PERSPECTIVES
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Taux négatifs: tenants et aboutissants Février 2015
En économie, le taux d’intérêt représente le coût du capital. Les taux d’intérêt faibles ou négatifs que
l’on observe actuellement sont le signe d’un excès de l’offre de capital par rapport à la demande.
Dans cet article, nous analysons les implications de cette « nouvelle donne » et essayons de répondre
aux questions suivantes:
(i) Pourquoi les investisseurs continuent-ils d’investir dans des actifs qui génèrent
des rendements négatifs ?
(ii) Jusqu’à quel niveau les taux peuvent-il baisser ?
(iii) Quelles conséquences pouvons-nous en tirer et quelles sont les solutions
en matière d’allocation d’actifs ?
(iv) Cette situation est-elle amenée à évoluer ?
Guilhem Savry est gérant au
sein de l’équipe Cross Assets
Solutions.
Jérôme Teiletche est
responsable de l’équipe Cross
Asset Solutions et membre du
Comité exécutif d’Unigestion.
Historiquement, les taux d’intérêt ont très rarement été négatifs. Ils l’ont été à certaines périodes
généralement caractérisées par un climat d’incertitudes ou d’inquiétudes conduisant les investisseurs à se
réfugier vers des actifs plus sûrs. Par exemple, en 2008, les rendements négatifs des bons du Trésor
américain à 3 mois reflétaient un niveau extrême d’aversion pour le risque. Dans l’histoire cependant, ces
périodes ont été rares et temporaires. A d’autres moments, certains pays ont imposé des taux négatifs
afin d’influer sur les flux de capitaux. Ce fut le cas de la Suisse dans les années 1970. Comme l’expliquait
le gouverneur de la Réserve fédérale de Saint Louis en 2013 : « …l’existence de rendements négatifs ne
justifie cependant pas l’utilisation, par les banques centrales, de taux directeurs négatifs comme outil de
politique monétaire ».
Deux ans plus tard, le Japon, le Danemark, la Suède, la Suisse et plusieurs pays de la zone euro affichent
des rendements obligataires négatifs. Globalement, depuis la mi-février 2015, le volume d’obligations
générant des rendements négatifs représente environ 25 % de l’indice BofA ML Euro Government.
La situation actuelle peut s’expliquer par la demande exceptionnelle émanant des banques centrales,
qui est venue s’ajouter à la demande structurelle d’obligations créée par la réglementation du secteur
financier (Bâle III et Solvabilité II), cela alors que l’investissement des entreprises et des ménages
reste faible.
Pourquoi les investisseurs continuent-ils d’investir dans des actifs qui génèrent des rendements négatifs ?
Comme les récentes adjudications qui ont eu lieu dans différents pays l’ont montré, les obligations
générant des rendements négatifs ont fait l’objet d’une forte demande de la part des investisseurs. Outre
les investisseurs allouant passivement leurs actifs à des indices obligataires de référence, les
investisseurs gérant leurs actifs plus librement peuvent s’appuyer sur des arguments rationnels pour
acheter des obligations générant des rendements négatifs.
Le premier argument tient à la différence entre le taux de rendement nominal et le taux de rendement réel.
Pour les investisseurs situés dans des pays exposés à un risque de déflation élevé, les rendements négatifs
restent attractifs tant qu’ils sont plus élevés que l’inflation. Plus simplement, un rendement de -1 % n’est pas
nécessairement inintéressant si l’inflation s’établit à -2 % car le taux de rendement réel est positif.
Par ailleurs, l’expérience japonaise montre que même lorsque les rendements sont bas, les obligations
d’Etat peuvent constituer la classe d’actifs la plus performante dans une économie déflationniste
(graphique 1).
Synthèse
1. Dans les pays exposés à un risque
de déflation élevé, les rendements
négatifs restent attractifs tant
qu’ils sont plus élevés que
l’inflation.
2. Mais la baisse des rendements
accroît sensiblement le risque des
portefeuilles à mesure que les
rendements approchent de leur
plancher.
3. Au niveau obligataire, les
investisseurs doivent allouer
tactiquement leurs actifs aux pays
dans lesquels le ratio
« carry »/risque reste attractif.
4. Au niveau des portefeuilles, les
investisseurs doivent trouver une
combinaison de solutions afin de
compenser la baisse des revenus
et de la protection offerts par leur
portefeuille obligataire. Nous
suggérons une combinaison de
stratégies actions « low vol », de
solutions de bêta alternatif et,
pour les portefeuilles moins
liquides, de dette privée.
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Graphique 1 : Performances totales pendant la déflation au Japon
(performances annuelles en % sur la période 1997-2013)
Source : Bloomberg
Le second argument justifiant l’achat d’obligation ayant un rendement négatif concerne les stratégies de
« carry ». Les banques centrales utilisent des taux de rémunération des dépôts négatifs afin d’encourager
la prise de risque et la création de crédit (zone euro, Japon et Suède) ou pour déprécier leur devise
(Danemark et Suisse).
Dans ce cadre, la courbe des taux d’intérêt demeure pentue et les investisseurs préfèreront les obligations à
long terme aux positions à plus court terme, sources de rendements moins élevés. En somme, même si la
courbe des taux est passée en territoire négatif, le mécanisme du « carry » reste identique (graphique 2).
Graphique 2 : courbe des swaps de la Suisse (en %)
Source : Bloomberg, 17.02.2015
Jusqu’à quel niveau les taux peuvent-il baisser ?
Si les banques centrales faisaient baisser excessivement les rendements des dépôts bancaires, des retraits
massifs s’ensuivraient. En effet, les ménages choisiraient de conserver eux-mêmes leurs liquidités plutôt que
d’accepter que leurs dépôts génèrent des rendements négatifs. Pour une banque centrale, une panique
bancaire représente le pire des scénarios. Il s’agit donc d’une contrainte s’exerçant sur la capacité des
banques centrales à fixer des taux d’intérêt négatifs. Il y a quelques années, Fischer Black affirmait que les
taux à court terme nominaux ne peuvent jamais être négatifs car « les gens préfèreraient conserver leur
argent dans un bas de laine plutôt que de détenir des instruments porteurs d’intérêts négatifs ».
Dans la pratique, le taux plancher pourrait correspondre au coût estimé de conservation des liquidités. Si l’on
se base sur le coût de stockage de l’or ou sur les frais applicables aux transactions de paiement, la limite
basse des taux d’intérêt est probablement inférieure aux -75 bp observés actuellement en Suisse. D’après ce
raisonnement, des rendements de -2 % voire -3 % sont possibles, tout au moins temporairement.
« même si la courbe des taux
est passée en territoire négatif,
le mécanisme du « carry » reste
identique »
0.0%
1.0%
2.0%
3.0%
Actions Obligations d'Etat Obligations d'entreprise
notées BBB
-1.5%
-1.0%
-0.5%
0.0%
0.5%
1.0%
1.5%
3M 1Y 2Y 3Y 4Y 5Y 6Y 7Y 8Y 9Y 10Y 12Y 15Y 20Y 25Y 30Y
17/02/2015
01/12/2014
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Quelles conséquences pouvons-nous en tirer ?
Bien que la situation soit relativement nouvelle, nous pouvons en tirer plusieurs conséquences pour
l’allocation d’actifs.
La première est que les investisseurs sont incités à prendre davantage de risques et à investir plutôt dans
les produits de spread comme les obligations d’entreprise ou les obligations des pays périphériques de la
zone euro (graphique 3, ci-dessous). Cette quête de rendement a commencé au cours de l’été 2011 et
devrait se poursuivre à court terme, notamment dans les régions où les rendements resteront durablement
négatifs (zone euro, Suède, Japon et Suisse).
Graphique 3 : quête de rendement et resserrement des spreads dans la zone euro (en pb)
Source : Bloomberg, 17.02.2015
Deuxième conséquence : les investisseurs ont étendu leur allocation géographique en se reportant sur des
pays qui offrent des rendements plus élevés sans nécessairement accroitre le risque souverain.
Le marché des bons du Trésor américain a particulièrement bénéficié de cette tendance (graphique 4).
Cette situation a fait apparaître un nouveau paradoxe dans la mesure où les rendements américains sont
restés très bas en dépit du retrait des mesures d’assouplissement quantitatif de la Fed et de sa volonté
affichée d’augmenter les taux une fois que l’économie américaine se sera nettement redressée.
Graphique 4 : part des porteurs étrangers dans l’encours total d’émissions du Trésor américain
Source: Bloomberg, 31.12.2014
« … les investisseurs ont
étendu leur allocation
géographique en se reportant
sur des pays qui offrent des
rendements élevés »
20%
25%
30%
35%
40%
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
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Outre ces effets à court terme, les taux négatifs auront à notre avis un impact à plus long terme. Le profil
risque/rendement prévisionnel des portefeuilles d’investissement s’est ainsi sensiblement dégradé.
Certaines mesures simples des performances réelles attendues sur le long terme – basées sur les
rendements des actifs et les anticipations d’inflation – ont nettement diminué, essentiellement en raison
de la composante obligataire (graphique 5, ci-dessous).
Graphique 5 : performances totales réelles attendues et contribution respective des actions et des
obligations d’Etat pour un portefeuille diversifié (60 % d’obligations d’Etat mondiales et 40 % d’actions
mondiales)
Source : Bloomberg, 31.12.2014.
Par ailleurs, les risques ont augmenté. Si la volatilité des obligations reste proche de points bas
historiques, le risque des produits obligataires a, selon nous, sensiblement progressé.
Du fait de la baisse des rendements, la duration des portefeuilles a augmenté et la distribution
prospective des rendements obligataires affiche un coefficient d’asymétrie de plus en plus négatif à
mesure que les rendements approchent d’un plancher.
Ce risque n’est pas du tout pris en compte dans les mesures telles que la volatilité1.Ce phénomène
pourrait être encore plus marqué pour les investisseurs qui se sont lancés dans la course au rendement et
qui, outre le risque de duration, ont nettement accru leur exposition aux risques de crédit et de liquidité.
Les conséquences au niveau du passif sont plus difficiles à évaluer. Elles dépendent largement du cadre
réglementaire et comptable de l’investisseur. Les investisseurs qui doivent valoriser leurs passifs en
fonction des rendements actuels – que ce soit ceux des obligations d’Etat ou des obligations
d’entreprise – voient leur situation actuelle nettement dégradée. Le résultat final dépendra largement du
niveau futur de l’inflation. Si le scénario déflationniste s’installe durablement, la seule solution viable à
long terme serait de réduire la valeur nominale des retraites. Même dans le cas contraire, à savoir si
l’inflation augmente par la suite – ce qui est probablement l’objectif visé par les politiques des banques
centrales – le montant réel des retraites pourrait être inférieur aux niveaux actuels.
« … le profil risque/rendement
prévisionnel des portefeuilles
d’investissement s’est
sensiblement dégradé »
« Du fait de la baisse des
rendements, la duration des
portefeuilles a augmenté et la
distribution prospective des
rendements obligataires affiche
un coefficient d’asymétrie de
plus en plus négatif à mesure
que les rendements approchent
d’un plancher »
1 Voir l’article d’Unigestion intitulé « The risky asymmetry of low bond yields ».
0.0%
1.0%
2.0%
3.0%
4.0%
5.0%
6.0%
98 02 06 10 14
Contribution des actions
Contribution des obligations souveraines
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Quelles sont les solutions ?
Nous ne pensons pas que la solution soit nécessairement d’éviter complètement les obligations. Dans
certaines régions comme la zone euro, la situation est fondamentalement tributaire des forces
déflationnistes, qui pourraient soutenir les obligations en tant que source de performance, bien que de
façon limitée. D’autres facteurs techniques influent également sur le marché obligataire. Ainsi, au cours
des prochains mois, les émissions nettes sur les marchés d’obligations d’Etat développés seront limitées,
mais la demande pourrait rester structurellement soutenue dans la mesure où les banques centrales
mettent actuellement en œuvre des programmes d’assouplissement quantitatif et où les directives telles
que Bâle III et Solvabilité II contraignent certains investisseurs institutionnels à réduire leur allocation
aux actions.
Il n’en reste pas moins que les investisseurs obligataires doivent s’adapter tactiquement au nouvel
environnement. Ils doivent d’abord se montrer plus sélectifs et se limiter aux pays dans lesquels le
ratio »carry » réel/risque reste attractif. 2 Sur le segment obligataire, nous conseillons notamment
d’adopter des solutions basées sur le risque qui ne limitent pas la définition du risque à la seule volatilité3.
Actuellement, cela suppose d’éviter les obligations d’Etat japonaises et de privilégier les pays tels que la
Nouvelle-Zélande et l’Irlande. Les bons du Trésor américain et les Gilts britanniques offrent un
« carry »relativement attractif, mais le marché sous-estime peut-être le risque de hausse des taux dans
ces pays. Par conséquent, les investisseurs sensibles à l’évolution des valorisations nominales doivent
s’assurer que leur niveau d’entrée sur le marché est adéquat.
Comme nous l’avons déjà expliqué, certains investisseurs ont opté pour la recherche de rendement à tout
prix – en particulier en réduisant leurs exigences en termes de notation. Nous ne pensons pas que cette
solution soit adaptée à tous les investisseurs, la dégradation de la liquidité sur de nombreux segments
obligataires constituant à nos yeux un motif de préoccupation.
A cet égard, notre préférence va actuellement aux obligations d’entreprise européennes de qualité, aux
obligations d’Etat des pays périphériques de la zone euro (à l’exclusion de la Grèce) et à certains pays
émergents tels que le Mexique et même le Brésil.
Les investisseurs incluent les obligations d’Etat dans un portefeuille diversifié pour deux raisons : i) parce
qu’elles représentent une source de revenus, ii) parce qu’elles protègent leurs portefeuilles contre les
chocs qui affectent d’autres classes d’actifs dans les périodes difficiles – notamment les actifs de
croissance tels que les actions lors des récessions. Malheureusement, aucune autre classe d’actifs ne
nous semble à même de jouer à elle seule ce double rôle. Par exemple, une position longue sur la
volatilité des actions offre une très bonne protection contre la plupart des chocs, mais elle génère un
rendement largement négatif et ne peut donc constituer une solution sur le long terme. Selon nous, les
investisseurs doivent plutôt chercher séparément des sources de revenus et de protection.
1. S’agissant des revenus, dans la catégorie des placements liquides, plusieurs solutions se démarquent.
Les actions dites « low vol »peu risquées constituent une stratégie de type « long-only » intéressante,
notamment parce qu’elles utilisent moins de budget de risque que les actions classiques pour un niveau
de rendement similaire. Les solutions de « bêta alternatif liquides » peuvent diversifier le profil de
revenus à l’aide de stratégies axées sur certains facteurs des marchés d’actions (« value », « quality » ou
« momentum ») ou encore de stratégies de « carry » « long-short » mises en œuvre via des dérivés de
change ou d’obligations. Certains placements moins liquides offrent également des sources de revenus
intéressantes. Les instruments de dette privée présentent des caractéristiques séduisantes dans la
« … selon nous, les
investisseurs doivent chercher
séparément des sources de
revenus et de protection »
2 Fondamentalement, le « carry »est très similaire au rendement mais est une mesure un peu plus précise du rendement que l’investisseur
percevra si les choses ne changent pas. Dans le cas des obligations, le « carry » réel représente la somme du rendement actuel et du
« roll-down » sur la courbe, corrigée des anticipations d’inflation.
3 Pour un exemple, voir notre article intitulé « The risky asymmetry of low bond yields ».
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