L`historiographie des traités de paix qui ont mis à la Première guerre

publicité
Les projets de réforme du statut de la Transylvanie dans le contexte des relations
internationales en Europe centrale et orientale (1890-1920)
François BOCHOLIER (Paris I)
L’historiographie des traités de paix qui ont mis fin à la Première Guerre mondiale est
extrêmement riche : les négociations proprement dites ont été étudiées avec minutie1 ; on s’est aussi
intéressé, dernièrement, aux comités d’experts2 et aux lobbies3 qui ont pu, à un moment ou un autre,
jouer un rôle dans les prises de décisions. Les enjeux proprement français de la paix ont également
été examinés, les groupes d’influence mis en valeur. On a bien mis en évidence, en ce qui concerne
l’Europe centrale et orientale, l’incapacité logistique de la France à assurer son rôle de superpuissance européenne malgré ses prétentions initiales4, les malentendus qui n’ont pas tardé à éclater
entre elle et les nouvelles nations issues du conflit5.
Néanmoins, dans l’historiographie occidentale des relations internationales, les enjeux
intérieurs propres à chacune des zones du conflit en Europe orientale n’ont pas toujours été pris en
compte. On a, certes, remarqué, à juste titre, que le principe de « la liberté des peuples à disposer
d’eux-mêmes » avait été loin d’être le seul critère décisif pour le remodelage des frontières, que les
zones à plébiscites ont été, somme toute, limitées, qu’un système de protection des minorités a dû
être mis en place, — autant d’éléments qui prouvaient le caractère fragile voire contestable des
décisions diplomatiques. Mais on ne s’est pas toujours interrogé, en profondeur, sur l’évolution de
la place jouée par les facteurs intérieurs propres sur la destinée de telle ou telle province : dans
quelle mesure les décisions prises à Versailles ont-elle été conformes à la majorité de la population
concernée ? A-t-on pris avis directement de cette population ou s’est-on référé à des porte-parole
plus ou moins fiables ? La décision se trouve-t-elle dans la continuité de plans antérieurs à la guerre
de 1914 ou est-elle le résultat de simples et fragiles faisceaux de circonstances ? Une meilleure prise
en compte de ces facteurs internes aurait sans doute permis de mieux anticiper de longs processus
1
Il n’est pas de notre propos ici d’indiquer une bibliographie exhaustive de cette question. En ce qui concerne spécifiquement
l’Europe centre-orientale, d’excellents points de départ bibliographiques sont donnés par LEUŞTEAN, Lucian, România, Ungaria
şi Tratatul de la Trianon, 1918–1920 [La Roumanie, la Hongrie et le traité de Trianon], Iaşi, Polirom, 2002, p. 42–46. Outre
l’ouvrage ci-dessus, on citera tout de même, pour ce qui concerne directement les questions roumano-hongroises : ORMOS, Mária,
From Padua to the Trianon, Budapest, 1990. ROMSICS, Ignác, The Dismantling of Historic Hungary, Boulder, East European
Monographs, 2002. BOTORAN Constantin et alii, România şi Conferinţa de pace de la Paris, Cluj, Dacia, 1983.
2
Voir par exemple : TER MINASSIAN, Taline, « Les géographes français et la délimitation des frontières balkaniques à la Conférence
de la Paix en 1919 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1997, 44, p. 252–286.
3
Comme l’excellent : ILCEV, Ivan, Are dreptate sau nu, e patria mea ! Propaganda in politica externă a ţărilor balcanice (18211923 [La propagande dans la politique extérieure des pays balkaniques], Bucarest, Curtea Veche, 2002.
4
On peut se référer notamment aux actes du Colloque « Bâtir une nouvelle sécurité : La coopération militaire de la France avec les
pays d’Europe centrale et orientale dans les années 1920 », Paris, 2-4 décembre 1999 ou antérieurement au Colloque « Les
conséquences des traités de paix de 1919–1920 en Europe centrale et sud-orientale », Strasbourg, 24–26 mai 1984. Voir aussi :
SOUTOU, Georges-Henri, « L’impérialisme du pauvre : la politique économique du gouvernement français en Europe centrale et
orientale de 1918 à 1929 », Relations internationales, n°7, automne 1976.
5
Le meilleur exemple au sujet des relations franco-roumaines : SANDU, Traian, La France, la Roumanie et la sécurité en Europe,
1919–1936, Paris, L’Harmattan, 2000.
-2-
de remises en cause — à l’œuvre jusque dans les années 1990 — d’une bonne part des frontières et
constructions étatiques centre et est-européennes, établies lors des traités de 1919-19206.
Nous avons choisi l’exemple des territoires rattachés à la Roumanie par le traité de Trianon au
détriment de la Hongrie, territoires qu’il est devenu habituel de désigner sous le nom générique de
Transylvanie7. Quelle a été la place exacte des initiatives internes dans le cession de ces territoires ?
Quels ont été les acteurs locaux du débat et leur place dans le processus de décision ? Comment le
statut de ces territoires est-il devenu une question majeure de relations internationales ? Répondre à
ces interrogations demande de replacer les événements de 1918-1920 dans le contexte large
d’affirmation croissante du principe national dans le jeu diplomatique des puissances depuis la
seconde moitié du XIXe siècle.
Jusque vers 1880-1890, la question transylvaine n’est, en aucune façon, une affaire de
politique internationale. Dans cette province multiethnique et multi-confessionnelle8, les tensions
internes ne manquent pourtant pas. Principauté historique, aux institutions autonomes dans l’Empire
autrichien, elle vient d’être incorporée en 1868 à une Hongrie en pleine renaissance après le
Compromis (Ausgleich) de 1867. L’État hongrois, centralisateur et « magyarisateur » dissout les
cadres administratifs autonomes, empiète sur les libertés locales traditionnelles et cherche à mieux
intégrer voire à assimiler les nationalités9. La nationalité roumaine, la plus nombreuse, riche d’un
passé déjà conséquent de luttes nationales pour la reconnaissance de ses droits et de sa place à
égalité (Gleichberechtigung) avec les autres composantes de la province, s’oppose catégoriquement
à cette politique et demande le rétablissement des cadres historiques10. Suivant une tradition
séculaire, l’élite politique roumaine de Transylvanie choisit le recours à l’Empereur de Vienne
6
Cette méconnaissance du contexte local ne vaut naturellement pas pour les spécialistes de l’Europe centrale et orientale qui, tous,
replacent les traités dans le moyen et long terme de l’histoire de la zone : Bernard LORY (L'Europe balkanique de 1945 à nos
jours, Ellipses, 1996) qualifie même la Première Guerre mondiale de « troisième guerre balkanique ». On retrouve aussi dans les
deux grandes synthèses : ROTHSCHILD, Joseph, East Central Europe between the Two World Wars, Seattle, Londres, 1974 et
JELAVICH, Barbara, History of the Balkans, 1881-1980, Cambridge University Press, 1983, des pages éclairantes sur les
complexes conséquences internes des traités de paix.
7
Cette terminologie utilisée par commodité dans cet article ne doit pas faire oublier que ce nom générique recouvre la Transylvanie
historique proprement dite, le Banat oriental, le Partium (ou Crişana), le pays de Satu-Mare (Satmár) et le sud du Maramureş
(Máramoros).
8
Selon le recensement hongrois de 1910 – qui surévalue la proportion de Hongrois : en Transylvanie historique, il y a près de trois
millions d’habitants, dont 51% de langue maternelle roumaine, 32% de langue hongroise, 8% de langue allemande (« Saxons »).
En Transylvanie au sens moderne du terme (voir note 7), cinq millions trois-cent mille habitants, dont 54% de langue maternelle
roumaine, 32% de langue hongroise, 11% de langue allemande (« Saxons » et « Souabes »). En Transylvanie historique, enfin,
l’appartenance religieuse est incroyablement fragmentée : on y trouve 31% d’orthodoxes, 29% d’uniates, 15% de calvinistes,
14% de catholiques, 9% de luthériens, 3% d’unitariens et 2,5% de juifs.
9
BOCHOLIER, François, « Az erdélyi elit a regionális identitástudat és a nemzeti érzelmek erősödése között (1867–1930) » [Les élites
de Transylvanie entre conscience régionale et renforcement des sentiments nationaux], Pro Minoritate, 2004 / 1, p. 37–39.
10
HITCHINS, Keith, A Nation affirmed : The Romanian National Movement in Transylvania, 1860–1914, Bucarest, Enciclopedica,
1999. Sur la genèse du mouvement national roumain : Keith HITCHINS, L’idée de nation chez les Roumains de Transylvanie,
1691–1849, Bucarest, Ed. Stiinţifică şi Enciclopedică, 1987. TÓTH Zoltán I., Az erdélyi román nacionalizmus első százada 16971792, Miercurea-Ciuc, Pro-Print, rééd. 1998. PRODAN, David, Supplex Libellus Valachorum, Bucarest, 1948, rééd. Enciclopedica,
1996.
-3-
comme moyen de pression sur la Hongrie11. On reste, donc, apparemment, dans le cadre d’une
affaire intérieure à l’Autriche-Hongrie même si le voyage solennel d’une importante délégation
roumaine à Vienne en mai 1892 pour remettre le Mémorandum des Roumains transylvains à
l’Empereur est déjà une façon de « semi-internationaliser » le conflit12.
Cependant, à la même époque, au Sud, la naissance officielle du Royaume de Roumanie,
vient changer la donne. Pour la première fois, les Roumains de Transylvanie peuvent imaginer la
province en référence à un centre politique indépendant, extérieur, de même langue qu’eux13. La
guerre roumano-russo-turque de 1877-1878 (dite « d’indépendance ») est l’occasion d’un
enthousiasme indescriptible de l’intelligentsia roumaine transylvaine pour les exploits de l’armée
roumaine en Bulgarie : certains partent même s’engager comme volontaires pour combattre aux
côtés de « leurs frères14 ». Des fractions minoritaires de la jeunesse étudiante bucarestoise la plus
militante sont les premières à commencer à échafauder des plans ouvertement irrédentistes à partir
des années 1882-85. C’est à l’occasion de la diffusion d’un tract séditieux par certaines d’entre elles
dans des villages transylvains que se produit en 1885 le premier incident diplomatique grave au
sujet de la Transylvanie entre la Monarchie austro-hongroise et la Roumanie15. C’est aussi à cette
occasion que la question vient, pour la première fois, à l’ordre du jour au Parlement de Bucarest16.
Commence alors en petite Roumanie l’habitude de suivre avec attention le sort réservé aux
Roumains de Transylvanie. Pour la bourgeoisie et l’intelligentsia nationaliste, c’est l’occasion de
manifester régulièrement devant l’ambassade d’Autriche. En 1891, s’organise la Ligue pour l’Unité
culturelle des Roumains (dite Ligue Culturelle, Liga Culturală) qui offre des bourses aux jeunes
Roumains de Transylvanie, informe et agite l’opinion à leurs sujets. Nicolae Iorga, le jeune et
prometteur historien et homme politique nationaliste roumain, relance l’association dans les années
190017.
Dans les élites politiques roumaines et dans le gouvernement, on est beaucoup plus prudent.
Certes, on utilise volontiers la situation préoccupante des Roumains de Transylvanie pour
déstabiliser le gouvernement dans un jeu gratifiant de surenchère nationaliste. Mais, le contexte
international n’autorise aucunement d’entreprendre une politique d’État ouvertement irrédentiste :
11
Les Roumains transylvains, notamment les paysans, considéraient, depuis Joseph II, l’Empereur comme leur protecteur naturel et
lui manifestaient une révérence toute particulière. Voir le témoignage d’Oszkár JÁSZI, The Dissolution of the Habsburg
Monarchy, Chicago, 1929, p. 44.
12
Cette « ambassade » solennelle impressionna fort la bourgeoisie viennoise : Lueger, futur maire de Vienne, deviendra un chaud
partisan des revendications roumaines.
13
Jusque là, la Transylvanie roumaine se percevait plutôt comme centre ou, du moins sur un pied d’égalité avec les Principautés
roumaines. (voir malgré ses excès polémiques : AZAPU, Iancu, Ardealul ardelenilor, Vienne, Imprimeria Occidentul, 1922, p. 19).
14
CONSTANTINESCU, Miron, PASCU, Ştefan, éd., Desăvîrşirea unificării statului naţional român : unirea Transilvaniei cu vechea
Românie [L’achèvement de l’unification de l’État national roumain], Bucarest, Academia R.S.R., 1968, p. 46–47.
15
L’incident est relaté en détail dans : Ibidem, p. 50 et KÖPECZI, Béla, dir., Erdély története, vol. 3, 1987, p. 1654.
16
JANCSÓ, Benedek, A roman irredentista mozgalmak története [L’histoire des mouvements irrédentistes roumains], Budapest,
Bocskay-Szövetség, 1920, p. 102.
-4-
la petite Roumanie, sous la menace permanente des ambitions russes, a choisi, secrètement, en 1883
l’alliance avec les Empires centraux et ne peut, sans danger, mécontenter son voisin austrohongrois. Néanmoins, profitant notamment des négociations de renouvellement périodique du traité
d’alliance avec la Triplice, le Royaume roumain, à partir de 1891-1892, fait de la Transylvanie une
question régulière de politique internationale même si elle reste bien circonscrite, pour l’instant,
dans le cadre relativement étroit de l’alliance18. Jusqu’en 1914, la tactique habituelle consiste à
solliciter Berlin pour faire pression sur son allié austro-hongrois. Mais elle se heurte au refus
obstiné de toute concession de la part du gouvernement hongrois jusqu’au début des années 1910.
Dans quelle mesure cette tactique répond-elle aux aspirations de réforme des Roumains de
Transylvanie ? Les cercles dirigeants du Parti National Roumain (PNR) qui, à partir des années
1890, prennent désormais l’habitude de consulter régulièrement Bucarest, ne sont pas sans garder
une certaine méfiance vis-à-vis de leurs frères du Sud. La tentative maladroite d’immixtion de
Dimitrie Sturdza, le chef du Parti Libéral, dans leurs affaires intérieures au milieu des années 1890 a
été très mal ressentie d’autant plus que, dans le cadre de pures questions de tactique électorale,
Sturdza, dévoilant les aides secrètes consacrées par l’État roumain au financement des institutions
roumaines transylvaines (journaux, écoles, associations) les a placés dans une situation intenable
vis-à-vis du gouvernement hongrois19. La crise du PNR entre 1892 et 1905 voit aussi celle de ses
relations avec Bucarest. Par la suite, la confiance ne sera jamais complètement rétablie, — des
événements intérieurs à la Roumanie comme l’écrasement sanglant de la révolte paysanne de 1907
ne contribuant guère à donner une image attirante du royaume voisin ni chez les leaders
« agrariens » du PNR, ni chez le petit groupe de socialistes roumains transylvains20.
Les élites roumaines transylvaines, avec la réorganisation et la relance de l’activité de leur
parti en 1905, semblent, plutôt, s’orienter vers d’autres solutions que le rattachement, à plus ou
moins long terme, de leur province à la Roumanie ou, du moins, ne l’envisagent-elles pas sous la
forme d’une subordination à Bucarest. Un projet récurrent21 est celui d’une réorganisation complète
de la Monarchie autrichienne sur des bases nationales avec l’intégration en son sein du Royaume
roumain fondu à la Transylvanie : ce projet satisferait plus les Roumains transylvains d’autant qu’il
éviterait leur subordination aux cercles dirigeants de Bucarest et leur offrirait la protection
17
Les manifestations de solidarité et de sympathies dans les milieux intellectuels et artistiques de part et d’autre des Carpates ne
faibliront plus jusqu’en 1914. Cf. notamment les toasts portés mutuellement lors de l’Exposition universelle de Bucarest de 1906
(BÍRÓ, Sándor, Kisebbségben és többségben : Románok és magyarok (1867–1940), éd. hong. de 2002, p. 161-162).
18
KÖPECZI, Béla, dir., op. cit., p. 1658.
19
HITCHINS, op. cit., p.149–151. Sur la déception durable : BRANIŞTE, Valeriu, Amintiri din închisoare [Souvenirs de prison], p. 240
cité par MISKOLCZY, Ambrus, « A modern román nemzet a régi Magyarországon », Rubicon, 2001, 8-9, p. 36. Voir aussi :
LAPEDATU, Alexandru, Amintiri, éd. par Ioan Opriş, Cluj, Albastră, 1998, p. 86.
20
BÍRÓ, S., op. cit., p. 43–46.
21
L’intégration des Principautés roumaines à l’Empire autrichien aurait été évoquée, pour la première fois, en 1848 au Parlement de
Francfort.
-5-
rassurante et peu contraignante de l’Empereur à Vienne. Si le célèbre ouvrage d’Aurel Popovici,
proche de François-Ferdinand et de son cercle du Belvédère, Die vereinigten Staaten von
Großösterreich n’ose pas aborder cette hypothèse en se contentant d’imaginer la réunion de tous les
Roumains au sein des frontières existantes22, des plans d’Anschluss de la Roumanie à la Monarchie
autrichienne n’en circulent pas moins en coulisse. Certains nationalistes à Bucarest seraient même
prêts à y adhérer comme une solution de moindre mal en l’absence de perspectives claires de
conquête de la Transylvanie23.
L’autre solution plus réaliste à court terme serait celle d’une démocratisation de la Hongrie et
donc d’une conquête pacifique du pouvoir par les urnes en Transylvanie. C’est la voie officielle
suivie par le PNR autour de Iuliu Maniu. Cette voie offre des passerelles de dialogue avec des
Hongrois progressistes d’origine transylvaine et conscients de l’impasse nationaliste, « féodaliste »
dans laquelle se trouve le pays au début du siècle. Le sociologue et publiciste roumain d’Arad, un
des chefs et théoricien du PNR, Vasile Goldiş, par ses écrits, se rapproche du courant progressiste
(polgári radikalizmus) du sociologue Oszkár Jászi : il s’agit, avant toute chose, de demander le
suffrage universel et la remise en vigueur de la loi hongroise très libérale de 1868 de protection des
droits des nationalités. Jászi compte des amis personnels dans les cercles dirigeants roumains de
Transylvanie comme Emil Isac adhérent au parti social-démocrate ou Valeriu Branişte, un des chefs
du PNR24. La recherche d’une solution de ce type débouche en 1913-1914 sur des négociations
directes entre le PNR et le gouvernement hongrois d’István Tisza. Mais, à cette date, les contextes
externe et interne viennent déjà puissamment perturber toute tentative de recherche de solution en
Transylvanie. La victoire de la Roumanie, lors de la deuxième Guerre balkanique et le rôle d’arbitre
des Balkans qu’elle s’arroge lors de la paix de Bucarest d’août 1913, lui laissent entrevoir la
possibilité d’une réorientation complète de sa politique extérieure : elle montre moins d’ardeur à
pousser le PNR à s’entendre avec Budapest25. À l’intérieur même de la province, les nationalismes
tendent à s’exacerber dans les élites locales et dans la jeunesse estudiantine26. La base du PNR
pousse à la surenchère27 tandis qu’un lobby transylvain hongrois s’organise à Budapest pour
empêcher toute concession aux Roumains28.
22
POPOVICI, Aurel, Die vereinigten Staaten von Großösterreich, Leipzig, 1906.
Conversation de l’Ambassadeur d’Autriche-Hongrie, le Comte Czernin avec Nicolae Filipescu à l’automne 1913 : CZERNIN, Graf
Ottokar, Im Weltkrieg, Berlin, Vienne, Ullstein & Co, 1919, p. 107.
24
HASLINGER, Peter, Arad, November 1918, Oszkár Jászi und die Rumänen in Ungarn 1900 bis 1918, Vienne, Böhlau, 1993, p. 63.
25
Ibidem, p. 50sq.
26
C’est surtout vrai à Cluj (Kolozsvár) où se trouvent, en outre, beaucoup d’étudiants et de fonctionnaires hongrois dont une partie
n’est pas transylvaine. Moins dans les petites villes et dans les campagnes : sur des formes de partage de pouvoirs et de
cohabitations pacifiques, voir LAZĂR, Aurel, Chestiunea de naţionalitate [La question de la nationalité], Arad, 1914.
27
HASLINGER, op. cit., p. 51.
28
Le 7 décembre 1913 est fondée Erdélyi Szövetség (L’alliance transylvaine) en réaction aux projets de concession de Tisza.
(LENGYEL, Zsólt K., Auf der Suche nach dem Kompromiß : Ursprünge und Gestalten des frühen Transsilvanismus 1918–1928,
Munich, Verl. Ungarisches Institut, 1993, p. 42sq).
23
-6-
À la veille de la Première Guerre mondiale, alors que les plans de réforme intérieurs à la
Transylvanie sont bloqués par la montée des nationalismes, la question transylvaine
s’internationalise donc, lentement mais sûrement, tout en restant dans le cadre du dialogue difficile
entre la Triplice et son turbulent allié roumain.
Dès l’éclatement de la guerre mondiale, le problème transylvain prend, immédiatement, une
tout autre ampleur : les grandes puissances n’hésitent guère à faire rapidement de larges promesses
territoriales au détriment de leur adversaire pour attirer un nouvel allié29. Dès le mois d’août, le
ministère des affaires étrangères russe Sazonov, sans consultation de ses alliés, propose la cession
de la Transylvanie et de la Bukovine à la Roumanie, en cas de son entrée dans la guerre aux côtés
de l’Entente30. La politique de marchandages, menée par le Premier ministre roumain Brătianu
aboutira au traité de 17 août 1916 qui, en échange de la promesse de larges territoires austrohongrois jusqu’à la Tisza, règle l’entrée dans la guerre de la Roumanie aux côtés de l’Entente.
Était-ce là la politique souhaitée par le PNR et ses dirigeants qui, dans leur grande majorité31,
ont fait preuve du plus grand loyalisme à la Monarchie autrichienne32 lors du déclenchement des
hostilités en 1914 ? La réponse est loin d’être simple : la plupart de nos sources soit sont
postérieures à cette période et tendent à reconstruire le passé dans un sens « grand-roumain33 », soit,
si elles sont d’époque, sont possiblement frappées du sceau de l’auto-censure34. Une chose est sûre :
de part et d’autre des Carpates, les Roumains, dès 1914, sont décidés à coordonner leurs actions. La
mort et l’enterrement du roi Carol en octobre 1914 sont l’occasion d’une concertation directe. La
consigne de Bucarest aurait été de rester passif, de se garder de toute déclaration ou action
prématurée35. Mais les leaders transylvains ne semblent pas vouloir se contenter de suivre des
consignes imposées par une classe politique bucarestoise elle-même divisée. Pour certains, comme
Aurel Popovici ou Alexandru Vaida-Vœvod, deux anciens proches de François-Ferdinand, ou
comme Ioan Slavici, nationaliste roumain transylvain, exilé à Bucarest, le combat contre la Russie
29
ORMOS, Mária, op. cit., éd. hong. de 1983, p. 13–15, sur la légèreté avec laquelle ses promesse ont été faites parfois.
HASLINGER, op. cit., p. 70.
31
Du Conseil exécutif du PNR, seul le poète et publiciste Octavian Goga et le pope uniate Vasile Lucaciu choisissent l’exil à
Bucarest et l’irrédentisme affiché.
32
Il y a dans ce loyalisme également un esprit de fidélité personnelle à la personne de l’Empereur particulièrement dans les régions
des anciens régiments roumains de frontière (Grenzregimente, à ce sujet en langue française : NOUZILLE, Jean, Histoire de
frontières : l'Autriche et l'Empire ottoman, Paris, Berg Int., 1991) : le romancier transylvain Liviu Rebreanu dépeint fort bien
cette fidélité dans son roman Pădurea Spânzurăţilor (trad. fr. : La forêt des pendus, Paris, Perrin, 1932).
33
La plupart des biographies et souvenirs publiées dans les années 1920-1930 en Roumanie tombent dans ce travers : cf. par ex. les
biographies de Maniu : STOICA, Sever, Iuliu Maniu, Cluj, 1932. TILEA, Viorel V., Iuliu Maniu : der Mann und das Werk,
Herrmannstadt, 1927.
34
L’ouvrage de RUSU-ABRUDEANU, Ion, Păcatele Ardealului faţă de sufletul Vechiului Regat [Les péchés de la Transylvanie envers
l’âme du Vieux Royaume], Bucarest, 1930 tombe dans le travers des ouvrages cités ci-dessus, en instruisant un procès à charge
sur la seul foi de discours officiels et coupures de presse montrant la félonie des principaux chefs du PNR face à la petite
Roumanie.
35
ORGA, Valentin, Aurel Vlad, Istorie şi destin [Aurel Vlad, histoire et destin], Cluj, Argonaut, 2001, p. 247.
30
-7-
rétrograde et impérialiste justifie pleinement un engagement total aux côtés des puissances
centrales36. Pour d’autres, au contraire, comme Iuliu Maniu, la prudence est de mise : Stere,
roumain bessarabien farouchement anti-russe, venu à Braşov le rencontrer en 1914 se voit opposer
une fin de non recevoir lorsqu’il cherche à le convaincre de se déclarer ouvertement en faveur d’une
entrée en guerre de la Roumanie aux côtés de la Triplice37.
En déclarant la guerre, le 27 août 1916, à la seule Autriche-Hongrie et en faisant porter le gros
de son offensive en direction de la Transylvanie38, la Roumanie affiche clairement ses buts de
guerre. Cette offensive, après des premiers succès et l’occupation d’une partie du Sud de la
province (Braşov (Kronstadt, Brassó), Făgăraş (Fogaras), faubourgs de Sibiu (Hermannstadt,
Nagyszeben)), se révèle un fiasco complet : dès la fin du mois de septembre, les Roumains doivent
évacuer précipitamment les régions conquises, les 15 novembre, la ligne de front des Carpates est
enfoncée par l’armée Mackensen, le 6 décembre Bucarest est prise et le front ne se stabilise que fin
décembre 1916, au prix de lourds sacrifices sur la ligne du Şiret en Moldavie.
Cette brève incursion n’en a pas moins de sérieuses conséquences internes à la Transylvanie
dont le résultat sera une radicalisation paroxystique des communautés dans le sens d’une adhésion
totale aux différents projets nationaux. Pour les Roumains, la petite Roumanie paye du prix de son
sang l’Union si souvent évoquée, mais jamais concrètement envisagée et préparée avant 1914. Se
met alors en place une phraséologie répétée comme un leitmotiv dans les brochures de propagande
diffusées entre 1916 et 1920 : la petite Roumanie « se sacrifierait » (se jertfeşte) pour « délivrer »
(dezrobi) du « joug millénaire hongrois » (jugul maghiar milenar), asiatique et barbare, la
Transylvanie roumaine tombée « en esclavage » (în robie)39. Pour une partie de la jeunesse
roumaine de Transylvanie, l’espoir d’une adhésion prochaine à la Roumanie, malgré les défaites
présentes, devient la seule solution imaginable : la Transylvanie n’est plus un des centres possibles
pour une éventuelle réorganisation générale de l’Empire mais plutôt une périphérie dont le centre se
trouve à Bucarest40. L’armée roumaine en se retirant de Transylvanie entraîne, en outre, dans son
sillage nolens volens un nombre considérable de membres de l’élite roumaine transylvaine du Sud
de la Transylvanie (particulièrement de Braşov) irrémédiablement compromis par leur brève
36
IORGA, Nicolae, România contemporană de la 1904 la 1930, supt trei regi, Bucarest, 1932, p. 280.
SCURTU, Ioan, Iuliu Maniu, activitatea politică, Bucarest, Enciclopedică, 1995, p. 17.
38
Et cela contrairement aux recommandations de l’Etat-major français (Voir, par exemple, une note du 8 février 1916, SHAT
(Archives de l’Armée de terre, Vincennes), 16N-3056, ds. 1 : on y souhaite plutôt que la Dobroudja devienne l’axe principal de
l’attaque roumaine en coordination avec une offensive de l’armée de Salonique). NB : dès le 28, le lendemain, l’Allemagne
déclare la guerre à la Roumanie.
39
Parmi les nombreuses brochures diffusées par la propagande roumaine : DRAGHICESCO, D., La Transylvanie, Paris, Alcan, Études
documentaires sur les questions roumaine, 1918. Pour l’analyse de ce type de rhétorique : ILCEV, Ivan, op. cit., DASCĂLU,
Nicolae, Propaganda externă a României Mari (1918–1940), Iaşi, Alternative, 1998, p. 14–18.
40
On retrouve cet enthousiasme dans plusieurs mémoires : celles de Iustin ILIEŞIU (né en 1900), inédites (Arhivele Naţionale Române
– Bucarest (ANR), fond personnel I. Ilieşiu, dr. 75-77) ou celle de Valeriu BOLOGA (né en 1892)., Rememorări sentimentale,
Bucarest, Editura Didactică şi Pedagogică, 1995, p. 134.
37
-8-
collaboration avec « l’occupant roumain » : en conséquence, le nombre de Transylvains roumains
présents sur le sol libre roumain pour combattre l’Autriche croît brusquement en 1917 : aux côtés
du petit groupe d’exilés de 1914, ils vont jouer un rôle important de propagande auprès des alliés et
contribuer à façonner l’image d’une Alsace-Lorraine orientale opprimée sous un joug étranger. La
formation d’une Légion de volontaires transylvains combattants aux côtés de l’armée roumaine
renforce cette image auprès de la mission militaire de l’Entente en Roumanie41.
Mais, pour l’heure, la révolution suivie de la défection et de la désintégration de la Russie qui
amènent la Roumanie à demander l’armistice en décembre 1917 puis à signer la paix avec les
Puissances centrales en mai 1918, relancent, dans un premier temps, chez les Transylvains
roumains, les partisans d’une Grande Autriche incluant la petite Roumanie défaite. Ioan Slavici
installé à Bucarest sous occupation allemande, promeut cette solution dans son journal Gazeta
Bucureştilor42. Vaida-Vœvod, en collaboration avec Constantin Stere, se fait l’apôtre de ces idées
au printemps 1917 auprès des gouvernements de Vienne et de Berlin43 : il s’agirait de proclamer la
déchéance de la dynastie roumaine Hohenzellern et de remettre la Roumanie, provisoirement, sous
la direction d’un archiduc autrichien44.
Hongrois et Saxons de Transylvanie sont profondément marqués par la brève invasion
roumaine qui a réveillé les souvenirs douloureux de 184845 : une vague de panique a submergé les
villes de la province dans les premières semaines de septembre46. Le lobby transylvain hongrois
déjà en cours de constitution en 1913-14 se radicalise : tout Roumain est désormais suspect et doit
être écarté de la vie publique. L’avenir de la province n’a de sens que dans un renforcement de ses
liens avec Budapest, y compris par le biais de l’institution de zones de colonisation hongroise dans
les régions trop dominées par l’élément roumain47.
C’est dans cette situation tendue, complexe voire embrouillée que la Transylvanie se trouve
lorsque, brusquement, en quelques semaines le sort de la guerre se décide au profit de l’Entente à
41
BERTHELOT, Henri, in TORREY, Glenn E., General Henri Berthelot and Romania: Mémoires et Correspondance, 1916–1919,
Boulder, East European Monographs, 1987, p. 79. Sur l’ensemble de la mission Berthelot, voir : GRANDHOMME, Jean-Noël, Le
Général Berthelot et l’action de la France en Roumanie et en Russie méridionale (1916–1918), thèse, Univ. Paris IV sous la
direction de Jean Bérenger, 1998. Au sujet des volontaires transylvains : BUFNEA, Elie, « Formaţiunile de voluntari », in
Transilvania, Banatul, Crişana, Maramureş, vol 1, Bucarest, Cultura naţională, 1929, vol. 1, p. 119–142.
42
Cet engagement lui vaudra onze mois de prison en 1919 pour collusion avec l’ennemi. Il s’en confie dans un livre de souvenirs et
de réflexions, plein de l’amertume d’avoir connu et les prisons hongroises et les geôles roumaines : SLAVICI, Ioan, Închisorile
mele, Bucarest, 1921, rééd. 1996, Bucarest, éd. Paideia.
43
RUSU-ABRUDEANU, op. cit., p. 275.
44
À Iaşi le gouvernement Marghiloman lui-même semble caresser cette idée en 1918. (DUCA, I.G., Memorii, vol. 4: Războiul (1917–
1919), Bucarest, Machiavelli, 1994, p. 95).
45
HASLINGER, op. cit., p. 71 : le jeune Empereur autrichien Charles puis l’Empereur allemand Guillaume II effectuent en 1916 et
1917, chacun à leur tour, une visite officielle en Transylvanie pour rassurer les populations.
46
Sur ces premières vagues de réfugiés qui évoquent prémonitoirement celles de 1919-1920, voir CSÓTI, Csaba, « Az 1916. évi
román támadás menekültügyi következményei », Regio, 1999, 3-4, p. 226-242 et LENGYEL, op. cit., , p. 43 qui évoque la
nomination par le gouvernement hongrois dès octobre 1916 d’un Comissaire gouvernemental pour la Transylvanie, siégeant à
Cluj chargé de coordonner la politique transylvaine et d’encourager le retour des réfugiés dans leurs foyers.
47
CLOPOŢEL, I., Revoluţia din 1918 şi Unirea Ardealului cu România, Cluj, 1926, p. 26. KÖPECZI, p. 1698sq.
-9-
l’automne 1918. Il apparaît, d’emblée, suite aux processus de radicalisation et d’internationalisation
de la question pendant la guerre, que, dans les négociations qui vont s’ouvrir, les facteurs
déterminants qui décideront du sort de la province seront principalement extérieurs à elle. Certes,
les principe de « l’autodétermination » et du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »
proclamés par Wilson sont devenus la credo de la nouvelle diplomatie. Mais comment les appliquer
et quel sens leur donner dans une région multiethnique dont, de surcroît, deux des trois composantes
principales — la roumaine et la hongroise — tendent à être identifiées et à s’identifier
exclusivement à un État-nation exogène ?
Avec la capitulation de la Bulgarie le 30 septembre et la progression rapide des troupes
françaises et serbes vers le Nord, parallèlement aux avancées spectaculaires sur le front Ouest, la
France apparaît comme le nouveau grand acteur potentiel dans cette zone de l’Europe à l’automne
1918. La Transylvanie n’est pas un objectif direct pour elle, étudier son cas et son sort éventuel ont
été laissés au soin d’un comité d’expert48. Quant au traité d’août 1916 qui la promettait à la
Roumanie, la paix séparée de mai 1918, même non contresignée par le Roi, permet à la France de le
considérer comme caduque49. L’armée du Danube formée à la mi-octobre sous le commandement
du Général Berthelot et dont le quartier général doit s’établir dans Bucarest libéré des Allemands a
deux objectifs principaux : remettre l’armée roumaine dans la guerre contre l’Allemagne (et chasser
ainsi les nombreuses troupes allemandes encore stationnées en Ukraine et en Roumanie) et préparer
une opération contre la Russie bolchevique50.
Mais dès que la Roumanie rentre dans la guerre le 10 novembre 1918 en mettant hâtivement
sur pied des divisions opérationnelles dans la partie de la Moldavie non occupée par les Allemands,
il est clair que son premier objectif est tout autre que celui assigné à l’Armée du Danube : il s’agit
de profiter de la désintégration de l’Autriche-Hongrie pour reprendre la Transylvanie et l’ensemble
des territoires promis en 1916 et apparaître, ainsi, en position de force au moment de l’ouverture des
négociations de paix : les premières troupes mènent des reconnaissances au-delà des Carpates dès le
13 novembre51 alors que Bucarest n’est même pas encore réoccupé par les autorités roumaines ! Les
opérations principales commencent vers le 20 novembre depuis la Moldavie en direction du Pays
Sicule (Székelyföld) à l’Est de la province : le proclamation du Général Prezan à Miercurea Ciuc
(Csíkszereda), l’une des premières villes transylvaines conquises, le 26 novembre dans laquelle il
déclare garantir les biens « de tous les habitants jusqu’à la Tisza et au Danube, quelle que soit leur
48
Il s’agit du fameux Comité d’Études chargé par le gouvernement français d’étudier l’ensemble des questions préparatoires aux
négociations de paix, au sein duquel le géographe Emmanuel de Martonne est le spécialiste de la question transylvaine. Cf. TER
MINASSIAN, article cité.
49
L’attitude de la France a été fluctuante sur ce point en fonction de ses intérêts du moment (SANDU, T., op. cit., p. 33sq).
50
BERTHELOT, Henri, in TORREY, Glenn E., op. cit., p. 175sq.
51
PREDA, Dumitriu, ALEXANDRESCU, Vasile, PRODAN, Costică, În apărarea României Mari. Campania armatei române din 19181919 [Pour la défense de la Grande Roumanie. La campagne de l’armée roumaine en 1918-1919], Bucarest, Enciclopedica,
1994, p. 127.
- 10 -
nationalité ou leur religion52 » est sans ambiguïté sur les objectifs de marche de ses armées. Or,
parallèlement, une convention militaire d’armistice a été signée le 13 novembre à Belgrade, entre le
gouvernement de Budapest et Franchet d’Esperey, le général en chef de l’Armée d’Orient, fixant
une ligne de démarcation pour les troupes de l’Entente en Transylvanie bien en deçà des ambitions
roumaines53. Toute la stratégie du commandement roumain va consister, entre décembre 1918 et
février 1919, à mettre la France devant le fait accompli de ses empiètements successifs au-delà cette
ligne, sous couvert de « l’occupation provisoire de points stratégiques en territoire ennemi »,
autorisée, explicitement, par une clause de la convention du 13 novembre.
Alors que la question de l’opportunité de l’intervention de 1916 avait divisé l’élite politique
roumaine de Transylvanie, celle de novembre 1918 apparaît comme ardemment désirée. En effet,
parallèlement à la renaissance de l’armée roumaine, l’Autriche-Hongrie, elle, est en pleine
désintégration. En Hongrie où la révolution a triomphé le 31 octobre, des conseils et des gardes
nationales se sont formés dans tout le pays, y compris en Transylvanie : des mutineries de soldats,
des désordres paysans se multiplient. Le PNR durement éprouvé par les années 1917-1918 de
répression gouvernementale et de suspicion publique, choisit, très tôt, une ligne dure de rupture
nationale54 tout en s’inquiétant des désordres sociaux et en appelant au calme55. Dès que le contact
avec la Roumanie peut être établi vers le 20 novembre, le PNR demande à la Roumanie d’envoyer
rapidement des troupes pour rétablir l’ordre et discipliner les membres turbulents des gardes
nationales56. Mais, aux injonctions réitérées de Brătianu demandant au PNR que soit décidée
« l’union inconditionnelle et immédiate » au Royaume roumain57 à l’occasion de la grande
assemblée des Roumains de Transylvanie convoquée à Alba-Iulia (Gyulafehérvár, Karlsburg) le 1er
décembre 1918, répond la prudence du PNR qui adopte une solution de compromis, proclamant
certes une union non-conditionnelle à la Roumanie mais en décidant aussi de la formation d’une
sorte de gouvernement provisoire (Conseil Dirigeant - Consiliu Dirigent) de la province, restant
entièrement entre ses mains58. Si, en politique intérieure de ce qui va devenir le nouvel État grandroumain, les élites roumaines de Transylvanie instituent d’emblée un rapport de force avec les
forces politiques du Sud, en politique extérieure, elles décident, dans leur majorité, de montrer une
52
ORMOS, op. cit., p. 84.
Cette ligne suit le cours de la rivière Mureş qui coule d’Est en Ouest au centre de la Transylvanie (une carte dans : ROMSICS, op.
cit., p. 183).
54
Suite à la réunion du comité exécutif du parti dès le 12 octobre à Oradea (Nagyvárad), Vaida-Vœvod est chargé de prononcer un
violent discours quasi-sécessionniste à la Chambre basse hongroise le 18 octobre 1918.
55
Le Conseil National Roumain Central d’Arad diffuse le 3 novembre, une directive à tous les Conseils Nationaux roumains locaux
intitulée « Spre Orientare » (Pour votre orientation) qui appelle au calme, à la raison, qui demande aux paysans d’éviter un
partage intempestif des terres. (texte et citation dans : CONSTANTINESCU, Miron, DAICOVICIU et alii, Din istoria Transilvaniei,
vol. 2).
56
Témoignage de BORDEA, Ion, Generatia Unirii, n°11, 10 janvier 1930, p. 14.
57
Ibidem. DUCA, op. cit., p. 174sq.
58
Excepté deux ministères (« ressorts », resorturi) dirigés par des sociaux-démocrates roumains.
53
- 11 -
unité totale de vue avec la délégation Brătianu qui se rend à Versailles à la mi-janvier 191959.
Certes, Brătianu met plus l’accent sur le droit de conquête et sur la promesse qui lui a été faite en
1916 par l’Entente, tandis que la délégation transylvaine menée par Vaida-Vœvod insiste plus sur le
caractère plébiscitaire de l’assemblée du 1er décembre 1918 qui justifie le rattachement de la
Transylvanie à la Roumanie. Mais les deux ont le même but commun, celui d’obtenir le maximum
de concessions territoriales. Quand il s’agit de décider du sort du Banat, région multiethnique au
sud-ouest de la province, les Transylvains appuient de tout leur poids les revendications
maximalistes de Brătianu60. D’autre part, le Conseil Dirigeant transylvain coopère pleinement dans
les questions militaires : à la mi-février 1919, des divisions transylvaines peuvent déjà être
organisées comme force auxiliaire de l’armée roumaine61 qui contrôle dès le 20 janvier l’ensemble
de la Transylvanie historique puis qui — après la remise de la fameuse Note Vix et la crise qui s’en
suit à Budapest62 — parvient, à la toute fin d’avril, sur les rives de la Tisza.
Dans l’ensemble de ces avancées, la France, pourtant seule puissance de l’Entente présente
sur place, ne maîtrise que très partiellement le cours des opérations notamment en raison de son
manque cruel d’effectifs opérationnels sur le terrain et de la mésentente doublée souvent
d’ignorance, de naïveté ou de partialité de ses représentants sur place63. Ce sont là des questions
bien étudiées sur lesquelles nous n’insisterons pas64. Cependant il importe de noter que la plupart
des décisions déterminantes de la Conférence de la Paix concernant le tracé de la frontière
roumano-hongroise ont été prises par « la Commission pour l’étude des questions territoriales se
référant à la Roumanie » dès fin février 1919 avec des divergences relativement minimes entre
experts britanniques, français, américains et italiens65 : autant d’éléments qui relativisent
59
On trouve trace de cette dualité — méfiance en politique intérieure / solidarité totale en politique extérieure — dans la
correspondance de Vaida-Vœvod du printemps 1919, publiée partiellement dans MAIOR, Liviu, éd., Alexandru, Alexandru VaidaVoevod între Belvedere şi Versailles : însemnări, memorii, scrisori, Editura Sincron, 1993. Voir aussi, ANR, Bucarest, Fond
personnel Alex. Vaida-Vœvod, comparer notamment le ton du dossier 32 et celui du dossier 45.
60
Le Conseil Dirigeant fait même organiser des manifestations officielles (au succès inégal) de soutien aux revendications du Banat
dans toute la Transylvanie.
61
Le 1er février 1919, le Conseil Dirigeant émet un ordre de mobilisation pour trois classes d’âges appelées à rejoindre le Corps des
volontaires transylvains, lui-même étant amené à être incorporé dans l’armée roumaine. (Gazeta Oficială al C.D., série 1, n°7,
1/02/1919).
62
Sur toutes ces questions bien connues et qui dépassent notre propos : voir notamment, PÁSTOR, Péter, « The Vix Mission in
Hungary 1918–1919. Re-examination », Slavic Review, 1970 (vol. 29), nr. 3, p. 481–498. Et les synthèses: ORMOS, op. cit.,
LEUŞTEAN, op. cit., p. 59–86.
63
Cf. les rapports de militaires édifiants, publiés par G. IANCU et G. CIPĂIANU: La consolidation de l’union de la Transylvanie et de
la Roumanie (1918-1919), témoignages français, Bucarest, Enciclopedica, 1990. Voir aussi: SANDU, Traian, « L’appui contesté
du général Berthelot aux revendications roumaines au sujet de la Transylvanie et du statut d’allié, décembre 1918-avril 1919 »,
Revue Roumaine d’Histoire, tome XXXVI, juillet-décembre 1997, p. 241–248.
64
Voir aussi, de manière comparative, notre article sur les forces françaises en Dobroudja en 1919 : BOCHOLIER, François, « La
Dobroudja entre Bulgarie et Roumanie (1913–1919) », in La France, l’Europe et les Balkans. Actes du colloque international des
22-23 septembre 2000, Editions de l’Institut d’Etudes Balkaniques, Artois Presses Université, 2002, p. 64–81.
65
LEUŞTEAN, op. cit., p. 59 : si la commission rend son rapport le 6 avril, dès le 2 mars, la frontière est établie dans ses grandes
lignes. Le rapport final est approuvé par le Conseil des Quatre le 12 mai 1919 sans qu’il soit modifié d’un iota. Il ne le sera plus,
malgré les insistances de la délégation hongroise au début de 1920, jusqu’à la date finale du 4 juin 1920, signature du traité de
Trianon. La lettre d’envoi du Traité signée de Millerand (6 mai 1920) ne donnera aux Hongrois que de faux espoirs de
rectifications ultérieures. La commission de délimitation de la frontière chargée de procéder au tracé précis définitif sur le terrain
entre août 1921 et janvier 1922 n’opère que des modifications insignifiantes (voir en détail : SANDU, La France…, p. 158sq et
CSÓTI, Csaba, « Hivatalos célok és magánindulatok: az 1921-22 évi magyar-román határkijelölő bizottság tagjainak
- 12 -
l’importance à donner aux erreurs d’appréciation qui auraient été commises par la France au-delà de
cette date.
Entre fin novembre 1918 et fin février 1919, il n’aura fallu que trois mois pour décider du sort
de la Transylvanie et tout projet intérieur de refonte plus complexe semble avoir été annihilé au
profit de la logique simple de l’État-nation unitaire, au nom de la nationalité majoritaire dans la
province66. Pourtant, de tels projets sont bien élaborés, à l’époque, par les nationalités transylvaines,
hongroise et allemandes : mettant tous leurs espoirs dans l’application des principes wilsoniens du
« droit des peuples », elles renâclent à la perspective de se transformer en minorités d’un État
national grand-roumain67. On peut subdiviser ces plans pour la Transylvanie en deux types
principaux :
Dans la lignée des projets de réforme de la Monarchie autrichienne imaginés par Aurel
Popovici ou par Karl Renner mais, cette fois, à l’échelle de la seule Hongrie, le premier type essaie
de résoudre la question nationale dans un cadre multiethnique. Le plus conséquent est celui
d’Oszkár Jászi, le sociologue progressiste d’avant-guerre, devenu ministre des nationalités dans le
gouvernement Károlyi, début novembre 1918. Il se présente sous la forme de deux version
successives : une première, peu élaborée, est celle qu’il présente aux Roumains transylvains dans
des négociations de la dernière chance à Arad les 13 et 14 novembre 1918. Il s’agit d’un plan de
partage de la province en deux zones autonomes, hongroise et roumaine les plus homogènes
possibles68. La deuxième version est plus complexe ; elle est mise au point quelques semaines plus
tard et s’inspire d’un ouvrage de Jászi publié quelques mois auparavant sur ce thème69 : elle propose
de découper la Hongrie en quatorze cantons, sur le modèle suisse, dont cinq pour la Transylvanie :
un roumain, un saxon, deux hongrois et un canton mixte roumano-saxon70. Des projets plus partiels
ont été imaginés pour régler la question spécifique du Banat où cohabitent alors quatre nationalités
majeures — allemande dite « souabe », roumaine, serbe et hongroise — sans majorité ethnique
claire : des notables souabes et hongrois de Timişoara conçoivent, dès novembre 1918, le projet
d’une « République du Banat » indépendante, respectant à égalité ses différentes composantes. Si le
général français Farret, chargé de l’occupation de la ville en février 1919, est intéressé par le projet
szemléletmódjáról » [Objectifs officiels et inimitiés personnelles: conceptions et points de vue des membres du Comité de
délimitation de la frontière magyaro-roumaine], Limes, 1, 2000 (40), p. 27–40.).
66
Ainsi le seul enjeu à la Conférence de la paix portait sur le tracé de la frontière et non sur la question de la validité de la forme de
l’État-nation pour de telles provinces multiethniques. La parade trouvée fut d’obliger les nouveaux États-nations d’Europe
centre-orientale à signer des clauses où ils s’engageaient à protéger les nombreuses minorités nationales présentes sur leur sol.
67
Pour une étude exhaustive des projets hongrois, voir LENGYEL, Zsolt K., op. cit., p. 87–125.
68
Ces deux zones aux délimitations quelque peu biscornues comportent, en outre, huit enclaves en zone roumaine, correspondant à
des villes à majorité hongroise entourées par des campagnes roumaines. Les Saxons sont intégrés à la zone roumaine. Pour une
vue détaillée et une carte précise, voir HASLINGER, Peter, op. cit., p. 128sq et p. 163-165.
69
JÁSZI, Oszkár, Der Zusammenbruch des Dualismus und die Zukunft der Donaustaaten, Vienne, 1918 : cet livre, beaucoup plus
ambitieux proposait une confédération danubienne de cinq États fédérés. Voir HASLINGER, op. cit., p. 80–84.
70
LENGYEL, op. cit., p. 91.
- 13 -
qu’il transmet à la Conférence de la paix, l’idée, faute de soutiens extérieurs, est vite remisée dans
le magasin des curiosités historiques71.
D’autres projets de remodelage de la Transylvanie présentés à cette époque apparaissent
plutôt comme des palliatifs : faute de pouvoir continuer à plaider la cause de l’État hongrois
unitaire, choqués par la dérive communiste du gouvernement de Budapest, les élites hongroises de
Transylvanie prennent leur sort en main et tentent de négocier un modus vivendi avec la partie
roumaine désormais en position de force : en mai 1919, Elemér Gyárfás, juriste, ancien préfet du
comitat de Kis-Küküllő (Târnava-Mică) remet au Conseil Dirigeant roumain un projet
d’indépendance de la Transylvanie instituant une co-gestion à trois de la province entre Hongrois,
Saxons et Roumains. Mais ce qui, en d’autres temps, aurait suscité un vif intérêt, ne reçoit
quasiment aucun écho72. Dans des cercles plus élevés de dirigeants, comme celui du Comte István
Bethlen, Transylvain hongrois, futur Premier hongrois dans les années 1920, une proposition
beaucoup plus audacieuse encore, est envisagée : par deux fois, à l’été 1919, il est proposé, au
gouvernement roumain de Bucarest, ni plus ni moins qu’une union personnelle roumano-hongroise
sous l’égide du Roi de Roumanie dans laquelle la Transylvanie, en tant que co-dominion se verrait
conférer un statut de large autonomie73. Plus localement, dans la zone ethniquement très homogène
(à 90 % hongroise) du Pays sicule, le sous-préfet du comitat Udvarhely (Odorhei) Árpád Paál
élabore, à la mi-janvier 1919, le projet d’une République sicule. S’appuyant sur le « droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes », il retrouve, opportunément, la notion de « peuple sicule »
distincte de l’ensemble des Hongrois74. À partir de cette identité sicule serait bâtie un État neutre,
indépendant, lié commercialement à la Hongrie comme à la Roumanie75. Toutes ces initiatives de la
future minorité hongroise de Transylvanie portent en gestation le renouveau dans les années 1920
d’une pensée transylvaine spécifique parmi les Hongrois, appelée « transylvanisme ». Ce courant,
toujours en butte à la méfiance des Roumains transylvains, ne parviendra pas à envisager une
recomposition multiethnique de la province et s’affirmera, avant tout, comme un mouvement
spirituel, littéraire, identitaire spécifique aux Hongrois transylvains76.
71
BOCHOLIER, François, « Le Général Léon Farret », GRANDHOMME, Jean-Nöel, dir., Dictionnaire des officiers généraux français de
la Première Guerre mondiale, à paraître. Voir aussi pour un examen plus approfondi : SCHMIDT-RÖSLER, Andrea, Rumänien
nach dem Ersten Weltkrieg : die Grenzziehung in der Dobrudscha und im Banat und die Folgeprobleme, Frankfurt am Main,
Peter Lang, Europäischer Verlag der Wissenschaften, 1994.
72
LENGYEL, op. cit., p. 112–113. István BETHLEN, membre de la délégation hongroise à la Conférence de la paix, propose, en
décembre 1919, la solution assez similaire d’une Transylvanie autonome voire indépendante, dont le statut final pourrait être
décidé par l’organisation d’un référendum (Ibidem).
73
ROMSICS, Ignác, Bethlen István. Politikai életrajz, Budapest, 1991, p. 81–87.
74
Sur les spécificités de l’identité sicule, HERMANN, Gusztáv Mihály, Náció és Nemzet [La natio et la nation], Miercurea-Ciuc, ProPrint, 2003.
75
PAÁL, Árpád, Emlékirat a semleges, független székely államról cité par LENGYEL, p. 106–107.
76
Pour la portée politique de ce mouvement, LENGYEL, p. 273–398. Une introduction à une riche bibliographie sur le sujet : BALOGH,
Piroska « Transzilvanizmus : revízió vagy regionalizmus ? [Le Transylvanisme: révision ou régionalisme ?] » in ROMSICS,
Ignács, dir., Trianon és a Magyar politikai gondolkodás (1920–1953), Budapest, Osiris Kiadó, 1998, p. 156–174.
- 14 -
Ainsi, les projets internes de réforme de la Transylvanie n’ont joué qu’un rôle marginal pour
décider du sort de la province : avant 1914, le gouvernement hongrois centralisateur refuse de les
prendre en compte au nom de l’unité du pays ; entre 1914 et 1918, ils sont inapplicables en raison
de l’état de guerre et de la mobilisation croissante des populations et des esprits ; lors des
règlements de la paix de 1918-1920, c’est la stricte logique de l’État-nation qui l’emporte malgré
son inadaptation manifeste à cette région.
Depuis la fin du XIXe siècle, les enjeux internes à la province ont été peu à peu recouverts par
des logiques externes, plaçant, de plus en plus, la Transylvanie au croisement des deux nationbuildings hongrois et roumains. Les élites politiques locales, elles-mêmes, ont eu tendance à se
laisser de plus en plus imprégnées par ce discours en plaçant, au second plan, leur ancrage
historique, culturel propre, leur patriotisme local (au sens de Landespatriotismus), pourrions-nous
dire77. On comprend, donc, comment la Transylvanie est devenue un enjeu majeur des relations
internationales au centre des rivalités roumano-hongroises sans qu’un autre discours de type
« Suisse orientale » puisse réellement trouver une place et une crédibilité.
En conséquence, les événements de 1918-1920 portent naturellement, déjà en germe le
dramatique partage de la province entre la Hongrie et la Roumanie sous l’égide germano-italienne
en septembre 1940 ainsi que, d’une certaine façon, le régionalisme et l’autonomisme jusqu’à nos
jours encore mal assumés des Roumains comme des Hongrois de Transylvanie face à leur centre
national respectif78.
77
Sur l’importance du concept de Landespatriotismus en Europe germanique et centrale : MICHEL, Bernard, Nations et nationalismes
en Europe centrale, Paris, 1995, chapitre VII.
78
Sur l’actualité de ces questions jusqu’à nos jours, voir : ANDREESCU, Gabriel, MOLNÁR, Gusztáv, éd., Problema transilvană [Le
problème transylvain], Iaşi, Polirom, 1999, ainsi que la plupart des numéros de la revue transylvaine, intellectuelle multiethnique
Provincia, 2000-2002 disponibles à l’adresse internet : http://epa.oszk.hu/html/vgi/boritolapuj.phtml?id=00288
Téléchargement