Troubles du sommeil chez les aidants à domicile de patients atteints de démence 163
indépendants de la démence et de son retentissement sur
la personne qui prend en charge un malade.
Les femmes âgées, de santé fragile, sont fréquemment
engagées dans le soin d’un époux ou d’un parent présentant
des troubles cognitifs [23]. L’âge avancé, le genre féminin,
les problèmes de santé sont des facteurs «prédisposant »de
la désorganisation du sommeil. Non seulement leur sommeil
est plus fragile que chez les jeunes, mais l’évolution chro-
nique est aussi plus fréquente [3]. Plus que les hommes,
les femmes âgées sont exposées à des apnées obstructives
du sommeil ou à un syndrome des jambes sans repos [4].
Dans cette étude le risque spécifique des femmes n’est pas
relevé, mais hommes et femmes aidants sont exposés aux
deux autres facteurs.
Ces facteurs «prédisposant »potentialisent l’effet
des facteurs «précipitant »: changement des rituels
d’endormissement du fait de l’anxiété et rupture du calme
de la nuit en raison des troubles du comportement noc-
turnes du malade. Bien souvent l’aidant ne dort que d’un
œil en raison des risques auxquels peut s’exposer le malade
et cette hypervigilance facilite les réveils nocturnes [10].
L’aidant vulnérable aura de grandes difficultés à redormir
après avoir été réveillé au milieu de la nuit pour changer
le malade, le rassurer, lui faire regagner son lit lorsqu’il a
une inversion du rythme veille—sommeil. L’aidant a aussi
souvent une relation affective forte avec le malade.
Certains facteurs rendent pérennes ces troubles. Lorsque
les circonstances qui ont conduit à des troubles du sommeil
disparaissent, ceux-ci perdurent. Trois éléments sont impor-
tants pour expliquer cette problématique : l’acquisition par
l’aidant d’une mauvaise hygiène de sommeil, son épui-
sement du fait du fardeau supporté, son état de santé
enfin, notamment son anxiété et sa dépression éven-
tuelle.
Les essais de restaurer le sommeil sous assistance médi-
cale ou par automédication peuvent s’avérer désastreux :
prise prolongée et sans réel contrôle médical d’hypnotiques,
excès de temps de sieste compensateur dans la journée,
café pris en abondance pour se tenir éveillé, consomma-
tion d’alcool ou de diverses automédications pour trouver
un sommeil qui se dérobe. Aux problèmes «précipitant »
liés au malade s’ajoutent les conséquences d’une mau-
vaise hygiène de vie qui cristallisent durablement les
troubles du sommeil et qui perdurent parfois alors que
le malade est institutionnalisé ou qu’il est décédé [12].
Le deuil de la personne jusque-là en soin ajoute un
poids de douleur morale qui ne facilite pas un bon som-
meil [12]. On pourrait comparer la situation de l’aidant
à celle des ouvriers qui font les «trois huit »et qui
sont censés être alertes et disponibles la nuit comme
le jour. Les conséquences pour la vie quotidienne sont
notables : fatigue matinale, tendance à l’endormissement
dans la journée, manque de disponibilité affective et
irritation pour un rien, stress, anxiété et dépression,
risque accru d’accident domestique ou de la vie quoti-
dienne.
Le niveau du fardeau des soins à donner au malade
est un facteur de stress important qui fixe et pérennise
les troubles du sommeil. De ce fardeau lié à la pro-
gression de l’atteinte cognitive, résultent des problèmes
physiques, psychologiques ou émotionnels, sociaux et finan-
ciers qui s’abattent sur les épaules d’un aidant naturel
en charge d’un adulte dépendant. À coté du fardeau
objectif qui a un impact direct sur le sommeil comme
les errances nocturnes du malade, l’agitation physique
et l’incontinence, s’ajoute un fardeau subjectif lié à la
dépression du malade, l’impression de solitude dans les
soins de l’aidant, la raréfaction des visites au fur et à
mesure de la progression de la maladie, les changement
non désirés des rôles familiaux ou des modalités relation-
nelles avec le malade [23]. La perte de maîtrise dans
la gestion du quotidien de la maisonnée s’aggrave pro-
gressivement et l’aidant est de plus en plus noyé dans
des tâches ingrates. Tous ces facteurs se combinent et
vont engendrer un risque de morbidité et de mortalité
[18].
Dernier facteur rendant pérennes les troubles du som-
meil, l’état de santé de l’aidant se détériore avec la longue
durée de prise en charge [23]. L’anxiété de l’aidant croît
devant une situation qui se détériore et dont il ne sait
de quoi elle sera faite demain. Les troubles du sommeil
désormais bien installés facilitent le glissement de l’aidant
dans la dépression, ce qui, bien sûr, ne favorise pas la ges-
tion du stress [22]. Dépression et anxiété s’accompagnant
volontiers de trouble du sommeil. Une boucle vicieuse est
ainsi ouverte. Le stress de l’aidant est directement lié
au fardeau, la coexistence d’une dépression et d’insomnie
exposent à un risque suicidaire, ce dont la presse rend régu-
lièrement compte [11,16,24]. D’autres raisons mal connues
interviennent et il se peut que les moments de communi-
cation parfois plus faciles à vivre la nuit font de l’inversion
rythme veille—sommeil une réalité encore peu appréhendée
dans sa nature exacte, poussant paradoxalement l’aidant
à lui-même «inverser »sa vision de l’hygiène de vie, d’où
un décalage croissant avec les attendus habituels de son
environnement. Une guidance familiale et un programme de
soutien psycho-éducationnel peuvent ici avoir du sens afin
d’aider l’aidant à rester ancré dans la réalité sociale.
La prise en charge au long cours d’un malade dément
s’accompagne fréquemment de problèmes somatiques qui
peuvent engendrer des difficultés à dormir : majoration
du ressenti des douleurs, perte de poids [23], hyperten-
sion artérielle [6], problèmes cardiovasculaires [25]. L’accès
aux soins pour l’aidant n’est pas toujours aisé et nombre
d’entre eux soit ne se soignent pas ou mal, soit ne sont pas
compliants aux prescriptions ou n’utilisent pas suffisamment
de temps pour la convalescence après un accident de santé
[2,23].
La prise en charge des troubles du sommeil de
l’aidant
Les troubles du sommeil de l’aidant doivent être dépistés,
en particulier lors des consultations du malade, surtout si
celui-ci présente lui-même des problématiques nocturnes.
Une éducation de l’aidant est nécessaire pour prévenir
les troubles et leur pérennisation : récupération des rituels
d’endormissement et d’une bonne hygiène de vie. Un temps
pour la sieste est indispensable lorsque les nuits sont ren-
dues difficiles par un malade agité ou errant. Mais le temps
du sommeil l’après-midi doit être limité. Se conserver dans
la journée des créneaux de temps à soi, de plaisir à faire,
pour se recréer fait partie d’une bonne hygiène de vie