- 2 -
de remises en cause — à l’œuvre jusque dans les années 1990 — d’une bonne part des frontières et
constructions étatiques centre et est-européennes, établies lors des traités de 1919-19206.
Nous avons choisi l’exemple des territoires rattachés à la Roumanie par le traité de Trianon au
détriment de la Hongrie, territoires qu’il est devenu habituel de désigner sous le nom générique de
Transylvanie7. Quelle a été la place exacte des initiatives internes dans le cession de ces territoires ?
Quels ont été les acteurs locaux du débat et leur place dans le processus de décision ? Comment le
statut de ces territoires est-il devenu une question majeure de relations internationales ? Répondre à
ces interrogations demande de replacer les événements de 1918-1920 dans le contexte large
d’affirmation croissante du principe national dans le jeu diplomatique des puissances depuis la
seconde moitié du XIXe siècle.
Jusque vers 1880-1890, la question transylvaine n’est, en aucune façon, une affaire de
politique internationale. Dans cette province multiethnique et multi-confessionnelle8, les tensions
internes ne manquent pourtant pas. Principauté historique, aux institutions autonomes dans l’Empire
autrichien, elle vient d’être incorporée en 1868 à une Hongrie en pleine renaissance après le
Compromis (Ausgleich) de 1867. L’État hongrois, centralisateur et « magyarisateur » dissout les
cadres administratifs autonomes, empiète sur les libertés locales traditionnelles et cherche à mieux
intégrer voire à assimiler les nationalités9. La nationalité roumaine, la plus nombreuse, riche d’un
passé déjà conséquent de luttes nationales pour la reconnaissance de ses droits et de sa place à
égalité (Gleichberechtigung) avec les autres composantes de la province, s’oppose catégoriquement
à cette politique et demande le rétablissement des cadres historiques10. Suivant une tradition
séculaire, l’élite politique roumaine de Transylvanie choisit le recours à l’Empereur de Vienne
6 Cette méconnaissance du contexte local ne vaut naturellement pas pour les spécialistes de l’Europe centrale et orientale qui, tous,
replacent les traités dans le moyen et long terme de l’histoire de la zone : Bernard LORY (L'Europe balkanique de 1945 à nos
jours, Ellipses, 1996) qualifie même la Première Guerre mondiale de « troisième guerre balkanique ». On retrouve aussi dans les
deux grandes synthèses : ROTHSCHILD, Joseph, East Central Europe between the Two World Wars, Seattle, Londres, 1974 et
JELAVICH, Barbara, History of the Balkans, 1881-1980, Cambridge University Press, 1983, des pages éclairantes sur les
complexes conséquences internes des traités de paix.
7 Cette terminologie utilisée par commodité dans cet article ne doit pas faire oublier que ce nom générique recouvre la Transylvanie
historique proprement dite, le Banat oriental, le Partium (ou Crişana), le pays de Satu-Mare (Satmár) et le sud du Maramureş
(Máramoros).
8 Selon le recensement hongrois de 1910 – qui surévalue la proportion de Hongrois : en Transylvanie historique, il y a près de trois
millions d’habitants, dont 51% de langue maternelle roumaine, 32% de langue hongroise, 8% de langue allemande (« Saxons »).
En Transylvanie au sens moderne du terme (voir note 7), cinq millions trois-cent mille habitants, dont 54% de langue maternelle
roumaine, 32% de langue hongroise, 11% de langue allemande (« Saxons » et « Souabes »). En Transylvanie historique, enfin,
l’appartenance religieuse est incroyablement fragmentée : on y trouve 31% d’orthodoxes, 29% d’uniates, 15% de calvinistes,
14% de catholiques, 9% de luthériens, 3% d’unitariens et 2,5% de juifs.
9 BOCHOLIER, François, « Az erdélyi elit a regionális identitástudat és a nemzeti érzelmek erősödése között (1867–1930) » [Les élites
de Transylvanie entre conscience régionale et renforcement des sentiments nationaux], Pro Minoritate, 2004 / 1, p. 37–39.
10 HITCHINS, Keith, A Nation affirmed : The Romanian National Movement in Transylvania, 1860–1914, Bucarest, Enciclopedica,
1999. Sur la genèse du mouvement national roumain : Keith HITCHINS, L’idée de nation chez les Roumains de Transylvanie,
1691–1849, Bucarest, Ed. Stiinţifică şi Enciclopedică, 1987. TÓTH Zoltán I., Az erdélyi román nacionalizmus első százada 1697-
1792, Miercurea-Ciuc, Pro-Print, rééd. 1998. PRODAN, David, Supplex Libellus Valachorum, Bucarest, 1948, rééd. Enciclopedica,
1996.