’inuence des
conceptions de l’altérité en Occident, à savoir, la façon
dont est instrumentalisée et traduite l’histoire des In-
cas dans l’Espagne du XVIè siècle (Carmen Bernand), la
description des peuples amérindiens par Alexander von
Humboldt qui amorce une réexion comparative entre
les peuples et replace les « sauvages » dans l’histoire
de l’humanité (Christian Helmreich), enn la résonance
posthume qu’a connu l’œuvre du philosophe allemand
Karl Krause dans l’Espagne de la deuxième moitié du
XIXè siècle (Pierre Bidart). En se penchant sur l’introduc-
tion du roman dans l’empire russe ainsi qu’en Inde bri-
tannique, Sergei Serebriany se distingue des textes pré-
cédents en proposant lui-même une analyse comparée
d’un transfert culturel. Le regard rétrospectif et compa-
ratif permet ici d’éclairer deux histoires de réappropria-
tions dont le succès, pour l’une, et l’échec, pour l’autre,
ont des répercutions sur le marché mondial actuel. Toute
aussi stimulante est la réexion de Michael Harbsmeier
sur la perception de l’Occident du XIXè siècle par des di-
plomates chinois. De leurs observations sur cee altérité
totale que leur semble être l’Occident, on retiendra no-
tamment un point commun avec les voyageurs occiden-
taux en Orient, à savoir leur ethnocentrisme à travers la
représentation inversée de leur propre monde. Leurs té-
moignages demeurent toutefois uniques grâce à leur pos-
sibilité de traduire les techniques et traditions occiden-
tales dans des termes qui ne soient pas ceux du passé ou
de l’avenir.
La dernière partie consacrée plus spéciquement à
l’appréhension de quelques penseurs allemands de la plu-
ralité des peuples (bien que ceux-ci soient présents dans
tout le reste de l’ouvrage) contribue à redénir leurs
œuvres en tant que produits de nombreux échanges entre
l’Allemagne et la France. Wolfgang Kaschuba montre que
derrière la réception un peu caricaturale des œuvres de
Herder, Jahn et même Arndt se trouve une réexion sur la
consistance d’une culture, la gallophobie du dernier pou-
vant même être conçue comme une forme d’interpréta-
tion culturaliste de l’univers. Notons également combien
la dénition non essentialiste de la culture par Herder
à partir d’une manière commune de sentir et de se sou-
venir est actuelle. On a ici les bases pour une « cultu-
ralisation » de la diérence qui devient universelle (p.
194) Céline Trautmann-Waller s’intéresse quant à elle à
la façon dont Adolf Bastian, souvent considéré comme
le père de l’ethnologie allemande s’est interrogé sur la
diversité des cultures. Postulant une unité psychique de
l’humanité, il n’en a pas recherché l’origine mais, dans
une perspective comparatiste, a tenté d’établir des liens
entre les caractéristiques d’un peuple (ses pensées élé-
mentaires) et le contexte géographique dans lequel ces
pensées se sont développées. C’est à nouveau l’histoire de
l’anthropologie qui fait l’objet de l’article de Michel Es-
pagne. On y retrouve de façon exemplaire l’importance
des échanges franco-allemand dans l’étude des mythes
et de leur circulation. La revue L’Homme témoigne ainsi
combien la recherche structuraliste associant langues et
sociétés ou la recherche sur la mythologie s’inscrit « dans
le cadre d’une tradition de controverses ou d’armation
identitaires franco-allemande » (p. 226) La contribution
de Mahias Middell qui se clôt sur l’inuence actuelle de
la construction de l’Europe sur la recherche scientique
permet encore une fois de montrer combien l’étude des
transferts culturels est elle-même dépendante de l’envi-
ronnement politique et a tout intérêt à dépasser un « na-
tionalisme méthodologique » pour se nourrir et nourrir
elle-même une « global history ».
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Citation : Marina Chauliac. Review of Espagne, Michel; u.a., L‘horizon anthropologique des transferts culturels. H-
Soz-u-Kult, H-Net Reviews. September, 2005.
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