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techniques d’écriture correspondent aussi à celles employées par les collecteurs3 et certains
romanciers du XXe siècle4. Roland Barthes considère que « de tous les discours savants,
c’est l’ethnologique qui apparaît le plus proche d’une fiction »5. De fait, plusieurs cher-
cheurs en sciences humaines et sociales accordent de l’importance à la fiction et admettent
qu’elle joue un rôle dans ces sciences :
« La catégorie de la fiction est une catégorie-clef de la construction de la connaissance, surtout en
sciences sociales et humaines. […] La projection symbolique et formelle d’une réalité serait un
modèle qui rend possible une réalité. » 6
« La fiction intervient dans la construction des objets de l’anthropologie […] elle est une mise en
forme susceptible de configurer l’espace. »7
Nous estimons qu’il existe des liens intrinsèques entre la littérature et
l’anthropologie, et nous considérons que la façon dont les anthropologues appréhendent la
littérature orale permet de les comprendre. Certains ont, en effet, écrit des fictions fondées
sur leurs observations scientifiques et sur les récits oraux étudiés lors de leurs enquêtes de
terrain. Nous pensons notamment à Philippe Laburthe-Tolra (Le Tombeau du soleil,
L’étendard du prophète), à Darcy Ribeiro (Maïra, Utopie sauvage), à Claude Seignolle
(Marie la Louve, Le Diable en sabots), à Lafcadio Hearn (Youma), ainsi bien sûr qu’à
Claude Lévi-Strauss (Tristes tropiques) et Michel Leiris (Afrique fantôme). Ces deux der-
niers ouvrages ont un statut quasi hybride, à mi-chemin réellement entre les deux discipli-
nes.
Les écrivains portent un grand intérêt aux cultures et aux peuples. Certains ont une
volonté très marquée de témoigner d’une époque ou de façons de faire : dans ce but, ils
mêlent fiction et réalité dans leurs écrits, comme Michel Tauriac dans Les années créoles8.
La littérature s’intéresse donc à l’ethnographie et, plus généralement, aux sciences humai-
l’écrit. », Ralph LUDWIG, « Ecrire la parole de nuit », in Ecrire la « parole de nuit »
−
La nouvelle littéra-
ture antillaise (Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », n°239, 1990, 192p.), pp.13-25 : p.14. Dans Solibo
Magnifique de Patrick CHAMOISEAU (Paris, Gallimard, coll. « Folio » n°2277, 1997, 244p.), le narrateur
se présente comme « prétendu ethnographe » (p.44).
3 Notamment Anatole LE BRAZ et Claude SEIGNOLLE.
4 Notamment Antonin ARTAUD, Nathalie SARRAUTE, ou encore Claude SIMON.
5 Roland BARTHES cité par Gérard TOFFIN, « Ecriture romanesque et écriture de l’ethnologie », in
L’Homme, n°111-112, juillet-décembre 1989, pp.34-49 : p.41.
6 Francis AFFERGAN, « Les enjeux d’une recherche épistémologique comparée sur les méthodes et les
terrains de l’anthropologie », in « Figures de l’humain : Une discussion autour des procédures de
l’anthropopoiésis », journée de présentation du collectif Figures de l’humain
−
Les représentations de
l’anthropologie, le 17 mars 2004 à l’EHESS.
7 Jacques REVEL, « Usages et statut de la fiction », in « Figures de l’humain : Une discussion autour des
procédures de l’anthropopoiésis », op.cit.
8 Michel TAURIAC est journaliste et romancier. Les années créoles constitue une grande fresque fondée sur
une documentation méticuleuse.