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de recours à un élément tiers pour fonder sa propre iden-
tité » (pp. 50-51). De même que Jean-Loup Amselle, Lau-
rier Turgeon analyse les usages et réappropriations po-
litiques de certains concepts anthropologiques comme
acculturation, transculturation, traduction (qui sera étu-
diée plus spéciquement dans la contribution suivante de
Marc Crépon), métissage ou encore créolisation et hybri-
dation. A ce propos l’auteur montre de manière particu-
lièrement frappante combien le paradoxe de ces derniers
termes qui pour penser le mélange partent de l’idée d’une
culture ou d’une ethnie « pure » amène un discours post-
colonial qui prône le métissage « tout en déplorant la dis-
parition de l’autre, tandis que l’autre lui-même, souvent,
entreprend de retrouver son histoire particulière, anté-
rieure à la colonisation, dans une nostalgie, curieusement
similaire, de cee pureté originelle disparue » (p. 67).
La seconde section de l’ouvrage nous permet d’ap-
préhender de manière plus empirique les mécanismes
de transferts culturels. C’est également l’occasion de dé-
centrer son regard quant à leurs interprétations, comme
l’illustre Marika Moisseef à propos de la remémora-
tion spatiale des emprunts culturels chez les Aranda, un
groupe aborigène de l’Australie centrale. A travers les ré-
cits de déambulation d’être éternels, les Aranda orent
une vision a-historique et non hiérarchisée des échanges
entre diérents groupes qui s’éloigne du schéma occi-
dental marqué par l’évolutionnisme. Le décentrement
du regard est diachronique dans les trois interventions
suivantes consacrées à la formation et l’inuence des
conceptions de l’altérité en Occident, à savoir, la façon
dont est instrumentalisée et traduite l’histoire des In-
cas dans l’Espagne du XVIè siècle (Carmen Bernand), la
description des peuples amérindiens par Alexander von
Humboldt qui amorce une réexion comparative entre
les peuples et replace les « sauvages » dans l’histoire
de l’humanité (Christian Helmreich), enn la résonance
posthume qu’a connu l’œuvre du philosophe allemand
Karl Krause dans l’Espagne de la deuxième moitié du
XIXè siècle (Pierre Bidart). En se penchant sur l’introduc-
tion du roman dans l’empire russe ainsi qu’en Inde bri-
tannique, Sergei Serebriany se distingue des textes pré-
cédents en proposant lui-même une analyse comparée
d’un transfert culturel. Le regard rétrospectif et compa-
ratif permet ici d’éclairer deux histoires de réappropria-
tions dont le succès, pour l’une, et l’échec, pour l’autre,
ont des répercutions sur le marché mondial actuel. Toute
aussi stimulante est la réexion de Michael Harbsmeier
sur la perception de l’Occident du XIXè siècle par des di-
plomates chinois. De leurs observations sur cee altérité
totale que leur semble être l’Occident, on retiendra no-
tamment un point commun avec les voyageurs occiden-
taux en Orient, à savoir leur ethnocentrisme à travers la
représentation inversée de leur propre monde. Leurs té-
moignages demeurent toutefois uniques grâce à leur pos-
sibilité de traduire les techniques et traditions occiden-
tales dans des termes qui ne soient pas ceux du passé ou
de l’avenir.
La dernière partie consacrée plus spéciquement à
l’appréhension de quelques penseurs allemands de la plu-
ralité des peuples (bien que ceux-ci soient présents dans
tout le reste de l’ouvrage) contribue à redénir leurs
œuvres en tant que produits de nombreux échanges entre
l’Allemagne et la France. Wolfgang Kaschuba montre que
derrière la réception un peu caricaturale des œuvres de
Herder, Jahn et même Arndt se trouve une réexion sur la
consistance d’une culture, la gallophobie du dernier pou-
vant même être conçue comme une forme d’interpréta-
tion culturaliste de l’univers. Notons également combien
la dénition non essentialiste de la culture par Herder
à partir d’une manière commune de sentir et de se sou-
venir est actuelle. On a ici les bases pour une « cultu-
ralisation » de la diérence qui devient universelle (p.
194) Céline Trautmann-Waller s’intéresse quant à elle à
la façon dont Adolf Bastian, souvent considéré comme
le père de l’ethnologie allemande s’est interrogé sur la
diversité des cultures. Postulant une unité psychique de
l’humanité, il n’en a pas recherché l’origine mais, dans
une perspective comparatiste, a tenté d’établir des liens
entre les caractéristiques d’un peuple (ses pensées élé-
mentaires) et le contexte géographique dans lequel ces
pensées se sont développées. C’est à nouveau l’histoire de
l’anthropologie qui fait l’objet de l’article de Michel Es-
pagne. On y retrouve de façon exemplaire l’importance
des échanges franco-allemand dans l’étude des mythes
et de leur circulation. La revue L’Homme témoigne ainsi
combien la recherche structuraliste associant langues et
sociétés ou la recherche sur la mythologie s’inscrit « dans
le cadre d’une tradition de controverses ou d’armation
identitaires franco-allemande » (p. 226) La contribution
de Mahias Middell qui se clôt sur l’inuence actuelle de
la construction de l’Europe sur la recherche scientique
permet encore une fois de montrer combien l’étude des
transferts culturels est elle-même dépendante de l’envi-
ronnement politique et a tout intérêt à dépasser un « na-
tionalisme méthodologique » pour se nourrir et nourrir
elle-même une « global history ».
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