"L'euro (trop) fort" dans Le Monde (10 mai 2003)
Légende: Dans son éditorial du 10 mai 2003, le quotidien français Le Monde s’inquiète des effets négatifs pour
l’économie d’un euro trop fort face au dollar et rappelle aux autorités politiques leur part de responsabilité, à côté de
celle de la Banque centrale européenne (BCE), dans la direction de la politique monétaire.
Source: Le Monde. 10.05.2003. Paris. "L'euro (trop) fort", p. 15.
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Date de dernière mise à jour: 20/12/2013
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ÉDITORIAL
L'euro (trop) fort
SURPRENANT PARADOXE ! Pendant de longues années, la politique du « franc fort », conduite par la
droite aussi bien que par la gauche, a alimenté en France une interminable polémique. Les partisans de la
rigueur l'applaudissaient, faisant valoir qu'elle était le gage d'une compétitivité retrouvée ; les militants de
« l'autre politique » la dénonçait, arguant qu'elle avait pour conséquence une folle envolée du chômage.
Mais, aujourd'hui que l'euro s'envole, on entend trop peu les autorités s'en émouvoir. Et ce faible débat ne
vaut pas que pour la France : l'euro atteint des sommets, menaçant d'étouffer toute possibilité de reprise
économique, mais l'Europe politique y semble insouciante.
Au premier examen, on pourrait certes croire que cette apparente indifférence est logique. Puisque la
Banque centrale européenne (BCE) est maintenant indépendante, on s'est progressivement habitué à ce
qu'elle, et elle seule, gère la politique monétaire européenne. Même si la croissance sur le Vieux Continent
risque d'en pâtir, en même temps que l'emploi, nul n'ose donc trop s'aventurer sur ce terrain piégé. A parler
de la monnaie, beaucoup de dirigeants politiques peuvent craindre, désormais, d'empiéter sur les
prérogatives de la BCE et de violer la sacro-sainte indépendance de la jeune institution.
Etrange attitude, en vérité, car rien ne fait obligation aux politiques européens de garder le silence et de se
réfugier dans une sorte de non-interventionnisme. Le traité de Maastricht est très clair sur ce sujet, puisqu'il
prévoit un copilotage de la politique monétaire, la BCE étant chargée de la valeur interne de la monnaie (la
lutte contre l'inflation) et les autorités politiques veillant à sa valeur externe (la politique de change).
On comprend donc ce qui devrait découler de cette répartition des tâches : assez logiquement, la BCE pèse
en faveur d'une appréciation de l'euro puisque, mécaniquement, cela contribue à freiner l'inflation ; mais les
autorités politiques européennes auraient tous les moyens d'y mettre le holà, en encadrant l'action de la BCE
dans une nouvelle politique de change.
Or tout le problème est là : d'un côté de l'Atlantique, les Etats-Unis conduisent une politique de dollar bas
très subtilement conduite par les autorités, en dépit des démentis de la Maison Blanche ; et, de l'autre côté –
terrible asymétrie ! –, l'euro fort commence à faire sentir d'importants effets pervers sur l'économie, mais il
n'y a personne pour sonner le tocsin monétaire. C'est même pire que cela puisqu'on a même entendu le
ministre français des finances, Francis Mer, dire avec légèreté que le niveau de l'euro ne serait dommageable
que s'il s'appréciait encore jusqu'à la parité de 1,20 à 1,25 dollar. En d'autres temps, l'un de ses
prédécesseurs, Edmond Alphandéry, a été très critiqué pour des propos pourtant moins maladroits... En clair,
ce que révèle la hausse de la monnaie unique, c'est surtout l'absence de tout gouvernement économique de la
zone euro.
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