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FLASH ECO
« Analyse à caractère économique ne constituant pas une prise de position. Liste complète disponible sur www.afep.com »
Qu’est-ce qu’une « réforme structurelle » ?
Vendredi 22 novembre 2013
Les débats économiques portent de plus en plus sur l’importance pour les pays de réaliser des « réformes
structurelles ». Mais de quoi parle-t-on ? Le présent flash cherche à répondre à cette question.
1. L’omniprésence de la réforme structurelle
Dans un contexte marqué par un ralentissement de la croissance économique et une amplification des grandes
tendances démographiques (moindre natalité, allongement de l’espérance de vie…), les Etats sont régulièrement
appelés à réaliser des réformes structurelles. Cet appel émane à la fois de la Commission européenne, des
banques centrales et des diverses organisations internationales (FMI, OCDE) qui traitent des dossiers
économiques. Ainsi, dans son avis du 9 juillet 2013 sur la France, le Conseil de l’Union européenne estime
« qu’une correction durable des déséquilibres budgétaires requiert la mise en œuvre crédible de réformes
structurelles ambitieuses pour accroître la capacité d’ajustement et stimuler la croissance et l’emploi ». De la
même façon, dans l’avant-propos du rapport relatif aux perspectives économiques mondiales (cf. flash éco du 11
octobre 2013), Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, met en avant l’importance des réformes structurelles
dans trois cas distincts :



au Japon : “implementing a credible set of structural reforms to transform what is now a cyclical recovery
into sustained growth”
en Europe: “structural reforms are urgently needed to revigorate the anemic potential growth rates that
plague the region”
dans les pays émergents: “structural reforms can help ease the adjustment and are becoming more
urgent”
Enfin, l’OCDE place les réformes structurelles au centre de la stratégie de reprise (“structural reforms more
important than ever for a strong and balanced economic recovery”)1. Ce bref rappel permet donc de tirer deux
conclusions intermédiaires : d’une part, la réforme structurelle s’impose comme un critère impératif, bien que
non contraignant a priori ; d’autre part, son champ d’application ne se limite pas aux seuls pays européens mais
concerne bien potentiellement l’ensemble des économies à travers le monde.
2. Réforme structurelle : de quoi parle-t-on ?
Contrairement à la plupart des concepts économiques, qui reposent sur des analyses théoriques élaborées
depuis des décennies et longuement affinées par l’histoire de la discipline, la réforme structurelle est un objet
relativement récent qui ne trouve pas de définition précise et harmonisée. S’il n’entre pas dans l’intention du
présent flash de proposer une telle définition, il semble indispensable de revenir à l’origine des mots. Parmi les
définitions de « réforme » dans le dictionnaire, la suivante correspond le mieux au sens usuel du mot :
« changement de caractère profond, radical apporté à quelque chose, en particulier à une institution, et visant à
améliorer son fonctionnement ». Ainsi, du strict point de vue de la langue française, la réforme structurelle
semble quelque peu tautologique. Pour les économistes, on parle de réforme structurelle lorsque l’objectif est
de « modifier les arbitrages de politique économique en changeant les institutions qui leur sont sousjacentes »2. Dans une optique néoclassique, plutôt étroite, il s’agit de la « déréglementation sur les marchés de
produits et la libéralisation et la déréglementation sur les marchés du travail »3, sur le modèle des réformes dans
le secteur financier et en matière de commerce international au cours des 20 à 30 dernières années. Selon la
définition d’Edmond Malinvaud, plus large, « l’expression « réformes structurelles » renvoie à la notion d’actions
qui, tout en n’étant pas nécessairement irréversibles, sont décidées pour une période de temps substantielle et
qui concernent les cadres légaux et conventionnels, ou les structures matérielles, de l’économie et de la société.
Elles modifient les règles de fonctionnement de l’économie et les infrastructures qui sont mises à la disposition
1
Cf. communiqué de presse du 15 février 2013, au lancement du rapport « Going for growth ».
Cf. l’ouvrage « Politique économique » (A. Bénassy-Quéré, B. Cœuré, P. Jacquet, J.Pisani-Ferry), de Boeck, 2009.
3
Définition adoptée dans « The euro and structural reforms », A. Alesina, S. Ardagna, V. Galasso, Novembre 2008.
2
des agents économiques. Elles ouvrent ou ferment les champs du possible pour les entreprises privées et des
champs de responsabilité pour le secteur public. Elles affectent les déterminants fondamentaux de l’activité
économique et du bien-être social »4. Se dessine ainsi une distinction importante entre le concept de réforme
structurelle et la politique macroéconomique traditionnelle : dans le premier cas, l’objectif est défini à moyen
terme, souvent sur des bases microéconomiques alors que, dans le second cas, il s’agit d’une gestion à
relativement court terme de l’activité via les instruments à la disposition des autorités (politiques budgétaire et
monétaire), ces dernières pouvant prendre une orientation d’offre ou de demande selon les cas. Ainsi, en
prenant trois exemples concrets : 1) mettre en place une politique de modération salariale permettant aux
entreprises de rebâtir des marges est une politique macroéconomique de l’offre sans être une réforme
structurelle ; 2) donner son indépendance à la banque centrale est une politique de gestion de la demande et a
le caractère de réforme structurelle ; 3) créer un salaire minimum est une réforme structurelle (cf. débat en
Allemagne), mais modifier son niveau est une décision de politique économique. Dans certains cas, cette
distinction peut se muer en opposition : en effet, bien que ciblant le moyen terme, la plupart des réformes
structurelles ont un impact à court terme, et ce dernier peut être négatif (coût, perdants…). Dans ce cadre
d’arbitrage inter-temporel très politique, la question du « coût » de la réforme est clairement posée, l’évaluation
de ce dernier jouant un rôle décisif à l’heure des décisions.
3. Réforme structurelle = réforme réussie ? Le cas de la France
Le discours portant sur la nécessité de la réforme structurelle peut laisser croire que celle-ci est intrinsèquement
positive. Naturellement, toute réforme de ce type se présente comme une amélioration du fonctionnement du
système en accompagnant, voire en anticipant, les mouvements à l’œuvre. Certaines ont joué ce rôle : il en est
ainsi en France des réformes successives des retraites à partir de 1993 (y compris le volet allongement de la
durée de cotisation de la réforme de 2013), dont le rapport Moreau a montré l’importance (cf. flash éco du
14 juin) malgré les déficits prévisionnels du système à l’horizon 2020. De la même façon, la création récente d’un
Haut conseil des finances publiques et le renforcement de la gouvernance économique européenne sont des
réformes structurelles qui, bien que d’apparence technocratiques, contraignent le Gouvernement à mieux
étayer ses choix vis-à-vis des citoyens et à expliquer, le cas échéant, les écarts à la prévision. D’autres réformes
structurelles partaient d’une idée forte, mais leur mise en œuvre opérationnelle conduit à porter un jugement
mitigé sur leur efficacité : il en est ainsi de la création de Pôle Emploi en 2008. Si le contexte de récession
économique n’a pas favorisé la mise en place de l’opérateur unique, la fusion Assedic (indemnisation)-ANPE
(placement) a permis une plus grande cohérence dans la prise en charge des demandeurs d’emploi sans
toutefois remédier aux faiblesses persistantes en la matière (prédominance des objectifs de moyens face à ceux
de résultats, standardisation des procédures, non adaptation des effectifs à la conjoncture)5. Enfin, un exemple
de réforme structurelle d’envergure apparait avec le recul comme clairement négatif d’un point de vue
macroéconomique : le passage de l’âge légal de la retraite à 60 ans en 1982. En effet, cette décision allait à
rebours des évolutions démographiques déjà présentes à l’époque (progression de l’espérance de vie) et celles à
venir (« papy boom » prévisible des années 2000). Sur le marché du travail, elle a profondément modifié les
équilibres en introduisant un « couperet » qui explique sans doute la précocité de la sortie des salariés du
marché du travail en France par rapport à ses principaux concurrents.
***
Omniprésente dans les débats économiques, la réforme structurelle se heurte à une difficulté conceptuelle
importante : il est délicat de la définir précisément. De ce fait, l’évaluation objective coûts-bénéfices est
complexe, nécessite du recul et suppose des instruments de mesure définis en amont. Ceci a le mérite de briser
l’idée selon laquelle toute réforme structurelle est nécessairement bénéfique au plan macroéconomique. Dès lors,
l’importance des transformations à opérer pour dynamiser l’économie et réduire le chômage exige de l’ensemble
des promoteurs des « réformes structurelles » qu’ils explicitent de façon systématique le contenu sous-jacent,
faute de quoi le concept apparaîtra, au mieux, mal défini et, au pire, imposant un parti pris théorique. Or, ce
dernier n’est pas problématique en soi à condition d’être affiché et étayé de façon sérieuse.
4
5
Voir « Réformes structurelles du marché du travail et politiques macroéconomiques », E. Malinvaud, Revue de l’OFCE, juillet 2003.
On lira avec intérêt l’ouvrage de B. Martinot « Chômage : inverser la courbe », 2013. Voir notamment le chapitre « La longue marche de
Pôle emploi ».
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