la recession economique au liban : une realite ineluctable

LA RECESSION ECONOMIQUE AU LIBAN : UNE REALITE
INELUCTABLE ?
DANIELE CHÉHADÉ Chargée d’enseignement à la FGM
RÉSUMÉ
L’objet de cette étude est d’analyser les facteurs ayant contribué à faire persister la
récession au Liban au cours des dernières années. Pour ce faire, nous reviendrons,
dans un premier temps, sur la clarification de certains concepts de base avant de
mettre en évidence, dans un deuxième temps, les causes et conséquences d’une
crise qui pèse de plus en plus lourd sur nos concitoyens. Pour conclure, nous
tenterons de pointer du doigt quelques mesures à adopter ou de suggérer des
recommandations qui permettraient de redresser, autant que possible, la situation
économique dans une conjoncture géopolitique tendue.
MOTS CLÉS
Récession Secteur public PIB Croissance Dette publique Balance des
paiements Transfert des expatriés Exportations et Importation Inflation
ABSTRACT
This paper addresses the evolution of the economic situation in Lebanon during
these past few years and the effects of the worldwide crisis and the regional conflicts
on its stability. We will conclude this article by giving some recommendations and
concrete measures that would prevent the aggravation of the recession effects and
would, as much as possible, remedy this tense situation.
I- Définitions et mesures
La croissance économique
La croissance économique désigne la variation positive du PIB réel sur une longue
période. Cependant, cette mesure manque, quelquefois, de précision, ne prenant
pas, par exemple, en considération l’activité domestique. En d’autres termes, un
individu qui récolte des fruits dans son verger pour une consommation personnelle
n’est pas pris en compte dans le calcul du PIB. Ce calcul n’inclut que les apports de
valeurs ajoutées dans l’immédiat sans prendre en considération les effets de long
terme notamment au sein des services de santé et d’enseignement. Dernier point à
souligner : le PIB ne mesure que la valeur ajoutée des agents résidents dans un
pays et ne procure pas une idée complète du niveau de richesse. La croissance est
donc un phénomène quantitatif qui ne doit pas être confondu avec veloppement,
notion qualitative, qui reflète l’évolution de notre société vers un niveau de vie
meilleur.
La récession économique
Un autre concept de plus en plus lié au premier, surtout en ces temps de crise, est la
récession. Elle se définit comme le ralentissement du rythme de la croissance
économique. Afin de statuer, clairement, sur la san économique d’un Etat, on
suppose qu’un pays comme les Etats-Unis entre en récession après au moins deux
trimestres consécutifs de baisse du taux de croissance du PIB, ce taux restant
positif. Il faut distinguer ce concept de récession de celui de dépression qui, lui,
traduit une diminution durable du PIB, diminution qui se manifeste par une forte
augmentation du chômage, un accroissement du nombre de faillites et une baisse
notable du pouvoir d’achat. La récession est donc une forme légère de crise
économique alors que la dépression en est une manifestation plus profonde.
Entre récession et dépression, les plus pessimistes des libanais, affirmeraient, sans
aucun doute, que leur pays est dans une forme de dépression des plus chroniques,
des plus profondes. Et pourtant, malgré les effets désastreux du conflit syrien sur
l’économie locale, malgré la paralysie récurrente dans laquelle baignent l’activité
gouvernementale et le pouvoir exécutif, le Liban peut compter sur certains facteurs
clés de son économie qui lui permettent de limiter les dégâts et d’entrer
« uniquement » dans une récession au même titre que d’autres grands pays du
monde tels que la France. Mais alors quels sont les leviers de la croissance
économique libanaise ? Et comment peut-on expliquer sa relative résistance face
aux évènements régionaux et internationaux qui la tirent vers le bas ?
II- La récession économique au Liban
Des précédents historiques
Le Liban a connu, au cours de son histoire récente, des évènements qui ont affecté
sa conjoncture économique. Cette dernière a suivi une évolution en dents de scie,
enchainant des périodes de relative prospérité, d’autres plus tendues, ou même
certaines dont les conséquences étaient dramatiques. Mais le Liban a toujours su se
relever des échecs et des situations désespérées. Son histoire, son système
politique et la variété de sa culture, de sa démographie religieuse et de son
emplacement géographique en font un pays à part, un pays différent des autres
pays du Proche Orient.
Entre son indépendance et le début de la guerre civile qui le ravagea de 1975 à
1990, le pays connut une période prospère et politiquement stable qui fut traduite
par une forte croissance du secteur du tourisme, de l’agriculture et notamment du
secteur tertiaire (finances et services bancaires). Certains iront même jusqu’à le
baptiser, Suisse du Moyen Orient. Peu de données financières fiables reflétant ces
années d’avant-guerre sont à notre disposition. On peut quand même affirmer, que
même si le Liban accusait un déficit de sa balance commerciale de près de 15%(
1
),
sa balance courante était toujours équilibrée. Ceci peut notamment s’expliquer par le
transfert de liquidités des expatriés libanais dont le nombre est largement supérieur
à la population résidente.
Cependant les divergences politiques entre les multiples communautés ont conduit à
une guerre civile de quinze ans qui a ruiné notre pays. Mais c’est surtout au cours de
la seconde moitié de la guerre, entre 1982 et 1990, que l’économie subira de fortes
secousses entraînant des pertes conséquentes à de multiples niveaux. L’année
1982 a été le théâtre d’une invasion israélienne des plus féroces provoquant le
chaos parmi la population qui n’hésitait plus à se déplacer massivement. Les
symptômes de cet effondrement économique sont divers : chute de la valeur de la
livre libanaise dont le cours tombe de 4.5 livres pour 1 dollar à 500 livres en 1988
conduisant ainsi à une forte dollarisation de l’économie libanaise le dollar atteindra
même 1000 livres libanaises au terme de la guerre diminution des dépôts dans le
système bancaire qui passeront à 3.5 milliards de dollars en 1987 contre plus de 12
milliards en 1982 et un déclin du PIB jusqu’à 2.5 milliards environ en 1988 soit 714$
par habitant (2).
1
La source de ces données provient des rapports annuels de la Banque du Liban et des
statistiques mensuelles du Ministère des Finances
2 Suivant les statistiques bancaires et monétaires publiés dans les bulletins trimestriels de la
Banque du Liban pour les années en question
Au lendemain de la guerre, le constat est encore plus accablant : un patrimoine
immobilier en ruines, des tensions politiques toujours exacerbées, plus d’un demi-
million de déplacés à travers le pays, une capacité de production fortement atteinte
et une grande partie du territoire toujours occupée par l’armée israélienne. Dans ces
conditions difficiles, l’économie peine à redémarrer plombée par un contexte
politique encore incertain. En effet, cette période d’après-guerre est marquée par la
dissolution des milices libanaises à l’exception du Hezbollah qui mène la résistance,
et par un boycott des élections législatives de 1992. La spéculation sur la livre
libanaise bat son plein et ramène son cours à près de 2800 livres pour un dollar au
cours de l’été 1992.
En revanche, le Liban peut compter sur deux atouts majeurs : un système bancaire
solide qui résistera à tout effondrement accompagné d’une politique mesurée de la
banque centrale qui possède l’équivalent de 2.5 milliards de dollars en réserve d’or,
mais aussi le soutien financier important des expatriés qui ne cesseront d’envoyer
régulièrement de l’argent à leurs proches. Ces libanais ont, en grande partie, profité
des pétrodollars des pays arabes voisins. D’autres ont su exploiter cette guerre pour
s’enrichir.
Les années 90 ont été marquées par l’arrivée de Rafic Hariri à la tête du
gouvernement et l’instauration d’une politique de reconstruction prévoyant des
dépenses de près de 18 milliards de dollars. Cette reconstruction est accompagnée
d’une nouvelle politique monétaire encourageant l’utilisation massive du dollar et
faisant de la livre libanaise une monnaie d’échange dont le cours est fixé par la
banque centrale et qui propose à ces détenteurs des taux d’intérêt intéressants. Ce
différentiel entre taux d’intérêt sur le dollar et la livre libanaise, ainsi que l’émission
massive de bons de trésors a contribué d’une part à l’accroissement du clivage entre
classe aisée et classe modeste (cette classe aisée étant détentrice de monnaie, elle
pouvait bénéficier de ces avantages) et à une augmentation de la dette publique qui
atteindra les 35 milliards de dollars en 2004. Cette augmentation a été supportée par
le trésor public et par un secteur priproductif certes, mais endetté auprès des
banques. Le taux de croissance du PIB n’a donc pas pu suffisamment augmenter au
cours de ces années. Malgré un fort pic au cours des années 1994 et 1995
notamment à la mise en chantier de nombreux grands investissements et un boom
immobilier, le taux de croissance ne tardera pas à chuter de nouveau oscillant tantôt
en dessous de la barre des 0% (en 1997 par exemple) et tantôt bondissant jusqu’à
9% en 2008.
Figure 1: Evolution du taux de croissance du PIB au Liban entre 1992 et 2011
(Source: Rapport de la Banque Mondiale 2012)
Une économie se basant sur trois leviers majeurs
En dépit de toutes les circonstances dangereuses qui ont entravé la progression du
Liban à partir de 2004, notamment le conflit interne autour de l’adoption par le
conseil de curi de l’ONU de la résolution 1559 en septembre 2004, puis
l’assassinat tragique en février 2005 de l’ancien premier ministre Rafic Hariri et la
guerre dévastatrice de l’été 2006 face à Israël, le Liban a su se préserver d’un
effondrement de sa monnaie ou de son économie. Ceci a épossible grâce à trois
leviers majeurs de l’économie :
1) L’émigration et ses avantages :
a) Les volumes importants de transferts d’argent en provenance des émigrés
libanais, transferts qui augmentent logiquement en période de crise.
b) L’émigration joue également un autre rôle dans l’atténuation de l’impact de la
crise sociale sur les libanais. Elle permet la diminution de la population
demandeuse d’emploi.
c) La récente dynamique des pays du Golfe arabe, qui ne se limitent plus à
l’extraction et l’exportation de pétrole mais qui s’intéressent de plus en plus
aux autres secteurs comme le tourisme ou l’immobilier, est très friande du
savoir-faire de la main d’œuvre libanaise. A titre d’exemple, les projets
faramineux lancés par le Qatar en vue de la coupe du monde de football de
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