Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (MSC) Unit of Research & Applications in Marketing (URAM) Volume: 7. May, 2016. Pp : 146-165 E-ISSN: 2490-4376 Conference Paper Le boycott en réaction à la stratégie de rebranding: étude netnographique Le cas Tunisiana - Ooredoo Fatma Smaoui, Salma Smiri Institut Supérieur de Gestion de Tunis – Université de Tunis Le boycott en réaction à la stratégie de rebranding: étude netnographique Le cas Tunisiana - Ooredoo Résumé: L’objectif de cette recherche est de comprendre les réactions négatives des consommateurs suite à une opération de rebranding, et plus particulièrement d’explorer les variables expliquant leur participation à une action de boycott. Nous nous intéressons au cas du rebranding de la marque Tunisiana devenue Ooredoo. Une étude netnographique exploratoire est menée auprès de communautés virtuelles sur le réseau social facebook appelant au boycott de la marque Ooredoo. Les résultats montrent la place des facteurs émotionnels dans la participation au boycott. L’attachement à la marque substituée et l’animosité à l’égard du pays d’origine expliquent le plus la participation au boycott. Mots-clés : Boycott, rebranding, attachement à la marque, animosité à l’égard du pays d’origine Rebranding and boycott : exploratory netnographical study The Tunisiana – Ooredoo case Abstract: This research aims at understanding the negative reactions of consumers when faced with rebranding, and explores drivers of consumers’ boycott participation. An exploratory netnographic study is led among facebook social network online community members. We considered the rebranding case of the mobile phone operator brand Tunisiana - Ooredoo. Results underline the importance of emotional factors: emotional brand attachment and country of origin animosity represent the main consumers’ motivations to participate in boycott actions. Keywords: Boycott, rebranding, country of origin animosity, brand attachment Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 146 Fatma Smaoui & Salma Smiri Le boycott face à la stratégie de rebranding : étude netnographique Le cas Tunisiana - Ooredoo Introduction La marque joue aujourd’hui un rôle déterminant dans la performance et la survie de l’entreprise (Kapferrer, 2012). Face à une concurrence acharnée et à une standardisation croissante de l’offre, la marque représente parfois l’ultime source de différenciation. Elle constitue un véritable capital immatériel pour l’entreprise (Aacker, 1991). Le capital marque représente la valeur ajoutée apportée par le nom de marque au produit (Keller, 1993 ; Kapferrer, 2007). Il exprime la force de la marque sur un marché auprès de ses clients. Il se constitue à travers le temps suite aux multiples expériences matérielles et émotionnelles du consommateur avec la marque. Des marques fortes aident l’entreprise à mieux résister à la concurrence, à pratiquer des marges intéressantes, à s’assurer une meilleure coopération de la part des intermédiaires et à fidéliser la clientèle (Delgado-Ballester et Munuera-Aleman, 2005). L’entreprise peut parfois être amenée à changer de nom de marque, on parle alors de rebranding. Les raisons sont multiples et peuvent être de nature juridique, commerciale, un développement international, ou un changement d’actionnaire suite à une opération de fusion-acquisition. Plusieurs exemples peuvent être cités comme celui du changement du nom de marque de France Télecom vers Orange, celui du pétrolier Amoco en BP, la Banque tunisienne CFCT en Amen Bank, ou du programme d’entreprenariat social pour étudiants SIFE vers ENACTUS. Cette stratégie n’est pas sans risques et ses conséquences peuvent s’avérer lourdes pour l’entreprise puisqu’elle touche à l’un des rôles fondamentaux de la marque, à savoir l’identification (Kapferer, 2007). Les clients, notamment ceux fidèles, peuvent ne plus reconnaitre leur marque préférée et remettre en question leur confiance dans la marque (Muzellec et Lambkin, 2006 ; Pauwels Delassus et al., 2014). Une baisse des ventes peut parfois être observée. Le changement de nom de marque affecte toutes les émotions associées à ce nom et risque de déstabiliser la relation entre le consommateur et l’entreprise, d’une part et entre l’entreprises et ses propres collaborateurs et employés d’autre part (Kapferrer, 2007). La question du rebranding et ses conséquences sur le comportement du consommateur est particulièrement intéressante à étudier pour le cas des services. En effet, les marques de service sont souvent des marques d’entreprise (Berry, 2000), ce qui accroit leur rôle stratégique (Nisveen et al., 2013). De plus, en raison de la nature intangible et du caractère périssable du service, la réalisation de ce dernier nécessite la participation active du consommateur. La relation du consommateur avec la marque du service devient ainsi un élément fondamental dans l’évaluation de la qualité de ce dernier (O’Cass et Grace, 2004 ; Standvik et Heinonen, 2013). Toute altération de cette relation risque d’affecter la qualité du service perçue et par là le capital marque. Un changement de nom de marque est susceptible de perturber cette relation. En Tunisie, nous avons observé récemment une opération de changement de nom de marque qui a suscité plusieurs réactions, notamment sur les réseaux sociaux. En effet, en avril 2014, la marque de l’opérateur téléphonique mobile « Tunisiana », lancée en 2002, disparut au profit de la marque Ooredoo. Ce rebranding intervint suite à l’acquisition de la plupart des actions de « Orascom Telecom Tunisia », propriétaire de Tunisiana par l’opérateur téléphonique qatari Qtel. Ce changement de nom de marque s’inscrit dans une logique, d’extension internationale du groupe qatari et d’homogénéisation de son image sur le plan mondial. La marque Tunisiana était leader sur le marché des télécommunications mobiles en Tunisie avec une part de marché de plus de 50% en 2014, elle était très appréciée par les consommateurs et bénéficiait d’un grand capital sympathie. Selon une étude de SIGMA Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 147 Fatma Smaoui & Salma Smiri conseil, en 2013, la marque Tunisiana était la quatrième marque le plus « aimée » par les Tunisiens1. Ce changement de nom de marque a suscité plusieurs réactions négatives auprès d’une grande partie des consommateurs, en raison, entre-autres, de la nationalité de l’acquéreur.2. Plusieurs pages facebook ont été crées à la fin du mois d’avril 2014 pour dénoncer ce changement et pour appeler au boycott de la marque. Le boycott est une forme ultime de résistance du consommateur face à un mécontentement ou à une insatisfaction à l’égard d’un produit, d’une marque ou d’une entreprise (Roux, 2007 ; Friedman, 1985). A travers ce travail de recherche nous avons voulu nous intéresser à la problématique du changement de nom de marque et des réactions qu’elle suscite auprès des consommateurs. Plus particulièrement, notre objectif est de comprendre les réactions négatives des consommateurs suite à un rebranding3 et d’explorer les variables soutenant la participation de ces consommateurs à une action de boycott. Nous nous intéressons dans cette recherche au cas particulier de l’opérateur Tunisiana et nous adoptons une démarche qualitative. 1- LA MARQUE ET LA STRATEGIE DE CHANGEMENT DE MARQUE 1.1- La marque et son rôle dans la relation de l’entreprise avec le consommateur La marque peut être définie comme « un nom, un terme, un signe, un symbole, un dessin, ou toute combinaison de ces éléments servant à identifier les biens ou services d’un vendeur ou d’un groupe de vendeurs et à les différencier des concurrents » 4. Le nom de marque constitue l’élément critique et central 1 http://www.babnet.net/8/barometremarquejuin201 3.pdf 2 http://www.thd.tn/index.php?option=com_content& view=article&id=3966:les-appels-de-boycottcontre-ooredoo-ex-tunisiana-vont-ilsreussir&catid=64&Itemid=361 3 Nous utiliserons indifféremment dans ce papier de recherche le terme « rebranding » et « changement de nom de marque » 4 Définition de l’American Marketing Association citée par Kotler et al. (2009, p. 304) de la marque (Aacker, 1991). La marque est un élément-clé de la stratégie d’une entreprise, elle ajoute des dimensions fonctionnelles (identification, garantie), symboliques (image, statut) et émotionnelles (plaisir, attachement) au bien, et permet de le différencie des autres offres (Park et al., 1986 ; Maheswaran et al. 1992 ; Keller, 1998). Pour l’entreprise, la marque c’est aussi un instrument de ralliement et de fidélisation de la clientèle aux produits, et un moyen d'augmenter la valeur du produit et de l’entreprise (Keller, 1993, Vomberg et al., 2015). Keller (1993) définit le capital client de la marque comme l’effet différentiel de la connaissance de la marque sur la réponse des consommateurs au marketing de la marque. Le capital marque est une performance durable, concurrentielle et séparable du produit ; elle est la résultante de l’ensemble des activités marketing de l’entreprise visant à développer une forte notoriété, une image positive et une fidélité à la marque (Aacker, 1991, Yoo et Donthu, 2001). La marque acquiert une valeur financière susceptible de faire l’objet de transactions (Shocker et Weitz, 1988). Les entreprises cherchent aujourd’hui à développer et soutenir des marques fortes et consentent des investissements importants dans ce sens. Pour le consommateur, en plus des garanties qu’elle offre, la marque procure de la valeur aux produits en leur attribuant des significations symboliques (McCracken, 1986), et des capacités de communication et d’expression de valeurs et de statut social (Douglas et Isherwood, 1979 ; Thompson et Haytko, 1997). La recherche montre que le consommateur développe une relation à la marque et des liens émotionnels (Fournier, 1998a). Cette relation peut varier de l’attachement (Lacoeuille, 2000), à l’engagement et fidélité (Chaudhuri et Holbrook, 2001 ; Smaoui et Tmessek, 2011), à l’amour (Caroll et Ahuvia, 2006) jusqu’à la haine (Zarantonello et al., 2016). La gestion de la marque par l’entreprise revêt de ce fait une grande importance et tout changement portant sur la marque, dont celui de rebranding est considéré comme une décision stratégique. Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 148 Fatma Smaoui & Salma Smiri 1.2-- Le cas particulier de la marque dans le domaine des services La marque joue un rôle particulier dans les entreprises de service ; des marques fortes aident le consommateur à visualiser une offre intangible et augmentent sa confiance dans cette offre. Elles contribuent à réduire le risque monétaire, social ou de sécurité, difficiles à évaluer avant l’achat du service (Berry, 2000). En effet, les services sont caractérisés par l’intangibilité, la périssabilité, l’inséparabilité et l’hétérogénéité (Zeithaml et al., 1985). Ces caractéristiques font que la « production » et mise à disposition du service dépendent fortement du facteur humain et notamment de la participation active du consommateur (Booms and Bitner, 1981). Ce dernier juge la qualité du service en fonction de son interaction personnelle avec l’entreprise fournisseur du service, c’est-à-dire avec la marque du service. En effet, dans le domaine des services, le nom de marque est souvent celui de l’entreprise (Berry, 2000). La marque constitue ainsi la pierre angulaire de toute stratégie marketing d’une entreprise de service (Berry, 2000). Selon Strandvik et Heinonen (2013, p. 507), gérer une marque dans le domaine des services revient à gérer « un portefeuille de relations à la marque ». La littérature a établi plusieurs modèles relatifs à la marque et au capital marque dans le domaine des services (Berry, 2000 ; Grace et O’Cass, 2005 ; Strandvik et Heinonen, 2013). L’ensemble de ces modèles mettent en exergue l’importance de l’expérience, des sentiments et de l’interaction du consommateur avec la marque dans la construction du sens et de la valeur pour la marque. Ceci s’explique par l’importance du facteur humain dans les services d’une part (Nysveen et al., 2013), et par la tendance croissante du consommateur à participer à la co-créaction de la valeur d’autre part (Vargo et Lusch, 2008). Strandik et Heinonen (2013) décrivent à ce titre le consommateur du service comme un « intégrateur » de la marque et non comme un récepteur. Le bouche à oreille est aussi identifié comme un facteur pertinent influençant l’image et la force de la marque dans les services (Berry, 2000 ; Grace et O’Cass, 2005). Cette forme de communication peut avoir comme source les clients de la marque mais aussi les non clients (Strandvik et Heinonen, 2013). Elle est particulièrement importante pour les marques de service à cause de la difficulté que rencontre le consommateur pour l’évaluation des services (Bansal et Voyer, 2000). Le rôle du bouche à oreille dans l’évaluation du service, et d’une façon générale dans le développement des perceptions et de l’attitude du consommateur à l’égard de la marque ne cesse d’augmenter suite au développement d’Internet et des réseaux sociaux. Un mouvement de boycott ou antimarque sur Internet par exemple, peut avoir des conséquences significatives sur l’attitude et les évaluations du consommateur de la marque, entamer la confiance dans la marque et la relation du consommateur avec celle-ci. Enfin, le nom de la marque a aussi été identifié dans le modèle du « Verdict de la marque de service » (Service Brand Verdict) développé par Grace et O’Cass (2005), comme un facteur déterminant des associations à la marque (Brand evidence) issues de l’expérience passée du consommateur avec la marque, qui à leur tour influencent l’attitude envers la marque de service et les décisions futures du consommateur concernant l’usage du service tels que le réachat, fidélité ou boycott (Brand evidence). 2- LA STRATEGIE DE REBRANDING : MOTIVATIONS ET CONSEQUENCES Les changements de nom de marque désignés aussi sous le terme rebranding, c'est-à-dire le remplacement d’une marque signataire par une autre sur un même produit ou service, sont devenus des phénomènes fréquents. Ces changements peuvent porter sur une partie de la marque (couleurs, slogan, logo) ou sur la totalité de la marque (Daly et Moloney, 2004). Muzellek et al. (2003) définissent le rebranding comme la pratique de construction d’un nouveau nom représentant une position différenciée dans l’esprit des parties prenantes et une identité différenciée de la concurrence. Plus tard, Muzellek et Lambkin (2006) précisent que le rebranding est un changement dans l’identité de l’organisation et/ou une tentative de changement de la perception de l’image auprès des parties prenantes extérieures. Ces changements Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 149 Fatma Smaoui & Salma Smiri peuvent être motivés par des facteurs aussi divers que le développement international de l’entreprise, le décision de bâtir une marque globale, le changement dans la structure du capital de l’entreprise suite à un rachat ou une fusion, une diversification de l’activité, l’adoption d’un nouveau positionnement ou le désir de rajeunir l’image (Muzellek et al., 2003, Tsai et al., 2015 , Goi et Goi, 2011). Le changement de nom de marque n’est pas sans conséquences sur le comportement du consommateur. S’attaquant à deux fonction principales de la marque, à savoir l’identification et la garantie, le rebranding risque de perturber la relation du consommateur avec la marque et l’entreprise (Collange et al., 2004, Muzellek et al., 2007). S’il ne se sent pas impliqué dans ce changement et s’il ne perçoit pas un bénéfice particulier, le consommateur peut se détacher de la marque et modifier ses habitudes d’achat (Pawels Delassus, et al., 2014). En réalité, l’effet du rebranding sur le consommateur varie en fonction de plusieurs facteurs. En se basant sur la théorie de la catégorisation (Rosch, 1975), certains chercheurs suggèrent que l’effet du changement du nom de marque variera selon le niveau de cohérence perceptuelle entre les deux marques ou entre la nouvelle marque et le produit marqué, communément appelé « fit ». Plus cette cohérence est élevé et plus les chances d’un effet positif sur l’intention d'achat du consommateur sont élevées (Tsae et al., 2015). D’autres facteurs tels que le statut de la nouvelle marque et sa notoriété, les niveaux de marquage (un ou plusieurs niveaux de marquage du produit), ou l’ampleur du changement du nom de marque peuvent aussi expliquer l’effet d’un rebranding sur le consommateur. En général, plus l’entreprise modifie d’éléments d’identité du produit, plus les consommateurs risquent d’être déstabilisés (Collange et al., 2004). De tous les éléments de l’identité du produit, c’est le changement du nom qui est le plus fondamental (Aaker et Joachimsthaler, 2000). 3- LA RESISTANCE DU CONSOMMATEUR AU CHANGEMENT DU NOM DE MARQUE ET LE BOYCOTT Dans certains cas, les consommateurs peuvent présenter une résistance au changement du nom de marque, notamment s’ils ne sont pas suffisamment informés des raisons de ce changement, s’ils ne perçoivent pas de bénéfice particulier, ou s’ils sont fortement attachés à la marque substituée (Pauwels Delassus et al., 2014). Ils pourraient éprouver des émotions négatives telles que le mécontentement, la colère ou la déception ; ils peuvent même se sentir trahis par leur marque (Tsae et al., 2015, Makarem et Jae, 2016). La résistance du consommateur prend plusieurs formes passives et actives, qui peuvent s’inscrire sur un continuum allant de l’évitement jusqu’au boycott, ou même l’activisme anti-marques (Cambefort, 2015). L’intensité de ces émotions et l’ampleur de la déception peuvent amener certains consommateurs à appeler au boycott de la marque ou à y participer. Le boycott est une forme offensive de résistance du consommateur (Roux, 2007). Fournier (1998b) le catégorise comme un comportement de rébellion active à un comportement non éthique, non responsable ou non justifié de l’entreprise. Le boycott se définit comme « une tentative par une ou plusieurs parties de parvenir à certains objectifs en poussant les consommateurs à s’abstenir de faire certains achats sur le marché » (Friedman, 1985, p. 97). Bien qu’il s’agisse d’une action « anticonsommation » collective planifiée (Garett et al., 1987), le comportement de boycott est aussi une réponse individuelle à une entreprise ou à une cause (Makarem et Jae, 2016). Il permet au consommateur d’exprimer de l’insatisfaction à l’égard d’une l’entreprise, d’adopter un comportement socialement responsable et de chercher à prendre du pouvoir à l’égard de la firme (consumer empowerment) (Klein et al., 2004). Les conséquences du boycott au niveau de l’entreprise peuvent être néfastes, on peut observer une nette dégradation de l’image, une baisse des ventes et une perte en efficacité marketing (Cissé-Depardon et N’Goala, 2009). La littérature distingue deux grands types de boycott selon les motivations des consommateurs (Friedman, 1985) : - le boycott instrumental qui a pour objectif de contraindre la cible à changer une pratique ou une politique spécifique, comme par exemple Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 150 Fatma Smaoui & Salma Smiri faire baisser les prix d’un produit, le but étant dans ce cas précis et mesurable ; - le boycott non instrumental ou expressif, qui consiste davantage pour le consommateur à exprimer son mécontentement et sa colère face à un comportement d’entreprise qu’il juge inacceptable, (Cissé-Depardon et N’Goala, 2009 , Makarem et Jae, 2016). La participation au boycott et le degré d’engagement dans cette action dépendra d’un certain nombre de facteurs, dont nous citons le coût du boycott pour le consommateur et l’efficacité perçue (Sen et al., 2001), la manière dont le consommateur juge l’acte commis par la marque (Klein et al., 2004), la valeur matérielle ou affective du produit pour le consommateur (Lynn et Oldenquist, 1986), la fréquence de consommation du produit marqué ou la « consommation-contrainte » (Klein et al., 2004), le désir de l’estime de soi (Kozinets et Handelman, 1998), ou l’orientation religieuse du consommateur (Albayati et al., 2012). La littérature a pu établir également un lien entre le degré d’animosité à l’égard d’un pays d’origine (Klein et al.. 1998 ; Shili et Bouslaman, 2010) et l’intention d'achat ou la participation au boycott (Klein, 2002, Leong et al., 2008, Ettenson et Klein, 2005). L’animosité envers le pays d’origine se traduit par un sentiment et une attitude négatifs envers ce pays, et ce pour différentes raisons, idéologique, politique, religieuse, ou historique (Ettenson et Klein, 2005). Enfin, Avec le développement des réseaux sociaux sur Internet, les appels au boycott peuvent être organisés et relayés plus facilement, que ce soit par des groupes, ou par des individus (Makerem et Jae, 2016). Les conséquences au niveau de l’entreprise peuvent être néfastes, cette dernière peut subir une nette dégradation de son image, voir ses ventes baisser et perdre en efficacité marketing (Cissé-Depardon et N’Goala, 2009) 4- METHODOLOGIE Afin de répondre à l’objectif de cette recherche, à savoir comprendre les réactions de boycott des consommateurs suite à un rebranding et explorer les variables motivant la participation à ce boycott, nous avons choisi de considérer le cas de l’opérateur téléphonique Tunisiana (Ooredoo actuellement) et d’adopter une approche qualitative, basée sur une netnographie - Le choix du cas Tunisiana – Ooredoo : Ce choix nous a semblé intéressant pour deux raisons, la première est que nous avons voulu profiter de l’opportunité de pouvoir commencer notre recherche au moment du changement du nom de marque (avril 2014) afin de pouvoir suivre les événements et observer les réactions des consommateurs (annexe 1). La seconde est que Tunisiana présente un intérêt particulier dans le contexte tunisien. En effet, cette marque lancée en 2002 a su développer une relation de confiance et de proximité avec le consommateur tunisien à travers une stratégie marketing et de communication efficaces. L’opération de rebranding a touché les fondamentaux de la marque, à savoir le nom et le logo. La période de transition de la marque d’origine vers le nouveau nom de marque a été rapide. Le changement de nom de marque avait suscité plusieurs réactions négatives et des appels au boycott, notamment sur les réseaux sociaux. Nous avons pensé que c’était une occasion intéressante et unique pour mener une recherche, à chaud, afin de comprendre les raisons de ces réactions et comprendre la participation au boycott. L’opérateur de téléphonie mobile Tunisiana était leader avec une part de marché de 51,6% en avril 2014 lors du lancement de la campagne de rebranding, aujourd’hui il est toujours leader du marché, mais il ne cesse d’observer une baisse de sa part de marché (40,7% en décembre 2015). - La netnographie : inspirée de l’ethnographie, la netnographie est une méthode qualitative d’enquête en ligne qui a été développée pour étudier les communautés virtuelles de consommation (Kozinets, 2002). Le but est d’analyser le contenu déjà disponible sur le net (forum, blogs, réseaux sociaux) afin de comprendre les expériences de consommation vécues par les membres d’une communauté (Bernard, 2004). Avec l’essor d’Internet, cette méthode a connu un grand développement (O'Donohoe, S., 2010). La Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 151 Fatma Smaoui & Salma Smiri netnographie suppose quatre étapes, l’entrée dans la culture, le recueil des données de différentes sources (discussion, images, pictogrames), le codage des données et l’interprétation (Bernard, 2004). Le choix de la netnographie pour notre cas a été guidé par l’intérêt que présente Internet et les réseaux sociaux dans la diffusion des appels au boycott (Cissé-Depardon et N’Goala, 2009). Facebook est par exemple un réseau social très puissant en Tunisie, qui compte plus de quatre millions et demi de comptes. Nous avons choisi de nous intéresser aux différentes pages facebook appelant au boycott de Ooredoo, pour nous concentrer par la suite sur une seule page que nous analyserons en profondeur. Dans une première phase, nous avons procédé à une observation non participante qui consiste dans la lecture des communications des membres (messages, images, vidéos), sans intervention de notre part. Dans cette phase, nous avons fait une inscription sur les différentes pages de boycott comme membre, sans annoncer notre présence en tant que chercheur et sans révéler l’objet de notre recherche. Nous avons passé en revue les différents fils de discussion afin d’entrer dans la culture et d’acquérir une bonne compréhension de ces communautés. Dans une 2ème phase, nous nous sommes concentrés sur la page regroupant le plus grand nombre de membres pour analyser les échanges et interactions de ces derniers. L’observation de ces communautés a duré un peu moins de trois mois, de la date du lancement de la nouvelle marque Ooredoo le 24 avril 2014 jusqu’à la fin du mois de juin 2014, où l’activité de boycott de ces groupes a pratiquement cessé. Nous allons présenter dans ce qui suit les résultats de chacune de ces étapes. 5- RESULTATS 5.1- Entrée en culture et analyse générale des principales communautés virtuelles de boycott Ooredoo Une recherche sur le web avec les mots clés « contre Ooredoo », « boycott Ooredoo » nous a permis de dresser une première liste des sources de données pouvant constituer notre terrain de recherche (articles de presse, photos, pages facebook). Nous avons opté pour les forums des communautés virtuelles sur le réseau social facebook pour leur concordance avec notre question de recherche. Nous avons commencé notre recherche des pages facebook appelant au boycott le jour du lancement officiel de Ooredoo (24 avril 2014). La période d’observation non participante a duré jusqu’à la fin du mois juin 2014. Plusieurs pages ont été identifiées, portant parfois le même nom ou le même logo, présentant une activité de publication et d’interaction différente, et comptant un nombre variable de membres. Certaines de ces pages ne comptaient pas plus de 150 membres, d’autres avaient un très faible niveau d’activité, (le nombre de publications ne dépassant pas les 20 publications). Nous avons retenu les sept (7) pages qui comptaient le plus grand nombre de membres, étaient les plus actives et dont les publications étaient en rapport avec notre objectif (tableau 1). Notons que deux de ces pages avaient le même logo (page 4 et 7), mais étaient différentes de part le nombre de membres et les publications). Les pages identifiées ont été crées du 16 au 26 avril 2014, soit un peu avant ou après le lancement du nouveau nom de marque. Le nombre d’abonnés par page varie entre 934 et 53 177. Les membres des communautés virtuelles de chacune de ces pages postaient des commentaires, des photos et des vidéos. Les langues utilisées étaient l’arabe littéraire, le français, et le dialecte tunisien écrit en arabe ou en lettres latines, avec une domination du dialecte tunisien. L’activité de ces communautés est variable, le nombre de commentaires négatifs à l’égard d’Ooredoo par exemple varie de 15 à 956 selon la communauté. Pour toutes les pages, cette activité d’appel au boycott a connu une intensité les deux premières semaines, pour baisser sensiblement au bout de trois à quatre semaines, et s’arrêter pour la plupart à la fin du mois de juin (tableau 1). Le ton utilisé dans ces pages était souvent soit hostile et agressif, soit sarcastique, parodique et tournant en dérision le nom « Ooredoo » ou le Qatar, pays d’origine du principal actionnaire. L’élément le plus remarquable et qu’on retrouve dans toutes les pages est Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 152 Fatma Smaoui & Salma Smiri l’animosité à l’égard du Qatar. Cette animosité est transférée sur la marque Ooredoo. Ceci peut être constaté à travers les titre des pages (le terme Qatar, avec un commentaire négatif ou une négation est présent dans 3 pages sur 7), au niveau des slogans (4 slogans sur 7) et au niveau des commentaires et photos postées. Au bout de 5 à 6 semaines, nous n’avons pratiquement plus observé de posts ou commentaire relatifs aux campagnes de boycott. Nous avons d’ailleurs revisité ces pages FB au bout de six mois (décembre 2014), quatre pages sont devenues passives et les trois autres traitaient de sujets divers. Tableau 1- Caractéristiques des pages Facebook des communautés virtuelles observées (voir annexe) 5.2- Analyse de contenu de la page « قطر Ooredoo «( » أنا الje ne veux pas Qatar ») Suite à notre observation des sept communautés virtuelles, nous avons choisi de nous concentrer sur la page « قطرOoredoo أنا ال » qui présentait le plus grand nombre d’abonnés et la plus grande activité. Notre immersion dans cette communauté virtuelle a duré un peu moins de trois mois, du 24 avril jusqu’à la fin du mois de juin 2014. Nous avons pratiqué une observation non participante et enregistré les différentes discussion et commentaires. Nous avons revisité cette communauté virtuelle pendant le mois de novembre 2014, et suivi son activité pendant encore un mois et demi, il n’y-avait plus eu d’activité ou de commentaire relatifs au boycott, et la page traitait d’autres sujets. La page a été créée le 20 avril 2014, elle comptait 53 177 abonnés, le nombre de commentaires négatifs à l’égard d’Ooredoo que nous avons pu comptabiliser est de 1152, le nombre d’images publiées est de 244 et le nombre de videos postés est de 30 (tableau 1). En nous référant aux commentaires négatifs, nous avons observé que l’intensité des interactions a connu un pic les deux jours avant et après le lancement de la marque Ooredoo, pour baisser par la suite, jusqu’à pratiquement disparaitre au bout de trois semaines (annexe 2). Le dernier commentaire relatif au boycott a été posté le 15 juin 2014. La photo de profil montre un personnage avec le drapeau tunisien qui met à la porte une autre personne avec le drapeau qatari avec le mot « Dégage », symbole de la « révolution tunisienne ». Nous avons passé en revue tout le fil de discussion. Après ce premier filtrage, nous avons sélectionné les fils de discussion les plus riches en données, directement reliés à notre objectif et représentant les niveaux les plus élevés d’interactivité (Kozinets, 2002). Nous avons procédé à un codage manuel des différentes données recueillies après les avoir enregistré. Nous avons fait d’abord une lecture flottante du flux de discussion et la mise en relation des différents matériels recueillis (discours, image, vidéos) par thème (Bernard, 2004). Le premier message posté le 20 avril par l’administrateur de la page était en langue arabe et incitait ouvertement à boycotter l’opérateur téléphonique en raison principalement de son appartenance à un groupe Qatari (annexe 3). 5.2.1- Les caractéristiques générales de cette page La langue dominante utilisée pour échanger les commentaires est le dialecte tunisien écrit en arabe ou en lettres latines. Le français et l’arabe littéraire sont présents mais moins utilisés. Le ton était souvent agressif et sarcastique, généralement très passionné, à tendance émotionnelle et rarement rationnel. Nous avons relevé d’ailleurs peu d’argumentation élaborée et peu de débats d’idées. Les formes d’expression linguistique et lexicale étaient diverses : utilisation des métaphores, des jeux de mots, de l’humour, de la poésie, du storytelling ou des proverbes (voir par exemple poème et jeux de mots en annexe 5). Figure 1- Exemple de jeux de mots et d’humour par rapport au slogan adopté pour le lancement du rebranding « Ooredoo c’est Tunisiana et Tunisiana c’est Ooredoo » Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 153 Fatma Smaoui & Salma Smiri 5.2.2- Les types de boycott L’analyse du contenu des messages, nous a permis de relever deux niveaux de boycott : un boycott « action » prônant la rupture immédiate avec l’opérateur Ooredoo, la résiliation de l’abonnement et le changement d’opérateur, que Hirshman (1970) qualifie d’« Exit », c’est-à-dire qu’on est dans une situation de rupture ayant un aspect irrévocable suite à une grande déception visà-vis d’une marque offensante. Des photos et vidéos postés par les internautes montrent des scènes de destruction de la puce Tunisiana (figure 2). Un deuxième niveau que nous qualifions de boycott « voix » (Hirshman, 1970), intègre les discussions et communications qui s’attaquent plutôt à l’image de l’entreprise et à sa réputation. Dans la plupart des cas, il s’agit d’un boycott expressif (par opposition à instrumental) (Friedman, 1985, 1991) qui consiste davantage pour le consommateur à exprimer son mécontentement et sa colère face à un comportement d’entreprise qu’il juge inacceptable. Dans de rares cas, nous avons pu observer une forme de boycott instrumental qui lie l’action de boycott (résiliation d’abonnement Ooredoo) à la baisse du chiffre d’affaires, à l’accumulation de pertes et au retour de l’entreprise à l’Etat tunisien (annexe 3). Figure 2- Photos montrant la destruction de la puce Tunisiana 5.2.3- Les facteurs explicatifs de la participation au boycott Nous pouvons classer ces facteurs en deux grandes catégories, l’une d’ordre socioculturel, relative à la relation au pays d’origine et l’autre relative à la relation à la marque. 5.2.3.1- Facteurs liés à la relation au pays d’origine - L’animosité à l’égard du pays d’origine du principal actionnaire de Ooredoo L’animosité à l'égard du pays d’origine se réfère à de fortes émotions d’hostilité et d’inimitié fondées sur des croyances portant sur des événements passés et actuels entre nations et personnes (Averill, 1982). Ces événements peuvent être de différentes natures, guerres, politiques, économiques, culturelle et religieuse (Kalliny et Hausman, 2004). L’animosité peut être stable liée à des événements historiques, cumulés à travers le temps et ancrés dans l’imaginaire collectif d’un groupe ; ou situationnelle, résultante de circonstances particulières (Jung et al, 2002). Dans notre cas, l’analyse de contenu des discussions du groupe de boycott a révélé une forte animosité à l’égard du Qatar, acquéreur de la majorité des actions. Il s’agit plutôt d’une animosité situationnelle, née après les Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 154 Fatma Smaoui & Salma Smiri « révolutions arabes » suite à une politique étrangère du Qatar que plusieurs parties considèrent comme interventionniste et partisane5. Il s’agit aussi d’une animosité politique, culturelle et religieuse (Kalling et Lemaster, 2005), et parfois économique. Cette animosité se révèle à travers les thèmes suivants : - L’histoire et la civilisation : le Qatar est décrit comme un pays de bédouins « sans civilisation », qui s’est enrichi récemment. Cette image est opposée à celle de la Tunisie à la civilisation « millénaire » selon les internautes. - Le soutien au sionisme, au terrorisme, aux frères musulmans et au « contre Printemps arabe » : ce sont les propos très fréquents dans le discours des membres de la communauté. Un mélange de croyances, argumentées ou non, lie, pour plusieurs des membres de la communauté, le Qatar au financement du terrorisme et du Djihadisme, aux complots contre les « révolutions arabes » et contre la Tunisie, ou aux frères musulmans. (figure3, annexe 3). Une relation de complicité avec les USA, qui « complote contre la stabilité des pays de la région MENA » est aussi mentionnée. - L’hégémonie économique et politique, l’impérialisme et le néocolonialisme : la Qatar est taxé de vouloir dominer économiquement la Tunisie et différents pays du monde arabe à travers les investissements, l’endettement et les acquisitions d’entreprises. Des accusations « d’esclavagisme économique » sont aussi mentionnés (figure 3). Figure 3- Commentaires révélant une animosité à l’égard du Qatar - La relation au pays d’origine national : la Tunisie Face à l’animosité à l’égard du Qatar s’oppose un nationalisme bien marqué. La relation de plusieurs membres de la communauté virtuelle avec leur pays d’origine s’exprime en termes de sentiment d’appartenance, de patriotisme, de fierté d’appartenir à une civilisation millénaire, et de mise en avant de personnages mythiques célèbres de la Tunisie comme Elyssa, El Kehna, Hannibal. Plusieurs messages évoquent le refus de « se mettre à genoux » et de « vendre » la Tunisie en étant client d’une entreprise qatari et en participant à ses bénéfices « Eli mechi lessedra, ezzitouna aoula bih». Les termes « trahison », « dignité », « honneur », reviennent souvent dans le discours des internautes. Un certain ethnocentrisme transparait à partir des commentaires, où on incite les consommateurs à consommer tunisien et à refuser l’opérateur qatari. (figure 4) Figure 4- Images échangées dans la communauté virtuelle faisant référence au refus de trahir (« vendre ») la Tunisie, à la fierté nationale et à l’indignation face à une action publicitaire d’Ooredoo au musée du Bardo, symbole de la civilisation tunisienne. 5 http://english.ahram.org.eg/NewsContentPrint/1/ 0/151730/Egypt/0/We-dont-interfere-in-Egyptsinternal-affairs-Qatar.aspx, http://www.lemonde.fr/procheorient/article/2014/09/26/le-qatar-dementfinancer-l-ei_4494784_3218.html Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 155 Fatma Smaoui & Salma Smiri blanc du logo et du nom qui évoque la Tunisie. Plusieurs internautes croient d’ailleurs, à tort, que l’actionnaire principal de Tunisiana était l’Etat tunisien (annexe 3). Cette identification de la marque à la Tunisie a crée ensuite une identification des consommateurs à la marque à travers le pays d’origine et ses représentations (figure 5) Figure 5commentaires illustrant l’identification à Tunisiana , l’attachement et les connexions nostalgiques avec Tunisiana 5.2.3.2- Facteurs liés à la relation à la marque - Une forte relation émotionnelle avec la marque Tunisiana A travers les discussions dans le groupe, nous avons pu identifier une grande relation de proximité et de complicité entre Tunisiana et ses consommateurs qui se caractérise par : - Un fort attachement à la marque Tunisiana : plusieurs mots et qualificatifs sont utilisés en évoquant Tunisiana, tels que l’amour, la tendresse, l’amitié, le respect et la fidélité. Tunisiana est aussi associée à des moments agréables, à la joie et à la patrie (figure 5). - Des connexions nostalgiques : certains membres de la communauté évoquent, à travers des storytelling, des souvenir avec Tunisiana, que ce soit à travers leur numéro de téléphone et les tranches de vie qu’ils ont vécu avec, ou à travers les actions marketing de Tunisiana (promotions, amigos, recharge gratuite pendant la révolution, publicité) (figure 5, annexe 4). - Identification de la marque Tunisiana au pays et au Soi : Tunisiana est fortement identifiée à la Tunisie dans l’esprit des membres de la communauté en raison des couleurs rouge et - La relation avec la marque Ooredoo Contrairement à la marque Tunisiana, la marque Ooredoo est associée à des émotions et des croyances négatives de la part des membres du groupe. Le mot « Ooredoo » est tourné en dérision, et est utilisé dans des jeux de mots négatifs à l'égard de la marque. Certains internautes ne lui trouvent aucun sens. Des sentiments de déception, de haine et de dénigrement sont exprimés par certains membres du groupe l’égard de cette marque. 6- DISCUSSION DES RESULTATS ET CONCLUSION Le changement du nom de marque ou rebranding est une stratégie risquée pour l’entreprise (Kapferrer, 2007). Les consommateurs peuvent ne plus reconnaître leur produit ou service habituel et douter de sa performance, ceci peut impacter les ventes Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 156 Fatma Smaoui & Salma Smiri et les résultats de l’entreprise (Collange et Roux, 2004). Cette stratégie est d’autant plus risquée que le changement touche des éléments fondamentaux de la marque tels que le nom et le logo (Aaker et Joachimsthaler, 2000). En Tunisie, l’opération de rebranding de la marque Tunisiana en la marque Ooredoo a suscité plusieurs réactions et un mouvement de boycott, notamment sur les réseaux sociaux. Les résultats d’une netnographie menée auprès de communautés virtuelles sur le réseau social facebook ont montré que la participation à ce mouvement était motivée à la fois par le fort attachement des membres du groupe à la marque d’origine Tunisiana et par l’animosité à l’égard du pays d’origine du nouvel acquéreur de la marque. Cette animosité a intensifié le sentiment de rejet du rebranding de Tunisiana et a suscité par conséquent chez les membres du groupe une obligation morale de boycott de cette entreprise (Hoffmann, 2013). Il s’agit principalement d’un boycott expressif, visant à dénoncer l’insatisfaction, la colère et la frustration des clients à l’encontre de ce changement (Friedman, 1991). Les boycotts expressifs touchent directement au concept de soi, c’est-à-dire aux représentations que se fait un individu de lui-même et du monde qui l’entoure (Cissé-Depardon et N’Goala, 2009). Les marques choisies et consommées par l’individu contribuent à la définition de son identité et constituent une extension de soi (Belk, 1988). Un changement au niveau de ces marques touche directement le consommateur. Cet effet est d’autant plus important que le consommateur est attaché à la marque. Nos résultats montrent que c’est le cas pour la marque Tunisiana, qui a su développer une grande proximité avec ses clients. L’analyse des messages de boycott montre un discours émotionnel, passionné plutôt qu’analytique. Nous n’avons pu identifier que peu de motivations idéologiques et rationnelles qui caractérisent généralement les actions de boycotts agissant pour des causes (Hoffmann et al., 2011, Ettenson et Klein, 2005). En fait, ce sont des facteurs émotionnels tels que l’amour de la marque, l’identification à la marque, ou l’animosité à l’égard du pays d’origine qui contribuent le plus à expliquer la participation au boycott dans notre cas. La littérature sur le boycott s’est basée traditionnellement sur des perspectives théoriques « coûts-bénéfices » (James, 2010). Récemment, le développement du courant socio-psychologique qui met en avant le rôle des émotions, a permis de donner un nouvel éclairage au comportement de consommation (Farah et Newman 2010 ; James, 2010 ; Lindenmeier et al., 2012). Le boycott serait perçu comme un moyen d’expression émotionnelle, où les émotions négatives telles que l’indignation, la colère ou la déception jouent un rôle clé dans la participation au boycott (Lindenmeier et al. 2012, Makarem et Jae, 2016). Notre recherche vient s’inscrire dans cette perspective, et renforcer les résultats de ces recherches, et ce dans un contexte de pays arabo-musulman de l’après « révolutions arabes ». En effet, notre recherche présente l’intérêt de s’inscrire dans un contexte socioculturel et géopolitique d’actualité, et de montrer l’effet d’un tel contexte sur les stratégies marketing de l’entreprise et sur le comportement du consommateur (Touzani et al., 2016). Les « révolutions arabes » ont exacerbé le nationalisme et la fierté des populations de ces pays et ont libéré les aspirations à la liberté et à la souveraineté (Nouihed et Warren, 2012). L’étude de l’animosité à l’égard du pays d’origine dans ce contexte s’est révélée particulièrement intéressante vu sa spécificité et la complexité des facteurs la motivant. Enfin, notre recherche a montré que le mouvement de boycott sur les réseaux sociaux suite à un rebranding, s’est vite essoufflé ; l’incitation à boycott a disparu sur ces pages facebook en peu de temps. Ceci peut s’expliquer par la perception par les membres de la communauté de l’inefficacité de leurs actions (Sen et al, 2001), ou par la lassitude et la résignation. La nature émotionnelle de ce boycott peut aussi expliquer cet effet « feu de paille ». 7- IMPLICATION MANAGERIALES ET LIMITES Sur le plan managérial, notre recherche permet de mieux comprendre les réactions de résistance des consommateurs dans des situations de rebranding portant sur des éléments fondamentaux d’une marque de Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 157 Fatma Smaoui & Salma Smiri service. Notamment elle met en exergue l’importance pour l’entreprise qui procède à un rebranding de se préparer à faire face à un mouvement de boycott et de mettre en place une stratégie qui accompagne le rebranding. Cette stratégie devrait privilégier par exemple une période de transition plus longue, en ayant recours par exemple à un co-branding (ancienne et nouvelle marque), ou en impliquant le consommateur dans ce changement à travers une information appropriée et des explications des raisons de l’opération de rebranding. Afin d’accompagner l’opération de rebranding et de limiter les effets du boycott, l’entreprise de service a intérêt aussi à suivre de plus près les sites anti-marque ou de boycott, soit avec ses propres moyens (logiciels des gestion et de suivi des marques sur les réseaux sociaux tels que Sysomos), ou en ayant recours à des agences de marketing digital. L’entreprise peut aussi créer des communautés de marque en ligne comprenant des adeptes de sa marque et les encourager à interagir et à répondre aux partisans les plus virulents de boycott. Elle peut aussi, dans le cas où l’information des sites de boycott devient extrêmement toxique, essayer d’entrer en contact avec les administrateurs de ces pages et les meneurs du boycott pour essayer de les engager plutôt dans sa communauté de marque ou au moins pour les inciter à réduire l’intensité de leur mouvement (McGriff, 2012)6. Bien entendu, l’ensemble de ces actions nécessitent à ce que l’entreprise consacre les moyens et un budget de communication et de relations publiques conséquent. Parmi les limites de ce travail de recherche, nous citons principalement la difficulté de généraliser de tels résultats du fait de la nature exploratoire qualitative de la recherche et du choix d’une action de boycott sur 6 Nous avons visité la page facebook objet de ce travail au bout de 6 mois, et nous avons constaté qu’elle a changé d’orientation, qu’elle traitait d’autres sujets tels que la politique en soutenant un candidat à la présidentielle. Des publications vantaient aussi le rôle positif du Qatar et des fonds d’investissements qatari pour leur contribution dans le développement de la Tunisie. Internet. Bien que Facebook soit un réseau social puissant en Tunisie, il ne touche pas encore toute la population. Une seconde limite se rapporte au groupe facebook que nous avons étudié. Bien que nous ayons pris toutes les précautions pour choisir un groupe répondant aux objectifs de notre recherche, nos résultats restent tributaires des caractéristiques de ce groupe. Enfin, l’observation non participante que nous avons adopté nous a permis d’observer d’une façon neutre l’évolution de l’activité et de la discussion du groupe, mais limite notre analyse aux données que nous avons pu recueillir. Une prolongation de cette recherche à travers des entretiens en profondeur avec des participants dans ce groupe peut fournir une information susceptible d’éclairer encore plus les mouvements de boycott. Une étude longitudinale de cette opération de boycott peut aussi s’avérer intéressante pour évaluer l’effet de ce dernier sur l’image de cette entreprise et son capital– client de marque. Enfin, il serait intéressant de comprendre et de mesurer, à travers une étude quantitative, le poids relatif de l’attachement à la marque et de l’animosité dans la participation à une action de boycott. BIBLIOGRAPHIE 1. Aaker D. A. (1991), Managing brand equity: Capitalizing on the value of a brand Name, NY, Free Press. 2. Aaker D. A., et Joachimsthaler, E. (2000), The brand relationship spectrum: The key to the brand architecture challenge. California Management Review,42, 4, 8-23. 3. Albayati M. S., Mat N. K. N., Musaibah A. S., Aldhaafri H. S., et Almatari E. M. (2012), Participate in boycott activities toward danish products from the perspective of muslim consumer, American Journal of Economics, Special issue, 120-124. 4. Averill J. (1982), Anger and aggression: An essay on emotion. New York: Springer-Verlag. 5. Bansal H.S., Voyer P.A. 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Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 162 Fatma Smaoui & Salma Smiri Tableau 1- Caractéristiques des pages Facebook des communautés virtuelles observées Indicateurs quantitatifs Ooredoo أنا ال قطر أنا اريد تونيزيانا NO OOREDOO TOUS CONTRE OOREDOO قاطعو اإلستعمار القطري ال أريدوووو-No OoredoO انا ال Ooredoo قطر Date de création de la page 20-avr.-14 17-avr.14 26-avr.-14 19-avr.-14 16-avr.-14 24-avr.-14 22-avr.-14 Le logo de la page le slogan de la page حملة لدعم عمال شركة اOoredooتونيزيانا لعالمية Nombre d’abonées Nombre des commentaires négatis à l'égard d'Oooredoo Nombre d d'images publiées par l'administrateur ,قاطعوتونسيانا قاطعواإلستعمارا لقطري حملةلمقاطعة شركةتونيزيانا تونزينااوريدوواريد وموشتونوزيانا الOoredoo قطرائيلية 53 177 27 337 22 502 5 560 1 768 1 363 934 1152 302 175 254 97 102 15 244 12 40 82 57 22 30 89 0 3 15 2 0 3 30 0 1 0 2 0 3 15-juin-14 15-aout14 6-mai-14 3-mai-14 21-juin-14 8-mai-14 1-mai-14 Nombres des photos de boycott Nombre des vidéos de boycott Date de l'arrêt des appels au boycott هذهصفحة خاصة وتتواصلحملةالمقاط بالمتضررينمنشركةتو عةللشركةالقطرائيلي نيزيانابعدانباعتذمتهاو ة حرفائهالشيوخقطر Annexes 1 - L’identité visuelle de la marque avant et après le rebranding Logo Tunisiana Logo Ooredoo à partir du 24 avril 2014 Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 163 Fatma Smaoui & Salma Smiri Annexe 2: L’intensité des interactions par jour sur la page « Lé Ooredoo Qatar La date 20-04 21-04 22-04 23-04 24-04 25-04 26-04 27-04 28-04 29-04 30-04 01-05 08-05 12-05 Le nombre des commentaires négatifs 80 96 102 155 200 192 61 46 32 28 100 30 22 8 Le nombre de j’aime 298 302 365 437 1614 1065 1390 524 320 205 368 250 124 57 Annexe 3- Commentaires et posts illustrant le boycott de Ooredoo et l’animosité à l’égard du Qatar 1er message posté dans le groupe par l’administrateur le 20 avril 2014 Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 164 Fatma Smaoui & Salma Smiri Annexe 4—Commentairse illustrant l’ethnocentrisme et le patriotisme par opposition à l’animosité à l’égard du Qatar Poème et jeux de mots Proceedings of the Marketing Spring Colloquy (URAM), Vol. 7, 2016 165