Études POLITIQUES CULTURELLES n°2 NOVEMBRE 2013 HISTOIRE DES POLITIQUES CULTURELLES Faire médiation culturelle Évolution et orientations des métiers de l’animation en centres culturels (Communauté française de Belgique) Damien Vanneste et Philippe Scieur Jean-Gilles Lowies (coord.) OBSERVATOIRE DES POLITIQUES CULTURELLES Etudes N°2 couverture.indd 1 19/11/13 14:34 Etudes N°2 couverture.indd 2 19/11/13 14:34 Faire médiation culturelle Évolution et orientations des métiers de l’animation en centres culturels (Communauté française de Belgique) Damien Vanneste et Philippe Scieur Jean-Gilles Lowies (coord.) OBSERVATOIRE DES POLITIQUES CULTURELLES Etudes N°2.indd 1 19/11/13 14:30 Dépôt légal : 2013/8651/8 Observatoire des Politiques Culturelles (OPC) 68A, rue du Commerce - 1040 Bruxelles – Belgique Ed. Resp : Michel Guérin – 68A, rue du Commerce - 1040 Bruxelles Graphisme et mise en page : Kaos Films – Étienne Mommaerts Illustration de couverture : © Luftbildfotograf - Fotoliacom Etudes N°2.indd 2 19/11/13 14:30 Cette publication présente une partie des recherches menées par l’Université Catholique de Louvain – Mons portant sur l’histoire des métiers de la médiation artistique et culturelle, dans les centres culturels reconnus par la Fédération Wallonie-Bruxelles (1965-2010). Ces recherches sociologiques s’inscrivent dans le cadre du chantier “Histoire des politiques culturelles en Communauté française : Acteurs, organisations & systèmes des politiques publiques de la culture(s) de 1965 à 2015”. Les travaux effectués par l’UCL ont été réalisés via un marché public à la demande de l’Observatoire des politiques culturelles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’équipe de recherche était composée de Gérard Derèze, François Lambotte, Philippe Scieur (responsable scientifique) et Damien Vanneste. Les analyses produites lors de ces recherches aboutissent à la publication de cette étude et permettront l’édition de deux autres publications : la première discutera théoriquement la notion de médiation artistique et culturelle et la seconde dressera un portrait socioéconomique du secteur des centres culturels. Les recherches de l’UCL ont été accompagnées par un Comité de suivi, composé de Nouzha Bensalah et Eric Frère que nous remercions pour leur disponibilité et leur investissement. Nous exprimons notre plus grande gratitude à Sophie Levêque, directrice du Service des centres culturels de la FWB, et à Roland de Bodt, directeur de recherches à l’OPC, qui ont tous deux enrichi les travaux par leur disposition attentive. Enfin, nous tenons à marquer nos plus vifs remerciements à l’équipe de recherche, et particulièrement à Damien Vanneste, pour leur investissement considérable. Nous ne prescrirons pas dans cette préface une interprétation univoque de la publication et nous éviterons soigneusement d’en extraire quelque partie marquante car cela irait à l’encontre de l’ouverture de sens émaillant le texte tout du long. Cette étude retrace une réalité complexe et en mouvement, sans céder aux charmes aisés de quelque raccourci déterministe. Il s’agit d’une approche compréhensive dont les différents faisceaux entrent en relations diverses, subtiles, parfois contradictoires, profondément humaines. Ni un plaidoyer laudatif et pro domo, ni une critique des institutions, cette étude nous invite à un voyage, une immersion sensible et théorique au cœur des centres culturels en prenant soin des parcours tant individuels que collectifs. Elle n’est pour autant pas exempte de questionnements, formulés le plus souvent par les professionnels mêmes du secteur des centres culturels. Une voix parmi d’autres, elle offrira au professionnel averti une reformulation de son expérience personnelle au sein d’une pensée originale, et au néophyte, de saisir un panorama d’enjeux existant dans le secteur selon plusieurs dimensions, notamment les institutions, les organisations et leur environnement, les métiers d’animateur, les référentiels d’action et les territoires multiples. PHILIPPE SCIEUR Philippe Scieur, sociologue, est professeur à l’UCL (Université Catholique de Louvain) à Mons et chercheur au CriDIS (Centre de recherches interdisciplinaires Démocratie, Institutions, Subjectivité). Ses travaux de recherche et ses publications portent sur l’action collective organisée, plus particulièrement les organisations et les professions du secteur non marchand et du secteur artistique et culturel. Étudesn°2 Préface DAMIEN VANNESTE Damien Vanneste, sociologue, est chercheur au CriDIS (Centre de recherches interdisciplinaires Démocratie, Institutions, Subjectivité) et maître de conférences invité à l’UCL (Université Catholique de Louvain) et à l’ULB (Université Libre de Bruxelles). Ses travaux croisent des questionnements relatifs à l’action organisée, au travail et à l’espace, à partir de terrains d’études relevant de l’urbain, des mondes de la culture et de la santé. Pourquoi réaliser une telle étude ? Tout d’abord, il importe de souligner que les centres culturels occupent une place prépondérante dans la genèse et le développement d’une politique culturelle publique qui dépasse une politique de soutien artistique au sens strict. La finalité de l’intervention étatique devient alors partiellement extrinsèque, ne se limitant plus au seul rôle de mécène artistique. Les objectifs des politiques culturelles se diversifient et se basent sur la rhétorique démocra- 3 Etudes N°2.indd 3 19/11/13 14:30 Étudesn°2 tique, entretenant par là une certaine légitimité : la démocratisation de la culture vise à rendre les œuvres majeures de l’humanité accessibles au plus grand nombre et la démocratie culturelle va “hisser” les pratiques du plus grand nombre au rang de culture “légitime”. Ces deux référentiels continuent à faire l’objet de nombreuses interprétations qui s’avèrent rarement consensuelles. Se référant à la France, certains ont noté que les centres culturels étaient les fruits du processus de sécularisation de la culture et incarnaient les “cathédrales de la République”. Le parallèle avec la Belgique francophone apparait évidemment imparfait, son processus de sécularisation est en effet distinct et sa structuration institutionnelle diffère fortement. Nous pourrions davantage parler des “cathédrales de la Communauté française” reposant sur les fondations du pluralisme idéologique et philosophique. Autour des centres culturels gravite une multiplicité d’enjeux tant culturels que démocratiques, notamment via les questions de décentralisation culturelle et de participation citoyenne. Ils représentent également un agencement original d’enjeux à niveaux multiples : communes et communauté sont convoquées autour d’une table que l’on veut politiquement pluralisée et les autorités provinciales, régionales ou fédérales peuvent tenir un rôle non négligeable, notamment en matière d’emploi. Enfin, ces organisations solidement ancrées géographiquement se révèlent un carrefour de rencontres, un lieu de pratiques, un croisement d’individus, d’idées et aussi d’évènements artistiques et créatifs. La question du territoire, qui préside aux origines du projet de décentralisation, est à présent diffractée dans un monde où la culture s’affranchit des frontières naturelles par sa dématérialisation, et offre une nouvelle source d’introspections. Ensuite, il convient de relever qu’une caractéristique fondamentale des politiques culturelles réside dans leur faculté à questionner régulièrement leurs fondations et à actualiser sinon leurs finalités du moins leur registre de justifications. Le secteur des centres culturels en Belgique francophone n’échappe pas à la règle. Les discours développés en ce sens touchent aux fondements des régimes démocratiques en ce qu’ils convoquent l’idée d’un bien commun, d’un bien qui bénéficie à l’ensemble du corps souverain, d’un service qui est destiné à tous les citoyens. La réalité de la vie culturelle nous offre cependant de multiples visages et des portraits indéniablement bigarrés, classant au rang des mythologies les idéaux chargés d’ordonnancer l’action publique. Pour autant, force est de constater que ces mythologies ne sont pas dépourvues d’effets et de pouvoir d’action, alimentant les représentations de celles et ceux qui dédient leurs journées – et bien souvent leurs soirées – à leur concrétisation. Le monde des idées trouve son incarnation dans les actions individuelles, les organisations ou encore dans des métiers particuliers – tel que celui d’animateur -, autant d’aspects qui jamais ne restent figés. L’idée de médiation des arts et de la culture fait partie de ce panel d’arguments propres à l’intervention culturelle étatique en régime démocratique. Encourager, susciter, créer, approfondir, élargir, diversifier et renforcer les liens entre artistes, œuvres ou pratiques artistiques et culture constituent en ce sens autant de services aux publics. Si la médiation artistique et culturelle est une notion nettement plus usitée outre-Quiévrain qu’en nos contrées, sa substance et ses ambitions ne nous sont guère étrangères, loin s’en faut, et les centres culturels représentent des 4 Etudes N°2.indd 4 19/11/13 14:30 Alors, bien sûr, il est impossible de passer sous silence que la médiation artistique et culturelle à grande échelle est de nos jours l’affaire des nouveaux médias et des nouvelles technologies, Internet en tête, qu’ils se déploient sur Pc, tablettes, smartphones, montres ou lunettes. Les projets publics visant à créer quelque identité – nationale, régionale ou encore politique – ne peuvent que contempler la marche accélérée des interventions culturelles privées et leur indéniable impact. Il reste que de nombreux acteurs culturels, de plus ou moins grande proximité, demeurent financés pour être investis de missions relevant de l’univers sémantique de la médiation, au rang desquels nous retrouvons les centres culturels. Qu’est-ce que la médiation des arts et de la culture ? Un outil théorique pour (re) penser et analyser les relations et les interactions dont sont parties prenantes les objets artistiques et culturels ? Un concept fumeux et abstrait destiné à masquer l’indéfinition ou l’impécuniosité des politiques culturelles ? Un premier pas vers une refondation des politiques culturelles, intégrant la question de l’apport de l’action publique pour l’ensemble des citoyens, voire quelque évaluation de l’action publique ? Un aggiornamento des ambitions de démocratisation de la culture orientées cette fois non pas négativement – en combattant les obstacles à l’accessibilité de la culture – mais positivement : en créant du lien entre artistes, œuvres et individus ? Quelles que soient les réponses apportées par le lecteur, il reste important d’apprécier plus précisément cette notion en regard d’un secteur qui marque une articulation, voire un passage à double sens, aisé ou non, entre une politique des arts et une politique de la culture. Étudesn°2 exemples notoires d’une volonté d’animer la vie culturelle par mille et une voies typiques et singulières. Comme pour toute notion construite avec le terme de culture, nous faisons face à un océan d’interprétations parfois solidement chevillées au corps. Car l’espace des significations suit alors celui de la culture et prend incontestablement des horizons parsemés de positionnements axiologiques, de credo politiques indéfectibles et de destins individuels remarquables. Qu’elle soit nommée ainsi ou non, la médiation artistique et culturelle se trouve au cœur du projet de reliance/déliance entre démocraties et culture dont les développements trouvent sans conteste un écho dans le secteur des centres culturels. Voilà sans doute où situer l’importance et la nécessité de s’interroger sur les métiers qui actent une médiation des arts et de la culture dans les centres culturels. Si l’objectif de médiation semble aujourd’hui sensiblement partagé, contrairement au terme même de médiation, celle-ci a connu divers développements ces dernières décennies qui questionnent sa substance et ses mises en forme. Les frottements issus de la rencontre entre le cadre politico-légal, les diverses organisations environnantes, les contraintes et opportunités économiques, et les trajectoires individuelles sont autant de défis posés à la notion de médiation artistique et culturelle pour pouvoir in fine apprécier plus finement sa part d’ambition prométhéenne. Jean-Gilles Lowies Chargé de recherches à l’OPC 5 Etudes N°2.indd 5 19/11/13 14:30 Étudesn°2 1. Introduction On évoque la Maison de la Culture ici, le Foyer culturel là-bas ; ailleurs, on convoquera un nom spécifique et local, comme “le Marius Staquet” à Mouscron ou “le Jacques Franck” à Saint-Gilles : toutes ces organisations renvoient à une figure centrale des politiques culturelles en Communauté française de Belgique1, à savoir les “centres culturels”. Nés au tournant des années 1970, ces centres ont progressivement structuré et densifié le paysage culturel. À côté d’autres associations, telles celles relatives à l’éducation permanente ou les mouvements de jeunesse, ils ont constitué un des principaux véhicules d’une certaine définition de la culture, à la fois extensive et participative. Aussi, à travers un objectif de décentralisation suscité par l’État, mais porté et fondé par les initiatives locales, d’une part, et une finalité en termes de démocratie culturelle, d’autre part, les centres culturels allaient représenter, à travers des pratiques d’animation socioculturelle, les lieux culturels de proximité, bref, des lieux ouverts à l’action culturelle de tous et pour tous. L’histoire de la fondation de ces centres, des débuts de leur institutionnalisation et des tensions dynamiques entre démocratie culturelle et d’autres finalités (en particulier, celle de démocratisation de la culture) a été réalisée au milieu des années 1980 par de Coorebyter.2 Depuis lors, plusieurs transformations, internes ou externes au secteur, ont eu lieu, questionnant ou modifiant le travail d’action culturelle, son organisation et les formes d’engagements qu’il suscite. Parmi celles-ci, il en est une dont de Coorebyter avait vu les premiers contours et souligné l’importance, à savoir la professionnalisation des structures que sont les centres culturels. Dans les années 1970, se développe un métier, celui d’“animateur socioculturel”, qui a comme mission de s’autonomiser par rapport à toute tentative d’hégémonie des élites (politiques) locales, en restant dans l’ombre des participants de l’action culturelle. Ainsi, l’animateur doit susciter et accompagner l’éclosion d’orientations et de modalités locales d’actions culturelles produites collectivement.3 Pourtant, au fur et à mesure des années, la place des professionnels devient centrale et ce, pour de multiples raisons qui seront évoquées au fil de cette étude. Ce constat de transformation professionnelle posé dès le milieu des années 1980 se confirme au cours des 25 années écoulées depuis lors. L’approfondissement de la division du travail d’action culturelle entraîne la reconfiguration des finalités et des modalités, explicites ou implicites, de cette action. Il ne trahit pas nécessairement l’ambition initiale de démocratie culturelle ; selon les structures locales, il peut tout autant la réinventer. Mais dans tous les cas, cependant, le destin de l’action culturelle locale dépend largement des professionnels. Ainsi, se dessine l’opportunité de focaliser notre attention sur l’évolution du travail de ces animateurs, c’est-à-dire d’observer ce travail, d’en comprendre le sens et d’en expliquer les orientations. Si les centres culturels représentent un secteur qui a continué à grandir de manière constante4 et des organisations qui, à l’interne, ont connu des changements impor1 ’expression “Communauté française” a été retenue ici dans la mesure où elle demeure la désignation juridique de L cette institution politique reconnue par la Constitution belge. Il importe de souligner que, suite à une décision du Gouvernement de la Communauté adoptée en 2011, l’ensemble de la communication politique et institutionnelle de cette entité fédérée utilise dorénavant l’expression de “Fédération Wallonie-Bruxelles”. 2 e Coorebyter V. (1988), Les centres culturels dans la Communauté française de Belgique, Bruxelles : CRISP. Le lecteur d intéressé trouvera cette étude, en version numérisée et en libre accès, sur le site de l’Observatoire des politiques culturelles. 3 a composition pluraliste et paritaire des Conseils d’administration et la constitution d’un Conseil culturel ouvert à L tout citoyen (nommé par le Conseil d’administration) sont des dispositions et dispositifs concrets qui visaient dès le départ à réaliser ces objectifs. Ces éléments existent encore. 4 ur la longue durée, on observe une augmentation régulière du nombre de centres culturels agréés : environ 25 tous S les 10 ans. En 2011, on dénombrait 115 centres culturels. Ce nombre est stabilisé pour le moment puisqu’un moratoire, arrêtant momentanément la reconnaissance de nouveaux centres, existe depuis 2006. Parmi ces 115 centres, 11 se situent à Bruxelles tandis que 104 se trouvent en Wallonie. Nous ne pourrons pas traiter spécifiquement ces données quantitatives (nombre de centres, poids budgétaire…) dans le cadre de cette publication. Cet état des lieux socioéconomiques, assorti d’une analyse morphologique du secteur, sera l’objet d’une diffusion à part entière. Quoi qu’il en soit, le lecteur intéressé d’obtenir davantage d’informations de ce type pourra utilement consulter le site de la Direction des centres culturels de la Communauté française de Belgique : http://www.centresculturels.cfwb.be/ 6 Etudes N°2.indd 6 19/11/13 14:30 Étudesn°2 tants, les manières dont on en parle ont, cependant, peu changé. Les professionnels se qualifient encore régulièrement d’“animateurs socioculturels” alors qu’une bonne part de leur activité de travail ne relève plus véritablement du registre de l’“animation”. Les habitants de certaines communes vont encore “à la Maison de la Culture” ou “au foyer” alors que, depuis le décret de 1992 et son annexe de 1996 précisant les catégories de reconnaissance des centres, on ne reconnaît que des “Centres culturels régionaux” et des “Centres culturels locaux”.5 Dans le même temps, au niveau local, les structures ou initiatives culturelles de tout type se sont bien souvent multipliées et étoffées : création de musées, de centres d’expression et de créativité, de festivals,… ; ce sont des formes d’organisation qui, d’ailleurs, sont parfois lancées par un centre culturel, avant d’acquérir un fonctionnement autonome. D’un point de vue plus global, le champ des politiques culturelles a, quant à lui, continué de s’étendre : augmentation des dépenses budgétaires6, création de nouveaux domaines d’intervention des politiques culturelles et spécialisation des domaines existants en sous-secteurs. Tous ces changements s’accompagnent de l’émergence d’une nouvelle catégorie d’appréhension des finalités de politiques culturelles, autour de l’idée de médiation culturelle. S’inscrivant depuis près de 15 ans dans la manière de penser l’action culturelle (en France, mais aussi au Québec ou dans certains pays non francophones), elle apparaît progressivement dans l’espace de discussion en Belgique francophone, sans pour autant devenir une catégorie dominante. Il n’est pas possible de réaliser ici l’histoire et l’analyse systématique d’un tel concept.7 Néanmoins, on peut émettre l’hypothèse que l’adoption tardive et hésitante de cette expression par les acteurs des centres culturels, d’une part témoigne d’un faible sentiment collectif de repenser les termes de l’action culturelle menée, d’autre part résulte du caractère peu innovant, du point de vue des acteurs de terrain, de la médiation culturelle comme catégorie fondamentale d’interprétation de la réalité culturelle et d’action avec ou sur celle-ci. En effet, si on observe d’abord les derniers débats tenus par les acteurs des centres culturels en vue de la formulation de ce qui devrait prochainement constituer un nouveau décret orientant le secteur, on remarquera une grande continuité, en termes de finalités d’action, avec l’esprit des origines.8 Ensuite, à l’observation de la manière dont les auteurs ayant le plus travaillé sur l’idée et les dispositifs de médiation culturelle positionnent leur questionnement et leur démarche, on s’étonnera qu’une large part de leurs ambitions résonne avec celles posées il y a plus de 40 ans autour de l’idée de démocratie culturelle. À titre d’exemple, on peut citer le projet d’un auteur comme Jean Caune : “[F]ixer de nouvelles ambitions aux processus artistiques et culturels. Le changement de perspective qui, au-delà de la diffusion des œuvres dans l’espace clos de l’institution artistique, envisage le développement 5 ans son décret de 1992 relatif aux conditions de reconnaissance des centres culturels, le Conseil de la Communauté D française précise en son article 2 que ne sont reconnues comme centres culturels que des associations “qui assurent, dans un souci de démocratie culturelle, le développement socioculturel d’un territoire déterminé.” Plus loin, dans l’article 3, il précise que : “[…] par développement socioculturel, il faut entendre l’ensemble des activités destinées à réaliser des projets culturels et de développement communautaire fondés sur la participation active du plus grand nombre, avec une attention particulière aux personnes les plus défavorisées. Ces activités doivent, notamment, tendre à : 1° offrir des possibilités de création, d’expression et de communication ; 2° fournir des informations, formations et documentations qui concourent à une démarche d’éducation permanente ; 3° organiser des manifestations mettant en valeur les œuvres du patrimoine culturel local, régional, communautaire, européen, international et francophone ; 4° organiser des services destinés aux personnes et aux associations et qui favorisent la réalisation des objectifs du centre.” Même si nous proposerons par ailleurs une analyse des interprétations locales de la législation et de la manière dont celles-ci produisent une évolution sectorielle inattendue, à ce stade-ci, nous encourageons à nouveau le lecteur soucieux d’acquérir davantage d’informations descriptives à visiter le site de la Direction des centres culturels précédemment cité. Par ailleurs, pour une analyse de type juridique de cette législation et une mise en parallèle avec les droits culturels, nous renvoyons à : Romainville C. (2012), “Le droit à la culture & la législation relative aux centres culturels”, in de Bodt R., Lowies J.-G. (coord.), Repères, n°1. Cette étude est téléchargeable sur le site de l’Observatoire des politiques culturelles. 6 Cf., par exemple, pour la courte période : Fédération Wallonie-Bruxelles (2012), “Focus Culture. Faits & Tendances”. 7 Ce travail de problématisation historique et théorique sera également l’objet d’une publication à part entière. 8 irection générale de la Culture – Fédération Wallonie-Bruxelles (2013), “Centres culturels et territoires d’actions. D Une partition symphonique. Des actions partagées”, Cahier 1. 7 Etudes N°2.indd 7 19/11/13 14:30 Étudesn°2 des pratiques expressives comme mode d’échanges et de relations, peut alors dépasser les objectifs de la démocratisation culturelle pour ouvrir les voies d’une démocratie culturelle attentive à répondre aux aspirations de chacun.”9 Il n’y a pas lieu de prétendre ici que les hérauts de la démocratie culturelle à la belge avaient tout inventé il y a près d’un demi-siècle. Il y a bien sûr plusieurs dimensions qui apparaissent aujourd’hui incontournables pour fonder l’action culturelle qu’ils n’avaient pas ou peu anticipée, parmi lesquelles on pourrait citer : l’importance des phénomènes ethniques, les exigences accrues de mobilité quotidienne ou encore la place de l’art contemporain dans l’espace public. Pourtant, il serait tout aussi trompeur de ne pas reconnaître l’originalité historique des centres culturels. Certes, les résonnances d’utopie communautaire présente à l’origine des centres culturels se sont depuis largement confrontées à une réalité sociétaire rétive à ce mode de relation sociale.10 Cela n’empêche : les manières souhaitées et mises en œuvre d’engager des rapports sociaux – égalitaires et participatifs – et des rapports à la culture – fondés dans l’expression subjective et dans la communication – structuraient tout autant les prémisses des centres culturels qu’elles sont convoquées au cœur des réflexions et pratiques contemporaines de médiation culturelle. Si les pratiques de médiation culturelle, définies par l’analyste comme des activités sociales qui visent à la mise en relation d’objets, d’individus et de groupes autour de formes sensibles et/ou symboliques, sont présentes en centres culturels, elle ne sont pas nommées comme telles par les acteurs. Inversement, il n’est pas rare de trouver des lieux artistiques ou culturels où le vocable de la médiation est utilisé alors que le souci de médiation, définie par nos soins de manière extensive, est secondaire dans l’ambition et l’organisation générale de ce lieu. Autrement dit, les termes sont trompeurs. Si l’on suit Jean Caune, les termes “médiation culturelle” et “démocratie culturelle” avanceraient main dans la main. Si l’on suit certains acteurs de centres culturels, par contre, ces termes s’opposent : pour les uns, la médiation imposerait une conception descendante du rapport à la culture11 ; pour les autres, la démocratie culturelle serait vouée à un relativisme culturel dont les apories pratiques sont énormes. Aussi, les dissensions apparaissent une fois qu’on relie les concepts à leurs traductions pratiques (traductions largement sédimentées par les expériences passées individuelles et collectives de ces pratiques). Concordances et décalages entre mobilisation de concepts et pratiques effectives indiquent l’opportunité de proposer une analyse sociologique de l’évolution d’un secteur, comme celui des centres culturels, dans ses ambitions, ses manières de se nommer et surtout dans sa manière de susciter un ensemble diversifié de pratiques de médiation culturelle. Cette démarche concentrée sur les réalités organisationnelles et culturelles locales et concrètes est un regard, qui s’ajoute à d’autres types de regards (juridiques, philosophiques, relatifs à l’histoire des idées,…) déjà portés ou en cours d’élaboration au sujet de la médiation culturelle, des droits culturels et des centres culturels. Faire médiation culturelle représente une question qu’il convient de resituer dans sa dimension diachronique* et sa diversité contextuelle, dans ses dimensions pratiques et ses soubassements cognitifs et institutionnels.12 Comprendre les activités 9 Caune J. (2006), La démocratisation culturelle. Une médiation à bout de souffle, Grenoble : PUG, p. 19. 10 W eber distingue la “communalisation” de la “sociation”, dans la mesure où la première est une relation sociale largement fondée sur des fondements affectifs, émotionnels ou traditionnels, tandis que la seconde naît de la concordance d’intérêts partagés. (Cf. Weber M. (1995 – 1ère éd. allemande 1921), Economie et société (Tome 1). Les catégories de la sociologie, Paris : Presses Pocket, pp 78-82.) 11 n serait alors proche de ce que Caune appelle “médiation artistique” et définit comme “les actions autour de O l’œuvre artistique, qu’elles soient de l’ordre de la sensibilisation, de la présentation ou encore de la pédagogie”. Caune distingue cela de la “médiation esthétique” qui “se réalise par le biais de relations sensibles qui trouvent leur source dans des expressions et des langages artistiques” et “en appelle à un sens partagé”. Cf. Caune J., op. cit., p. 134. 12 Les mots suivis d’une “*” reçoivent une définition sommaire dans le lexique, pp. 96-97. 8 Etudes N°2.indd 8 19/11/13 14:30 Étudesn°2 de médiation artistique et culturelle implique, selon nous, de ne pas les regarder comme des expériences isolées et autonomes comme pourrait le faire un recueil d’analyses de dispositifs de médiation culturelle (réalisation utile par ailleurs, tant la circulation d’idées innovantes est un moteur à l’action).13 Outre que ces activités s’inscrivent dans une profondeur historique, elles reposent sur une certaine épaisseur sociale, qu’elle soit institutionnelle (des décrets, des modes de financement,…), organisationnelle (la composition d’un conseil d’administration, un mode de division du travail,…) ou interpersonnelle (des affinités entre deux collègues, l’engagement dans des activités militantes,…). L’enjeu de l’analyse ici est alors de rendre compte de la manière dont, de façon dynamique, activité de médiation culturelle et épaisseur sociale se rencontrent, et les configurations qu’elles adoptent. Cela implique un double point de vue théorique. D’abord, dans la mesure où on reconnaît le caractère dynamique de toute configuration, il convient d’accorder de l’importance à l’action. Malgré un large ensemble de contraintes, mais aussi de possibilités, qui dépendent peu de l’initiative individuelle, les réalités locales sont à un moment donné produites à travers les interactions d’individus qui coopèrent avec plus ou moins de bonheur. On suivra là les propositions théoriques développées à partir des mondes de l’art par Becker14 et autour de l’idée d’action organisée par Friedberg.15 Ensuite, même si, avec la plupart des acteurs de terrain, on serait tenté de dire qu’il y a autant de manières de faire de la médiation culturelle ou de l’animation socioculturelle qu’il y a de centres culturels, on ne peut s’empêcher de rappeler que, malgré le caractère localisé de toute action, l’espace dans lequel celle-ci se déploie n’est jamais tout à fait irréductible. Il renvoie à des éléments que rencontrent peu ou prou d’autres centres. Ainsi, sans pour autant vouloir rechercher des ensembles cohérents de centres culturels, ensembles qui se distingueraient nettement les uns des autres, il est possible de dégager des questionnements communs qui traversent bon nombre d’individus travaillant en centres culturels : quel rapport avoir à l’égard du politique ? ; est-il possible d’allier engagement subjectif de l’animateur et séparation sphère de travail/ vie privée ? ; etc. Aussi, pour mieux prendre en considération et analyser l’épaisseur sociale dans laquelle se déroule toute action, nous nous appuierons sur la sociologie de l’intermonde développée par Martuccelli.16 Ce point de vue théorique permet de rendre compte d’épreuves communes malgré la diversité des contextes dans lesquels se déroule l’action. Rendre compte du passé comme du présent des centres culturels, de la diversité comme du commun, de ce qui est au cœur de situations concrètes de médiation culturelle comme des contextes qui permettent de comprendre les raisons et le sens des contours adoptés par ces métiers : ces différentes oscillations impliquent de réaliser un travail d’enquête qui permet, non seulement d’accumuler des données, mais aussi de multiplier les points de vue. Cette entreprise de triangulation des données et de saturation du matériau empirique* s’est déroulée à deux niveaux. Tout d’abord, nous avons été amenés à récolter différents types de données relatives à l’histoire des centres culturels et des métiers de la médiation/animation culturelle17 : le cadre législatif des centres, des textes programmatiques parus dans des revues sectorielles ou professionnelles18, des études relatives au secteur, des données quantitatives 13 Cf., par exemple : Bardin C., Lahuerta C., Méon J.-M. (2011), Dispositifs artistiques et culturels. Création, institution, public, Lormont : Le bord de l’eau. 14 Becker H. S. (2006 – 1ère éd. américaine 1982), Les mondes de l’art, Paris : Flammarion. 15 Friedberg E. (1993), Le pouvoir et la règle, Paris : Le Seuil. 16 M artuccelli D. (2005), La consistance du social. Une sociologie pour la modernité, Rennes : Presses Universitaires de Rennes. 17 P our l’instant, nous utiliserons principalement le terme d’“animation” qui est le plus usité dans le secteur. Nous reviendrons plus loin sur cette question de définition et d’usage des termes avant d’employer ensuite, dans un sens plus générique, le terme de “médiation”. 18 N ous remercions l’équipe de l’Observatoire des politiques culturelles, et en particulier Béatrice Reynaerts, pour l’accueil et l’aide dans le dépouillement de cette littérature, majoritairement composée de textes publiés entre 1965 et 1985, période de débats intenses et de fondation des centres culturels. 9 Etudes N°2.indd 9 19/11/13 14:30 Étudesn°2 produites par la Direction des centres culturels, ainsi que des entretiens semi-directifs avec des acteurs de terrain. Le deuxième niveau de diversification des données concerne spécifiquement la campagne d’entretiens que nous avons menée, qui a d’ailleurs constitué la partie la plus importante du travail empirique. Outre la réalisation de plusieurs entretiens exploratoires avec des personnes de l’administration et d’organismes professionnels en vue d’avoir un panorama élargi et informé sur le secteur, il importait de rencontrer un nombre suffisamment important de personnes qui ne devaient cette fois plus nécessairement être bien informées sur l’évolution du secteur mais qui devaient par contre avoir un rapport quotidien avec des activités de médiation culturelle. Ceci étant, il était nécessaire de diversifier a priori toutes ces personnes selon le type de travail qu’elles réalisaient, afin de varier les contextes et les expériences de travail. Ce souci de diversification s’est porté sur plusieurs dimensions dont les principales sont : la catégorie de centre culturel ; la localisation du centre (répartition entre Bruxelles et les 5 provinces wallonnes) ; la fonction de la personne rencontrée ; l’âge et l’ancienneté19 ; le sexe. Concrètement, outre les 5 entretiens exploratoires parmi lesquels 3 se sont tenus avec des animateurs-directeurs de centres culturels, nous avons rencontré 26 animateurs (14) ou animateurs-directeurs (12) de centres culturels dans 21 centres culturels différents. Au total, nous avons donc interviewé 31 personnes (que nous remercions pour leur disponibilité) et nous nous sommes rendus dans 24 centres culturels. Ces interviews ont en moyenne duré 1h30. Elles ont été, dans la plupart des cas, précédées d’un échange de données descriptives (historique, composition de l’équipe, missions principales, ventilation budgétaire…) sur le centre culturel. L’équipe de recherche (UCL) qui a mis en place ce dispositif d’enquête et réalisé cette récolte de données était composée de : Gérard Derèze, François Lambotte, Philippe Scieur – responsable scientifique de cette étude – et Damien Vanneste. L’ensemble de ce travail empirique a été réalisé de mars à décembre 2012. Cette démarche, à travers différents états d’avancement, a par ailleurs été validée par un comité d’accompagnement composé de Nouzha Bensalah, Eric Frère et Jean-Gilles Lowies. Ce travail empirique ne peut être rendu à l’état brut dans le cadre d’une telle publication. Tout d’abord, pour des raisons de confidentialité, et étant donné le degré important d’interconnaissance des personnes au sein du secteur, nous pouvons seulement rendre compte de manière anonyme et parcellaire, à travers de courts extraits d’interviews, des profils des professionnels rencontrés. D’ailleurs, l’usage des interviews vise moins à décrire des profils (compétences, formation antérieure,…) que des expériences de travail qu’impliquent l’organisation et la réalisation d’activités de médiation culturelle. Ensuite, les contraintes liées au format de publication nous invitent à passer rapidement sur le registre descriptif pour arriver à un mode d’exposition des faits qui se situe sur un plan analytique.20 Nous avons choisi de partager cette étude en trois moments, chacun d’entre eux plaçant la focale sur une dimension particulière des métiers, à savoir : la dynamique historique (2), le contexte socio-spatial (3), l’interaction entre professionnels et usagers (4). Le chapitre 2 vise, en effet, à retracer de manière diachronique* les modes d’organisation du travail d’action culturelle. Sans chercher pour autant à produire une périodisation, tant les temporalités diffèrent d’un contexte à l’autre, on veillera à dégager un mouvement commun qui est celui de l’approfondissement de la division du travail à partir des questionnements transversaux qu’un tel processus de changement pose (à des moments différents, 19 N ous avons rencontré exclusivement des personnes encore en activités. C’est sur cette base que nous avons pu aussi bien rencontrer des personnes qui travaillent en centre culturel depuis la fin des années 1970 que des personnes qui avaient débuté depuis 6 mois. Cette démarche permet de donner une dimension rétrospective et dynamique, tout en témoignant du présent. Etant donné la reconstruction biographique qu’implique toute interview, cette démarche ne permet pas toutefois de raconter les situations passées telles qu’elles ont été vécues à ce moment. À ce niveau-là, la triangulation de ces entretiens avec des sources écrites de l’époque acquiert toute sa pertinence. 20 N ous encourageons à nouveau le lecteur qui connaîtrait peu le secteur des centres culturels à suivre les quelques suggestions de lecture que nous proposons dans certaines notes de bas de page de cette introduction. 10 Etudes N°2.indd 10 19/11/13 14:30 Étudesn°2 selon les contextes). Ce travail nous permettra de montrer qu’actuellement, derrière le terme d’“animateur”, se cache une diversité de pratiques et une spécialisation des fonctions. Ces phénomènes amènent d’ailleurs à sous-traiter auprès d’intervenants externes les tâches d’animation en contact direct avec des publics ou des participants. Après avoir tenté de comprendre les lignes de changement communes et leurs ressorts, nous chercherons dans le chapitre 3 à rendre justice à la diversité du secteur et des pratiques de médiation culturelle qui s’y déroulent. Tout centre culturel est ancré localement. Ce n’est pas juste une question de décentralisation des politiques culturelles. La composition des organes décisionnels, de même que les orientations de l’action menée, émanent largement des spécificités endogènes* de l’espace social et physique dans lequel le centre est implanté. De plus, dans une logique d’ouverture du centre à l’égard de son environnement, le centre s’inscrit dans un réseau d’acteurs locaux qu’il contribue à développer. Sur la base de cette idée, nous développerons ainsi une analyse en termes de “mondes urbains de la médiation culturelle” et montrerons qu’il y a différentes manières d’y contribuer pour un centre culturel. Cela permettra de pointer les principales lignes de segmentation interne au secteur, partiellement corrélées aux catégories de centres culturels. Enfin, dans le chapitre 4, après avoir questionné la place donnée à la médiation culturelle dans les différents contextes urbains, nous nous concentrerons sur les activités concrètes de médiation à partir des aspirations qui les motivent (du point de vue des professionnels21), des préoccupations qui se posent à elles (liées notamment au caractère souvent insaisissable du public ou des participants) et des résolutions pratiques proposées. Ce développement permettra in fine d’interroger le cheminement de la démocratie culturelle, non seulement à partir du sens qui en est donné aujourd’hui, mais surtout à partir de l’espace de contraintes et de potentialités qui transforme peu ou prou les formes concrètes dans lesquelles ce projet d’émancipation individuelle et collective peut s’incarner.22 21 N ous ne développons pas le point de vue des publics ou participants à l’action culturelle. Cela aurait exigé un travail empirique à part entière. Néanmoins, nous aborderons dans le texte la manière dont les professionnels prennent ou non en compte ce point de vue (en termes d’évaluation de leur action, notamment). 22 N ous remercions toutes les personnes qui ont effectué un regard critique sur les versions antérieures de ce texte. Un merci particulier à Jean-Gilles Lowies pour les échanges réguliers et soutenus au cours de la réalisation de ce travail. 11 Etudes N°2.indd 11 19/11/13 14:30 Étudesn°2 2. Évolution des métiers de la médiation culturelle en centre culturel – approfondissement de la division du travail d’action culturelle Les centres culturels représentent les espaces pluriels de la démocratie culturelle. Ces espaces sont fortement territorialisés. Telle est en tout cas la principale ligne directrice du référentiel impulsé au niveau institutionnel depuis plus de 40 ans. Malgré les diverses reformulations, cette ligne touche intimement l’horizon actuel des centres.23 Leurs contours locaux sont cependant multiples. Cette diversité est dès le départ encouragée par l’ancrage territorial qui forge l’esprit même des centres. Pourtant, elle émane également d’origines plus indirectes ou d’aspects moins maîtrisables : il s’agit en l’occurrence de la plasticité du cadre réglementaire, des effets propres des instruments de reconnaissance des centres et des éléments de contingence locale. Cette diversité s’est vue reconfigurée au cours de ces quatre décennies. Ce travail n’est pourtant pas l’œuvre unique de cadres réglementaires, de structures locales, ou d’évolutions sociétales. Il relève aussi de l’engagement d’hommes et de femmes dans ces contextes d’action. Ces personnes sont nombreuses et opèrent à différents niveaux : membres de conseils culturels, inspecteurs, fonctionnaires,… Parmi elles, existe une catégorie spécifique, celle des personnes sur lesquelles repose une grande part des attentes relatives au bon fonctionnement du secteur : les professionnels actifs dans les structures locales. Chez ces derniers, un métier est considéré comme moteur, dans les textes normatifs* et sur le terrain, celui des animateurs. Analyser la profession d’animateur en centre culturel pour ensuite comprendre en quoi elle “fait” médiation artistique et culturelle nous amène à observer la manière dont elle s’est inscrite dans une division du travail d’action culturelle. Pour reprendre le questionnement proposé par Becker au sujet des mondes de l’art, il convient de se demander “comment les participants se répartissent-ils les tâches”24 de l’action culturelle et de rendre compte de quelle place occupent les animateurs dans la réalisation de ce faisceau de tâches. Pour ce faire, il convient de revenir à la figure originelle de l’animateur socioculturel, de rendre compte de la manière dont elle s’est effectivement incarnée, et donc inscrite, dans des configurations relationnelles particulières. De là, nous pourrons alors mieux comprendre comment un approfondissement de la division du travail s’est opéré au cœur de la plupart des centres culturels, en même temps qu’ils prenaient de l’ampleur et se transformaient. Cette dynamique, synonyme de professionnalisation et de spécialisation, a donné une place nouvelle aux métiers de l’animation dans les centres culturels. Alors que leur appellation demeurait inchangée, leurs pratiques évoluaient considérablement. Aussi, au final, ces transformations nous amènent à revenir au questionnement initial en nous demandant non seulement ce que recouvre ce métier dit d’“animateur”, mais aussi plus largement en nous demandant comment se déroule la division du travail de médiation artistique et culturelle et qui y participe, à considérer que toutes ces personnes ne sont pas nécessairement membres de ce qu’on qualifie comme “l’équipe” du centre culturel. 23 Direction générale de la Culture – Fédération Wallonie-Bruxelles, op. cit. 24 Becker H. S., op. cit., p. 33. 12 Etudes N°2.indd 12 19/11/13 14:30 La dynamique de création des centres culturels vise, dès son origine, à instituer une fonction sociale à part entière, celle d’animation socioculturelle. De là découle le projet de constitution d’un groupe professionnel susceptible de remplir et garantir cette mission. Il convient de revenir d’abord sur les lignes de force intellectuelles de ce projet avant de voir, ensuite, les conditions institutionnelles posées pour le réaliser. Cela nous amènera dans un troisième temps à mieux comprendre comment ces projet et dispositifs se sont traduits véritablement en pratiques professionnelles quotidiennes. Ce parcours nous permettra de pointer quel type de groupe professionnel est visé à l’origine des centres et comment ce groupe se définit autour d’un rapport particulier à la société, largement fondé sur l’idée d’égalité plus que sur celle de hiérarchisation des expertises. Étudesn°2 2.1. RETOUR SUR UN RÉFÉRENTIEL DE MÉTIER – “L’ANIMATEUR SOCIOCULTUREL” COMME CATÉGORIE FONDATRICE 2.1.1.INSTITUER LA DÉMOCRATIE CULTURELLE – POUR UNE CONCEPTION MAÏEUTIQUE* DE L’ACTION CULTURELLE L’expression de “démocratie culturelle” mériterait à elle seule une étude spécifique, tant il conviendrait de se pencher sur ses origines, ses rapports avec la “démocratie sociale” belge, sa manière de renouveler une réflexion relative à un espace démocratique autonome par rapport au champ politique… Il conviendrait tout autant de cerner les concrétisations et les lignes de fuite actuelles de cette “démocratie culturelle”. En reparler ici25 a pour but de comprendre le sens des activités menées par les animateurs socioculturels au nom de ce référentiel. Éclaircir cela devrait nous aider à emprunter une perspective diachronique* pour approfondir ensuite la question des modalités d’existence (métier, organisation,…) de la médiation artistique et culturelle. La démocratie culturelle, telle qu’incarnée par les fondateurs des centres culturels, ou telle que promue de manière déterminée par Marcel Hicter, doit être comprise comme un projet de transformation de la société. Une erreur serait de la considérer comme l’importation de processus démocratiques à un secteur d’activités déjà constitué que serait la culture.26 Il s’agit fondamentalement de bien plus que cela puisque l’enjeu n’est ni plus ni moins de produire par l’action culturelle une nouvelle société, plus consciente d’elle-même. Ce projet s’appuie donc sur l’action culturelle mais sa finalité déborde le champ culturel stricto sensu. Prenant acte des tendances sociologiques de fond (liées à l’avènement de la civilisation des loisirs, de la société postindustrielle*,…), cette démocratie culturelle vise à produire l’autonomisation de l’action culturelle afin de renforcer la capacité de la société à agir sur elle-même, à renforcer son “historicité” dirait Touraine.27 Pour comprendre très concrètement l’implication et l’objectif des hérauts de la démocratie culturelle, on peut reprendre un hommage rendu lors du décès de Thérèse Mangot qui, après avoir été “chargée de mission” pour le Ministère de la Culture française, a dirigé le service des centres culturels au sein de la Communauté française. 25 L e fait de s’attarder davantage sur le référentiel de démocratie culturelle plutôt que sur celui de démocratisation de la culture résulte du fait que le premier a été considéré comme une finalité première par la plupart des précurseurs des centres culturels à leurs débuts. Le référentiel de démocratisation n’était certes pas absent – il était d’ailleurs présent dans le plan Wigny qui a en partie guidé l’orientation des centres culturels. Cependant, même s’il a été traduit dans de multiples activités concrètes organisées par les centres, pour les acteurs de la fondation des centres culturels, il représentait surtout une finalité envers laquelle il convenait de prendre ses distances. 26 À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler qu’à l’époque, au sein du Ministère de la Culture française, les Maisons de la Culture étaient gérées par la Direction générale des Arts et des Lettres, tandis que les Foyers culturels l’étaient par la Direction générale de la Jeunesse et des Loisirs. Marcel Hicter était responsable de cette dernière. Cela témoigne qu’au départ d’une politique de la jeunesse qui pourrait apparaître strictement sectorielle, c’est bien une vision d’ensemble qui est portée. 27 Touraine A. (1993 – 1ère éd. 1973), Production de la société, Paris : Le Seuil. 13 Etudes N°2.indd 13 19/11/13 14:30 Étudesn°2 “[…] elle a joué un rôle décisif dans la mise sur pied et dans la pensée critique et instauratrice des centres culturels de la Communauté française. Tout s’origine pour elle et avec ses amis dans la notion et l’activation de la démocratie culturelle. “Il s’agit, précise-t-elle, d’autonomiser la culture par rapport aux piliers sociaux-philosophiques comme les Eglises et le mouvement ouvrier organisé, mais aussi de marquer la distance par rapport aux lieux artistiques habituels, principalement fréquentés par une bourgeoisie très cultivée”. Elle y voit l’occasion et la pérennisation de la singularité affirmative de soi et de son potentiel créatif, et de la solidarité active, condition indispensable de toute vie collective et individuelle.”28 À travers ce court extrait, on remarque aisément que la démocratie culturelle est un projet de production d’un espace démocratique autonome subjectif et collectif d’émancipation par rapport aux appartenances sociales, et même par rapport à l’État. Dans ce cadre, l’“animation socioculturelle” doit moins être considérée comme un projet que comme une pratique, voire un ensemble de techniques, qui vise à susciter cette démocratie culturelle.29 Le milieu de vie apparaît par ailleurs important puisque c’est à partir de là que peut émerger le “développement communautaire”, le principal objectif de la démocratie culturelle. L’animation socioculturelle vise ainsi à soutenir un processus, individuel et collectif, d’expression de soi et d’une communauté. Comme l’indique (dans les années 1970 également) Jousselin à propos des politiques pour la jeunesse, c’est le passage d’une pédagogie à une maïeutique* que consacre cette idée d’animation socioculturelle. “La première est toujours marquée par son origine : le pédagogue qui, esclave, doit protéger l’enfant et le conduit au gymnase où des maîtres, en lui imposant une discipline, en feront leur disciple et, par cette dépendance, le conduiront, à son tour, vers l’état d’homme libre… l’intégrant pour cela à la société et à son ordre. Quant à la maïeutique, elle est cet art, réaliste et vital, par laquelle des hommes sont accouchés de tout ce qu’ils possèdent à leur insu […].”30 On retrouve là le même type de critique de la relation pédagogique que propose, de manière approfondie, Rancière à partir de la figure du “maître ignorant”.31 Pour Rancière, la relation pédagogique n’est que reproduction de l’inégalité intellectuelle entre le maître et l’élève puisque le maître est toujours le seul à savoir ce que l’élève doit savoir, et, de la sorte, est le seul à maîtriser la distance qui sépare l’élève de sa position de maître. Le “maître ignorant” emprunte un chemin inverse puisqu’il part d’une égalité intellectuelle entre le maître et l’élève ; si inégalité il y a entre les deux, elle est uniquement situationnelle, le contexte permettant à celui qui endosse le statut de “maître” de donner une injonction à celui qui endosse le statut d’“élève”. On retrouve là un point de départ proche de celui de la figure de l’animateur telle qu’elle est projetée dans le cadre du projet de démocratie culturelle. S’il y a différenciation de rôle, il n’y a pas d’inégalité intellectuelle première. Ce qui importe est plutôt de déplacer les lignes, de mettre en mouvement. 28 D ans cet hommage, Pierre Ansay cite l’extrait d’une communication de Thérèse Mangot réalisée en 2000 pour le Conseil de l’Europe. Cf. Ansay P. (2006), “Thérèse Mangot. Quand une Juste nous quitte”, La Revue Nouvelle, n° 7-8, p. 8. 29 Ingberg H. (1975), “Former des animateurs socio-culturels en milieu populaire”, JEB points 1, pp. 27-28. 30 J ousselin J. (1974), “Renouveau du mouvement de la jeunesse et fin des mouvements de jeunesse ?”, Cahiers JEB, 18ème année, n° 1-2, p. 21. 31 Rancière J. (2004 – 1ère éd. 1987), Le maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Paris : 10/18. 14 Etudes N°2.indd 14 19/11/13 14:30 Moi aussi, c’est peut-être finalement la seule chose qui me rassure. Ce n’est pas énorme, mais voilà qu’on se met à payer des gens qui ont pour tâche de mettre en mouvement. On ne les enferme plus dans des tâches concrètes, on permet socialement d’animer. Et puis, il y a la première phrase de l’arrêté. Il est quand même écrit officiellement qu’on considère que “l’éducation permanente constitue l’essentiel d’une politique culturelle.” À partir de tout cela, il appartient aux animateurs de faire que les gens se battent sur ces termes, qu’ils remplissent d’un contenu ces mots qui, jusqu’à présent ne sont pas trop prédéfinis. Il devient possible, il devient inévitable de se mettre en mouvement face à ces termes de diffusion, d’animation, d’éducation permanente. On peut se mettre à définir les contenus. [Thérèse Mangot]”32 Étudesn°2 “- […] Maintenant, l’animateur culturel existera… Ces institutions nouvelles vont secréter toute une nouvelle catégorie de personnes, cela deviendra un groupe, un statut, une fonction dans la société. C’est un pas important qui influencera l’avenir. [Pierre Weisgerber] Le projet institutionnel33 de démocratie culturelle s’accompagne ainsi de l’idée, finalement assez fonctionnaliste*, qu’il pourra exister grâce au développement d’un groupe professionnel dont le geste fondamental est celui de l’animation socioculturelle porté dans des contextes socio-spatiaux multiples et toujours marqués par leur singularité relative. Comme le souligne Henry Ingberg, “[l]’animateur culturel doit agir dans son domaine propre comme facteur de développement et de changement de et par une communauté.”34 Le souffle idéologique de la démocratie culturelle associe ainsi une finalité sociétale et son incarnation dans des personnes dotées d’une vocation professionnelle, cette combinatoire étant idéalement propre à de nombreux groupes professionnels35. Pour se concrétiser durablement, cette configuration idéologique a dû s’appuyer sur des dispositifs organisationnels. Aussi, avant de voir comment les individus ont traduit ses ambitions sur le terrain, il importe de voir comment s’est pensée la structuration professionnelle de l’animation socioculturelle à ses débuts. 2.1.2. V ERS UNE STRUCTURATION PROFESSIONNELLE – FORMATIONS, RÉFÉRENTIEL DE MÉTIER ET RÉSERVE DE RECRUTEMENT Les porteurs du projet de la démocratie culturelle se sont très vite posé les questions organisationnelles nécessaires pour concrétiser leur ambition. L’institutionnalisation des centres culturels (alors maisons de la culture et foyers culturels) en est certainement une des premières étapes marquantes. D’ailleurs, elle s’est accompagnée de nombreux débats sur les modalités organisationnelles et financières de ces structures locales. Parallèlement à ces questions, se sont développées des réflexions visant à produire et garantir à la fois l’autonomie* des centres et celle des professionnels dans l’exercice de leur métier. La produire signifie, notamment, en assurer les ressorts cognitifs. La garantir signifie éviter, tant que possible, les multiples tentatives d’ingérence externe dans l’exercice de l’animation socioculturelle, pour des motifs autres que ceux qui lui sont propres. 32 E xtraits d’échanges tenus à l’occasion d’une “table ronde d’animateurs et fonctionnaires autour de la signification de l’arrêté royal du 5 août 1970” parus dans : Cahiers JEB (1971), “Foyers culturels et Maisons de la Culture”, 15ème année, n° 1-2, pp. 35-36. 33 “ Institutionnel” doit ici être compris au sens fort du terme, en opposition à “organisationnel”. L’institutionnel est le lieu qui institue, fait exister, une dimension fondamentale de la vie collective, alors que l’organisationnel est un territoire d’action défini prioritairement par ses exigences de pérennisation et d’adaptation à son environnement. 34 Ingberg H. (1971), “L’animation culturelle : quelques approches”, Cahiers JEB, 15ème année, n° 3, p. 143. 35 Dubar C., Tripier P., Boussard V. (2011), Sociologie des professions, Paris : Armand Colin. 15 Etudes N°2.indd 15 19/11/13 14:30 Étudesn°2 En termes cognitifs, la période qui s’étend du milieu des années 1960 à la fin des années 1970 a été à la fois agitée et productive. Sans revenir sur les événements sociétaux de la période et les bouleversements culturels y afférents, on doit noter le foisonnement des débats, mais aussi des expérimentations propres au champ de la démocratie culturelle. Ces discussions et controverses se donnent à voir notamment dans des revues, comme les Cahiers JEB, où les dimensions analytiques et normatives sur et pour l’action culturelle ne cessent de se côtoyer, de se confronter, et de s’enrichir mutuellement. S’y juxtaposent en effet des comptes-rendus d’études ou d’ouvrages sociologiques, des témoignages d’animateurs, des débats ou encore des analyses prospectives débouchant sur des pistes opérationnelles. Cette revue pose de plus la nécessaire question des formations aux métiers de l’animation culturelle en proposant le cas échéant des pistes d’action. Présente régulièrement depuis le premier numéro de la revue en 1957 (notamment, à travers la problématique des moyens d’action pour l’éducation populaire), la question des formations est l’objet de numéros spécifiques dans le courant de la première décennie d’existence des centres culturels. Le “JEB points 1”, rédigé par Henry Ingberg en 1975, s’intitule “Former des animateurs socio-culturels en milieu populaire”, tandis que le “JEB points 5” (non daté, mais vraisemblablement publié en 1978 ou 1979), qui est une contribution collective36, s’intitule “La formation des animateurs et des administrateurs culturels”. Il s’agit à chaque fois de comptes-rendus prospectifs d’études réalisées avec le concours de l’UNESCO, d’une part, du Conseil de l’Europe, d’autre part. Y sont posés des constats mais aussi de nombreuses questions stratégiques : quelles valeurs promouvoir ? Quel cadre institutionnel ? Quelles modalités pédagogiques ?…. Malgré le caractère substantiel de ces réflexions et dispositifs d’apprentissage, il est difficile d’en évaluer la portée directe auprès des individus engagés dans le secteur et la pérennité historique. Quoi qu’il en soit, ce travail cognitif collectif et organisé conduit au tournant des années 1970-1980 à l’adoption de mesures relatives aux compétences requises en vue d’entrer dans la profession. Le numéro 7-8 de la revue “Pointillés”37 consacré au “Recrutement d’animateurs pour les centres culturels” amène de nombreuses précisions sur différentes modalités choisies non seulement pour promouvoir le métier d’animateur mais aussi pour en garantir l’exercice et sa qualité. Il y est notamment présenté un référentiel de métier intitulé “Compétences requises de la part d’un animateur de maison de la culture ou de foyer culturel dans le cadre de la réserve nationale de recrutement” (p. 8). Ce référentiel de 1978 met prioritairement en évidence les compétences attendues en matière d’animation (5 compétences sur 7 sont explicitement de ce ressort38). Ce référentiel est produit en parallèle à la réorganisation des modalités de recrutement des animateurs. Sans entrer dans des considérations techniques sur la composition des jurys ou les détails de la procédure d’examen, il importe de relever deux phénomènes. D’abord, il convient de souligner l’absence de liaison automatique entre la détention d’un diplôme et l’accès à cette réserve de recrutement. Malgré l’importance d’un tel lien dans la définition fonctionnaliste* des professions, son absence permet de préserver une indépendance entre un secteur d’activités et des exigences propres au monde de la formation. Ensuite, il faut tout simplement souligner l’existence même de cette réserve de recrutement et ce, jusqu’au début des années 1990. Sa raison d’être est bel et bien professionnelle, au sens fort du terme, puisque “l’objectif à court terme reste d’échapper à l’arbitraire personnel ou politique dans les désignations, ainsi que d’assurer aux animateurs une force suffisante dans leurs relations avec l’organe 36 Les auteurs sont : Pierre Gordinne, Étienne Grosjean, Henry Ingberg, Paule Manigart, Pierre Weisgerber. 37 Il s’agissait de la revue du Ministère de la Culture française. 38 Q ui plus est, pour ce qui est de la compétence de type gestionnaire, il est indiqué qu’il convient de “démontrer sa capacité […] de chiffrer les actions programmées, de comprendre et de superviser l’établissement d’un budget et d’un bilan comptable (sans devoir soi-même tenir une comptabilité complète).” Ce type de précision indique indirectement que la priorité demeure bien l’animation socioculturelle et non pas la gestion d’une structure culturelle. 16 Etudes N°2.indd 16 19/11/13 14:30 Progressivement, cette question de la professionnalisation apparaît moins clairement. À tout le moins, avec le décret de 1992, elle n’est plus portée par l’État (la Communauté française, en l’occurrence). Dans le même temps, il est possible qu’elle devienne davantage portée par les professionnels eux-mêmes plutôt que par des garants extérieurs à eux. C’est en effet en 1992 qu’est créée l’ASTRAC.40 Reste à voir si ses enjeux sont de ce type-là ou sont plutôt d’ordre organisationnel ou d’emploi. En tous les cas, le mouvement de la Communauté française sur les centres culturels semble être de cet ordre. La question de l’autonomie* des structures locales demeure présente dans le décret de 1992. Néanmoins, en même temps que les dynamiques qui sont induites par ce décret renforcent les contours (politiques, gestionnaires et financiers) de l’organisation locale, la question de la professionnalisation n’apparaît plus véritablement comme enjeu primordial pour mener à bien les finalités de cette politique culturelle. Avant d’en venir à l’évolution des métiers de l’animation dans ce contexte-là, il importe de s’intéresser aux représentations des pratiques professionnelles au cours des années de fondation des centres culturels et d’ambition de professionnalisation. Étudesn°2 de gestion : ce qui ne peut se faire que par la reconnaissance, par l’appartenance à la réserve de recrutement, d’une compétence professionnelle minimale.”39 Malgré la confiance réitérée dans ces différentes revues aux expérimentations locales et au suivi d’observations de celles-ci, s’exprime à nouveau bien l’idée que l’existence même d’une autonomie* professionnelle de l’animation passe par des garanties, en particulier celles que peut poser l’État (face aux pouvoirs locaux). 2.1.3. L’INSCRIPTION PRIORITAIRE DE LA DÉMOCRATIE CULTURELLE DANS LES PRATIQUES PROFESSIONNELLES Les cadres idéologique et institutionnel qui visent à faire advenir la démocratie culturelle inscrivent tous deux la question de la professionnalisation de l’animation socioculturelle comme enjeu. Celle-ci n’est pas à considérer comme la formulation d’une expertise culturelle qui se distinguerait de pratiques et jugements profanes. Il s’agit plutôt de produire un espace d’action suffisamment autonome par rapport à toute forme d’ingérence. C’est seulement au cœur d’un tel espace d’action que pourra, grâce au travail d’animateurs compétents et adhérant aux objectifs de démocratie culturelle, se pratiquer l’expérience maïeutique*, individuelle et collective, des mouvements socioculturels, c’est-à-dire des dynamiques subjectives, à la fois sensibles, critiques et créatrices. Le cadre institutionnel paraît parfois éloigné de la réalité de terrain, tant les pratiques professionnelles s’appuient davantage sur un apprentissage sur le tas que sur un parcours de formation bien précis. Néanmoins, il est rarement absent, tant la présence des chargés de mission (du Ministère de la Culture française de l’époque) est régulièrement évoquée, tant les idées et ambitions circulent largement dans le secteur (ce qui in fine est quand même largement supporté par un dispositif institutionnel propice à cela). Qui plus est, au niveau institutionnel, la prudence est toujours de mise pour rappeler que les avancées dans l’institutionnalisation du secteur ne peuvent s’opérer qu’à partir des observations régulières des pratiques de terrain. Il s’agit là d’une dynamique propre à l’innovation puisque le cadre idéologique original et programmatique ne cesse de se confronter aux pratiques concrètes, et réciproquement. Cet enjeu de confrontation s’avère d’ailleurs reconnu, et par les acteurs de terrain, et par les acteurs du Ministère de la Culture française. La pratique concrète de l’animation socioculturelle semble enrichir cette dynamique de trois phénomènes spécifiques, qui sont congruents par rapport à l’ambition idéologique 39 Ingberg H. (1977), Pointillés, n° 2, cité in Pointillés, n° 7-8, 1978, p. 4. 40 Association des Travailleurs en Centres culturels. 17 Etudes N°2.indd 17 19/11/13 14:30 Étudesn°2 et institutionnelle de démocratie culturelle : une conception des centres culturels comme espaces singuliers et, corrélativement, une représentation vocationnelle du métier d’animation socioculturelle ; une dynamique d’apprentissage non formalisé, “sur le tas” ; et enfin une conception globale et unitaire de l’action socioculturelle. Les centres culturels sont, à plus d’un titre, considérés comme singuliers. Dans le champ large du culturel, ils s’affirment clairement comme alternative à l’hégémonie des industries culturelles et à la logique marchande. Cette prise de distance est double. Elle porte d’abord sur les contenus du culturel, valorisant plutôt les cultures populaires dans leur dimension endogène* ou la culture au sens artistique et patrimonial du terme, que les productions culturelles largement valorisées par les canaux médiatiques de diffusion (en particulier la télévision et la publicité). Elle se pose ensuite sur le rapport à la culture, valorisant, comme on l’a dit, une approche maïeutique* ou participative, posant un regard critique sur les attitudes de consommation culturelle, par définition aliénées, que formate la “société du spectacle”.41 Dans le champ plus restreint des politiques culturelles, les centres se distinguent d’autres opérateurs subventionnés en valorisant l’adoption d’un caractère pluriel, kaléidoscopique, face à la logique de spécialisation disciplinaire, et en soutenant, évidemment, des finalités d’action basées sur les ressorts de la démocratie culturelle autant que sur ceux de la démocratisation de la culture ou du soutien aux artistes professionnels. Productions culturelles marchandes, culture “institutionnelle” et culture strictement artistique constituent donc des contre-projets, repoussoirs plus ou moins forts, à partir desquels l’originalité du projet “centres culturels” est susceptible de s’affirmer d’autant mieux. Ce projet contient un rapport à la culture qu’il convient de construire et soutenir. C’est dans cette dynamique que va s’inscrire la vocation “socioculturelle” de nombreux animateurs des années 1970-1980 qui aujourd’hui s’amusent à se qualifier de “dinosaures” des centres culturels. “[J]e pense en tout cas pour ma propre part qu’on n’atterrit jamais dans un centre culturel par hasard. Je crois que c’est le fruit d’une évolution d’une personne autant que de ses valeurs, que de sa formation mais je pense que ça a toujours à voir avec un idéal. […] Pour moi, l’animation d’abord et avant tout, c’est souffler sur la braise qui est là. Je crois que c’est ça le sens d’“animer” et donc ce n’est pas venir avec la proposition de quelque chose à consommer, que ce soit même un spectacle et qu’il soit aussi magnifique, humain, profond. Donc l’animation, c’est vraiment ce qui suscite le cheminement, d’une personne ou de plusieurs personnes ensemble.” (Animateur-directeur, a) Parmi les plus anciens animateurs rencontrés, nombreux sont ceux dont le parcours professionnel s’est presqu’entièrement déroulé dans le secteur des centres culturels. Parfois, certains ont travaillé antérieurement dans un autre secteur d’activités ; dans ce cas, ils ont généralement été assistant social, enseignant ou animateur dans un mouvement d’éducation permanente. En regardant en arrière, au-delà de la diversité de l’attachement idéologique qu’ils peuvent avoir conservé ou non à l’égard de l’idée d’“animation socioculturelle”, ils soulignent tous le fait que leur vocation professionnelle se traduisait dans des pratiques de travail concret assumées positivement : une priorité donnée au “terrain”, une démarche de “sollicitation des citoyens”, un contact direct avec les associations, une co-construction des actions culturelles menées, des moments d’“animation” directe,… Non pas que ces dimensions n’existent plus aujourd’hui. Ce qui importe est de reconnaître qu’à l’époque, le travail était prioritairement composé de ces différentes dimensions, voire s’y résumait. 41 Debord G. (1992 – 1ère édition originale 1967), La Société du Spectacle, Paris : Gallimard. 18 Etudes N°2.indd 18 19/11/13 14:30 Hormis dans les situations marquées par l’hégémonie du pouvoir local dans le fonctionnement du centre culturel, ces animateurs soulignent régulièrement la chance et le bonheur qu’ils ont eu de pouvoir travailler dans ce secteur au moment de son émergence (et ce, sans pour autant développer un discours de type nostalgique). Revient régulièrement cette idée que “tout (ou presque) était possible”. L’inventivité et l’implication semblaient être les maîtres-mots. Ces remarques informent du rapport entre profession et formation. Même si des formations ont été suivies par certains, la plupart d’entre elles ne relevaient pas directement de l’“animation socioculturelle”. Sont surtout valorisées les idées d’“apprentissage sur le tas” et de “droit à l’erreur”. Pourtant, rares sont les personnes qui étaient tout à fait des néophytes de l’animation, comprise au sens large. Certains avaient été militants dans des mouvements d’éducation permanente, d’autres pratiquaient le travail social, d’autres encore avaient fait leurs armes dans les mouvements de jeunesse. Étudesn°2 “C’était vraiment un travail d’animateur, c’était vraiment un travail de terrain. La structure n’existait pas. C’était vraiment un travail de rencontres. Aller à la rencontre des citoyens, essayer de mettre sur pied des projets, avec les associations, avec les gens. Par exemple, un des premiers projets, en 1981, le premier gros projet qu’on a fait, c’était d’acheter un autobus, un vieil autobus, qu’on a équipé en petite salle itinérante et avec lequel on a été dans 14 quartiers faire des animations. Et donc 40 ans après, il y a des gens qui se souviennent encore du bus où il était inscrit “Foyer culturel”. Ça a fait l’image du Foyer. Et puis, il y a eu les fameux cours d’informatique etc. etc.” (Animateur-directeur, b) “J’ai fait des humanités musicales, j’ai travaillé la flûte traversière, j’ai fait le Conservatoire Royal à Mons, je n’ai pas été jusqu’au bout parce que j’ai fait mon service civil et juste après j’ai été engagé. Voilà. Et je viens d’une famille de musiciens aussi. […] Donc effectivement je n’ai aucun diplôme valable. Si je venais ici maintenant, je ne pourrais pas être engagé dans un centre culturel comme celui-ci parce que je n’ai pas les diplômes. […] Et alors l’animation je l’ai plus acquise dans, j’étais très investi dans les mouvements scouts et quand je suis arrivé dans mon village c’est un moment où les scouts catholiques ont viré un peu à droite et on a créé une maison de jeunes. C’est dans cette dynamique-là qu’on faisait des cinéclubs dans le village et [l’ancien directeur] faisait des projections de cinéma 16mm et c’est comme ça qu’on s’est rencontrés.” (Animateur, a) Plus ou moins politisée, l’expérience des animateurs de cette période combine engagement dans la vie collective et usages ordinaires et convaincus de l’animation comme acte de médiation entre l’individu et le collectif. Cette expérience initiale était généralement considérée comme une compétence susceptible d’être transférée au sein du centre culturel et ce, de manière peu procédurière. Cette continuité des parcours individuels (entre expériences de jeunesse et entrées dans la vie active) va de paire avec une continuité de l’action et une conception globale de celle-ci. Autant, nous le verrons, la division du travail apparaît à un moment donné comme une nécessité, qui a posteriori est souvent perçue de manière positive, autant il importe ici de resituer quelques raisons de cette première modalité d’action, globale et unitaire. La première réside dans la taille de la structure. Cette dernière, souvent composée exclusivement d’animateurs, est de petite taille et concourt à une interconnaissance réciproque très grande du travail de chacun. La deuxième réside dans la primauté accordée à la logique d’animation socioculturelle. L’action culturelle y est nécessairement perçue comme un acte global. En effet, il s’agit moins de produire une action pour un public que de considérer l’action culturelle comme un processus collaboratif de co-production. Enfin, la troisième raison réside dans la vocation professionnelle des animateurs qui se traduit par un engagement personnel 19 Etudes N°2.indd 19 19/11/13 14:30 Étudesn°2 très fort. En d’autres termes, si l’action culturelle est un processus plus qu’un moment précis, elle est également une dynamique qui englobe l’ensemble des dimensions de la vie de l’animateur. “Je vais prendre une activité qui dure depuis toujours et que j’ai vraiment commencée. En fait je suis parti de l’idée du loisir actif pour permettre aux gens d’être créatifs et de ne pas être un consommateur mais un acteur donc je suis parti de l’idée d’apprendre un instrument sans solfège. L’idée c’était donc : moi-même je joue de la guitare et j’ai appris sans solfège. Je voulais donner ça aux autres tout en faisant des groupes parce que évidemment dans le travail socioculturel, c’est le tissu entre les gens qui est intéressant et je me suis dit “tiens, si on pouvait faire une autre manière d’apprendre la musique avec un côté convivial, ça serait bien”. Donc je me suis lancé à donner des cours dont l’idée était d’apprendre la technique – ça c’était sous-jacent évidemment – mais c’était aussi de créer du lien entre les gens. Donc les premiers cours qu’on a donnés c’était directement assez festif. On terminait, on fêtait les anniversaires, on allait au café après, on allait au restaurant une fois l’année, etc. Donc c’était le but du jeu, ça a très bien marché mais j’ai remarqué vite que j’étais dépassé puisque, malin comme je suis, j’ai été lancer quelque chose où j’étais à la fois l’organisateur et l’animateur.” (Animateur, b) Les trois dimensions qui permettent de considérer le travail d’action culturelle de manière globale et unitaire se sont généralement transformées. En tous les cas, elles ne se présentent plus que très rarement ensemble au cœur des pratiques professionnelles. Dès la fondation des centres culturels, d’autres configurations et d’autres conceptions du métier d’animateur ont également existé. Nous avons mentionné les craintes régulièrement réitérées de voir les centres culturels colonisés par des intérêts localistes. Ces craintes n’étaient pas de l’ordre du fantasme. Si de nombreux centres culturels sont nés de mobilisations associatives locales, d’autres émanaient de services culturels communaux. Ces différences semblent être demeurées consistantes jusqu’au milieu des années 1980. Par la suite les évolutions des centres sous l’impulsion de leurs directeurs ont rendu moins pertinent ce “déterminisme” de l’origine. Nous n’avons pas vraiment pu nous confronter directement aux conceptions du travail élaborées dans de tels contextes car la plupart des personnes ayant travaillé à ce moment-là, d’une part, ne travaillent plus dans le secteur ou sont retraitées et, d’autre part, n’ont pas construit leur identité professionnelle autour d’une spécificité “centres culturels” (ce qui réduit très fort les chances d’avoir de tels représentants dans notre échantillon empirique). Quoi qu’il en soit, des comptes-rendus indirects (interviews, écrits, analyses,…) témoignent encore de la manière dont certains centres culturels étaient au départ inféodés au pouvoir local en place. Il apparaît que, du coup, les personnes qui travaillaient pour ces organes qui ressemblaient davantage à des “services communaux de la culture” aient joué des rôles d’organisateurs, soit de spectacles (dans le cas de certaines Maisons de la Culture), soit de fêtes populaires (dans le cas de foyers culturels). Cette déviation des buts rend patente la difficulté de promouvoir la démocratie culturelle, entendue notamment comme espace d’expression de toutes les formes culturelles. Ouvrant la voie à une certaine forme de relativisme42, elle peut laisser entrer des formes culturelles, inscrites dans les pratiques populaires, qui pourtant s’avèrent éloignées du caractère endogène* attendu de ces pratiques tant louées. 42 P asseron J.-C. (2006 – 1ère éd. originale 1991), “Figures et contestations de la culture. Légitimité et relativisme culturel”, in Passeron J.-C., Le raisonnement sociologique. Un espace non poppérien de l’argumentation, Paris : Albin Michel, pp. 445-508. 20 Etudes N°2.indd 20 19/11/13 14:30 “La notion de développement communautaire a fait son chemin, ne fût-ce que comme référence. Un peu partout, se sont développées des activités qui peuvent se situer dans cette perspective. Dans la plupart des cas, c’est à la faveur d’événements régionaux ou nationaux que les Centres Culturels ont pu trouver un ancrage pour agir en ce sens : l’aménagement du territoire, la fusion des communes, la fermeture d’écoles rurales, le chômage, la présence d’immigrés, etc. Étudesn°2 Hoggart43, en étudiant l’évolution de la culture populaire en Angleterre, l’avait suggéré en pointant déjà que le rapport entre mass-media et culture populaire n’était ni un conditionnement de la seconde par les premiers ni deux logiques irréductibles. Or, il semble que les fondateurs des centres culturels aient postulé une dissociation implicite entre pouvoir local et culture populaire locale44, et qu’ils aient développé une grande inquiétude à l’égard des rapports à l’œuvre entre culture médiatique et culture populaire. Dix ans après la mise sur pied des centres culturels, leur valorisation d’un populisme communautaire est amenée à être réévaluée. Par ailleurs, depuis 1973, un étrange glissement s’est opéré dans le style des activités. On assiste à un délaissement progressif du travail dans le sens d’une démocratisation de la culture (accès aux œuvres, créativité,…) pour l’organisation d’activités de loisirs plus “populistes” (fêtes, kermesse) et “passéistes” (exposition d’objets divers anciens). C’est comme si le slogan : “il faut partir de la vie quotidienne des gens” avait stoppé toute tentative relevant de l’approche artistique au bénéfice d’activités “accessibles”, de festivités. Il n’est pas évident que ce soit réellement un gain.”45 Cette problématique des contradictions de la démocratie culturelle, entre populisme encouragé et critique des pratiques culturelles populaires “trop localistes” ou “trop formatées” par les mass-media, revient à divers moments comme une question pratique à régler au sein des centres culturels. Si elle continue à être structurante aujourd’hui, elle ne semble pas être le point cardinal des changements opérés dans les centres culturels. Le changement qui apparaît davantage, au regard des 40 années d’évolution des centres culturels, relève plutôt du passage d’une conception des centres entièrement organisés autour de l’idée d’animation socioculturelle et des pratiques collaboratives ouvertes que cela impliquait vers des centres culturels conçus comme des espaces professionnalisés d’action culturelle pluridisciplinaire. 2.2. C ROISSANCE DES CENTRES CULTURELS ET DIVERSIFICATION PROGRESSIVE DES MÉTIERS Hormis dans les cas substantiels d’inféodation au pouvoir communal, les métiers de l’animation socioculturelle dans les centres culturels de la première décennie se caractérisent par une conception unitaire de l’action à mener et une ouverture vers des membres associatifs bénévoles dans la réalisation de certaines tâches. Les textes normatifs* allaient dans ce sens, ainsi que la plupart des témoignages de l’époque. Les témoignages contemporains sur cette période insistent également sur ce point 43 H oggart R. (1970 – 1ère éd. anglaise 1957), La culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris : Éditions de Minuit. 44 F rancq et Lapeyronnie ont bien montré comment, à la différence de la conscience ouvrière construite autour d’un conflit de classes, une culture populaire pouvait s’ancrer dans un rapport de proximité très grand à l’égard d’un pouvoir politique local, perçu notamment comme un prestataire de services bienveillant. Cf. Francq B., Lapeyronnie D. (1990), Les deux morts de la Wallonie sidérurgique, Bruxelles : CIACO. 45 Mangot T., Pointillés, n° 7-8, 1978, p. 50. 21 Etudes N°2.indd 21 19/11/13 14:30 Étudesn°2 et ce, pour d’autant mieux pointer les changements qui ont cours depuis lors : les structures ont évolué, de même que l’engagement bénévole, voire la société tout simplement. Les années 1980 apparaissent véritablement comme un moment de basculement pour bon nombre de centres culturels. Il est néanmoins difficile d’en faire une généralité. D’autres centres pointeront les années 1990, voire le début des années 2000. Ce qui importe cependant est de spécifier les modalités de cette transformation, modalités très largement partagées, malgré les différences de contexte et de chronologie. Cette évolution est encouragée à la fois : par la professionnalisation des structures, par le déploiement d’une logique “emploi” (notamment, avec des subventionnements publics), et enfin par une division du travail accrue, se déclinant particulièrement selon un principe d’approfondissement de la spécialisation des métiers à l’œuvre. 2.2.1. ACCROISSEMENT DES STRUCTURES ET ÉVOLUTION DE L’ENGAGEMENT BÉNÉVOLE (MILITANTISME, VOLONTARIAT…) L’esprit des centres culturels et la réalité de départ de la plupart d’entre eux s’appuient sur une dyade* “animateurs socioculturels-groupements associatifs”. Sur cette base, le travail de l’animateur socioculturel se conçoit de manière globale et unitaire, ouvert aux apports des groupements associatifs. Ces apports relèvent du registre de la coproduction de l’action culturelle, les “participants” étant à la fois concepteurs et destinataires de l’action culturelle. Ils ne relèvent pourtant pas uniquement des contenus et modalités de l’action. Ils se traduisent également en engagements bénévoles sur des tâches de support à l’action. Ainsi, de nombreuses tâches a priori subalternes nécessaires au fonctionnement du centre et au déroulement de ses activités sont très largement effectuées par des individus non employés par la structure. Ces tâches concernent les aides lors du déroulement d’événements – accueil, intendance… – mais aussi les préparatifs de nombreuses activités – support logistique, entretien des lieux, communication des activités,… De nombreuses tâches initialement réalisées par des bénévoles ont par la suite été professionnalisées et internalisées. Il n’est pas aisé de déterminer l’origine de ce basculement. Les raisons en sont multiples. De nombreuses études ont souligné la transformation des modalités des engagements militant et bénévole, soulignant leur individualisation et le déclin de leur caractère pérenne et structurant.46 Corrélativement, il existe de multiples raisons internes au secteur lui-même. Le secteur n’a cessé de grandir. Les structures existantes ont toutes adopté une dynamique de croissance (même si elle s’est ralentie ou arrêtée depuis) qui a généré l’accroissement et la diversification des équipes. La réalisation des tâches de support à l’action culturelle a été intégrée dans des fonctions et des profils de poste ; ces fonctions se sont traduites dans des emplois et de l’engagement de personnel. Cette dynamique de recrutement s’est notamment appuyée sur l’apparition de dispositifs d’aide à l’emploi qui ont permis aux structures locales de supporter financièrement ces engagements. Cause ou conséquence, quoi qu’il en soit, l’engagement de personnel pour des fonctions de support à l’animation rend le travail bénévole, si pas moins indispensable (notamment pour les plus petites structures), moins centrale dans le fonctionnement du centre culturel. 46 S cieur P. (2011 – 1ère éd. originale 2005), Sociologie des organisations. Introduction à l’analyse de l’action collective organisée, Paris : Armand Colin 22 Etudes N°2.indd 22 19/11/13 14:30 Début 2003, la Communauté française publiait le compte-rendu d’une étude sur l’économie et l’emploi dans les centres culturels.47 De manière condensée, elle relevait une quantité d’informations chiffrées qui soulèvent de nombreuses questions d’analyse. On y apprend que 67 % des dépenses sont consacrés aux salaires ; que cette proportion diffère très fortement entre Centres culturels locaux (CCL) et Centres culturels régionaux (CCR). Une même différence apparaît au niveau du poids de l’animation par rapport à l’ensemble de la masse salariale. Les CCL dépassent généralement la barre des 50 % exigée par le décret alors que les CCR ne parviennent que rarement à l’atteindre. On y découvre également une information significative qui, pourtant, n’apparaît que très rarement dans les textes (décrétaux ou professionnels) sur le secteur. Analysant les sources de financement des emplois au sein du secteur, l’étude révèle que 38 % des ETP48 proviennent de programmes de résorption du chômage.49 “Au total, 57¨ % des emplois bénéficient d’un financement de pouvoirs publics tiers, c’est-à-dire n’intervenant pas dans les subventions prévues par le décret, comme les Régions, l’État fédéral, l’Union Européenne.”50 Autant les lignes directrices du secteur émanent de la Communauté française, autant son assise économique repose sur une multiplicité de sources de financement. Certaines d’entre elles sont devenues structurantes ; ce faisant, elles induisent implicitement des modes d’action à part entière, voire des finalités d’action renouvelées. Les apports de l’Union européenne ont certainement participé au déploiement d’une logique de travail par projet. En permettant l’engagement de nouvelles personnes, les Régions wallonne et bruxelloise, ainsi que l’État fédéral, ont quant à eux participé à l’accroissement des centres culturels, tout en y faisant entrer de nouveaux métiers, qui allaient, substantiellement, interroger celui de l’animation. Étudesn°2 2.2.2. L ES DISPOSITIFS D’AIDE À L’EMPLOI COMME SUPPORTS DE DÉVELOPPEMENT DES MÉTIERS La plupart de ces dispositifs d’aide à l’emploi apparaissent à partir des années 1980 en même temps que le chômage prend de plus en plus d’ampleur comme problème social. S’ensuivent le développement et la mise en œuvre de politiques publiques visant sa résorption. Ces politiques se sont poursuivies depuis lors, avec cependant des changements dans les appellations, des modifications dans les mécanismes de financement ou encore certaines restrictions au niveau des “secteurs-cibles” bénéficiaires de ces politiques (restrictions qui concernent notamment le secteur culturel). Sans pouvoir réaliser ici l’histoire de ces dispositifs, il convient d’en souligner la multiplicité. Il convient aussi de souligner qu’ils ont constitué une véritable opportunité pour les centres culturels alors en plein essor. Consécutivement à cela, l’ensemble des acteurs du secteur reconnaît pleinement son actuelle dépendance à l’égard de ces dispositifs. Sans ces derniers, le secteur ne pourrait fonctionner, compte tenu de ses objectifs et ambitions présentes. Les acquis sont trop précieux pour en faire un objet de mobilisation sectorielle ; néanmoins, tout le monde reconnaît le caractère peu cohérent de l’importance, pour la survie du secteur, de niveaux institutionnels qui, en réalité, n’ont presque aucune compétence en matière de politiques culturelles.51 47 “Les Centres culturels : poids économique et emplois”, Faits et gestes, n° 8, janvier/février/mars 2003. 48 Equivalent Temps Plein. 49 À côté de cela, les pouvoirs locaux interviennent en tout ou en partie pour 25 % des ETP, tandis que 37 % des ETP sont entièrement payés par les centres culturels. 50 Ibid., p. 4. 51 Il est intéressant de noter que le récent et riche cahier prospectif publié au sujet des ambitions du futur décret ne mentionne nullement ces questions de configuration de l’action publique, communautaire et locale. Même s’il faut reconnaître qu’il ne s’agit pas de l’objectif affiché par ses rédacteurs, ce cahier pose l’ensemble des enjeux en termes de référentiel d’action sans les mettre en rapport avec des questions, trop pragmatiques peut-être, de configuration et de financement de l’action. (Cf. Direction générale de la Culture – Fédération Wallonie-Bruxelles, op. cit.). 23 Etudes N°2.indd 23 19/11/13 14:30 Étudesn°2 En permettant d’intégrer des fonctions de support au sein des structures locales, ces dispositifs ont participé à la professionnalisation de ces dernières. En effet, la plupart des tâches nécessaires deviennent ainsi réalisées par des gens directement employés par le centre culturel. C’est une forme de professionnalisation, si on définit cette notion par opposition aux pratiques bénévoles. Néanmoins, cette dynamique ne concerne encore en rien la professionnalisation de l’animation socioculturelle telle qu’abordée dans le point précédent. En effet, c’est une logique d’“emploi” qui a constitué ce qu’on appelle couramment la “professionnalisation des structures” bien plus qu’une logique de “politiques culturelles”. L’importance qu’a pu revêtir la logique “emploi” en lieu et place de l’unique logique de développement et d’animation socioculturels a participé au changement d’identité des centres culturels. Ils ne sont plus uniquement des espaces carrefours ouverts. Sans renier cet esprit, ils s’avèrent dans les faits (et à travers les attentes du public) être tout autant des structures gérées professionnellement en vue de l’organisation d’activités culturelles. Avec le déploiement de cette logique “emploi”, le risque a pu apparaître de proposer des collections désarticulées d’activités, sans guère de questionnements sur les finalités de l’action culturelle. Sur cette base, il faut d’autant plus souligner le travail local qui a été nécessaire pour “refonder une politique culturelle” alors que des logiques exogènes* importantes (qui n’étaient plus uniquement liées au pouvoir local) permettaient d’adopter une attitude relativement indifférente à l’égard de cette question. À côté du renouvellement du questionnement sur les finalités, la logique “emploi”, car elle a permis la professionnalisation des structures, a amené des questions nouvelles en termes de gestion de personnel. Sans entrer dans le détail des problématiques liées à la gestion de ressources humaines dotées de peu de qualification, soulignons plutôt le fait qu’avec ces dispositifs s’est instauré un décalage progressif entre financement de l’emploi et fonction assumée dans l’organisation. Au moins deux cas de figure permettent d’exprimer concrètement ce décalage. Premier cas : une subvention à l’emploi peut concerner une partie du financement de l’emploi en question (par exemple, dans le cas des points APE). Aussi, le centre culturel financera un poste avec un dispositif mais également en partie sur fonds propres ou grâce à un autre dispositif. Deuxième cas : l’obtention d’un emploi peut être temporaire (par exemple, dans le cas des plans Rosetta), liée à la période nécessaire au déclenchement d’une dynamique d’insertion professionnelle. Dans ce cas, le centre culturel, s’il souhaite engager des personnes à durée indéterminée se doit de penser à l’enchaînement possible de dispositifs (ou d’autres types de recettes) pour maintenir dans la durée une personne à une fonction. Bien entendu, le centre culturel peut mettre en équivalence, dispositif précis, personne bénéficiaire et fonction dans l’organisation. Néanmoins, dans un souci de pérenniser une organisation stable, cette logique, a priori la plus évidente, est au fil du temps évitée ; les centres culturels fabriquent de la cohérence à partir de dispositifs disparates de subvention de l’emploi. Ainsi, les logiques “emploi” et “projet” sont devenues incontournables pour les centres culturels. Néanmoins, un enjeu permanent consiste à ne pas se retrouver entièrement débordé par elles. Il s’agit tout autant de construire et de stabiliser une organisation efficace. Il importe maintenant de mettre en évidence les ressorts de cette division du travail que nous avons évoquée à plusieurs reprises. 2.2.3. S PÉCIALISATION ET DIVISION DU TRAVAIL AU SEIN DE L’ORGANISATION De multiples raisons ont encouragé le développement des structures : ambition d’étoffer l’action culturelle locale, possibilités d’engagement grâce aux dispositifs d’aide à l’emploi, nécessité d’internaliser certaines fonctions en raison d’une progressive défection associative bénévole,… Ces raisons se sont déclinées différemment selon 24 Etudes N°2.indd 24 19/11/13 14:30 Étudesn°2 les contextes locaux. Néanmoins, à de rares exceptions près, une dynamique de division du travail (fondée sur une solidarité plus “organique*” que “mécanique*”, pour reprendre la distinction classique proposée par Durkheim52) s’est inscrite au cœur de l’ensemble des centres culturels. Évidemment, cette division qui, en fait, en vient à spécialiser différentes fonctions, s’opère de manière plus ou moins poussée selon les centres. La taille du centre culturel continue souvent à constituer un élément déterminant à ce propos. Division du travail s’alterne régulièrement avec valorisation de la polyvalence et ce, certainement bien plus dans les centres culturels que dans d’autres secteurs d’activités. Ces nuances ne remettent toutefois nullement en question un mouvement qui consiste à préciser des fonctions et à attribuer aux personnes engagées telles fonctions plutôt que d’autres. Cette dynamique, rendue nécessaire (ou, à tout le moins, perçue comme telle), ne se déroule pas pour autant automatiquement. Elle implique un travail d’organisation, partiellement décidé, coûteux en temps (notamment, d’administration et de gestion) et en implication subjective (puisqu’il implique toujours de convaincre un ensemble de personnes).53 “On est passé du stade artisanal au stade industriel mais sans modifier nos structures. Et quand moi j’ai repris la direction il y a 20 ans ça a été un de mes défis, c’est d’essayer de basculer tout ça et de ne plus faire en sorte que ça soit l’animateur qui soit omnipotent et qui gère l’ensemble de son animation mais progressivement d’engager des compétences pour qu’elles viennent en complémentarité à l’action de l’animateur qui pour moi reste le concepteur du projet, le coordinateur du projet, mais qui doit pouvoir déléguer toute une série de fonctions et de tâches, que ce soit l’accueil du public, la communication, la gestion administrative des dossiers qui sont devenus aussi de plus en plus complexes. Nous, on a deux personnes qui ne font que de la gestion au quotidien, un comptable et une responsable qui gère les dossiers de subventions, les financements européens… C’est devenu beaucoup plus complexe que ça ne l’était. En communication, il n’y a pas 10 ans, on n’avait pas de personne spécialisée en communication. Aujourd’hui l’équipe de communication, relations publiques, accueil, c’est 5 personnes au quotidien. On a dû effectivement évoluer dans nos métiers, l’animateur reste, je pense, la fonction un peu pivot mais elle… il peut aujourd’hui s’appuyer sur des compétences dans des domaines où il faut quand même avoir des aptitudes et des compétences assez pointues. […] En fait, c’est la difficulté que j’ai eue en vingt ans de direction, c’est de faire des glissements de la fonction d’animateur vers des fonctions plus administratives, techniques. Glisser vraiment vers des fonctions de support, de travailler de manière beaucoup plus horizontale. J’ai eu d’ailleurs beaucoup de résistance en interne dans l’équipe parce que certains animateurs ne voulaient pas ça, parce qu’ils perdaient de leur pouvoir. Ils devaient déléguer une partie de leurs responsabilités, de leur travail et certains n’acceptaient que très difficilement.” (Animateur-directeur, d) La croissance des structures n’a donc pas produit automatiquement une organisation du travail plus spécialisée, plus divisée. Néanmoins, elle a rendu de plus en plus évident cet horizon. Même dans les petites structures (de 5 à 8 personnes, par exemple), se sont développés les métiers du secrétariat – il s’agit souvent d’une priorité, tant la place de l’administratif est considérée comme démesurément croissante –, de la comptabilité et de la communication (métier dont l’essor et la généralisation 52 Durkheim E. (2004 – 1ère éd. originale 1893), De la division du travail social, Paris : PUF. 53 V anneste D. (2011), L’espace politique des villes. Étude sociologique du travail de mise en œuvre de politiques urbaines dans trois petites villes wallonnes (Belgique), Thèse de doctorat, Louvain-la-Neuve/Mons : Université catholique de Louvain/UCL-Mons. 25 Etudes N°2.indd 25 19/11/13 14:30 Étudesn°2 ont également été considérables au cours des vingt dernières années). De plus, la plupart des centres culturels ayant également adopté une mission de diffusion, il est devenu nécessaire d’engager au moins un technicien (régisseur sons-lumières, à tout le moins). Les équilibres “animation”/ “fonctions support” se sont déplacés, même si souvent, dans l’esprit du décret, la fonction d’animation est restée centrale. Dans de nombreux centres, cette division du travail s’est opérée au cœur de la fonction d’animation également. La division la plus courante est celle par spécialité disciplinaire. Il n’est pas difficile de chercher ici un “animateur jeunes publics”, là-bas un “animateur théâtre-danse”. Ces découpages ne sont pas neufs. Même durant les 15 premières années des centres culturels, période dont nous parlions en termes de conception unitaire du travail, ces modalités de répartition pouvaient exister. Toutefois, elles l’étaient de manière informelle, sur la base des affinités personnelles (ou des affinités du moment de tel ou tel animateur) à l’égard d’une spécialité disciplinaire. Ces découpages n’étaient pas inscrits dans des fonctions et des profils de postes. Aujourd’hui, par contre, il est attendu que la personne en charge, par exemple du secteur “musique”, soit véritablement spécialisée dans ce domaine, se tienne informée en conséquence et soit capable de mettre en œuvre des critères de jugement sur la qualité des productions de ce domaine. À côté de cela, est apparu, dans quelques centres, un autre axe de division du travail au sein de la fonction d’animation, division qui marque un tournant plus net encore par rapport à la conception originelle du métier. Derrière l’unique vocable de l’“animation” se retrouvent les découpages fonctionnels suivants : “diffusion” ou “programmation”, versus “éducation permanente” ou “médiation”. Ainsi, la dynamique conflictuelle qui existait entre centres partisans d’une action en termes de démocratisation de la culture et ceux en faveur d’une action de démocratie culturelle a été intégrée de manière consensuelle au sein de la plupart des centres grâce simplement à une traduction de ces finalités en termes de fonctions et à un découplage de ces dernières. Cette intégration pacifique se combine parfois à une hiérarchisation qui, si elle existe en pratique, se situe généralement en faveur de la diffusion-programmation. Elle se marque dans la taille des équipes, leurs poids en matière décisionnelle mais aussi dans les lieux dans lesquels travaillent ces équipes. Cette hiérarchisation ne s’observe pas partout. Néanmoins, cette différenciation, avec ou sans hiérarchisation, dit quelque chose d’important : l’“éducation permanente”, l’“animation socioculturelle”, la “médiation culturelle”, ou la “médiation des publics” peuvent être considérées comme des fonctions ; elles ne sont pas nécessairement des référentiels qui traversent l’ensemble de l’action culturelle des centres ; elles peuvent s’inscrire dans des activités à part entière ou être des moments ponctuels d’une activité précise. Ces mutations dans l’organisation du travail d’action culturelle s’appuient sur des modifications de structure en même temps qu’elles bouleversent partiellement le sens de cette action et permettent des rapports subjectifs au travail et aux métiers différents. Nous schématisons cette transformation de la manière suivante : 26 Etudes N°2.indd 26 19/11/13 14:30 Schéma 1 – Évolution de l’action culturelle dans les centres culturels depuis leur création Étudesn°2 FINALITÉ Processus collaboratif ouvert CONCEPTION ENGLOBANTE ET UNIFIÉE DE L’ACTION CULTURELLE STRUCTURE Petite structure composée d’animateur(s) SUJET Fusion entre vie professionnelle/vie personnelle FINALITÉ Programme ou événement destiné à un public DIVISION DU TRAVAIL D’ACTION CULTURELLE STRUCTURE Structure en croissance composée de métiers divers SUJET Distinction entre vie professionnelle/vie personnelle Cette schématisation impose au moins trois précisions. Sur son statut d’abord. Elle vise à rendre intelligibles un ensemble de transformations importantes de l’action culturelle, transformations largement interdépendantes qui bouleversent la manière de penser et de réaliser l’action culturelle. Elle postule un mouvement historique d’un premier type de situation vers un second et ce, pour de multiples raisons évoquées précédemment. Néanmoins, elle ne prétend nullement une “nécessité historique” dans ce mouvement ; elle s’appuie simplement sur l’ensemble de nos observations. De plus, tous les contextes locaux ne peuvent se résumer à ce mouvement, de même qu’il n’y pas de lien de nécessité entre types de “structure-finalité-sujet”. On notera seulement une certaine cohérence au sein de chacun de ces deux triangles. La réalité empirique rappelle le caractère souvent plus hybride des situations locales. Néanmoins, de tels cas concrets témoignent des tensions qu’implique, par exemple, le fait de travailler dans une petite structure avec une conception de l’action culturelle très ouverte aux dynamiques associatives locales, tout en voulant, personnellement comme animateur, maintenir une coupure entre vie professionnelle et vie personnelle. 27 Etudes N°2.indd 27 19/11/13 14:30 Étudesn°2 Des exemples, presque opposés, sont tout aussi légion. Une deuxième précision concerne les conclusions à tirer d’un tel schéma. De notre point de vue, il n’y a à ce stade-ci aucun horizon normatif* qui se dégage sur cette base. Certains développeront une lecture nostalgique ; d’autres auront un point de vue évolutionniste. Notre ambition consiste juste à montrer qu’un ensemble de contraintes structurelles et culturelles encourage les acteurs à produire de la cohérence dans l’organisation de leur action. Les termes de cette action changent donc historiquement. Enfin, une troisième précision concerne le rapport au métier. Le fait qu’une distinction entre vie professionnelle et vie personnelle existe ne signifie ni coupure nette entre les deux, ni absence d’engagement subjectif dans le travail. Simplement, il est devenu légitime, et même valorisé, de poser certaines limites à l’égard de son implication professionnelle. En réalité, l’implication personnelle des animateurs, même les plus jeunes, est souvent très grande – le cas des petites structures composées d’un ou deux animateur(s) le rappelle régulièrement – ; simplement, les buts de l’individu ne se confondent plus nécessairement avec ceux de l’organisation – les individus, même plus âgés, ont conscience de cette distinction nouvelle. 2.3. A NIMATEURS, MÉDIATEURS ET ANIMATEURSDIRECTEURS DANS LA DIVISION DU TRAVAIL L’approfondissement de la division du travail au cœur des organisations que représentent les centres culturels induit de nouvelles pratiques pour des professionnels dont l’appellation a, pourtant, dans la plupart des cas, peu ou pas changé – il s’agit aujourd’hui comme hier d’“animateurs”. Fruits de la division du travail interne aux centres culturels, ces métiers de l’animation se conçoivent pourtant différemment aujourd’hui. Pour préciser cela, il convient, dans un premier temps, de réaliser une courte digression sur la question des catégorisations professionnelles. Elle visera à justifier pourquoi, de manière prudente, nous continuons pour le moment à utiliser des termes issus de l’animation plutôt que de la médiation. Ensuite, nous tenterons de décrire la fonction d’“animateur-directeur”. Nous verrons que le deuxième terme de cette expression a pris une importance considérable ces dernières années. Ceci nous amènera à traiter séparément, dans un troisième temps, le métier d’animateur tel qu’il se développe dans les structures. Cette précision est importante car, à l’observation, notre attention est amenée à se porter sur le rôle devenu prépondérant de professionnels externes à la structure dans la réalisation de la fonction d’animation. Ce phénomène consacre une autre forme d’ouverture du centre culturel à l’égard de son environnement, qui n’est plus uniquement liée à l’implication bénévole, à l’engagement associatif ou à la constitution d’un public. Il s’agit ici de pointer l’existence d’un marché du travail d’animation, externe à la structure et partiellement structuré. Cette prise de recul sera intégrée dans le chapitre suivant. 2.3.1. L ES CATÉGORISATIONS DE MÉTIER – DIFFÉRENCES D’APPELLATION, DIFFÉRENCES DE REGISTRES Parler du monde social amène toujours un questionnement par rapport aux mots utilisés. Doit-on préférer le rapport le plus fidèle à la réalité telle qu’elle se vit et se dit ou, au contraire, doit-on veiller à adopter une posture scientifique radicale, critique et méfiante à l’égard des prénotions véhiculées au sein du monde social ? Ce vaste débat se pose de manière aiguë dans l’analyse du travail et des professions, dans la mesure où ces dernières sont toujours l’objet de catégories dont les logiques sont 28 Etudes N°2.indd 28 19/11/13 14:30 Pour dire les choses de manière caricaturale, certains rejettent le vocable de la médiation alors qu’ils en font, certains continuent à parler d’animation alors qu’ils n’en font plus. Il y a dans cette affirmation deux registres de définition différents. Le premier est celui des gens de terrain. Le second est celui de l’analyste. Il n’y a pas de raison d’opter nécessairement pour le premier, en affirmant que les gens de terrain doivent avoir le dernier mot. D’ailleurs, nombre d’entre eux reconnaissent réaliser une multitude d’activités culturelles tout en étant mal à l’aise avec les exercices de définition de ce que sont la culture, l’animation, ainsi que – et d’autant plus, il faut le reconnaître – l’art et la médiation. L’analyste, quant à lui, même s’il est amené à réaliser cet effort de clarification théorique des concepts et des catégories, ne peut s’en tenir à cela pour analyser des pratiques et un monde social, au risque, sinon, de compartimenter la réalité en fonction de catégories exogènes*, de la juger par rapport à un idéal ou encore d’en dévoiler les illusions à travers la mise à jour des décalages entre pratiques de domination et discours de légitimation. L’option retenue ici consiste plutôt à s’interroger sur l’origine des catégories utilisées dans le monde étudié, sur les raisons de leur pérennité et sur les usages différenciés dont ils jouissent. Éclairer ainsi le sens d’un langage consiste à retracer les liens et histoires de ce langage et des catégories qu’il véhicule. L’analyste peut réaliser cela non pas parce que, par essence, il détient un savoir supérieur (ou moins corrompu) que les acteurs eux-mêmes, mais parce qu’on lui met à disposition du temps pour retracer ce parcours, exercice moins aisé quand on est pleinement occupé à la mise en place d’actions culturelles au niveau local. Au final, il n’y donc pas de foi absolue dans l’un ou l’autre registre évoqué. Il convient ainsi de repartir des catégories endogènes* pour en resituer les spécificités, le sens et les déclinaisons. Ensuite, à partir de l’observation des différences de pratiques et de formes sociales, il devient possible, de manière plus distanciée, de nommer la réalité à partir de catégories propres à l’analyse, l’important étant alors de relier celles-ci à des ensembles de faits (ou d’activités, ou de pratiques,…) suffisamment congruents entre eux. À ce moment-là, l’effort théorique préalable acquiert toute sa pertinence puisqu’il a permis de dégager certaines catégories auxquelles des ensembles de faits pourront être reliés. Étudesn°2 parfois irréductibles, parfois concurrentes.54 Sans reprendre ici l’ensemble des tenants et aboutissants de ce débat, il convient toutefois de repartir de cette question pour réaliser une brève précision de notre usage des termes animation et médiation. Dans le cas de l’étude de l’évolution des centres culturels de la Communauté française, on ne peut se passer de la catégorie d’animation, pas uniquement parce que les personnes rencontrées se disent “animateurs”, mais aussi parce qu’elle a constitué un véritable référentiel d’action dont l’histoire est largement propre au contexte belge francophone. En reprenant les dimensions heuristiques* développées par Urfalino à partir de l’étude de la politique des Maisons de la Culture en France55, nous pouvons considérer que construite idéologiquement, supportée au niveau organisationnel (en particulier, par la création des centres culturels) et redéfinissant des contours institutionnels (notamment par le rapprochement opéré entre la Direction générale de la Jeunesse et des Loisirs et la Direction générale des Arts et des Lettres), l’animation socioculturelle a constitué un référentiel suffisamment fort et spécifique pour faire exister la démocratie culturelle à la belge. Et il demeure pertinent de la mobiliser dans la mesure où sa charge persiste, ne fût-ce que partiellement, à travers sa reprise dans les textes décrétaux ultérieurs à la période de fondation des centres culturels. Aussi, avant d’aller chercher des catégories de compréhension exogènes* à la réalité étudiée, il semble qu’il faille pouvoir démontrer la pertinence qu’il y a à sortir du référentiel de l’animation socioculturelle pour comprendre l’évolution des métiers d’un secteur tel que celui des centres culturels. Il faut arriver à démontrer son 54 Dubar et al., op. cit. 55 Urfalino P. (2004 – 1e éd. originale 1996), L’invention de la politique culturelle, Paris : La Documentation française. 29 Etudes N°2.indd 29 19/11/13 14:30 Étudesn°2 éventuel manque de consistance sociologique, c’est-à-dire l’érosion de sa cohérence, de sa fonction identificatoire et de son caractère suffisamment partagé, avant de mobiliser d’autres catégories de compréhension. Ce pas pourra être fait au terme de cette deuxième partie. Dans les sections suivantes, à vocation plus synchronique*, nous verrons que les lieux de l’action culturelle se différencient. Ainsi, dans certains d’entre eux, la catégorie d’animation perd de sa pertinence, pas seulement parce qu’elle ne sert plus de modèle (ce qui est parfois assumé, parfois revendiqué également), mais tout autant parce qu’elle ne représente pas pour autant un anti-modèle de référence. C’est à l’aune de l’indifférence qui la guette dans certains cas qu’il est possible d’évaluer la pérennité de sa pertinence. 2.3.2.L’ANIMATEUR-DIRECTEUR – VERS LA GESTION D’UNE STRUCTURE CULTURELLE L’a priori qui consiste à continuer à parler de l’animation socioculturelle émane en partie – on l’a rappelé – de sa présence étymologique dans la dénomination des métiers des centres culturels. Néanmoins, il devient utile de dégager comment chacune des principales fonctions dites de l’“animation” ont été définies et nommées et ainsi, derrière cela, rendre compte de l’évolution de métiers. Le premier, celui qui bénéficie de la plus grande assise institutionnelle, est celui d’animateur-directeur. Si la fonction d’animation est reconnue dans le décret de 1992 (puisqu’il y est mentionné que 50 % de la masse salariale doit y être consacré), seul le métier d’“animateurdirecteur” est explicitement défini. D’ailleurs, sa présence au sein de tout centre culturel est exigée sous forme d’un poste occupé par une personne à temps-plein. De même que le terme “centre culturel” est consacré en 1992 et permet d’atténuer l’ancienne distinction de 1970 entre maisons de la culture et foyers culturels, cette nouvelle dénomination du poste de direction quotidienne du centre remplace celles, respectivement, de “dirigeant” et d’“animateur-principal”. L’usage du terme de “dirigeant” pour les maisons de la culture, par rapport à celui d’“animateur principal” dans les foyers culturels, peut laisser sous-entendre à nouveau un renforcement des différences de philosophie entre ces deux types de structures. Néanmoins, il faut souligner que l’arrêté royal de 1970 prévoit une intervention, par maison de la culture, de deux dirigeants “agréés” par le Ministre à la Culture française, dont un des deux est “chargé spécifiquement des problèmes d’animation”. Ainsi, hier comme aujourd’hui, au-delà de certaines différences de modalités et de termes, animation et direction ont été largement combinées au niveau des postes reconnus institutionnellement. Certes, dans les premières maisons de la culture, elles peuvent en théorie être dissociées. Néanmoins, dans tous les autres cas (anciens foyers et centres culturels d’après 1992), elles sont explicitement associées, le terme d’animateur prenant d’ailleurs une place première. Pourtant, l’évolution de cette combinaison est importante et interroge les acteurs de terrain eux-mêmes. Quelles que soient les différences de taille des centres culturels, quelle que soit la manière de vivre ces évolutions (avec regret, comme très positivement), la plupart des animateurs-directeurs concèdent que la part dévolue à la direction est devenue première, voire, dans certains cas, unique au niveau du poste qu’ils occupent. Il s’agit d’un constat factuel largement partagé, à partir duquel les interprétations historiques diffèrent évidemment selon les expériences de chacun. Ce mouvement est de portée générale. Au moins trois éléments y concourent : d’abord, l’accroissement des structures et la division du travail précédemment évoqués renforcent la nécessité (à l’interne) de fonctions dirigeantes (de gestion comme de coordination) ; ensuite, dans la lignée de l’attendu du décret, l’animateur-directeur doit assurer un nombre important de représentations qui l’ouvrent vers l’environnement du centre culturel en même temps qu’elles l’éloignent de l’animation au sens 30 Etudes N°2.indd 30 19/11/13 14:30 Le premier élément concourant à la substitution des tâches de direction à celles d’animation s’ancre dans l’accroissement des structures et l’approfondissement de leur division du travail. Analysée dans le précédent point, cette dynamique génère une différenciation croissante entre les fonctions réalisées au sein de l’organisation. Comme l’ont souligné certains théoriciens des organisations56, cette logique de différenciation se combine généralement à celle d’intégration afin que l’organisation ne devienne pas un ensemble d’îlots incapables de communiquer et de s’ajuster entre eux. Or, cela exige un travail de coordination à part entière. Dans le cas des centres culturels, cette tâche est apparue de manière de plus en plus forte et a été, la plupart du temps, prise en charge par l’animateur-directeur. Elle consiste non seulement à définir les fonctions, opérer aux recrutements, assurer une communication interne formelle et informelle, mettre en place ensuite des dispositifs de rencontres ou d’échanges entre professionnels, parvenir à valoriser le travail de ces derniers et à les mobiliser en conséquence,… En d’autres termes, la place accordée à la gestion de l’équipe et du projet culturel dans le travail de l’animateur-directeur croît en même temps que la structure grandit et que se spécialisent les différents membres de l’équipe. Le développement du temps à consacrer aux fonctions de direction au sein des centres culturels crée une distance à l’égard de la pratique de l’animation. Dans la très grande majorité des structures, les animateurs-directeurs continuent néanmoins à garder un rôle important dans la définition de la programmation annuelle. Et dans quelques cas, plus rares, certains font en sorte de préserver quelques plages horaires pour pouvoir encore se consacrer à des pratiques plus directes d’animation (par exemple, en organisant un atelier théâtre, musique,…).57 Étudesn°2 strict ; enfin, les animateurs-directeurs relèvent tous un élément qui apparaît souvent secondaire mais dont l’importance demeure centrale – et ne peut donc pas sérieusement être interprétée sur le registre exclusif de la plainte –, à savoir leur charge de travail administratif et institutionnel. Après avoir analysé ces éléments un par un, nous verrons enfin comment les différents contours de ce métier amènent des formes d’expériences subjectives particulières, caractérisées par un balancement entre des signes d’épuisement et des arbitrages visant à se préserver personnellement. Le fait qu’un individu ait précisément comme mission de gérer l’organisation du centre culturel et d’assurer la coordination de l’ensemble a pour effet potentiel d’augmenter la distance entre cette préoccupation organisationnelle (pour l’interne, mais aussi envers l’externe) et la plupart des professionnels. Cette distance accroît la légitimité de l’attribution du rôle de “représentant du centre culturel” accordé au directeur. Qui plus est, le fait que ce dernier prend effectivement en charge ce rôle renforce cette position, puisqu’il est amené à connaître le mieux de nombreux partenaires extérieurs. Consécutivement à cela, la plupart des attentes de ces partenaires se reportent sur lui et, ce faisant, augmentent sa crédibilité. Cela concerne tout aussi bien l’ancrage au niveau associatif local, les relations entretenues avec le personnel politique de la commune, que les contacts au niveau des fédérations professionnelles (ASTRAC, ACC58, AssProPro59…) ou au niveau institutionnel (Com- 56 L awrence P. R., Lorsch, J. W. (1967). Organization and Environment : Managing Differentiation and Integration. Boston : Harvard Business School Press. 57 Il existe des centres culturels où les tâches de direction sont assumées par un binôme (même si l’une des deux personnes est officiellement reconnue comme “animateur-directeur”). Nous avons d’ailleurs rencontré un tel cas. Au-delà du partage des responsabilités de direction, s’y opère à nouveau une division du travail puisque l’un assume davantage les missions de gestion et de représentation de l’organisation quand l’autre se consacre plutôt à la direction proprement culturelle et artistique. “[Mon collègue ci-présent est membre] par exemple de la commission des centres culturels… du groupe de cabinet également, le groupe de réflexion du cabinet pour les centres culturels. Moi je m’occupe plus de la diffusion, du cinéma, du suivi d’article 27, de l’associatif [ici]. On bascule alors dans l’équipe d’animation. Dans l’équipe d’animation, chacun a ses territoires […].” (Animateur, c) 58 A lors que l’ASTRAC constitue le réseau des professionnels en centres culturels, l’ACC (Association des Centres culturels) fédère les structures organisationnelles que sont les centres culturels. 59 Association des programmateurs professionnels de la Communauté française. 31 Etudes N°2.indd 31 19/11/13 14:30 Étudesn°2 mission 3 C60, par exemple). Il s’agit là d’une dynamique de spécialisation du travail de représentation ou de “relais”61 entre l’organisation et son environnement. Cet élément, somme toute attendu, est aussi intéressant à souligner pour ses éventuelles implications au niveau des animateurs eux-mêmes : en effet, il renforce la distinction entre missions propres à leurs fonctions et mission générale de l’organisation62 ; et il remet en question leur légitimité à représenter l’organisation. Autrement dit, bien que la prise en compte de la diversité des centres culturels rappelle que ce rôle de représentant peut parfois être réparti en fonction des projets et que la distance entre représentation et animation est variable, se dégagent des questions communes relatives à la construction de la légitimité d’être “porte-parole” du centre culturel à l’égard de partenaires extérieurs et à la gestion de la distance entre représentation de l’organisation et connaissance du travail de terrain mené par l’ensemble de l’organisation. Enfin, un troisième élément semble entériner définitivement le passage du pôle “animateur” au pôle “directeur” ; il s’agit de la recrudescence des exigences de gestion et de qualité formulées par les autorités publiques. Ce mouvement n’est pas propre au secteur des centres culturels et n’émane pas spécifiquement de la Communauté française. Il est bien plus large mais traverse de part en part les centres culturels. Il serait inexact d’affirmer, de manière péremptoire, que les centres culturels sont submergés par la vague du Nouveau Management Public et de ses indicateurs quantitatifs.63 Au contraire, la plupart des animateurs-directeurs rencontrés ont généralement souligné le fait que cela ne les touchait guère et que, généralement, leur travail était évalué, discuté et jugé à partir d’arguments qualitatifs. Grille de reconnaissance et contrat-programme64 restent les deux instruments propres à l’action culturelle publique, instruments qui sont justement mobilisés pour confronter les réalités de l’action menée aux perspectives attendues. La manière dont l’action publique inonde (voire, pour certains, étouffe) le secteur est moins liée à l’accroissement d’exigences de performance (telles qu’on les retrouve dans d’autres domaines, comme celui de la santé) qu’à l’omniprésence de plus en plus patente de cette action publique. Il n’y a plus ni de moments ni d’actions où les contraintes des politiques publiques ne traversent pas les centres culturels. 60 L a “Commission des Centres culturels” ou “3 C” est l’instance d’avis du secteur. Même si les décisions relatives à la reconnaissance des centres culturels, à l’accord quant à leurs contrats-programmes, à l’octroi de subventions extraordinaires,…, reviennent en final au ministre en charge de la culture, le décret de 1992 institue cette instance dont la mission consiste à traiter de telles questions. Sa composition vise à assurer une représentativité élargie des parties prenantes concernées par le secteur. Outre les représentants des pouvoirs publics (hors Communauté française, dont ses représentants, de l’administration et du cabinet de la ministre, sont uniquement invités à titre d’observateurs), s’y retrouvent des professionnels (animateurs-directeurs de centres culturels, experts dans les domaines des politiques culturelles de Communauté française,…) qui représentent près de la moitié des membres. 61 C rozier M., Friedberg E. (1992 – 1ère éd. originale 1977), L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Paris : Le Seuil, pp. 166-167. 62 P ar exemple, il est frappant de constater que de nombreux animateurs, n’ayant aucune responsabilité de direction, ont une connaissance parfois très lacunaire de l’histoire du centre culturel dans lequel ils travaillent et, plus encore, du secteur des centres culturels dans son ensemble. 63 L e Nouveau Management Public (NPM) est un mouvement idéologique et opérationnel qui apparaît au début des années 1980 et encourage l’adoption, au cœur des administrations publiques, des modes de gestion issus du secteur privé. Pour une présentation synthétique du NPM, voir : Peters G. (2006), “Nouveau management public (New Public Management)”, in Boussaguet L., Jacquot S., Ravinet P., Dictionnaire des politiques publiques, Paris : Les Presses de Sciences Po, pp. 306-312. 64 A ctuellement, deux textes légaux constituent le socle sur la base duquel s’organisent les centres culturels reconnus par la Communauté française de Belgique : le “décret fixant les conditions de reconnaissance et de subvention des centres culturels” (1992) et l’“arrêté du Gouvernement de la Communauté française relatif aux conditions de reconnaissance et de subvention des Centres culturels” (1996). Le décret de 1992 comporte un premier volet programmatique à la suite duquel sont développées des dispositions plus techniques relatives aux critères et modalités de reconnaissance des centres culturels, à la composition de leurs organes décisionnels et consultatifs, à leurs modalités de financement,… L’arrêté de 1996 précise ces dispositions techniques, en particulier en développant une “grille de critères pour le classement des centres culturels”, plus couramment appelée “grille Mangot”. Cette grille met en relation des catégories de centres culturels (Centres culturels locaux de catégorie 4 à 1 ; centres culturels régionaux de catégorie 3 à 1), des missions attendues et des niveaux de financements octroyés par la Communauté française. Chaque centre culturel, en fonction de sa catégorie, développe des activités en écho avec ses missions attendues. L’ensemble de ces activités, leurs objectifs et perspectives d’opérationnalisation sont réunis dans le contrat-programme du centre culturel. Ce document représente une projection du centre dans les quatre années qui suivent, en même temps qu’il sert de convention entre le centre et la Communauté française. 32 Etudes N°2.indd 32 19/11/13 14:30 Étudesn°2 D’abord, à différentes périodes de l’année, les centres culturels sont amenés à rendre des comptes sur leurs actions. Cette nécessité est généralement considérée comme légitime par les acteurs de terrain étant donné qu’ils bénéficient largement de subventions publiques pour mener à bien leurs actions. Toutefois, la diversité des opportunités qui se sont dessinées (en termes de montages de projets artistiques ou culturels, mais aussi d’emplois) pour les centres culturels, grâce à l’essor des politiques régionales ou européennes, en plus de l’impulsion structurelle de la Communauté française, va de paire avec une multiplication des rapports d’activités (annuels ou ponctuels) ou autres dossiers à réaliser et à transmettre à ces différents niveaux institutionnels. La démultiplication de ces exigences est vécue comme une fatalité à subir. Celle-ci naît avec l’accroissement des jeux d’échelles institutionnels dans lesquels sont engagés les centres mais aussi avec le changement des modalités de financement. L’importance de la logique “projet” concourt à substituer le conjoncturel au structurel. Si ceci constitue un facteur augmentant les rapports d’activités ou d’évaluation à remettre, il provoque en outre une augmentation du temps consacré au montage de dossiers. Bref, multiplication des niveaux institutionnels impliqués dans l’action (même indirectement), passage du financement structurel au conjoncturel et mise en récit des activités en amont tout autant qu’en aval : tout ceci semble profiter à l’action culturelle. Néanmoins, la conjonction de ces éléments amène les acteurs à régulièrement douter du sens global de ce travail de gestion de dossiers. Vu la charge qui en découle, certains parlent de “dérive bureaucratique”. Pourtant, ils trouvent difficilement une cause unique et claire à cela. Ce qui est à réaliser pour chaque projet ou chaque niveau de pouvoir semble être normal. C’est la démultiplication qui crée cette impression générale de “dérive” et ce sentiment subjectif de malaise ou de surcharge. Le travail d’anticipation, de mise en cohérence et d’évaluation des projets, des financements et des emplois est devenu une mission à part entière, qui s’ajoute de manière considérable à celles plus classiquement reconnues. En plus de cette entrée dans les différents moments de l’année d’un centre culturel, les politiques publiques, de toutes sortes cette fois-ci, s’insèrent également au cœur des activités qui y sont réalisées. Au-delà de ses objectifs spécifiques, chaque activité doit répondre à un ensemble de normes non spécifiques au champ artistique et culturel. Les animateurs-directeurs considèrent qu’ils doivent faire face à une recrudescence de ces normes à respecter dans la mise en place de toute activité publique organisée. À la différence des contraintes évoquées précédemment, cellesci, dans les contours qu’elles prennent, ne sont pas considérées comme opportunes. Les centres culturels se sentent assaillis par ces normes inadaptées à la philosophie de l’action culturelle et à ses pratiques concrètes. Elles émanent de l’AFSCA65 et remettent en question le rôle des bénévoles dans l’intendance d’événements locaux. Elles proviennent de la législation sociale ou encore d’une commission paritaire qui impose des canevas horaires en inadéquation avec les pratiques habituelles du travail en soirée et en week-end et de leurs récupérations.66 Sans allonger davantage cette liste, soulignons que ces préoccupations sont partout venues se rajouter aux tâches à accomplir par l’animateur-directeur. Face à l’importance progressive de ces tâches, certains en viennent à les déléguer partiellement. Au bout du compte, ces changements émanent moins de transformations idéologiques de l’action culturelle que d’un bouleversement réel des contraintes sociologiques qui se posent à tout responsable de l’action culturelle locale ou régionale. En d’autres termes, la plupart des animateurs-directeurs ne se définissent pas plus aujourd’hui qu’hier comme des “gestionnaires de structures culturelles”. À une ou deux exceptions près, ils se présentent prioritairement à partir de la vision qu’ils ont du rôle d’un centre culturel au niveau local ou, de manière plus générale, au niveau 65 Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire. 66 Cf. Sous-commission paritaire pour le secteur socioculturel SCP 329.02. 33 Etudes N°2.indd 33 19/11/13 14:30 Étudesn°2 de la société. Ainsi, en termes culturels, les animateurs-directeurs ont peu changé. Ils considèrent qu’ils ont quelque chose à dire sur le sens de l’action menée ou, encore plus fermement, que cette action a une visée citoyenne ou artistique mais non marchande67… Or, dans la pratique, être animateur-directeur semble avoir véritablement changé par rapport aux récits passés. Le quotidien est largement tourné vers des préoccupations gestionnaires : au niveau de l’équipe – ce qui permet de faire lien avec la mission d’animation –, mais aussi au niveau administratif et financier. Au final apparaît un décalage net entre la culture et la pratique de l’animateur-directeur. On en veut pour preuve le fait que nombre d’entre eux tentent de le combler. Certains gardent dans leurs compétences un domaine de la diffusion. D’autres continuent à animer un ou deux atelier(s) par semaine. Il est possible que d’autres encore s’occupent de résidences d’artistes. Il est rare qu’un animateur-directeur ne s’occupe plus du tout de la programmation d’ensemble du centre culturel. Toutefois, tous ces exemples sont souvent plus présentés comme des îlots préservés que comme une illustration représentative du temps de travail quotidien.68 Ce décalage entre culture et pratiques quotidiennes amène au moins deux interrogations sur ses origines et sur ses effets. La première question est complexe à traiter mais il est possible d’initier un premier élément de réponse à titre d’hypothèse. Parmi les différents éléments soulevés pour appréhender la transformation du métier d’animateur-directeur, étaient mises en évidence les reconfigurations de l’action publique consacrée à la culture. Quand on dit “centres culturels”, on pense rapidement “Communauté française” ou “Fédération Wallonie-Bruxelles”, car c’est bien par ce niveau-là qu’ils sont institués. Pourtant, à l’observation, les centres culturels apparaissent de plus en plus comme des organisations qui composent avec la Communauté française, tout comme ils composent avec l’Union européenne ou avec les normes de sécurité alimentaire imposées par l’autorité fédérale. Dès lors, la Communauté française n’est plus que la source d’un référentiel cognitif dont la consistance sociologique est faible. Ce référentiel demeure important pour les acteurs de terrain, en témoigne leur engagement dans la définition d’un nouveau décret. Néanmoins, ce référentiel s’affaiblit au fur et à mesure qu’il n’est pas articulé à la prise en charge de questions pratiques liées à l’emploi, à la formation et, plus généralement, à l’organisation du travail quotidien. Le rôle de la Communauté française demeure donc mais est circonscrit ; il consiste à participer à la production de la dimension cognitive du cadre d’action des centres. Néanmoins, d’autres logiques, d’autres registres d’appréhension de la réalité traversent tout autant le quotidien des centres culturels. Cette dynamique est tellement importante qu’elle permet de comprendre pourquoi l’écart ne cesse de se creuser entre les aspirations culturelles des animateurs-directeurs et leur travail au quotidien. Un exemple pris quelque peu a contrario devrait pouvoir illustrer notre propos. À l’exception, à nouveau, d’un ou deux centres très critiques à l’égard de l’esprit de la démocratie culturelle véhiculé par la Communauté française, la plupart des animateurs rencontrés émettent un autre type de critique envers la Communauté. Ce n’est pas la philosophie défendue qui est vilipendée mais bien plutôt la naïveté sociologique avec laquelle elle est défendue. Pour le dire simplement, la Communauté française encourage à certains types d’action, notamment en matière d’éducation permanente, auxquels la plupart des animateurs adhèrent sans pour autant être pleinement en mesure de satisfaire aux objectifs visés. Chez certains, cela génère un sentiment de frustration. Chez bien d’autres, cela crée de la colère. Ces animateurs-directeurs ont l’impression d’entendre un discours leur disant “puisque nous sommes d’accord sur les objectifs, même si les moyens sont un peu limités, votre volontarisme permettra de quand même réaliser l’objectif visé”. 67 Cf. notamment : Direction générale de la Culture-Fédération Wallonie-Bruxelles, op. cit., pp. 12-15. 68 C ertains en viennent d’ailleurs à préférer le terme de “directeur” à celui d’“animateur-directeur”, qui ne reflète plus leur réalité. 34 Etudes N°2.indd 34 19/11/13 14:30 Étudesn°2 De là, il devient possible de rendre compte des effets de ces décalages. Nous avons évoqué la frustration, la colère. Cette dernière est sporadique car, finalement, les animateurs-directeurs se rendent bien compte que les inspecteurs ou fonctionnaires de la Communauté française ne sont pas responsables de la surcharge de travail administratif. Ils sont juste responsables de parfois donner l’impression de ne pas s’en rendre compte. Il n’y pas là raison à quelque conflit durable, d’autant que les aspirations des uns et des autres sont souvent proches. La frustration, par contre, se traduit souvent en un sentiment d’épuisement. Ceci constitue une épreuve bien plus diffuse. C’est une épreuve sans ennemi, si ce n’est la complexité qu’il faut gérer. Beaucoup d’animateurs-directeurs sont passés par là ; d’autres le redoutent. Certains ont pris des mesures, en engageant un adjoint à la direction, en étoffant l’équipe administrative ou en aménageant leurs horaires et en faisant preuve de sagesse quant à leur incapacité à tout contrôler et à être présents pour tout événement. D’autres, sentant l’étau se resserrer, tentent maintenant d’anticiper. “Souvent je me dis, parce que je donne beaucoup de moi physiquement, au niveau du temps, énormément : “est-ce que je vais pouvoir continuer à donner cette énergie-là ?” Parce qu’à un moment il faut pouvoir être en capacité physique d’assumer tout ça, et parfois je reviens crevée déjà, et puis je me dis : “est-ce que, est-ce que je vais bien vieillir ?” Tu vois ? C’est con ! Est-ce que je vais vieillir de la manière dont on me demande de vieillir, est-ce que je vais toujours pouvoir avoir cet état d’esprit qui me permette d’absorber tout ce qu’on me dit, tout ce qu’on me demande de faire ? Des compétences, des formations etc., par exemple, de remuer toujours un petit peu mes neurones et d’être toujours attentive à ce qui se passe, pour moi, pour la gestion administrative, pour la gestion financière, pour la gestion humaine, pour la gestion avec mes collègues, est-ce que je ne vais pas devenir aigrie ? J’ai peur de ça, j’ai peur à certain moment de, de me dire “voilà c’est trop, je ne peux plus”… mais alors qu’est-ce que je peux faire d’autre dans ma vie ? J’y ai déjà pensé.” (Animateur-directeur, e) Même si certains animateurs témoignent d’une charge de travail importante, ces membres des équipes d’animation semblent quand même plus protégés des “burnouts” que les animateurs-directeurs. Aucun animateur ne nous a d’ailleurs parlé dans ces termes, alors que la grande majorité des animateurs-directeurs l’ont fait. Autre indice : fait rare dans de nombreux secteurs professionnels, car symboliquement et financièrement coûteux, plusieurs animateurs-directeurs ont fait le choix au cours de ces dernières années de céder leur fonction de direction afin de retourner à un poste d’animateur. 2.3.3.L’ANIMATEUR – CARRIÈRES VARIÉES ET DÉVELOPPEMENT DE COMPÉTENCES DE COORDINATION Si une tendance quant à l’évolution du rôle d’animateur-directeur a pu être dégagée autour de la place croissante de la dimension gestionnaire (souvent d’autant plus importante que l’on monte de catégorie de reconnaissance), les profils d’animateurs69 gardent une apparente diversité. Même si elle est aussi interne aux organisations elles-mêmes, celle-ci se fonde surtout sur les différences de priorités d’action et de finalités entre centres culturels. Néanmoins, une facette commune se dégage, en l’occurrence celle du travail de coordination. Même si le travail de coordination semble prendre de plus en plus d’importance et éloigner certains “animateurs” d’une 69 P our rappel, nous parlons dans ce point-ci des animateurs qui font partie de l’équipe du centre culturel. Ce sont des employés de la structure. 35 Etudes N°2.indd 35 19/11/13 14:30 Étudesn°2 pratique d’animation socioculturelle comprise au sens strict, c’est-à-dire d’un rapport direct avec une population, il convient de comprendre ce qu’implique cette idée de coordination, comment l’animation et la médiation s’y articulent, et enfin quelles en sont les implications en termes de collaborations avec l’externe pour le centre culturel. Malgré la diversité des profils d’animateurs, tous sont peu ou prou amenés à réaliser de la coordination de projet. Il s’agit d’une compétence que beaucoup acquièrent à travers l’expérience professionnelle. Le recrutement des animateurs est dans la plupart des cas du ressort de l’animateur-directeur du centre culturel (même s’il peut bien sûr être amené à s’entourer au cours de ce processus). Les profils recherchés et parcours attendus sont variés. À la différence de ceux pour les animateurs-directeurs, pour les postes d’animateurs il n’y a pas véritablement de référentiel du métier qui est mobilisé. Bien sûr, comme on l’a vu, un tel référentiel a pu exister par le passé. D’une certaine manière, on en produit encore aujourd’hui puisque des formations à l’animation culturelle sont encore organisées. Cela se réalise cependant de manière disparate. Mais surtout, le recrutement d’animateurs en centres culturels ne s’inscrit pas en continuité directe par rapport à de tels cursus. Chaque animateur-directeur développe ses propres critères de recrutement et met plus ou moins en priorité les dimensions d’animation ou de médiation. Chacun peut préférer la polyvalence ou la spécialisation, des capacités d’animation ou une expertise artistique. Souvent, les profils attendus sont hybrides. Néanmoins, dans tous les cas, il importe de mettre en priorité tel ou tel aspect du profil recherché. “Dans un premier temps, j’avais tendance à faire confiance à des gens avec lesquels on avait déjà travaillé, des stagiaires […]. Mais aujourd’hui, j’impose comme exigence dans le recrutement d’un animateur […] d’avoir une compétence artistique parce que je me suis rendu compte que les animateurs qui avaient la compétence artistique dans ce lieu avaient vraiment un atout que les autres n’auront jamais, d’une part, pour leur compréhension du monde artistique en général et, surtout, pour leur capacité à intervenir dans le cadre de notre travail d’aide à la création.” (Animateur-directeur, f) Dans certains centres culturels, le discours est à l’opposé de celui-ci. Sur des postes qui seront aussi qualifiés comme relevant de l’animation, certains animateurs-directeurs préfèreront engager des personnes qui ont développé des pratiques d’animation de groupes, que ce soit à titre professionnel ou à travers un engagement dans le milieu associatif. Dans ce cas de figure-là, le candidat doté d’une formation et d’une expérience artistique sera rencontré avec un peu plus de frilosité. En effet, on craindra que, si elle est engagée, cette personne ne s’épanouisse jamais vraiment dans le métier, tant ce qu’on considèrera comme un “emploi” serait censé l’amener à délaisser les projets créatifs qui lui tiennent à cœur. Assez étonnamment, ce cas de figure dont témoignent de nombreux animateurs-directeurs nous a été peu relaté par des animateurs eux-mêmes. Même s’ils sont minoritaires dans notre échantillon de personnes rencontrées, ces animateurs, dotés d’une formation artistique et développant leur propre pratique, nous ont rarement évoqué cette tension entre animation et pratique artistique personnelle comme un problème central. Ils en parlent plutôt en termes de complémentarité. En tous les cas, cette question de l’emploi chez les artistes mériterait d’être approfondie, tant les centres culturels apparaissent comme des employeurs importants, pas seulement pour les animateurs intégrés à l’équipe, mais aussi pour les personnes externes engagées pour des prestations d’animation plus circonscrites. Qu’ils aient une sensibilité davantage portée sur l’“ animation” ou sur l’“expertise artistique”, qu’ils animent effectivement des ateliers et des débats ou qu’ils consacrent une part importante de leur temps à aller voir des spectacles, rencontrer et soutenir des artistes en vue d’assurer un programme de diffusion, les animateurs sont tous à un moment donné amenés à mettre sur pied des projets, à 36 Etudes N°2.indd 36 19/11/13 14:30 Cette dimension de coordination, si elle est une évolution du métier d’animateur70, n’induit nullement l’adoption d’un type particulier de finalité du centre culturel. Elle se retrouve, par exemple, dans le cadre d’une focale portée sur les actions d’initiation artistique. “Et quand vous vous présentez à des amis, ou des amis d’amis, qui vous demandent ce que vous faites ou “qu’est-ce que tu fais dans la vie ?”, vous dites que vous êtes animatrice, vous dites que vous travaillez dans un centre culturel, vous dites que vous êtes médiatrice ? Je dis que je coordonne un projet “culture/école” dans un centre culturel. Les gens font “c’est chouette, génial, super, excellent” [rires]. Étudesn°2 mettre en contact des personnes, à définir un programme d’activités et à prévoir une organisation horaire, bref, à réaliser un travail de coordination. […] Alors, vous, vous êtes sur la coordination de l’ensemble [des activités artistiques réalisées à destination des écoles] et [les trois autres animateurs dont vous me parliez] sont sur un travail plus d’animation… […] On pense ensemble au projet global. Ma manière de travailler est de les intégrer de manière horizontale. Moi, je me considère comme la petite main qui organise, les transports, les trucs pratiques, qu’eux ne font pas, de manière à anticiper quand même le programme. Parce que c’est moi qui le propose aux écoles, qui met le fil conducteur, etc. Mais ma manière de travailler, c’est toujours de mettre sur la table tout ça et de voir comment eux se sentent par rapport à ça, ce qu’ils veulent en faire, est-ce que ça leur parle. Mais c’est eux les spécialistes de l’animation et ils ont cette capacité à partir, entre guillemets, de n’importe quel support, en faire quelque chose qui va dans le sens de l’éducation, de l’appropriation de l’art…” (Animateur d) Cette dimension de coordination dans le travail de l’animateur se retrouve toutefois tout autant dans le cadre d’actions d’éducation permanente, développant une problématique sociopolitique, par exemple. “Par exemple, la semaine du commerce équitable qu’on organise tous les ans en partenariat avec la commune. Donc là je travaille principalement avec une échevine qui est chargée des actions de commerce équitable dans la commune et une éco conseillère et donc là, à chaque fois, on envoie un dossier à la CTB71 qui organise la semaine du commerce équitable, jusqu’ici à chaque fois on est accepté donc on organise pas mal d’activités autour du commerce équitable avec beaucoup de partenaires qui sont toujours au rendez-vous d’ailleurs. […] Et donc, c’est sur l’espace de 10 jours et on organise des spectacles ou des projections de films, des animations avec des associations […], les animateurs viennent dans les classes expliquer le principe, etc. Donc on organise tout ça à trois. Et votre rôle dans ce cadre-là c’est d’aller… Encore une fois c’est un travail d’équipe donc chacune vise ses propres compétences pour telle chose ou telle chose. En général, je suis plutôt dans la rédaction du dossier de demande et puis quand il s’agit d’orga70 À nouveau, il n’est pas question de dire qu’auparavant être animateur n’impliquait pas de travail de coordination. Simplement, aujourd’hui, avec l’approfondissement de la division du travail, cette dimension peut constituer la part la plus importante des tâches réalisées par un animateur. On peut affirmer que ce n’était pas le cas précédemment ; elle était tout au plus une nécessité pratique et secondaire. 71 La Coopération Technique Belge (CTB) est l’Agence belge de développement. 37 Etudes N°2.indd 37 19/11/13 14:30 Étudesn°2 niser mes collègues qui sont à la commune savent comment faire des bons de commande, etc. pour que ça passe en collège pour faire les demandes. Moi, je suis plutôt dans ce qui est : coups de fil, contacter les organisations pour voir comment on pourrait s’organiser pour faire les animations, etc. Mais on se partage vraiment le travail.” (Animateur, e) Ces extraits invitent à au moins trois remarques sur cette dimension de coordination : elle s’inscrit toujours dans une logique de projet, elle-même ancrée dans des dispositifs circonscrits ; elle consiste, ensuite, en une délégation partielle des compétences culturelles et artistiques à des personnes extérieures à la structure, ces personnes étant le plus souvent des professionnels et non plus des bénévoles ; cette dynamique induit, enfin, l’extension des ramifications du centre culturel à l’extérieur. Affirmer que la coordination s’inscrit dans une logique de projet signifie qu’elle s’incarne dans des actions concrètes, circonscrites dans l’espace et dans le temps, mais aussi qu’elle se développe à travers des dispositifs à part entière. Comme on l’a vu précédemment, le travail d’assemblage de l’ensemble de ces dispositifs donne consistance au centre culturel et en assure les orientations spécifiques. Concrètement, ces dispositifs peuvent être un Centre d’expression et de créativité (CEC), une démarche “CultureEcole”72, un projet organisé de manière récurrente avec un partenaire spécifique (comme une commune, dans l’exemple précédent), etc. Ces dispositifs constituent toujours des formes d’actions collectives organisées qui débordent une organisation au sens strict (c’est-à-dire une organisation délimitée d’un point de vue juridique).73 Ils s’inscrivent généralement dans une perspective contractuelle entre des organisations et des institutions autour d’objectifs spécifiques. Ces dispositifs peuvent ne pas survivre à l’organisation d’ailleurs. Se dégage ainsi l’hypothèse d’une évolution des centres culturels, de l’incarnation d’une politique culturelle à celle d’un assemblage local de dispositifs d’action socioculturelle et/ou artistique. Cette transformation a des implications pour le métier d’animateur : il ne s’agit plus seulement de développer des actions culturelles au départ du centre, il convient tout autant d’inscrire le centre dans des dispositifs d’action culturelle et d’assurer la coordination de cette dynamique. Cela signifie : monter des dossiers, obtenir des financements, prendre les contacts nécessaires à la réalisation des objectifs soutenus par le dispositif, assurer des réunions d’échanges et de coordination entre partenaires, veiller à la bonne communication autour du projet, voire in fine à son évaluation et à ses réajustements… Comme le dispositif octroie des moyens pour l’action, l’animateur représente souvent le levier qui va diffuser ces moyens en vue d’obtenir un résultat concret. La pratique professionnelle de l’animateur-coordinateur se développe ainsi davantage dans le travail d’organisation que dans celui d’animation. Pourtant, il y a là un travail de médiation culturelle et artistique. Certes, il se tient davantage en coulisses que face au public. Par exemple, dans les derniers extraits cités, l’animateur joue un double rôle d’interface. D’un côté, il contacte des écoles et des enseignants ; de l’autre côté, il rencontre, sélectionne et recrute des artistes-animateurs (ou du moins, si ces animateurs collaborent de longue date avec le centre, s’informe sur leur travail). Ainsi, la coordination est précédée d’un travail de sollicitation, voire de mobilisation, d’un côté, et de discussion et de cadrage éventuel, de l’autre. Même si la pratique de l’animation réalisée par les animateurs s’éloigne et même si la dimension de coordination opérationnelle augmente sous diverses formes, ne se dissout pas pour autant une vision déterminée du projet socioculturel et/ou artistique.74 72 C es démarches sont soutenues par un décret de 2006 relatif “à la mise en œuvre, la promotion et le renforcement des collaborations entre la Culture et l’Enseignement.” 73 Friedberg E., op. cit. 74 S ignalons quand même que certains se désolent de cette situation. “Des coordinateurs, ça il y en a tant qu’on veut, mais animer vraiment – et souvent on fait la confusion – ce n’est pas la même chose. […] pour moi, l’animation… d’abord et avant tout, c’est souffler sur la braise qui est là. Je crois que c’est ça, le sens d’“animer” et donc ce n’est pas venir avec la proposition de quelque chose à consommer, que ce soit même un spectacle et qu’il soit aussi magnifique, 38 Etudes N°2.indd 38 19/11/13 14:30 “Chez nous, le métier, c’est d’être sensible à un moment donné. Je ne sais pas comment définir les métiers comme ça si ce n’est la fonction d’animateur, d’être à l’écoute là où on est, en quoi la société se transforme et, à un moment donné, aller chercher les éléments à combiner…” (Animateur-directeur, g) Ce travail de coordination élargit nécessairement les relations avec l’environnement du centre culturel. Nous verrons plus loin (4) que demeure souvent problématique la question de l’ancrage du centre dans la population, tel que cela est encouragé par le décret de 1992. Ici, l’environnement se conçoit plutôt comme l’ensemble des organisations et des relais artistiques présents sur un territoire. Le travail de l’animateur consiste souvent, à travers des projets concrets (plus qu’à travers la représentation institutionnelle à laquelle se consacre l’animateur-directeur), à inscrire le centre culturel dans un maillage territorial. C’est dans ce cadre-là que se développe notamment son rôle de médiation. Il s’agit de convaincre des acteurs collectifs aussi divers qu’une école, un home, un organisme d’insertion socioprofessionnelle ou encore un établissement de santé76, du bien-fondé de s’intégrer dans une démarche d’action culturelle ; il revient aussi de traduire auprès de certains artistes prestataires des canevas, des préoccupations d’organisations diverses. Aussi, le degré de crédibilité d’un “animateur-coordinateur” en centre culturel – utilisons cette expression pour le moment – se construit à travers sa capacité à assurer des liaisons entre toute une série d’institutions, des publics et des “animateurs-intervenants”. D’ailleurs, l’épanouissement dans son travail est tout autant lié à la possibilité de nouer de tels liens et à leur richesse qu’à la qualité des relations internes à l’équipe. Cette analyse du métier d’animateur débouche sur la nécessité d’évoquer cette autre figure, à savoir celle de l’“animateur-intervenant” extérieur à la structure. Étudesn°2 À ce sujet, les cas varient bien sûr.75 On n’observe pourtant pas de rapport nécessaire entre l’augmentation de la division du travail entre coordination/animation et une perte d’initiative artistique ou socioculturelle de la part de l’équipe d’animateurs du centre culturel. S’il y a délégation d’une partie de la mise sur pied du projet et de son animation, il n’y a pas à chaque fois délégation des lignes directrices du projet. 2.3.4.U NE CATÉGORIE MOINS VISIBLE – LES ANIMATEURS “EXTERNES” À LA STRUCTURE Bien que la dimension de coordination prise en charge par les animateurs internes aux centres culturels puisse comporter une dimension de médiation, s’observe une externalisation partielle du rapport au “public”77. D’un côté, une part importante de ce public est d’une certaine manière captif, dans la mesure où il est constitué par les organisations partenaires – des écoliers, des malades, des prisonniers,… – plus que par le centre culturel lui-même. D’un autre côté, l’“animateur-coordinateur” ne se confronte guère au public, si ce n’est pour des aspects pratiques ou logistiques, humain, profond qu’il soit. Donc l’animation, c’est vraiment… ce qui suscite le cheminement, d’une personne ou de plusieurs personnes ensemble, au-delà de ça, je pense qu’il y a une urgence de donner aux personnes qui sont dans une action collective quelques trucs et astuces pour vérifier le bien-fondé des décisions qui sont prises collectivement.” (Animateur-directeur, a) 75 À titre d’exemple, un centre culturel peut décider d’organiser une exposition d’arts plastiques une fois par an. Ceci étant, le choix de l’artiste, l’agencement des œuvres dans le lieu d’exposition ou encore la rédaction du catalogue de l’exposition peuvent être entièrement délégués à quelqu’un d’extérieur au centre culturel, qui est reconnu dans ce domaine. 76 L e monde des entreprises (privées et publiques) demeure quant à lui plus distant des actions menées en centres culturels. Pour un aperçu du type de liens qui peuvent pourtant se développer entre ces deux “mondes”, voir, par exemple, le compte-rendu des démarches menées à Courtrai par le centre des arts BUDA : Devos F. (2010), “Les rapports entre l’art et l’économie. Quatre manières de s’aimer et de se détester”, in Smart. be, L’artiste et ses intermédiaires, Bruxelles : Mardaga, pp. 183-191. 77 Le caractère problématique de cette notion sera abordé plus tard. 39 Etudes N°2.indd 39 19/11/13 14:30 Étudesn°2 puisque ce public est plutôt accompagné dans le projet même par un animateur différent, régulièrement externe à la structure. Nous n’avons pas rencontré personnellement ce type d’animateurs. N’incarnant pas des métiers développés à l’interne des centres culturels, ils ne faisaient pas partie de notre objet d’étude. Il demeure toutefois possible de préciser certaines choses à leur propos en évoquant : les raisons de leur engagement, leur statut et l’interdépendance réciproque qui se crée entre eux et le centre culturel. La nécessité d’engager ponctuellement des intervenants est le résultat de l’extension et de la diversification des activités du centre culturel, ainsi que des processus de division du travail d’action culturelle qui ont été mis en œuvre. L’issue du cas de lancement d’un atelier d’initiation à la guitare évoqué en début de chapitre illustre bien cette dynamique. “Donc ça a très vite coincé parce que la deuxième année, de mes 7 élèves, j’en ai eu une quinzaine, parce que j’avais mes anciens élèves et des nouveaux qui s’étaient inscrits. Je me suis dit : “si je continue comme ça, je n’ai plus la technique pour les suivre”. Donc j’ai engagé un deuxième animateur puis un troisième animateur puis un quatrième et pour l’instant nous sommes à 62 animateurs et il y a 1200 élèves. On est à 1200 ce qui fait de nous donc le plus grand CEC, centre d’expression et de créativité. Oui, entre temps, il y a une petite dizaine d’années de ça, comme je ne m’en sortais pas au niveau de l’organisation, je l’ai fait reconnaitre par la Communauté française comme Centre d’expression et de créativité […]. Evidemment on ne faisait plus que la guitare mais ça a complètement débordé et maintenant on fait des ateliers qui vont aussi bien de la musique […] à tout ce qui est danse […]. On est parti aussi dans les arts plastiques […] On a aussi lancé du théâtre, théâtre d’impro et puis alors des activités un peu plus nouvelles qui sont des trucs comme de la création styliste avec des choses de récupération, de la photographie, etc. Donc voilà, c’était devenu un gros machin qui a fait que mon statut d’animateur est devenu d’organisateur et puis pour finir directeur de ce CEC et maintenant, sur la fin, je viens de passer évidemment la main – puisque je ne suis plus responsable – à un collègue qui a repris tout ça en main.” (Animateur, b) La croissance et la spécialisation des activités ne sont pas toujours aussi grandes. Néanmoins, le fait que l’équipe soit débordée par les activités qu’elle met en place est récurrent. Les raisons d’engager des animateurs externes sont alors de deux ordres. D’un point de vue quantitatif, il n’est ni possible de continuer à étendre les horaires de travail des animateurs internes (au risque de voir exploser les demandes de récupération), ni d’étoffer cette équipe de manière structurelle. Du point de vue qualitatif ensuite, il apparaît assez vite que les membres de cette équipe n’ont pas les compétences pour mener à bien toutes les initiatives lancées. Ainsi, la recherche de flexibilité, d’un côté, et de compétences spécialisées, de l’autre, encouragent à la sollicitation de multiples animateurs externes mobilisés sur des projets précis et ce, de manière plus ou moins temporaire. Ces supports externes n’ont pas toujours été aussi massivement des professionnels. Les bénévoles, en plus de s’occuper de tâches d’intendance ou de communication, pouvaient dans certains cas réaliser des animations, que ce soit en s’occupant d’ateliers, en co-organisant un événement ou en réalisant des visites guidées. Même quand ce cas de figure continue d’exister (dans des centres culturels de catégorie 3 ou 4, généralement), le centre culturel s’adjoint toujours parallèlement les services d’animateurs professionnels plus spécialisés. Non seulement, l’appel aux intervenants externes s’est étendu, mais la professionnalisation est devenue la norme. Dans ce cadre-là, une pluralité d’engagements contractuels s’avère possible. Souvent, il s’agit 40 Etudes N°2.indd 40 19/11/13 14:30 Plus le centre culturel grandit et développe de nouvelles activités, plus son carnet d’adresses se déploie et s’enrichit de multiples contacts auprès d’“animateurs-intervenants” qui, en réalité, sont la plupart du temps des “artistes-intervenants”. Si les centres culturels sont des structures de diffusion au maillage resserré qui soutiennent fortement la viabilité de certains projets artistiques, ils doivent également être considérés comme des employeurs de ces artistes, non plus uniquement sous le volet de la prestation, mais aussi sous celui de l’animation et de la médiation. C’est l’organisation de l’animation en centre culturel qui s’en trouve modifiée, c’est aussi le métier d’artiste et son rapport au public. Ainsi, cette figure actuelle de l’artiste ne se situe plus dans un rapport d’extériorité radicale par rapport au public et à la société “conventionnelle”, comme cela a pu être le cas dans de nombreux mondes de l’art.78 Étudesn°2 d’artistes qui disposent d’un statut spécifique ; d’autres réalisent cela comme indépendants complémentaires. Certains animateurs-directeurs tentent de trouver une solution qui vise à stabiliser davantage ce type d’engagement, en l’“internalisant” partiellement. Ils créent alors des petits temps partiels (de 4 heures/semaine, par exemple) “dans la mesure du possible budgétaire de manière à pérenniser les emplois et puis à garantir aussi une couverture sociale un peu plus correcte aux gens qui bossent avec nous” (Animateur-directeur, c). 2.4. AU-DELÀ DES LIMITES DE L’ORGANISATION, LA DIVISION DU TRAVAIL DE MÉDIATION CULTURELLE “[Q]uand on a besoin de personnes qui vont au contact, généralement, on sous-traite. À une association ? Soit une association, soit des artistes parce que beaucoup d’artistes pour vivre un peu, ont développé des compétences dans l’animation. Soit à des animateurs effectivement qu’on connait avec lesquels on a maintenant des contacts réguliers évidemment. En 15 ans, on s’est fait un peu son staff d’animateurs en qui on a confiance etc. etc. Mais c’est généralement alors de la sous-traitance […]. Mais dans l’équipe ici, je n’ai personne, je vais chercher à deux fois, je n’ai personne qui a vraiment un profil d’animateur et une formation.” (Animateur-directeur, h) Au cours des quarante années d’histoire des centres culturels, plusieurs évolutions relatives aux métiers qui s’y développent s’avèrent partagées. L’accroissement du nombre de centres culturels et de leur taille est allé de pair avec une professionnalisation des équipes et une diversification des métiers qui les constituent. Cette dynamique a permis un renforcement de l’action culturelle locale tout en constituant une réinterprétation du référentiel fondateur de la démocratie culturelle, qui était ancré sur une non-hiérarchisation des compétences d’orientations de l’action culturelle et une conception unitaire et globale de celle-ci. Cet approfondissement de la division du travail interne à chaque centre culturel déborde en réalité les limites de l’organisation. Il se traduit par l’essor des collaborations ponctuelles entre les centres et des intervenants externes (artistes ou autres professionnels de l’animation), outre la pérennisation de certains soutiens bénévoles et de dynamiques associatives. Ainsi, diversification interne et soustraitance partielle de l’animation à l’externe constituent deux éléments concourant à la réorganisation du paysage et des pratiques de médiation culturelle. Aussi, la médiation, qu’elle soit qualifiée d’artistique ou de culturelle, apparaît de 78 Becker H., op. cit. ; Heinich N. (2005), L’élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris : Gallimard. 41 Etudes N°2.indd 41 19/11/13 14:30 Étudesn°2 plus en plus comme une catégorie générique du travail global mené. Elle ne se traduit pas véritablement en un métier. Il s’agit bien d’une catégorie générique dont la consistance repose sur différents métiers ou compétences combinées : ceux de l’animation, de la coordination, de la mobilisation et de la programmation. Dérouler de manière diachronique* les pratiques que recouvre la catégorie toujours usitée d’“animateur” met en évidence le déploiement de ses différences de sens et de statuts. Autour d’une seule action concrète menée dans un centre culturel, le rôle de l’animateur interne ne sera sans doute pas le même que celui de l’animateur-directeur ou de l’animateur externe engagé spécifiquement pour cela. Sans compter que sur cette action pourraient aussi intervenir, en supports, d’autres employés du centre culturel ou, le jour J, quelques bénévoles. Ces découpages apparents n’impliquent pourtant pas la disparition d’un sens global à cette action. Est-ce pour autant une action compréhensible en termes d’animation socioculturelle ? Cela pourrait l’être, mais cela supposerait déjà que l’on s’en tienne à une définition assez souple de cette expression, définition qui minimiserait l’importance de l’unité de l’action culturelle et qui laisserait éventuellement place à l’existence d’un “public”. Même dans ce cas de figure, le fait que cette action soit du ressort de l’animation socioculturelle n’est qu’une possibilité parmi d’autres. Ces autres possibilités sont multiples et hybrides. Il n’est plus concevable d’envisager l’action concrète des centres culturels à partir d’un ensemble d’acteurs engagés autour d’un référentiel fort et transversal de l’animation socioculturelle, d’un côté, et quelques rebuts empêtrés dans une démarche de programmation/diffusion, de l’autre79. L’animation ou la programmation sont des moments ou des types d’action mis en place à peu près partout et qui d’ailleurs, parfois, s’entrecroisent. Ce qui est transversal est le souci de médiation culturelle et/ou artistique. Le caractère partagé de cette préoccupation n’en fait pas pour autant un objet consensuel : les définitions et orientations pratiques à ce sujet sont diverses et partiellement contradictoires. Ceci permet de voir ce qui est commun entre centres culturels, tout en ne permettant pas de les distinguer radicalement d’autres types d’organisations ou d’institutions. Si, en leur sein, il n’y a pas de traduction unique de la médiation artistique et culturelle, les centres culturels n’en ont pas pour autant le monopole. Cette dernière, qu’elle soit culturelle, artistique ou “esthétique”80 (cf. Introduction), peut malgré tout être définie a minima comme une activité sociale qui vise à la mise en relation de formes sensibles entre des objets, des individus et des groupes. Cette définition n’induit nullement les finalités recherchées et modalités à l’œuvre dans ce travail de mise en relation. Ainsi, plus elle s’affine et s’opérationnalise, plus elle peut être objet de divergences. Cette définition large tente toutefois d’éviter le piège qui consiste à affirmer que “tout est médiation”. L’art pour l’art, par exemple, n’est pas nécessairement intelligible à partir de cette catégorie.81 Ainsi, la médiation est une catégorie plus précise que celles d’action culturelle ou d’action artistique. Pour prendre une illustration concrète, dans bien des cas, le travail d’aide à la création, s’il n’a pas d’autre finalité que la création artistique, n’est pas une activité de médiation. Il implique une relation entre un objet – une œuvre – et un créateur. Il vise à soutenir, notamment d’un point de vue matériel et organisationnel, cette relation. Dans ce cas, s’il n’y a ni intervention de l’“aidant” sur les formes sensibles élaborées, ni visée de confrontation de l’œuvre créée ou du créateur au travail avec d’autres individus ou groupes, il n’y a pas d’objectif de médiation artistique ou esthétique.82 79 de Coorebyter V., op cit. 80 Caune J., op. cit., p. 134. 81 L e travail artistique peut se réaliser sans référence à un public. Il peut aussi se réaliser à son encontre. Néanmoins, il convient de souligner que la démarche artistique, dans bien des cas, est aussi et directement une démarche de médiation. Les deux vont alors de pair dans la mesure où la création est alimentée par un public, même abstrait. Le langage théâtral, même s’il n’en a pas le monopole, constitue un bon exemple de cette double logique de création et de médiation. 82 On verra pourtant qu’en centre culturel, l’aide à la création est souvent aussi médiation artistique ou esthétique. 42 Etudes N°2.indd 42 19/11/13 14:30 Étudesn°2 Sur la base de cette analyse des pratiques professionnelles à l’œuvre dans les centres culturels et de l’évolution du métier d’“animateur”, il est possible de dégager plusieurs types d’activités qui composent ce champ de la médiation artistique et culturelle. Les principales sont celles de l’animation, de la coordination, de la mobilisation (ou de l’interface) et de la programmation (dont la diffusion et la conception). L’animation renvoie à l’activité première des centres culturels. Elle consiste en cette immersion dans un groupe en vue d’y initier certaines pratiques socioculturelles ou artistiques ou de susciter et d’accompagner le mouvement des schèmes* cognitifs ou des perceptions sensibles d’individus ou d’une population. La coordination consiste à mettre en place des projets culturels, à distribuer des responsabilités à différents collègues et partenaires et à assurer le suivi de ces projets. La mobilisation, quant à elle, revient à jouer un rôle d’interface entre diverses parties prenantes et à traduire auprès de celles-ci les enjeux culturels ou artistiques potentiels du projet commun à élaborer ou à mettre en œuvre. Enfin, la programmation est à la fois une sélection avertie de propositions artistiques, une anticipation des publics que visent ces propositions et l’inscription de celles-ci dans des programmes de diffusion concrets (c’est-à-dire, spécifiés dans le temps et dans l’espace). Elle peut éventuellement se décliner dans un travail de production ou de conception (par exemple, d’un spectacle ou d’une exposition). Ces quatre types d’activités se combinent parfois autour d’un seul et même projet. Il est pourtant rare, hormis parfois dans certaines très petites structures, qu’un tel projet soit porté par un seul professionnel (même accompagné de “participants”). Dans bien des cas, ces types d’activités, qui renvoient à des profils de compétences, sont en réalité devenus des métiers à part entière et ce, même si on utilisera bien souvent le seul terme d’“animateur” pour les nommer. Nous pouvons rendre compte de manière synthétique des quatre types d’activités que nous avons pointés sur la base de deux dimensions qui sont, cette fois : la focale portée sur la définition de l’action culturelle ou sur la gestion du projet culturel ; la prédominance d’un travail en contact direct avec des partenaires ou des publics ou d’un travail de mise en co-présence d’acteurs divers (cf. schéma 2). Schéma 2 – Les activités de travail de médiation artistique et culturelle (en centres culturels) Contact direct avec les participants et/ou les publics Mobilisation Animation Focus “Contenus de l’action culturelle ou artistique” Focus “Gestion de projet” Programmation Coordination Travail de mise en co-présence (participants, publics, artistes, …) 43 Etudes N°2.indd 43 19/11/13 14:30 Étudesn°2 Cette schématisation, d’une part, prend en compte la dimension de “gestion de projet” qu’assument les animateurs et, d’autre part, ne considère pas comme une évidence la notion de “publics” – elle existe et est utilisée mais certains diront plutôt qu’ils sont “participants”, “partenaires”, “citoyens engagés”,… La prise en compte de ces éléments est directement liée à l’objet d’étude et dès lors à son contexte sociohistorique. En étudiant les centres culturels, c’est-à-dire des organisations qui ont, dans de nombreux cas, l’ambition de participer à la démocratie culturelle, voire de l’incarner, il n’est pas possible de prendre pour acquis le partage professionnels/ publics (même si la tendance sociohistorique nous y pousse). Qui plus est, l’idée même de démocratie culturelle convoque aussi la remise en question d’un autre partage, celui entre art et culture. Dès lors, cette ambition portée par les centres se construit, dès le départ et encore aujourd’hui, à partir d’une grande ouverture à l’égard de l’environnement. Aussi, le travail de médiation artistique et culturel doit être pris en compte à travers la dynamique de composition locale qu’il implique, dynamique que nous abordons dans le chapitre qui suit. 44 Etudes N°2.indd 44 19/11/13 14:30 Les contours de l’action publique pour la culture ont encouragé un développement global du secteur des centres culturels et la diversification des orientations adoptées par ces derniers. Parallèlement, la plupart de ces centres se sont professionnalisés, en même temps que s’approfondissait une division interne du travail d’action et de médiation culturelle. Organisations et activités de travail constituent des actions, c’est-à-dire que, tout en se déployant à partir de contraintes ou d’horizons de possibilités spécifiques, elles ne répondent pas à quelque déterminisme unilatéral. L’espace dans lequel se déroulent ces actions gagne à être compris. Ce souci permet de mieux appréhender les freins, la portée ou encore les enjeux de toute action. À côté des déterminations largement produites par les politiques publiques, de nombreuses autres, qu’elles soient d’ordre culturel, technologique ou économique, se déploient à partir de logiques relativement indépendantes. Ces évolutions macro-sociologiques se diffractent toujours selon les contextes. Du coup, une question essentielle devient celle de la manière dont les individus et groupes rencontrent, de manière différenciée, ces dynamiques.83 Dans le cadre de notre analyse des pratiques de médiation artistique et culturelle, la focale analytique retenue consiste à s’intéresser aux spécificités des contextes sociaux et spatiaux dans lesquels évoluent les centres culturels, et à comprendre comment ces contextes sont, d’une part, interprétés et, d’autre part, objet (ou sujet) d’action. L’objectif n’est pas de revenir à une analyse des dynamiques considérées comme particulièrement locales et largement endogènes*, mais plutôt de repartir de la manière dont les centres culturels sont amenés localement à se confronter à des évolutions sociétales qui les dépassent, mais qui se dessinent toujours de manière différenciée. Étudesn°2 3. Les mondes urbains de la médiation artistique et culturelle Les centres culturels représentent ainsi des acteurs de mondes urbains de la médiation artistique et culturelle. Ces mondes sont des espaces d’interactions (relativement perméables) au cœur desquels se posent particulièrement certaines problématiques générales, qui acquièrent une résonnance spécifique dans ces mondes, comme celles de l’interculturalisme, de l’individualisation des modes de vie ou encore de la technologisation et de l’hybridation des formes artistiques. Dans cette partie, nous préciserons, dans un premier temps, ce cadrage théorique pour, ensuite, présenter, sur la base de notre interprétation du matériau empirique*, quatre orientations différentes que les centres culturels adoptent dans le travail d’élaboration (plus ou moins conscientisé) de ces mondes urbains de la médiation artistique et culturelle. Cette analyse typologique* sera, dans un troisième temps, discutée pour montrer que la dynamique de certains centres culturels est diverse, ces derniers s’inscrivant dans plusieurs mondes, ce qui n’est pas sans poser quelques contradictions internes (normales, malgré les difficultés interpersonnelles qu’elles génèrent). 3.1. L ES CENTRES CULTURELS – PROBLÉMATISATION EN TERMES D’ACTEURS DE MONDES URBAINS DE LA MÉDIATION ARTISTIQUE ET CULTURELLE Les personnes engagées dans les centres culturels ne cessent de rappeler les spécificités contextuelles de leurs actions et de présenter les projets et coopérations qu’elles mettent en place. D’ailleurs, les perspectives programmatiques du secteur 83 Martuccelli D. (2006), Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine, Paris : Armand Colin. 45 Etudes N°2.indd 45 19/11/13 14:30 Étudesn°2 ne cessent de souligner la dimension territoriale de leur action. Malgré ce consensus apparent, cette dimension soulève des postures différentes, en termes de modalités d’analyse de contexte et d’action. Pour rendre compte de ces postures à travers un souci de neutralité axiologique*, mais aussi de clarification conceptuelle, il importe de prendre distance par rapport à certains référentiels (notamment, celui du développement territorial) chargés d’un point de vue normatif* et flous quant à leur contenu idéologique et pragmatique. Cela implique de réaliser un effort d’abstraction pour in fine rendre compte différemment des ressorts de la réalité empirique. Ces raisons nous amènent à mettre temporairement de côté le vocabulaire propre au secteur pour tenter de rendre compte de l’action produite à partir de la catégorie de “monde urbain de la médiation artistique et culturelle”. Avant d’éprouver cette catégorie d’analyse à partir du matériau empirique*, il convient de la préciser. Nous procéderons en trois temps. D’abord, nous préciserons, à partir de la notion de “monde de l’art” développée par Becker84, ce que nous entendons par “monde urbain”. Nous pourrons ensuite préciser en quoi la médiation artistique et culturelle, en tant qu’activité sociale, fait monde urbain. Cela nous amènera à considérer que cette activité associe deux dimensions : le contexte urbain, dans sa dimension objective, d’une part, et l’interprétation de ce contexte et de l’action à y porter, d’autre part. Dans le troisième temps, nous préciserons ainsi ces deux dimensions et les contours qu’elles adoptent. 3.1.1. L ES MONDES URBAINS COMME CONFIGURATIONS SOCIALES ET SPATIALES Analysant l’activité artistique, le sociologue américain Howard Becker considère que, de sa création à sa consécration, l’art est une activité éminemment sociale. L’intérêt du point de vue de Becker n’est pas de dénier la qualité esthétique d’œuvres ou de génies consacrés, il est de justement déplacer cette question. Il consiste à inscrire tout travail artistique (du film, qui, avec son générique de fin, se trahit de toute façon sur cette question-là, au roman) dans une chaîne de coopérations et d’interactions. “Tout travail artistique, de même que toute activité humaine, fait intervenir les activités conjuguées d’un certain nombre, et souvent d’un grand nombre, de personnes. L’œuvre d’art que nous voyons ou que nous entendons au bout du compte commence et continue à exister grâce à leur coopération. L’œuvre porte toujours des traces de cette coopération. Celle-ci peut revêtir une forme éphémère, mais devient souvent plus ou moins systématique, engendrant des structures d’activité collective que l’on peut appeler mondes de l’art.” 85 En se sédimentant et en s’étoffant, cette chaîne de coopérations (qui, à travers des interactions, relie des individus, des objets, des textes,…) se structure en une configuration sociale que Becker appelle “monde de l’art”. Il s’agit là de formes d’action collective organisée.86 Le raisonnement de Becker permet d’appréhender les contours qu’adopte une configuration particulière et de déceler comment un acteur ou une activité s’y inscrivent. Au-delà du cas des activités artistiques, la notion de “monde” semble pertinente pour analyser de nombreux types de configurations sociales. Avant de discuter de l’opportunité de parler de la médiation artistique et culturelle comme activité sédimentant possiblement un monde, rajoutons l’idée que ces confi- 84 Becker H., op cit. 85 Ibid., p. 27 86 Friedberg E., op. cit. ; Scieur P., op. cit. 46 Etudes N°2.indd 46 19/11/13 14:30 Étudesn°2 gurations ne se construisent pas dans une abstraction spatiale. Sans privilégier un déterminisme géographique, il importe de considérer cette dimension comme élément structurant l’horizon de contraintes et de possibilités d’action de ces mondes. Aussi, nous proposons d’utiliser l’expression générique de “monde urbain”. Ceci a le mérite de mettre l’accent sur l’intrication des dimensions sociales et spatiales des configurations observées, ainsi que sur l’idée d’intensité des échanges sociaux. Le terme “urbain” ne renvoie donc pas ici uniquement à ce que nous considérons souvent comme la “grande ville”. Il s’agit bien d’un terme générique qui renvoie aux situations socio-spatiales occidentales contemporaines caractérisées par l’idée de mobilité généralisée (physique bien sûr, mais aussi sociale ou subjective).87 L’idée de “monde urbain” est un encouragement à observer la constitution de configurations spécifiques selon des contextes sociaux et spatiaux (voire parfois selon la manière de relier de tels contextes géographiquement distants), ces contextes étant toujours marqués par l’indétermination partielle des interactions qui s’y déroulent et les manières de s’y construire personnellement comme sujet.88 3.1.2. L ES MONDES URBAINS, LIEUX DE LA MÉDIATION ARTISTIQUE ET CULTURELLE Les centres culturels sont des acteurs de la médiation artistique et culturelle. L’essor de ce secteur a participé à étoffer cette dimension de la vie sociale ou, en tant cas, à l’institutionnaliser et à la reconnaître. Ils n’en ont pourtant pas le monopole. Ils ne peuvent par ailleurs pas se suffire à eux-mêmes pour développer cette activité sociale. Ces deux raisons inscrivent nécessairement les centres culturels dans des chaînes d’interactions avec d’autres acteurs (que ces interactions soient collaboratives ou concurrentielles). Les autres acteurs, avec qui un centre culturel entre en interaction, sont tout autant des groupes sociaux spécifiques (les représentants du troisième âge, par exemple), des associations (comme une fanfare ou la jeune chambre économique de la région), des artistes, des institutions (des écoles de la commune) ou encore d’autres opérateurs culturels (tels qu’un musée ou un autre centre culturel). Des interactions avec des acteurs précis sont entamées, se répètent ; elles permettent de développer des modalités et des objets de médiation et parfois elles les reproduisent, les entérinent. La diffusion de ces mille et une interactions, nouvelles et répétées, trace des sillons constitutifs de mondes urbains de la médiation artistique et/ou culturelle. Ceux-ci sont concrets à partir du moment où ces sillons sont suffisamment dessinés et empruntés. Tout centre culturel est susceptible de s’inscrire dans un monde urbain “concret”89 de la médiation artistique et culturelle. Il peut en être un élément central. Dans ce cas, la pérennité de la chaîne d’interactions dépend de la survie du centre culturel lui-même. Le centre culturel peut aussi s’inscrire de manière plus réticulaire* dans une chaîne d’interactions plus vastes, au cœur de laquelle d’autres acteurs (notamment, d’autres centres culturels90) jouent un rôle déterminant. Enfin, un centre culturel concret pourrait aussi ne pas s’inscrire dans un monde urbain de la médiation artistique et culturelle, ni être en mesure d’en développer un. C’est dire que la consistance de ces mondes urbains de la médiation artistique et culturelle ne peut être uniquement présupposée théoriquement : elle doit être éprouvée pour chaque cas rencontré. En partant d’un acteur concret, il est possible de cerner s’il s’inscrit effectivement ou 87 Remy J., Voyé L. (1992), La ville : vers une nouvelle définition ?, Paris : L’Harmattan. 88 Francq B. (2003), La ville incertaine. Politique urbaine et sujet personnel, Louvain-la-Neuve : Academia-Bruylant. 89 Cf. Crozier M. et Friedberg E., op. cit. 90 L es maillages transcommunaux réalisés par certains centres culturels locaux (parfois en collaboration avec un centre culturel régional) fournissent un bon exemple à ce propos. 47 Etudes N°2.indd 47 19/11/13 14:30 Étudesn°2 non dans un réseau élargi et construit autour d’un objet commun (en l’occurrence ici, le déploiement d’une activité sociale qui vise à la mise en relation de formes sensibles entre des objets, des individus et des groupes). Ce qui nous intéresse ici n’est pas tellement la taille ou l’étendue de ces chaînes d’interactions au cœur desquelles se trouvent les centres culturels, il s’agirait pour cela de réaliser des études au cas par cas. Il s’agit ici de plutôt comprendre comment le contexte d’action et les choix posés différencient l’engagement dans ces mondes urbains de la médiation artistique et culturelle. 3.1.3. C ONTEXTES URBAINS ET ORIENTATIONS DE L’ACTION DE MÉDIATION Malgré la diversité sectorielle, les rencontres avec les acteurs de terrain, les discussions relatives à leurs pratiques et projets, révèlent des similitudes. Bien qu’elle soit partout revendiquée, la singularité ne doit pas être un piège. Elle n’interdit pas de relever des préoccupations et des orientations communes. Pour ce faire, il s’agit de trouver un nombre suffisant (mais pas trop important) de dimensions qui permettent, d’un point de vue qualitatif, de rendre lisible cette diversité du concret à partir de catégories plus abstraites susceptibles de montrer ce qui est de l’ordre du commun ou du partagé. Les deux dimensions que nous avons retenues pour construire des figures typiques de “mondes urbains de la médiation artistique et culturelle” font écho à des manières ordinaires de lire la réalité. Les acteurs des centres culturels réfèrent toujours une part importante du sens de leur action à leur environnement. Même quand ils désapprouvent les idées de “développement communautaire” ou de “développement territorial”, ils évoquent cette dimension en regard des spécificités de leur contexte. Ce qu’ils font trouve sens dans la matérialité objective de ce contexte. Ceci est très contraignant mais ouvre, dans le même temps, des potentialités d’action. Toute personne, en justifiant son action, évoque cette objectivité du contexte. Il est pourtant rare que ces deux éléments soient présentés comme se superposant strictement, comme s’il n’y avait pas d’espace entre l’objectivité et l’action. L’interprétation qui est donnée à cette objectivité donne très généralement de la place à un espace d’action qui, sans être infini, permet l’adoption d’orientations diverses. À travers cet espace d’action, l’objectivité du contexte urbain est donc toujours sujet de discussions et, pour le dire autrement, politisé. Ainsi, contexte urbain et orientation de l’action sont considérés comme deux dimensions structurant les mondes urbains de la médiation artistique et culturelle. Chacune de ces deux dimensions pourrait a priori être déclinée à l’infini. Cependant, pour rendre intelligible l’action du secteur des centres culturels, il nous importe de réduire le nombre de pôles entre lesquels se déclinent ces dimensions. Pour chacune d’entre elles, nous nous limiterons à deux pôles. Ceux-ci sont construits de manière inductive, c’est-à-dire en repartant de l’ensemble des situations rencontrées. Ils ont été retravaillés à plusieurs reprises, jusqu’au moment où ils nous ont semblé satisfaisants, c’est-à-dire capables de rendre compte simplement de la diversité des cas, sans les trahir. Au niveau du contexte urbain, nous distinguerons la métropole de la ville interstitielle ; au niveau de l’orientation de l’action de médiation, nous distinguerons la logique de différenciation à celle de maillage. En croisant ces pôles entre eux, quatre types de mondes urbains de la médiation artistique et culturelle pourront ensuite être dégagés. Contexte – Métropole et ville interstitielle L’urbanisation généralisée et la fin du clivage ville/campagne n’empêchent pas les catégorisations. Il demeure légitime de se demander ce que l’espace fait ou apporte 48 Etudes N°2.indd 48 19/11/13 14:30 La notion de “ville interstitielle”, avancée par Jean Remy, permet d’envisager l’espace comme un réseau polycentrique au maillage resserré et les modes d’appartenance socio-spatiale comme pluriels.92 En retenant l’idée de ville interstitielle, il est possible de rendre compte d’une large part du quotidien et des préoccupations d’individus en Wallonie. Les liens au travail, à l’habitat ou encore aux loisirs sont, pour beaucoup, à géométrie variable. Ce phénomène renforce une exigence généralisée, celle de la mobilité (en particulier, automobile). Cette lame de fond traverse la plupart des centres culturels, qu’ils soient situés dans des petites entités rurales ou dans des villes moyennes. Dans le modèle théorique de la ville interstitielle, les grandes villes sont partie prenante de ces réseaux polycentriques. Que l’on s’intéresse à Bruxelles, voire à Liège, la préoccupation principale s’ancre moins dans une problématique de mobilité que dans celle liée à la densité, à la fois physique et sociale. À côté de contextes de ville interstitielle, il y a donc lieu de distinguer des contextes de métropole. De manière classique, la métropole est considérée comme un lieu de concentration et d’intensification des échanges humains. Ces échanges sont économiques, sociaux, politiques, mais aussi culturels. Étudesn°2 à la composition et aux pratiques sociales. La dernière étude relative aux pratiques culturelles en Wallonie et à Bruxelles, sur la base d’une large enquête statistique, met d’ailleurs en évidence un axe structurant de différenciation des profils de consommation culturelle entre, d’un côté, les grandes villes (essentiellement Bruxelles et Liège) et, d’un autre, les “autres territoires” (ne reprenant donc pas pour autant le clivage classique “ville/campagne”).91 Ce que met fortement en évidence cette étude, c’est qu’au sein des grandes villes se retrouve un clivage social et culturel beaucoup plus marqué qu’ailleurs. À travers d’autres moyens méthodologiques, et un regard porté sur l’action artistique et culturelle plutôt que sur la consommation culturelle, nous sommes confrontés à des formes de différenciation socio-spatiales très similaires que nous proposons de nommer en termes de contextes de métropole, d’un côté, de ville interstitielle, de l’autre. Orientation de l’action culturelle – Différenciation et maillage Si le contexte urbain est un élément partiellement déterminant, il n’épuise pas pour autant l’espace d’action du centre culturel. Cette action est orientée vers une finalité. À l’articulation de l’historique du centre, de ses modalités de gouvernance et de l’impulsion de l’animateur-directeur, l’orientation du centre culturel en termes de médiation artistique et/ou culturelle est considérée ici comme quelque chose de relativement cristallisée. Elle se repère à travers les programmes d’activités, les objectifs d’action, les pratiques, ainsi que les discours des acteurs de terrain sur ces pratiques. Nous ne reprendrons pas ici le clivage traditionnel entre démocratisation de la culture et démocratie culturelle. Même si ces expressions gardent dans certains cas leur pertinence, elles posent trois problèmes. D’abord, elles représentent des référentiels d’action plus que des catégories d’analyse et, en cela, elles contiennent une charge normative que les discours des acteurs de terrain ne cessent de confirmer. Ensuite, il convient de rappeler, comme le faisait déjà de Coorebyter93 d’ailleurs, que nombres d’activités concrètes contiennent des objectifs hybrides au cœur desquels il s’avère difficile de démêler une orientation majeure. Enfin, plus fondamentalement, ce clivage n’épuise pas la question des orientations de la médiation artistique et culturelle. Nombre d’activités menées dans les centres culturels visent à reconnaître et à légitimer, d’abord, à perfectionner, voire à professionnaliser, ensuite, des “souscultures” ou une “contre-culture” (comme le hip-hop, par exemple). De tels projets 91 C allier L., Hanquinet L. (avec Guérin M., Genard J.-L.) (2012), “Etude approfondie des pratiques et consommation culturelles de la population en Fédération Wallonie-Bruxelles”, Etudes, n° 1. 92 R emy J. (2007), “De l’automobilisme à l’automobilité”, in Lannoy P., Ramadier T., La mobilité généralisée. Formes et valeurs de la mobilité quotidienne, Louvain-la-Neuve : Academia-Bruylant, pp. 21-40. 93 de Coorebyter V., op. cit. 49 Etudes N°2.indd 49 19/11/13 14:30 Étudesn°2 se comprennent beaucoup mieux à partir de l’idée de démocratisation du champ culturel (proposée par Liénard94) qu’à partir des deux référentiels d’action traditionnellement structurants. Nous proposerons plutôt de repartir d’une spécificité historique de l’ensemble du secteur, à savoir le questionnement à l’égard de leur rapport à leur environnement organisationnel. Nous verrons que les réponses données à ce questionnement concernent très vite l’art et la culture, puisqu’elles témoignent de rapports particuliers à leur égard. Une première manière de s’engager dans un monde urbain de la médiation artistique et culturelle se fonde sur la logique de différenciation de l’art ou de la culture par rapport à d’autres sphères d’activités. Il s’agit d’une logique sociale propre à la modernité qu’avait mise en évidence Weber, en pointant la séparation croissante des sphères de valeurs ou, en d’autres termes, l’autonomisation des registres normatifs* selon les types d’activités sociales à l’œuvre. Pour le dire rapidement, sur cette base, l’art en vient à être jugé à partir de critères propres et non plus en regard d’une évaluation relevant également du bien ou du vrai.95 Dans le cas des centres culturels, la différenciation revient donc à considérer les arts et la culture comme une sphère d’activités à part entière, avec sa structuration et ses normes propres.96 Cette logique de différenciation prise pour acquise, les positionnements des uns et des autres peuvent varier entre des attitudes de positionnement à l’intérieur du domaine des arts et de la culture, considéré ainsi comme un champ concurrentiel. Elle débouche également sur le déploiement de relations de complémentarité avec des acteurs extérieurs au domaine ainsi circonscrit. Différenciation ne signifie donc pas autarcie. Mais, dans une telle logique, la division du travail est importante et claire. C’est d’ailleurs à partir d’une telle perspective que prend tout son tranchant la critique régulière de l’instrumentalisation des arts ou de la culture, que ce soit à des fins économiques, politiques ou même d’action sociale. Les collaborations avec ces autres mondes n’en sont pas pour autant interdites ; elles veillent toutefois à se fonder sur une répartition stricte des rôles ou à ruser pour faire en sorte que, dans de tels projets communs, le registre d’exigence et de qualité soit de type artistique ou culturel. Puisque différenciation n’est pas absence d’échanges, la médiation artistique et culturelle est tout à fait susceptible de s’inscrire dans une telle logique. La médiation devient un travail de mise en relation dans un contexte qu’on considère comme logiquement et légitimement différencié. Même si le constat du caractère différencié de nos sociétés contemporaines est largement partagé par les acteurs des centres culturels, il n’induit pas nécessairement un accord à l’égard de cette logique. Aussi, plutôt que de s’appuyer sur la différenciation, l’action menée peut avoir pour objectif de renouer ce qu’on considère comme différencié ou séparé. Dans ce cas de figure, la culture, définie dans une perspective plus anthropologique, a comme rôle de relier ce qui a été délié. Le moteur de l’action n’est pas l’approfondissement qualitatif d’un projet à partir de critères propres à une sphère de valeurs, mais plutôt la capacité à produire des projets communs aux départs de mondes dont les logiques sont différentes. Du coup, la distinction entre les arts et la culture perd ici de sa pertinence. D’ailleurs, le registre de l’artistique est souvent utilisé à titre secondaire. Qui plus est, la culture n’est dans ce cas plus vraiment considérée comme une sphère d’activité à part entière. Elle représente plutôt une dimension 94 G eorges Liénard est un sociologue belge de la culture. À notre connaissance, son développement de l’expression “démocratisation du champ culturel”, proposée dans certains de ses cours et interventions, n’a pas fait l’objet d’une publication à part entière. 95 W eber M. (1963 – 1ère éd. allemande 1919), “Le métier et la vocation de savant”, in Weber M., Le savant et le politique, Paris : 10/18. 96 C ette question peut être étudiée à partir de perspectives sensiblement différentes. Selon que l’on privilégie de s’intéresser à la dynamique des acteurs dans la constitution d’un monde de l’art ou de montrer la force objective d’un champ social dans la conduite des agents, on pourra repartir des contributions suivantes, cf. respectivement : Becker H., op. cit., ou Bourdieu P. (1977), “La production de la croyance. Contribution à une économie des biens symboliques, Actes de la recherche en sciences sociales, n° 13, pp. 3-43. 50 Etudes N°2.indd 50 19/11/13 14:30 3.2. L’ACTION DE MÉDIATION ARTISTIQUE ET CULTURELLE – QUATRE FIGURES DE CENTRES CULTURELS Étudesn°2 constitutive et transversale des individus et sociétés humaines. Si un centre culturel conserve malgré tout un rôle à part entière, c’est de susciter ce maillage. Au cœur d’un monde urbain de la médiation culturelle, son objectif n’est pas de préserver son identité ou de l’approfondir en se spécialisant mais plutôt de dégager du commun, ce commun dont l’identité est a priori indéterminée.97 Inscrivant son action dans une telle perspective de maillage, le discours du centre culturel ne revient pas à dire de manière simpliste que “tout est dans tout” mais plutôt à considérer que le monde est suffisamment fragmenté pour qu’il y ait place pour innover en produisant davantage de commun, de partagé, et que le rôle d’un centre culturel est d’y œuvrer.98 Au croisement de ces différents pôles, se dégagent quatre manières typiques d’être acteur d’un monde urbain de la médiation artistique ou culturelle. Ces quatre figures articulent à chaque fois la dimension relativement contraignante du contexte sociourbain et une des potentialités d’action qui en découlent. Avant de les présenter distinctement, nous reprenons schématiquement ces différentes manières, pour un centre culturel, de s’impliquer dans des configurations sociales, peu ou prou structurées autour de la résolution de la question sociétale de la médiation artistique ou culturelle. Schéma 3 – Figures de l’action dans les mondes urbains de la médiation artistique et culturelle Différenciation Figure de généraliste Figure de spécialiste Métropole [Densité] Ville interstitielle [Mobilité] Figure d’immersion Figure de liaison Maillage 97 M orin E. (2003 – 1ère éd. originale 2001), La méthode – 5. L’humanité de l’humanité. L’identité humaine, Paris : Le Seuil. 98 Insistons sur un point. On pourrait trouver plus simple de continuer à parler en termes de démocratisation de la culture/démocratie culturelle, tant le registre de la différenciation semble a priori plus proche de la première et celui de maillage de la seconde. Néanmoins, prétendre que ces deux couples d’oppositions se confondent induit plusieurs difficultés qu’il est souhaitable d’éviter. D’abord, la démocratisation de la culture a pris, avec le temps, un accent légitimiste tel qu’on en vient à considérer celle-ci comme un projet élitiste. Or, la logique de différenciation peut tout aussi bien être radicalement émancipatrice et égalitariste – notamment, à travers la démocratisation du champ culturel – que radicalement élitiste. Ensuite, malgré sa visée émancipatrice, la démocratie culturelle, à travers une interprétation qui subordonnerait le culturel au social, pourrait générer l’effet inverse à celui – positif – escompté. Car on sait que c’est aussi parce qu’ils s’inscrivent “contre” le social, que la culture ou l’art ont une vertu émancipatrice. Enfin, plus généralement, démocratisation de la culture et démocratie culturelle doivent être considérées comme des projets politiques, avec leurs partisans et leurs ennemis. Il nous semble que l’analyse peut gagner en clarté et distanciation en plaçant momentanément ces expressions entre parenthèses. 51 Etudes N°2.indd 51 19/11/13 14:30 Étudesn°2 3.2.1. UNE FIGURE DE SPÉCIALISTE Malgré leur dimension généraliste, tous les centres culturels ont leur spécificité, ne fût-ce que par défaut. Celui-ci aura comme particularité d’avoir une programmation en rock et variétés, alors que celui-là aura justement comme spécificité de tout programmer, sauf cela. Parfois, l’histoire du centre culturel commande cette orientation ; parfois, l’environnement culturel du centre s’avère déterminant (et, par exemple, la proximité d’un opérateur spécialisé dans un domaine). Le décret de 1992, de même que l’arrêté royal de 1970, n’interdisaient nullement l’adaptation au contexte et le développement de spécificités d’action culturelle locale, sans pour autant encourager la spécialisation. Pourtant, au fur et à mesure des années, certains centres culturels sont devenus reconnus pour une spécificité particulière qui représente bien plus qu’une traduction locale de l’importance accordée aux différentes formes d’expressions artistiques et culturelles. Certains centres se sont véritablement spécialisés autour d’un domaine à part entière : les arts plastiques, le théâtre, la photographie ou les arts de la rue… Une telle dynamique est généralement portée par deux dimensions (qui, dans bien des cas, se superposent) : le volontarisme d’un animateur-directeur pour développer ce domaine, combiné à son expertise et à sa reconnaissance croissantes ; l’organisation d’un événement régulier (un festival, une exposition annuelle,…) qui participe de manière centrale à l’identité du centre. Si la longévité de l’animateurdirecteur et celle d’un tel événement se combinent, cette spécialisation est amenée à se renforcer. Cette logique se retrouve essentiellement en contexte de métropole La densité est un facteur qui l’encourage de deux manières. Du côté de l’offre, d’abord, par une situation concurrentielle, et donc un encouragement à la diversification et à la spécialisation des propositions culturelles. Du côté de la demande, ensuite, puisque la forte densité de population (population importante, d’abord, territoire resserré, ensuite) renforce l’ampleur et la diversité de publics potentiels. Comme nous le découvrirons a contrario à travers le cas d’autres centres culturels en contexte métropolitain mais évoluant davantage à l’échelle des quartiers, la spécialisation n’est pas une nécessité. Elle constitue une orientation tout à fait consistante pour un centre culturel souhaitant inscrire son action, non seulement au niveau d’une commune, mais bien à l’échelle de l’ensemble de la métropole. Des cas de spécialisation d’opérateurs culturels émergent certes de plus en plus hors de la grande ville, notamment dans des environnements plus ruraux. D’ailleurs, ces opérateurs représentent parfois l’aboutissement d’un pan de l’activité de centres culturels locaux ou régionaux de Wallonie. Néanmoins, ces cas se distinguent de deux manières : une fois la logique de spécialisation aboutie, ces projets émanant de centres culturels deviennent souvent des organisations autonomes (musées, centres d’expression et de créativité,…) ; ensuite, il convient de noter que cette spécialisation est généralement tenable grâce à un soutien spécifique d’une politique culturelle elle-même spécialisée (ce qui compense partiellement son inscription dans un environnement non métropolitain). Cette dynamique crée des centralités culturelles99, monofonctionnelles, viables dans des contextes de ville interstitielle, en raison de la démultiplication des mobilités et des soutiens de l’action publique. Ces spécialisations concernent directement des mondes de la création, de la production et de la diffusion artistique professionnelle. Les centres culturels s’orientant dans une démarche de spécialisation sont particulièrement intégrés dans de tels mondes urbains. La médiation y apparaît secondaire. Elle n’en demeure pas moins présente, car elle constitue souvent une étape (qui relie plus ou moins directement des moments de création et de réception d’œuvres) dans la division du travail artistique. D’ailleurs, si la métropole est un élément encourageant la spécialisation 99 Il serait d’ailleurs intéressant de consacrer une étude à part entière à l’histoire de la création de telles structures. 52 Etudes N°2.indd 52 19/11/13 14:30 “C’était au musée de la tapisserie, il y avait une grosse exposition sur les tapisseries bruxelloises, à l’époque, et il y avait déjà dans une des églises désaffectées, une artiste qui avait fait toute une installation, et on les avait amenés là-dedans, et les gens se sont dit : “non mais qu’est-ce que c’est que cette histoire, mais qu’est-ce que c’est, c’est pas de l’art.” Is sortaient de la tapisserie et puis ils se retrouvaient devant un langage qui ne leur parlait absolument pas, et c’est comme ça qu’on avait mis en place les conférences […]. Donc c’était déjà des dispositifs pour sensibiliser à l’art d’aujourd’hui. […] donc tout ça fait partie de la médiation, mais ça ne s’appelait pas comme ça. C’était à l’époque l’éducation permanente. Étudesn°2 en termes de forme d’expression artistique privilégiée, elle pose le même type de questionnement au sujet des modalités de médiation. L’extrait ci-dessous illustre ce souci de différenciation, ainsi que celui du rapport à l’art de la part des publics visés. Et par rapport à ces différents dispositifs justement vous retrouvez différents publics ? C’est à dire vous vous rendez compte d’une certaine manière que tel ou tel dispositif attire plutôt un certain type de public […] ? Oui, alors le concept a évolué aussi, on se rend compte – comme il y a une offre sur Bruxelles, vraiment, tous les jours, tous les jours vous pouvez faire 10 000 choses, par exemple les conférences – on a remarqué, ou bien au fil des ans, le public venait de moins en moins. Donc on avait des concepts “art et architecture” une année, “art et musique”, on a fait “art et philosophie”, donc il y avait à chaque fois un philosophe et un historien de l’art. […] Et, maintenant ce qu’on a mis en place, c’est qu’on fait, indépendamment des visites, on fait aussi des voyages, de 4 jours, 5 jours.” (Animateur-directeur, i) Ce type de médiation, qui, outre une dimension de sensibilisation, se décline prioritairement sous l’angle pédagogique, est amené à se remettre en question régulièrement compte tenu des offres proposées par d’autres opérateurs culturels urbains, mais également par de multiples dispositifs médiatiques. En plus des émissions télévisuelles et radiophoniques, l’accès à internet est venu considérablement transformer les manières de se documenter et de s’instruire, notamment en matière artistique. Aussi, la dimension “contenus” du dispositif pédagogique de médiation ne peut suffire. À partir de là, on comprend d’autant mieux l’insistance avec laquelle les animateurs en centres culturels rappellent l’importance des phénomènes de sociabilité lors des moments de médiation.100 Cette identité de spécialiste a longtemps été une figure très peu légitime dans le secteur des centres culturels, en raison des modalités de médiation qu’elle privilégie, mais aussi de ses objets. Pour beaucoup, “l’artistique n’est qu’un outil”, notamment pour encourager le développement communautaire ou l’émancipation individuelle. Il n’est donc pas une fin en soi. Or, dans les cas de centres culturels qui se spécialisent sur certaines formes d’expressions artistiques, l’appréhension ou la compréhension de l’art représente une finalité. Sans pour autant être devenue dominante, cette figure de “spécialiste” semble progressivement acceptée. Au niveau du cadre légal, l’arrêté de 1996 relatif aux conditions de reconnaissance des centres culturels inscrit, dans l’éventail des activités des centres de catégorie 1, l’art contemporain et les dispositifs pédagogiques permettant d’en appréhender les formes. De plus, la sanction positive des publics visés constitue un argument qui inspire d’autres centres dans des actions 100 L’importance de ces phénomènes a déjà été soulignée dans le cadre d’autres contextes d’expérience esthétique, que ce soit dans la fidélisation d’un public de théâtre ou dans l’essor des festivals. Cf., entres autres : Fleury L. (2003), “Retour sur les origines : le modèle du TNP de Jean Vilar”, in Donnat O., Tolila P. (dir.), Les(s) public(s) de la culture, Paris : Presses de Sciences Po, pp. 123-138 ; Djakouane A., Négrier E. (2010), “Focus sur les publics des festivals”, in Poirrier P., Politiques et pratiques de la culture, Paris : La documentation française, pp. 202-205. 53 Etudes N°2.indd 53 19/11/13 14:30 Étudesn°2 sporadiques de ce type, ce qui concourt à ne plus voir uniquement cette figure de spécialiste comme anormale dans le secteur. 3.2.2. UNE FIGURE DE GÉNÉRALISTE La figure de généraliste se distingue de celle du spécialiste dans la mesure où la question du public y devient première. De manière très pragmatique, on considère ici que pour “tenir”, une œuvre, quelle que soit sa forme, doit rencontrer un public suffisamment large. Il n’est pourtant pas question de transformer le public par quelque dispositif de médiation, aux accents pédagogiques, comme dans le cas précédent. Ici, c’est la mise en confrontation qui est médiation. Le comédien est médiateur. L’œuvre plastique contient en elle-même des potentialités médiatrices. L’œuvre dispose de sa propre logique et de sa propre force. Cette forme d’action s’inscrit généralement dans des centres culturels dont l’axe dominant est celui de la diffusion. Dans la mesure où elle consacre la notion de public et s’emploie à viser la qualité artistique en vue d’atteindre et de fidéliser l’estime de ce public, cette figure s’avère la plus méfiante à l’égard de la dimension idéologique des politiques culturelles qui se retrouve, pour les tenants de cette figure, en condensé dans le référentiel de l’“animation socioculturelle”. Estimant légitime que les opérateurs culturels se voient confrontés à des exigences relevant du registre marchand101, les acteurs engagés dans ces centres culturels estiment que les subventions dont ils bénéficient structurellement ne peuvent éluder une question majeure, celle de la fréquentation aux activités organisées. “La subvention est un point de départ. C’est un pied à l’étrier, ça ne peut pas être une finalité en soi. Donc c’est insupportable qu’une action rencontre dix spectateurs, […] c’est insupportable une salle qui n’est pas remplie. Insupportable dans deux dynamiques différentes. D’abord, le fait qu’on ne veut pas se dire “bah, j’ai rempli mes missions, j’ai rempli mon contratprogramme, j’ai fait ce qu’on m’a demandé, il y a eu trois personnes, ce n’est pas grave.” […] L’autre chose […] : parce qu’on a envie d’aller plus loin, les gens sont contents, donc ils reviennent plus facilement, ils sont plus curieux. Mais en même temps ça demande un niveau d’excellence, tout le temps, et une exigence assez marquée.” (Animateur, f) Ce n’est pas tant dans les plus grandes villes que dans les villes moyennes à vocation régionale que se déploie cette figure du généraliste. Des conditions objectives et historiques rendent cela possible. La plupart des villes moyennes ne disposent que d’un seul centre culturel, alors qu’à Bruxelles ou à Liège il en existe plusieurs. Ce phénomène diminue, si pas la dynamique concurrentielle, la question d’un positionnement en termes de spécialisation autour d’une seule forme d’expression artistique. Cette action généraliste est aussi encouragée par des différences entre les villes moyennes, voire les petites villes en contexte très urbanisé, d’un côté, et des communes plus rurales, de l’autre. Le rayonnement d’une ville moyenne génère un public potentiel assez étendu, appréhendé à partir de la question de la “fréquentation”. Un centre culturel à vocation généraliste constitue ainsi une figure culturelle dominante dans un espace social et urbain suffisamment précis. Il centralise les attentes, des publics comme nous venons de le signaler, mais aussi de nombreuses organisations et associations qui y rechercheront quelque soutien ponctuel. Ces attentes créent la reconnaissance de tels centres culturels autour d’expertises dans les do101 S oulignons que la dimension qualitative est considérée comme incontournable car ici aussi, comme dans les autres figures, se retrouve une méfiance à l’égard du caractère hégémonique des productions (en arts vivants) des industries culturelles (considérées comme relevant du “mainstream”). 54 Etudes N°2.indd 54 19/11/13 14:30 Ces attentes liées à la vocation régionale constituent en retour une forme de contrainte au renforcement de l’action de diffusion culturelle pointue et généraliste. Cette double dynamique repose aussi sur l’existence d’une infrastructure (théâtre, salle de spectacle,…) qui enjoint à la diffusion. La figure du centre culturel généraliste est toujours marquée par du pragmatisme. Comme on l’a vu, il sert de base à des discours méfiants à l’égard de la dimension idéologique des politiques culturelles. Toutefois, tout en étant un élément central à la compréhension de l’action culturelle locale, ce pragmatisme est parfois atténué ou décliné à partir d’un attachement maintenu à l’égard de l’esprit de la démocratie culturelle. Étudesn°2 maines artistiques considérés comme des sphères professionnalisées dotées de registres de qualité propres. Cela produit une identité claire d’acteur culturel, dont les missions sont bien distinctes de celles du monde social, associatif, de la formation ou encore de l’entreprise. “Sur les publics fragilisés, […] on a choisi de faire […] un spectacle théâtral qui se joue dans les quartiers. On s’est associé directement avec des associations, des comités de quartier, on a été jouer le spectacle dans les quartiers et il y a eu toute une série d’animations. Donc on essaie de garder ce caractère. Je vous mentirais si je vous disais que c’était notre préoccupation première, ce n’est pas vrai, mais ça reste dans nos préoccupations et je pense qu’on réussit à le faire occasionnellement. On saisit en tout cas toutes les opportunités qui se présentent à nous pour aller à la rencontre de ce public-là. Elles ne sont pas nombreuses, pas suffisamment nombreuses, mais si on faisait que ça on ne ferait plus le reste non plus mais à un moment donné on est toujours dans cette recherche d’équilibre entre ce qu’on attend de nous, l’ensemble de nos missions et les publics, etc.” (Animateur-directeur, d) La figure du généraliste n’est pas la seule figure observable en contexte de ville interstitielle. Beaucoup de centres de petites villes ou de communes rurales (voire parfois de villes moyennes) privilégient une identité de liaison, ce qui les amène à engager un autre rapport à la culture et une autre manière de se définir et d’interagir à l’égard de leur environnement. 3.2.3. UNE FIGURE DE LIAISON Le centre culturel qui adopte une identité de liaison conçoit, quant à lui, son activité de mise en réseau comme première, c’est-à-dire comme une finalité.102 Des activités de diffusion en découlent mais elles ne constituent généralement pas le moteur initial. Le point de départ est l’encouragement à développer un maillage d’une grande diversité d’acteurs à un niveau territorial. Le monde urbain de la médiation que de tels centres construisent s’intègre donc peu à un monde de la création artistique ou de la diffusion culturelle. Il vise plutôt à traverser un nombre important de barrières institutionnelles et organisationnelles. “Le premier partenaire c’est l’administration communale avec laquelle on est investis dans le PCDR103, dans la CCATM104, dans le plan de cohésion sociale, […] dans l’accueil du temps libre via la commission extra102 Si le généraliste crée à l’occasion des ponts avec des opérateurs culturels d’autres villes (souvent à dimension régionale ou métropolitaine), ce type de démarche sert alors à accroître le potentiel qualitatif de projets de diffusion (sous l’angle artistique, d’abord, grâce à des collaborations, mais aussi en innovant occasionnellement, ensuite, par la réappropriation de lieux urbains en espaces de diffusion) et, parfois, à élargir la zone d’attraction des publics potentiels. 103 Programme Communal de Développement Rural. 104 Commission Consultative d’Aménagement du Territoire et de Mobilité. 55 Etudes N°2.indd 55 19/11/13 14:30 Étudesn°2 scolaire, dans le plan d’action locale “énergie”. Donc tous les projets de développement actuels que la commune a impulsés, on était, si pas à l’origine de l’idée, en tout cas, associés dès le départ à l’idée. Alors, ça peut se discuter, ça se discute d’ailleurs parfois avec des collègues. En ce qui me concerne, c’est toujours intéressant. Je me souviens que la Ministre Laanan utilisait le terme d’“assemblier de la culture”. Pour moi un assemblier ce n’est pas forcément celui qui se trouve au point focal de tout mais c’est quelqu’un qui est associé à tout ce qui amène des gens à être ensemble et à évoluer. Donc il n’y a qu’à cette condition-là qu’on arrive à faire quelque chose de cohérent sur le long terme. Ca a été le cas quand il y a eu le plan communal de développement de la nature dans les années 95. La dynamique participative avait été initiée par des gens du conseil culturel.” (Animateur-directeur, c) Le rôle local de centre culturel, dans la mesure où il consiste à renforcer cette transversalité, est ainsi très étendu. Derrière la dimension organisationnelle des multiples plans et commissions (d’ailleurs fortement encouragée pour la multiplicité des dispositifs lancés par les politiques publiques de la Région wallonne), ce qui est visé est bien d’ordre culturel, au sens large. Il s’agit tout à la fois d’encourager les déplacements de l’expérience sensible – en ouvrant d’autres rapports au monde, et notamment au monde local –, d’enrichir les cadres cognitifs – en échangeant de l’information sur ce qui se fait ou est possible de faire – et d’initier des changements pratiques – en rendant effectives des actions concertées qui comportent des aspects publics et pragmatiques. Ces objectifs généraux se traduisent dans des mots régulièrement convoqués, tels que : la sensibilisation, l’information, l’échange de pratiques ou l’organisation d’ateliers. Cette conception étendue de la culture comme rapport au monde donne sens à l’engagement d’un centre culturel dans tout projet qui concerne la vie publique et la citoyenneté. Les implications concrètes sont donc nombreuses et diversifiées. Rien n’est a priori étranger à un centre culturel, hormis peut-être les initiatives d’ordre strictement privé. On comprend dès lors mieux pourquoi la question artistique est secondaire ou peu pertinente. Non pas que ces centres culturels soient rétifs à des projets qualifiés d’“artistiques” ; simplement, se dégage une relative indifférence (parfois une méfiance) à l’égard du travail de catégorisation visant à définir ce qui est artistique et ce qui ne l’est pas. Enfin, il faut souligner qu’à travers ce travail de liaison, le centre culturel fait la ville ou le territoire. Comme les organisations représentent des lieux essentiels de constitution d’une ville (au niveau des actions qui s’y déroulent, mais aussi au niveau de l’élaboration de représentations et de pratiques)105, il convient de reconnaître que le rôle de certains de ces centres culturels focalisant leur travail autour de la liaison est important au niveau urbain. Cela se traduit notamment dans la réalisation de services pérennes qui rendent visibles la vie d’une ville ou donne quelque cohérence à ce qui s’y passe. Prenons un exemple apparemment anodin : la réalisation et la diffusion d’un journal local par le centre culturel. “C’est un journal, c’est plus que le journal du centre culturel ? C’est le journal du centre culturel, qui sort tous les mois, mais on diffuse là-dedans toutes les informations de toutes les associations de la commune. […] Ça rentre dans le pilier “formation-information” puisqu’on donne les informations et on l’utilise : nos informations à nous, plus les informations de la commune, tout ce qui se passe de manière socio-culturelle dans la commune. […] [Il feuillette le journal] Informations sur le gaz, électricité. Il y a un plan de cohésion social qui publie régulièrement… 105 McQuarrie M., Marwell N.P. (2009), “The Missing Organizational Dimension in Urban Sociology”, City & Community, vol. 8, n° 3, pp. 247-268. 56 Etudes N°2.indd 56 19/11/13 14:30 Outre de tels services et les partenariats déjà évoqués, rajoutons que dans sa manière de faire ville, le centre culturel est aussi à l’origine d’autres organisations qui, si elles sont au départ des services lancés par le centre, s’autonomisent progressivement. C’est le cas de nouveaux centres culturels locaux, de centres d’expression et de créativité, de scènes de diffusion mais aussi d’organisations non directement liées au domaine des politiques culturelles : une maison de quartier, un service Infor-Jeunes ou une maison des associations. Étudesn°2 La bibliothèque communale mais on mêle les informations relatives à la bibliothèque, les PCDR, les PCDN 106, tout ça on met… […] Ce sont bientôt les élections communales. J’ai mis des infos sur la manière de voter… La clef d’Hondt. J’aurais dû leur donner le cachet d’aspirine [rires]. On diffuse les informations d’autres centres culturels pour les activités qui ont une portée un peu plus régionale. […] Donc on diffuse sur les cinq communes le journal. Ca date ; le journal a 40 ans, en fait.” (Animateurdirecteur, j) Ce travail de maillage est souvent un travail de l’ombre. Cela pose régulièrement des problèmes de reconnaissance du centre et donc d’identification auprès de la population. Il est possible de comprendre ce phénomène à partir des ambitions intrinsèques du centre : concerné par tout aspect de la vie sociale et donc par tout domaine, même institutionnalisé, il adopte un certain relativisme à l’égard des frontières socialement légitimes ou institutionnalisées de la vie sociale. Ce relativisme qui le distingue des figures du spécialiste et du généraliste s’articule pourtant à une dimension idéologique plus forte dans le travail même de médiation. Il n’est en effet pas rare qu’un projet comporte une forte dimension normative : par exemple, encourager le développement durable, promouvoir le dialogue interculturel… Pour le dire autrement, si les figures du spécialiste et du généraliste travaillent en liaison étroite avec des mondes de l’art et intègrent dans leurs actions des modes de jugements qui y sont propres, elles ne mettent pas en priorité un quelconque rôle social ou politique dans leur action. La figure de liaison quant à elle adopte une définition très relativiste des domaines des arts et de la culture ; par contre, elle met en priorité les questions de bien commun et les dimensions normatives y afférentes. Ce type d’approche se retrouve également dans la figure de l’immersion. 3.2.4. UNE FIGURE D’IMMERSION À l’instar de la figure de liaison, celle de l’immersion se définit autour d’une conception du centre culturel comme caisse de résonnance des préoccupations locales. Comme le souligne une ancienne animatrice d’un centre culturel bruxellois de catégorie 1, le “champ socioculturel” (considéré comme le cœur de la mission des centres culturels) est moins un domaine qu’un principe d’action et une forme de regard. “Je pense que des diffuseurs il y en aura toujours et donc quelque part, du public, il y en aura toujours. Ca veut dire que tous les citoyens peuvent à un moment donné être public de quelque chose et consommer de manière tout à fait, je veux dire, pas critiquable du tout. Donc on est à tour de rôle, citoyen ou public, tous. Maintenant, pour que les centres culturels quelque part, pas contournent, mais n’aient plus cette vision “publics”… Mais, moi j’ai l’impression que… qu’en remettant la nécessité d’un champ socioculturel (et pas artistique) et du vivre ensemble, c’est remettre des missions où on ne s’adresse pas un public. Pour ça, j’ai envie de dire, il y a les galeries, les cinémas, les musées, les théâtres, tous ces lieux du 106 Plan Communal de Développement de la Nature. 57 Etudes N°2.indd 57 19/11/13 14:30 Étudesn°2 champ artistique pur qui, ceci dit, ont aussi des missions de médiation par rapport à un quartier, un public différent, etc. alors pour moi plutôt de médiation souvent artistique. Mais j’ai l’impression qu’en remettant au cœur du métier ce rôle d’animateur, de mettre en lumière toutes des ressources locales et pas que des ressources artistiques, patrimoniales, mais c’est très difficile parce que c’est, c’est voir le métier d’une certaine façon… […] Le mot “socioculturel”, ceci dit, on a un peu tiré à boulet rouge. Il est un petit peu vu comme… l’animateur socioculturel comme l’amateurisme du milieu artistique. Et donc ça ne, il n’y a pas, il n’y a pas derrière ce mot la belle spécificité qu’il peut il y avoir. C’est comme de l’artistique atténué ou de l’artistique pas professionnel et donc forcément c’est un métier dont on n’a pas envie si on le voit comme ça…” (Animateur, g) Au cœur de la métropole, le monde de cette figure de l’immersion est orienté autour d’une médiation plus culturelle qu’artistique et se développe à une échelle plus locale (une commune, quelques quartiers ciblés,…) que celle empruntée par la figure de spécialiste. Même si la philosophie d’action défendue ici trouve de nombreux points communs avec la figure de liaison, elles semblent pourtant être différentes sur deux points. D’abord, cette figure de l’immersion, propre à la métropole, amène les centres culturels qui l’incarnent à travailler sur une échelle plus circonscrite que dans le contexte de ville interstitielle. Certes, il existe des initiatives d’échanges de pratiques et de réflexions entre centres culturels, que ce soit à travers la Concertation des Centres culturels bruxellois ou à travers des collaborations plus spécifiques. Néanmoins, ces initiatives ne débouchent pas sur des programmes d’action communs aussi importants que ceux développés via les collaborations entre certains centres culturels dans des espaces moins densément urbanisés. Ensuite, cette figure de l’immersion, tout en visant également le maillage de ressources locales, accorde une importance primordiale au domaine du social, ce qui apparaissait de manière moins prononcée dans la figure précédente. C’est dire aussi qu’en contexte de métropole, la question de la segmentation, voire de la ségrégation, sociale et ethnique, se pose de manière particulièrement aiguë.107 La ville interstitielle pose la question de la mobilité quotidienne et fait émerger l’enjeu de mener un travail culturel partagé à l’échelle des modes de vie quotidiens des individus, en l’occurrence un travail transcommunal. La métropole, et sa densité, consacre l’importance d’un travail socioculturel de terrain très localisé (ce qui ne réduit pas la possibilité d’entamer des actions à une échelle plus large dans un second temps). L’extrait ci-dessous rend compte de ce fort ancrage local de certains centres culturels des grandes villes. Il montre comment un centre, qui organise des ateliers pédagogiques et artistiques en semaine, est aussi un espace à disposition des habitants, notamment des enfants, d’un quartier. “D’où viennent les gens ? du quartier ? de plus loin ? C’est du quartier oui… C’est ouvert au niveau géographique. Ça peut être le quartier élargi. Il y a des personnes qui habitent un peu plus loin. Mais c’est vrai qu’en général, c’est des publics en difficulté sociale, les enfants sont parfois mêmes en grosse difficulté scolaire. L’école des devoirs est là justement pour pouvoir les aider à l’école et alors après, le côté, parce que moi je suis sur le côté “loisir et culture”, ça leur permet aussi d’avoir cette attache au foyer et… Et comme je disais tout à l’heure les secondaires, on n’a pas l’habilitation mais bon. Finalement, on arrive à avoir cette attache parce qu’ils s’attachent vraiment. Ils ne s’en vont pas. Ils sont encore là et ils aiment venir ici. 107 Francq B., Leloup X. (2002), “Bruxelles riche, Bruxelles pauvre. Contrastes, dispersion, création culturelle”, Les Annales de la recherche urbaines, pp. 7-14. 58 Etudes N°2.indd 58 19/11/13 14:30 C’est chez eux. Même des fois, on les pousse dehors à 5h et demi parce qu’ils veulent rester et les parents veulent les choper. Mais on leur explique que nous aussi, on a une vie, il faut qu’on rentre à la maison. Après, c’est vrai que c’est majoritairement du quartier, après au niveau origine, on va dire c’est un peu toutes les origines. Majoritairement maghrébine, il y a aussi des Pakistanais, des Français fin des Belges, il y a aussi des Hindous, c’est très mixte en fait. C’est très mixte dans la non-belgitude [rires] […] c’est vraiment des personnes qui sont en difficulté sociale et c’est le principe […] Ca leur permet aussi un accès à la culture.” (Animateur, h) Un des enjeux pour de tels centres consiste dès lors à arriver à jouer avec les différentes échelles, du quartier et de la métropole. L’enjeu n’est bien sûr pas strictement géographique ; il est culturel et social puisque les groupes sociaux s’inscrivent de manière différenciée dans ces échelles. Jouer avec les échelles revient donc à éviter ou à provoquer la rencontre ou la confrontation culturelle. Étudesn°2 C’est leur lieu… À partir de quel moment un centre culturel remplit-il ses missions ? À partir de quand ses missions s’arrêtent-elles ? À partir de quel moment ce qui y est fait a-t-il du sens pour les personnes qui y travaillent ? À partir de quel moment la population reconnaît-elle le travail d’un centre culturel ? Les quatre figures présentées ici montrent la diversité des réponses – normatives et concrètes – apportées à ces questions. Elles montrent également leur caractère partiellement irréductible, la légitimité d’une figure renvoyant bien souvent à l’illégitimité de l’autre. Tout en récapitulant brièvement où se jouent les lignes de segmentation entre centres culturels, il convient maintenant de préciser comment ces figures évoluent et parviennent à “cohabiter” au sein d’un même secteur. Nous verrons alors que c’est tout autant au niveau organisationnel qu’au niveau sectoriel que les tensions entre ces figures sont gérées. 3.3. L A DYNAMIQUE DES MONDES URBAINS DE LA MÉDIATION ARTISTIQUE ET CULTURELLE Nous avons parlé des mondes urbains de la médiation artistique et culturelle dans un premier temps, des figures de centres culturels au cœur de ces mondes dans un second temps. Il convient maintenant de relier plus explicitement ces deux dimensions – mondes et figures. Pour ce faire, nous allons d’abord reprendre de manière synthétique les précédents développements tout en veillant, ensuite, à expliciter plus concrètement dans quels types de centres se retrouvent les figures mises en avant. Par après, nous discuterons de cette notion de “figure”, en montrant qu’elle met l’accent sur un trait identitaire principal de tout centre culturel. Il faut convenir que la réalité est plus complexe et donc préciser selon quelles modalités des centres adoptent plusieurs figures et quelles en sont les implications pour les relations internes entre professionnels et pour le déroulement des activités du centre. 3.3.1. RETOUR SUR LES DIFFÉRENTES FIGURES DE CENTRES CULTURELS Avant d’aller plus loin dans la discussion entre figure de centre culturel et monde de la médiation artistique et/ou culturelle, il importe de récapituler de manière synthétique ce qui a été dit depuis le début de ce chapitre. Pour ce faire nous reprenons, à travers un tableau (cf. tableau 1), la manière dont chaque figure de centre culturel 59 Etudes N°2.indd 59 19/11/13 14:30 Étudesn°2 participe à un monde urbain de la médiation, ce qui implique une modalité particulière (explicitée ou non) de médiation et la mise en avant d’un métier-phare. Tableau 1 – Monde, modalité et métier de la médiation privilégiés en fonction de la figure de centre culturel Monde urbain de la médiation Modalité de médiation Métier de la médiation Figure de spécialiste Monde de la création et de la production artistique Relation pédagogique Guide-conférencier Figure de généraliste Monde de la diffusion artistique et culturelle Rapport direct “œuvre-public” Programmateur Figure de liaison Monde des acteurs territoriaux Dynamique de mobilisation Assemblier culturel Figure d’immersion Monde local du social et de l’associatif Maître ignorant Animateur socioculturel et artistique Soulignons que la construction de ce tableau procède d’une logique différente de celle du schéma 2 présenté dans le point 2.4. Ici, se dégage un métier-phare selon la figure de centre culturel alors que précédemment était présentée la diversité des activités de médiation à l’œuvre au sein d’un même centre culturel. En lisant côte à côte ce tableau et ce schéma, deux remarques émergent. D’abord, deux activités – la programmation et la mobilisation – sont, dans certains centres culturels, maîtresses et façonnent fortement l’identité de métier attendue – programmateur ou “assemblier culturel”. Ensuite, deux autres activités sont traduites dans des sens opposés en termes de forme valorisée de métier de la médiation : l’animation est doublement valorisée, soit à travers le métier d’animateur socioculturel et artistique, soit à travers celui de guide-conférencier ; la coordination ne débouche pas sur la constitution d’un métier central à proprement parler. L’animation, c’est-à-dire ici l’activité de contact direct avec des participants et des publics qui se focalise sur les contenus de l’action culturelle et artistique, demeure une activité socialement valorisée dans ces mondes urbains de la médiation. La coordination, quant à elle, ne l’est pas, aussi importante soit-elle en termes de temps de travail. Elle nous amène davantage vers des questions de gestion et de logistique. Elle semble ne plus faire partie du domaine de la médiation. Elle n’est dès lors pas constitutive d’une identité de métier positive dans ce domaine. Avant de revenir sur les rapports entre activités et métiers, voyons comment les différentes figures pointées et reprises dans ce tableau se traduisent concrètement dans la centaine de centres culturels de la Communauté française de Belgique. 3.3.2.E SSAI D’INTERPRÉTATION SUR LE RAPPORT ENTRE FIGURES ET CATÉGORIES DE CENTRE CULTUREL La plasticité du cadre légal, les singularités locales mais aussi des logiques endogènes* à l’évolution de l’action publique sont des éléments qui permettent de rendre compte de la diversification progressive du secteur des centres culturels. Parallèlement, l’analyse de la dynamique de cet instrument d’orientation de la politique des centres culturels que forment les catégories de reconnaissance des centres culturels, nous amène à comprendre que cette diversification n’est pas un phénomène totalement aléatoire.108 Sur la base du croisement d’informations quantitatives sur le poids numérique et économique de chaque catégorie, d’un côté, et d’une lecture attentive de la grille de reconnaissance annexée à l’arrêté de 1996, de l’autre, nous pouvons 108 Cette analyse des effets des instruments que sont les catégories de reconnaissance et les contrats-programmes sera intégrée dans une publication ultérieure relative à l’état des lieux socioéconomique du secteur. 60 Etudes N°2.indd 60 19/11/13 14:30 • Les centres culturels régionaux se retrouvent plutôt dans les figures de généraliste et de liaison, c’est-à-dire dans celles qu’on retrouve en contexte de ville interstitielle. Ce n’est pas étonnant, dans la mesure où ces CCR sont installés dans des villes moyennes et dans des petites villes régionales alors que, pour des raisons historiques, il n’y en a ni à Bruxelles ni à Liège.109 Ce qu’il importe de souligner ici est surtout que le fait d’être CCR n’implique pas l’adoption d’une voie unique et communément partagée en termes d’orientation de l’action culturelle. Bien entendu, tous les CCR réalisent de la diffusion – cela fait partie de leurs missions –, mais la manière de considérer cette activité comme première ou non varie très fortement entre CCR. Tous travaillent au cœur d’un territoire d’action qui déborde la commune où se situe le siège du CCR. Néanmoins, le rôle sociétal du CCR prend des orientations différentes selon que le centre adopte la figure de généraliste des arts et de la culture ou celle de liaison territoriale. • Les centres culturels locaux de catégories 3 et 4 forment un ensemble qui se réunit selon une autre logique, non plus liée au contexte urbain mais bien à l’orientation de l’action qui, en l’occurrence, est celle du maillage. Ces CCL se retrouvent tout autant en contexte de métropole que de ville interstitielle. La catégorie semble ici représenter un fort déterminant à l’orientation de l’action. Le fait de ne pas disposer d’infrastructure culturelle (puisqu’il s’agit des deux catégories où on en retrouve effectivement le moins) serait ainsi un déterminant fort pour adopter un type particulier d’action. Le désavantage que représente le fait de ne pas être matériellement en mesure d’accueillir et de présenter certains types de projets artistiques ou socioculturels amène ces centres à devoir se reposer d’autant plus sur des partenaires extérieurs pour initier et concrétiser des projets. De manière volontariste, ou par défaut, ce sont des options d’immersion ou de liaison que ces CCL sont encouragés à adopter. • Les centres culturels locaux de catégories 1 et 2 semblent quant à eux se distribuer de manière aléatoire entre les différentes figures. Pour autant, si l’absence d’infrastructure semble déterminer fortement la figure privilégiée, le fait d’en disposer ne semble pas constituer un élément déterminant la question politique de priorisation des finalités de l’action culturelle. Rappelons, par ailleurs, qu’en raison de la logique inflationniste liée à la grille de reconnaissance des CC de 1996, la catégorie 1 est devenue la plus importante en termes de nombre de centres culturels représentés. Cela indique à quel point les quatre figures de centres culturels sont toutes d’actualité et que, dès lors, la question du devenir des orientations adoptées par un centre culturel ne se pose pas seulement au niveau local mais demeure bien une question plus globale. Cette question n’est d’ailleurs pas que sectorielle mais interpelle, comme le rappelle particulièrement la figure de la spécialisation, l’architecture d’ensemble des politiques culturelles de Communauté française (voire l’action publique des arts et de la culture dans leur dimension multi-niveaux110). Étudesn°2 avancer l’hypothèse d’une différenciation entre trois types de centres culturels : les centres culturels régionaux, les centres culturels locaux de catégories 1 et 2 et les centres culturels locaux de catégories 3 et 4. À la suite de cette précision quant à la segmentation du secteur, nous pouvons relire les quatre figures de centres culturels présentées dans ce chapitre, puisqu’elles ne se répartissent pas de manière complètement aléatoire selon le type de centre culturel. Voici quelques éléments qu’il est possible d’avancer pour les trois regroupements précédemment repérés : 109 À Liège, plusieurs centres culturels existaient déjà dans les anciennes communes, avant leur fusion en 1977. Il n’a pas été question à ce moment-là de les regrouper autour d’un seul centre. À Bruxelles, l’importance de l’ancrage local et de l’initiative communale explique la multiplication des centres culturels locaux, non rattachés à un centre, fédérateur, de plus grande importance. Par ailleurs, il faut souligner les cas particuliers des villes intermédiaires que sont Charleroi et Mons, qui disposaient de centres culturels régionaux qui, aujourd’hui, sont “sortis” du décret et de ses missions spécifiques. 110 L owies J.-G. (2012), “La coopération culturelle en Belgique fédérale”, in Aubin D., Leloup F. et Schiffino N. (dir.), La reconfiguration de l’action publique en Belgique, Louvain-la-Neuve : Academia-L’Harmattan, pp. 93-109. 61 Etudes N°2.indd 61 19/11/13 14:30 Étudesn°2 Il convient de rappeler le caractère hypothétique de cet exercice de rapprochement des figures aux CC concrets. Pour le réaliser, nous nous basons sur l’échantillon des vingt-quatre centres culturels dans lesquels nous nous sommes rendus (cf. Introduction). Ils ne représentent donc pas la totalité du secteur. En se fondant sur le caractère diversifié de cet échantillon, des effets de saturation progressive* de celui-ci et de la dynamique compréhensive engagée à l’égard du sens que donnent les individus à leurs actions, il est possible de dégager les dimensions structurantes en termes d’identité et de principes d’actions des centres culturels, ce qui débouche sur les différentes figures de centres culturels. Cependant, un tel matériau empirique* ne permet pas de réaliser des corrélations*, au sens statistique du terme, entre différentes variables* (telles que les catégories de centres et les figures adoptées). Aussi, les interprétations proposées dans ce point sont à aborder avec prudence. Elles visent deux choses : d’abord rendre concrète la proposition analytique en termes de figures et ensuite encourager toute recherche plus quantitative sur le secteur des centres culturels. 3.3.3.S EGMENTATIONS INTERNES AUX CENTRES CULTURELS ET DYNAMIQUES DE COMPOSITION Si une enquête statistique pourrait être opportune pour traiter les questions précédentes, des études de cas constituées à partir d’entretiens, mais aussi d’observations de type ethnographique, s’avèreraient pertinentes pour instruire la question suivante : celle des éventuelles segmentations ou des contradictions internes à chaque centre culturel en termes de finalités d’action. Notre enquête empirique a révélé leur importance dont nous souhaitons rendre compte ici. En privilégiant l’analyse d’un nombre important de centres culturels, nous avons fait le choix parallèle de généralement ne rencontrer qu’une personne (parfois deux et une fois trois), ce qui nous amène à aborder l’organisation qu’est un centre culturel à partir, à chaque fois, d’un regard particulier. Ce regard nous donne beaucoup d’informations sur la manière de vivre son métier et l’organisation d’un centre culturel. Cumulés, ces regards servent de base fondée pour cette étude sur l’évolution du secteur des centres culturels et de ses conceptions et pratiques de la médiation culturelle et artistique. Ces regards, pris distinctement, ne permettent par contre pas aisément de rendre compte de centres culturels particuliers. Pour cela, il faudrait réaliser des analyses sociologiques organisationnelles, au sens classique du terme. Quoi qu’il en soit, à travers les entretiens réalisés, nous pouvons dégager des phénomènes récurrents qu’il convient de mettre en évidence, dont certains trouveront certainement quelque écho dans une série de centres culturels. L’approfondissement de la division du travail en centre culturel comporte une double dimension fonctionnelle et de reconnaissance sociale. Cette dynamique des relations sociales ne produit cependant pas uniquement de l’intégration. Dans ce cas-ci, elle n’accommode pas nécessairement tous les acteurs. Ces derniers ne se sentent pas tous également impliqués en vue de la réalisation d’une même mission de médiation artistique et culturelle. Il n’est par ailleurs pas certain que cette éventuelle “mission commune” soit toujours définie clairement. Ainsi, cette division du travail doit aussi être analysée à partir des engagements subjectifs, à fortes composantes normatives et pragmatiques, que les individus opèrent ou non. Ces engagements sont inscrits dans des jeux relationnels dont l’issue ou les modalités sont tout autant de l’ordre de la dissonance, du conflit, de l’évitement, que de la collaboration. Ainsi, si les différentes figures pointées précédemment permettent de se repérer dans ce secteur diversifié des centres culturels et de cerner différentes déclinaisons de l’inscription de ces centres culturels dans des mondes urbains de la médiation, 62 Etudes N°2.indd 62 19/11/13 14:30 La première est caractérisée par une autonomisation des missions. Phénomène souvent peu conflictuel, il consiste à diminuer l’interdépendance entre différents services. Chacun d’entre eux développe ses finalités propres ; dans la réalisation de ses activités, chaque service n’interfère pas sur les autres. Cet extrait d’interview croisée d’une programmatrice et d’une chargée de la médiation artistique montre bien la séparation des démarches entre différents services, même si des ponts informationnels demeurent possibles a posteriori. Étudesn°2 elles ont essentiellement été avancées sur la base de l’identité “présentée”111 par nos interlocuteurs et les principes d’action encouragés. Il peut donc y avoir un décalage relatif entre le discours et la réalité, prétendument “objective”. Ces décalages nous encouragent à voir comment, lorsqu’ils sont reconnus, ils sont interprétés par les acteurs des centres culturels. Nous pouvons distinguer quatre manières d’interpréter et de composer avec la segmentation du travail de médiation en centre culturel, segmentation impliquant un découplage partiel des finalités visées par les acteurs en présence.112 “Dans un lieu comme le nôtre, [le dramaturge] est un metteur en scène de théâtre, pas un animateur social. […] [Ma collègue] et d’autres collaborateurs ont mis en place d’autres choses qui ont pour point de départ le social […]. Ça revient à ce que je disais tout à l’heure. “Quel est le point de départ de nos démarches à chacune ?” On est à l’opposé l’une de l’autre, même si on peut se retrouver à un endroit. En l’occurrence, ici, il va y avoir plein des propositions de rencontres avec une population […]. Et, en parallèle, on a une démarche artistique. […] Mais il peut y avoir un pont dans l’information. […] On ne force pas les choses. Le jour où on fait le spectacle, on ne fait pas une expo…” (Animateur, f) Cette autonomisation peut déboucher sur une deuxième forme que l’on retrouve également dans des contextes d’interdépendance faible mais qui se marque par des relations de hiérarchisation symbolique entre les différents services. Le cloisonnement entre finalités et services ne s’exprime pas de manière égalitaire ; il se traduit en mettant systématiquement en priorité et en avant un axe privilégié du centre culturel. Les autres lui sont subordonnés. Mais généralement, le cloisonnement est historique et naturalisé. Aussi, les acteurs en situation d’infériorité parviennent à développer suffisamment de marges de manœuvre, de multiples tactiques, pour définir eux-mêmes et positivement la traduction concrète et opérationnelle de leurs finalités d’action. Cet extrait issu d’une rencontre avec une animatrice d’un centre culturel bruxellois illustre clairement un tel processus. “Il y a eu un moment, c’était vraiment en bas [le foyer] et en haut [le centre qui s’occupe de la programmation]. Et il n’y avait pas de lien. Nous, on allait voir en haut pour avoir de l’argent. On y va mais ce n’était pas l’idéal à l’époque. […] La première année […] c’est vrai que je me sentais un peu seule mais au rez-de-chaussée il y a toujours eu une entente parce qu’on est bien obligés de travailler ensemble. Il faut qu’on parle des enfants, qu’on coordonne. Je travaille aussi pour la ducasse, je travaille aussi pour la Zinneke parce qu’il y avait des ateliers “enfants” et puis parce que je suis aussi artiste donc voilà, ça sert toujours. […] [Ce centre culturel] est plus dans le culturel que dans le socio, on va dire, alors que le foyer culturel… – c’est vrai – c’est l’image qu’il en donne parce que quand on [parle de ce centre culturel], on pense directement à la programmation culturelle. Quand j’en parle, je bosse [dans tel centre culturel], les gens ils me disent “ah ouais, mais alors j’ai vu… y a ça comme spectacle”, mais 111 Goffman E. (1973), La mise en scène de la vie quotidienne – 1. La présentation de soi, Paris : Editions de Minuit. 112 Cette expression, en incluant l’idée de découplage normatif*, est donc plus poussée que celle de division du travail. 63 Etudes N°2.indd 63 19/11/13 14:30 Étudesn°2 finalement les gens ont l’image, c’est l’image que ça donne, ils ont du mal à voir qu’il y a un foyer culturel, ils ne le voient pas. La communication n’est pas bien faite, je ne sais pas, mais en tout cas c’est vrai que c’est le culturel qui est mis en avant, l’événementiel, en fait.” (Animateur, h) Cette ruse qu’on retrouve chez des animateurs se retrouvant dans des situations d’infériorité (qu’elle soit symbolique, fonctionnelle ou autre) peut ne pas suffire dans les cas où l’interdépendance des uns par rapport aux autres apparaît de manière plus nette. Dans de pareils cas, il n’est pas rare que naissent des tensions. En effet, une fois que des arbitrages doivent être posés, les désaccords en termes de conceptions des orientations de l’action et des pratiques de médiation culturelle réapparaissent de manière explicite. Se crée ainsi une dynamique de conflictualisation plus ou moins violente. L’extrait ci-dessous illustre la naissance de ce processus. D’autres cas montrent parfois une inscription plus pérenne de celui-ci. Son issue est souvent incertaine. Il peut aussi bien déboucher sur l’éviction de certaines personnes (soit sur une base volontaire – c’est la fuite –, soit via licenciement), sur des formes de réorganisation qui intègrent ces arbitrages nécessaires, ou encore sur des réorganisations qui réduisent l’interdépendance au moyen d’une séparation plus poussée des missions et des activités.113 “[…] Il faut se mouiller, il faut aller voir les gens, il faut convaincre les gens, faut leur parler et donc au départ ça m’intimidait beaucoup et je me suis dit : “c’est vrai que si on veut arriver quelque chose, il faut aller voir les gens parce que derrière mon téléphone, visiblement ça ne marche pas”. [Une collègue médiatrice pour un théâtre] m’a confirmé la chose et elle m’a dit “moi en général, je vais voir des associations et surtout, surtout, surtout je les écoute d’abord avant de leur vendre mon produit”. Parce que moi au début j’avais l’impression de vendre des produits, c’était comme vendre un aspirateur, c’était la même chose pour moi… Et ça je l’exprimais ouvertement à l’équipe aussi, ça ne me convenait pas et ce n’est pas ce que j’avais compris au départ et on trouvait toutes des excuses en disant “Oui mais na na na”. Donc je me suis dit, je vais faire de la place dans mon horaire, dans mon emploi du temps pour sortir [du centre culturel] et aller à la rencontre des associations. Donc j’ai commencé à reprendre mon fichier et à voir d’abord les associations proches [du centre culturel]. Et je suis désolée mais le travail qu’on fait au niveau de la médiation, pour moi en tout cas, je me le dis de plus en plus, c’est vraiment lié à de l’interpersonnel. Si le contact de départ n’est pas bon, si le responsable de l’association, que ce soit l’éducateur, le formateur, l’animateur, le coordinateur n’a pas un contact, un bon contact dès le départ avec moi […] c’est déjà mal parti. Et si par contre ça se passe bien et qu’on se trouve un terrain d’entente et un intérêt, une curiosité, moi je peux ouvrir certaines portes sans arriver avec tout mon support de com’.” (Animateur, i) Hormis dans les cas d’autonomisation poussée et assumée, les animateurs rencontrés témoignent souvent d’un désir de renforcer la dynamique de collaboration, entre le centre culturel et son environnement, mais aussi entre les différents services ou métiers au sein des centres culturels. Au-delà des nécessaires réunions de collaboration (ne fût-ce que logistique), il y a place à repenser des projets communs entre des services qui travaillent de manière relativement autonome. Cette collaboration est donc régulièrement à inventer et à construire, en particulier dans des contextes où l’intégration est faible à la base. L’extrait suivant indique qu’à partir d’une remise 113 L a sortie positive (du point de vue des animateurs) des cas de conflictualisation ou de hiérarchisation passe régulièrement par un changement de direction. C’est grâce à cela qu’il devient possible de raisonnablement espérer une réorganisation du centre qui incarne davantage un projet culturel global et partagé. 64 Etudes N°2.indd 64 19/11/13 14:30 “Et elle est venue avec cette idée et certains d’entre nous étaient un peu sceptiques. Donc [Martine] en l’occurrence qui avait déjà plein d’expérience et quand elle programmait un spectacle en scolaire, elle avait l’habitude de le programmer mercredi après-midi ce qu’on appelle en “tout public” et puis les fréquentations ont chuté, chuté, chuté et puis elle s’est dit ça ne marche pas, ca ne sert à rien… […] Et puis elle a dit : “mais non, il faut essayer de relancer, la société évolue, ce n’est plus les mêmes gens, il y a beaucoup de… essayons et essayons pas uniquement avec les spectacles mais avec toutes les activités qu’on fait, ça peut être une séance de cinéma…” Et elle a mis ça en place et ça marche en fait mais il faut à chaque fois… Bon si par exemple, ce n’était que du cinéma… si on fait du cinéma grand public, Madagascar 1 – 2 – 3 tous les mercredis ça irait mais à chaque fois on change d’activités. “Tu viens voir le cinéma une fois, la fois d’après viens voir quelque chose d’autre”. Et après elle a eu une idée avec une association du quartier de retranscrire ce que l’enfant et l’adulte qui l’accompagne perçoit dans l’activité pour en faire une pratique dans un atelier juste après. Donc la personne de [l’association] va voir l’activité comme les autres et puis elle propose aux… à ceux qui veulent de participer à un atelier qui dure après, créatif… Chaque fois l’atelier est en fonction de ce qui a été vu. […] Vous payez pour le spectacle mais vous ne payez pas pour l’atelier. L’enfant paie 5 euros, l’adulte paie 8 ; s’il veut participer à l’atelier après c’est gratuit. C’est la cerise sur le gâteau. […] Et donc pour l’instant c’est un mercredi par mois. Un mercredi par mois, en fait, parfois deux, ça peut être une visite d’expo avec l’artiste et puis après, ils font un atelier créatif à partir de ce qu’ils ont vu. On essaie de couvrir toutes les activités qui sont les nôtres pour qu’ils aient un panel assez vaste, on l’a fait en danse, on l’a fait en théâtre, on l’a fait en cinéma, on l’a fait en musique, on l’a fait en expo…” (Animateur, j) Étudesn°2 en question du fonctionnement quotidien, est susceptible de se déployer une dynamique collaborative entre différentes parties prenantes, internes et externes au centre culturel. En l’occurrence ici, autour d’une activité hebdomadaire, se développe une coopération régulière entre une chargée de la coordination associative, des programmateurs, ainsi que des animateurs travaillant pour une association du quartier extérieure à la structure du centre culturel. Les quatre phénomènes pointés ici témoignent des différentes manières de composer avec la segmentation interne au centre culturel (cf. tableau 2). Ce ne sont donc pas tant des situations que des processus. Bref, ces phénomènes ne sont pas des éléments descriptifs donnés une fois pour toutes. Ce qu’ils révèlent concernent plutôt la manière dont les acteurs des centres culturels interprètent leur contexte de travail, en fonction de leur propre définition des finalités et modalités souhaitées, et comptent orienter ou non la configuration organisationnelle dans laquelle ils évoluent. Aussi, le passage d’une manière de composer avec la segmentation interne à une autre est un phénomène normal et s’observe régulièrement. Tableau 2 – Manières de composer avec la segmentation interne au centre culturel Interdépendance des services forte Interdépendance des services faible Relations égalitaires Collaboration Autonomisation Relations non égalitaires Conflictualisation Hiérarchisation 65 Etudes N°2.indd 65 19/11/13 14:30 Étudesn°2 Ces phénomènes de différenciation interne montrent bien que le centre culturel peut ne pas se déployer uniquement dans un seul monde urbain de la médiation artistique et culturelle. Même si certains acteurs du même centre culturel mettront en évidence une des figures pointées, soulignant ainsi l’identité du centre et son principe d’action directeur, il n’est pas rare qu’à partir d’une observation plus fine, il devient possible de découvrir le déploiement d’autres finalités et modalités au sein du centre. Il s’avère dans ce cas intéressant de comprendre les rapports qu’entretiennent entre elles ces différences.114 Aussi, un individu, apparemment très esseulé dans l’organisation, détient souvent une marge de manœuvre suffisante pour s’investir dans un monde urbain de la médiation et développer de la sorte son travail grâce à une pluralité de supports qui, dans ce cas, seront plutôt externes (d’autres médiateurs, des associations). Dans le point suivant, nous proposons donc d’analyser cette dimension “métier” davantage pour elle-même, c’est-à-dire à partir de la manière dont le déroulement des activités et les expériences professionnelles la reconfigurent en propre. 114 Il devient ainsi possible de mieux comprendre que, d’un côté, dans tous les centres se pratique de l’animation ou de la médiation avec l’associatif ou avec “les publics”, mais que, d’un autre côté, la définition de ces missions et leur place dans l’organisation sont susceptibles d’être radicalement différentes d’un centre à l’autre. Dans le même ordre d’idée, la très grande majorité des centres parlent, aujourd’hui plus qu’hier, d’“artistique” ; cependant, la place et le rôle qui lui sont accordés varient tout à fait d’un endroit à l’autre. 66 Etudes N°2.indd 66 19/11/13 14:30 Les métiers de la médiation artistique et culturelle en centres culturels adoptent des contours diversifiés selon la manière dont s’y inscrit le rapport aux arts, à la citoyenneté culturelle ou sociopolitique. Ils sont traversés par différents mouvements de balancier qu’il est possible de décrire à partir de trois dimensions structurant les moments d’élaboration et de réalisation d’activités de médiation, à savoir : 1) le type de configuration sociologique et organisationnelle de cette médiation, 2) les aspirations du médiateur et 3) les modes de constitution des participants/des publics. D’abord, s’intéresser à la question de la configuration des activités de médiation amène à constater que la médiation apparaît comme une catégorie transversale à l’action et que, dans d’autres cas, elle constitue une fonction dans une organisation ou dans un monde urbain d’échanges artistiques. Ensuite, l’analyse des aspirations du médiateur – qui est essentielle puisqu’on touche là à la question des finalités en actes – permet de mettre en évidence la pérennité de certains repoussoirs, en particulier les formes “pures” de l’instruction et du divertissement, et de l’élaboration concomitante de motivations hésitant entre dynamiques sociopolitiques et mouvements de l’expérience sensible. Enfin, ces activités s’inscrivent toujours en interaction avec des participants ou des publics, qui doivent nécessairement se constituer ou être constitués comme tels. Ce travail est inhérent à toute activité de médiation. Il peut soit privilégier la voie de l’unité et du volontarisme d’un collectif de participants aux activités, soit celle de la segmentation stratégique et ciblée des publics. Malgré les divergences de vue à ce sujet, nous verrons que cette question est en réalité subordonnée à la précédente. Aborder ces trois points distinctement, montrer que s’y pose à chaque fois une oscillation particulière nous amènera dans un quatrième temps à interroger ces métiers comme une forme de rapport à la société et aux individus. Arrivés au terme de ce parcours empirique et analytique sur l’évolution des métiers de la médiation artistique et culturelle en centres culturels, il nous sera ainsi permis de réinterroger le référentiel de la démocratie culturelle, à partir de ses transformations concrètes, de ses impasses, de ses rejets effectifs, mais aussi de certains de ses espaces de réinvention, en particulier autour de la redéfinition de l’enjeu d’émancipation individuelle et collective. Étudesn°2 4. Pratiques de médiation culturelle et mouvements subjectifs 4.1. C ONSISTANCE DE LA MÉDIATION ARTISTIQUE ET CULTURELLE : FONCTION DANS L’ORGANISATION OU RÉFÉRENTIEL TRANSVERSAL ? Si dans les discours, plus que dans les pratiques, comme le relevait déjà de Coorebyter115, animation socioculturelle et diffusion se sont longtemps opposées, la plupart des acteurs de terrain sont actuellement prêts à affirmer que ces deux orientations d’action sont effectivement pratiquées dans leur centre culturel. De plus, malgré l’usage flottant des termes utilisés, presque partout s’organise – et donc s’observe – de l’animation ou de la médiation artistique. La relativisation de certaines dichotomies, d’un côté, et la prégnance de plus en plus importante de l’artistique, de l’autre, ne transforment pas pour autant le secteur des centres culturels en un ensemble homogène. Ces deux phénomènes sont objets de réappropriations diverses. D’ailleurs, l’approfondissement de la division du travail de médiation artistique et culturelle, s’il est commun, demeure une problématique organisationnelle et politique – localement, 115 de Coorebyter, op. cit. 67 Etudes N°2.indd 67 19/11/13 14:30 Étudesn°2 et éventuellement au niveau sectoriel. S’y jouent des questions de priorisation et de hiérarchisation mais aussi de degrés d’ambitions de transversalité dont les résolutions concrètes, elles, demeurent diverses. Aussi, si on accepte l’idée que le rapport du centre culturel au monde urbain se reflète partiellement dans son organisation interne, il est utile de convoquer à nouveau le couple différenciation/maillage pour rendre compte de la manière dont la médiation artistique et culturelle s’incarne dans les activités concrètes des centres culturels. Apparaît alors une différence selon que cette médiation constitue un domaine à part entière, objet d’une spécialisation poussée, ou que, malgré la nécessaire division du travail, elle demeure un référentiel transversal à l’action du centre. Nous abordons maintenant successivement ces deux cas de figure. 4.1.1. L A MÉDIATION CULTURELLE COMME MÉTIER ET FONCTION DANS L’ORGANISATION La médiation est devenue un élément très présent dans les mondes urbains de la création et de la diffusion artistique, au même titre qu’elle s’est progressivement immiscée au cœur du monde muséal.116 Elle s’incarne sous la forme de groupes professionnels, en particulier en France117 ou au Québec118 où le terme de “médiateur” semble s’imposer. Cette voie est empruntée par certains centres culturels de Belgique francophone. Elle n’est cependant pas majoritaire. Légitimée, notamment, par les idées de compétence et de qualité fondées sur une spécialisation des rôles – de l’artiste, du programmateur, du médiateur et du public –, elle correspond peu à l’esprit des centres culturels. Il n’est donc pas étonnant que ceux qui empruntent cette voie puisent des ressources de légitimité moins dans l’histoire du secteur que dans des expériences flamandes ou étrangères ainsi que des expériences relatives à d’autres domaines des politiques culturelles. “Il faut aller à la rencontre des gens et en fait, on est très solidaires dans le secteur. J’ai eu l’occasion de rencontrer [une collègue] du KVS119 qui fait de la médiation là-bas et je lui ai dit : “comment est-ce que tu fais ? je ne sais pas par où commencer”. Elle m’a dit : “il faut aller sur le terrain, il faut aller rencontrer les gens, moi je fais ça, ça, ça…” Et je dis : “ouais, c’est pas mal.” Et moi qui suis quand même assez timide au départ, assez discrète, c’était me demander beaucoup au niveau de l’engagement personnel. [… ] En tout cas en une heure, elle a un peu expliqué ce qu’elle faisait et pour moi, ça fait a tilt et je me suis dit : “c’est pas con.”” (Animateur, i) Ces relais extérieurs sont des ressources de légitimité mais aussi des ressources cognitives, que ce soit pour un professionnel à l’égard d’autres membres de la même structure culturelle ou pour cette structure à l’égard de son environnement. En constituant des supports à l’action, ils permettent de sortir de certaines impasses quant aux modalités relationnelles qu’implique un travail de médiation. Ils soulèvent des pistes à ce sujet, notamment pour inverser la manière de rencontrer les publics. À travers l’observation ou la discussion de ces pratiques initiées par des collègues extérieurs, se dégagent aussi des pistes très concrètes d’activités qui pourraient être réinterpré- 116 C f., notamment : Raison présente (2011), “Pour une éthique de la médiation culturelle ?”, n° 177 ; Hermès (2011), “Les musées au prisme de la communication”, n° 61 ; Kindt M. (2013), Vers une conceptualisation de l’expérience culturelle des enfants : le cas de la visite aux musées d’art et d’histoire. Thèse de doctorat, Louvain-la-Neuve/Mons : Université catholique de Louvain/UCL-Mons. 117 Auboin et al., op. cit. 118 L afortune J.-M. (dir.), La médiation culturelle. Le sens des mots et l’essence des pratiques, Presses de l’Université du Québec : Québec. 119 Koninklijke Vlaamse Schouwburg (Théâtre Royal Flamand). 68 Etudes N°2.indd 68 19/11/13 14:30 Spécialité en gestation, le métier de médiateur artistique ou culturel se dessine également autour des dynamiques de technologisation de la médiation et de l’importance croissante des supports matériels. Ce phénomène est sans doute plus marqué dans les musées où la réflexion architecturale et muséographique croise l’importation de multiples outils de communication (audio-guides, tablettes virtuelles, jeux participatifs,…). Néanmoins, certains centres culturels expérimentent – avec plus ou moins de succès – cette technologisation de la médiation culturelle (à travers des blogs, comme on l’a évoqué, des plateformes Facebook,…), sans compter que cela s’inscrit dans un mouvement plus large de technologisation de la communication culturelle. Même si cette dynamique est croissante et qu’apparaissent de nouvelles expériences culturelles ou esthétiques de type virtuel121, elle ne doit pas cacher ce qui demeure le cœur des activités des équipes de “médiation des publics”, de “relations publiques” ou des “équipes pédagogiques” (en centres culturels, du moins), à savoir un travail relationnel, personnalisé et continu de sensibilisation artistique et de coordination de moments concrets de médiation. Étudesn°2 tées et mises en œuvre.120 Ainsi, les médiateurs sont, dans ce type de configuration, amenés à développer des projets spécifiques qu’ils créent bien souvent “sur le tas”, en s’inspirant ponctuellement d’activités extérieures à l’organisation dans laquelle ils travaillent. Ce modèle est d’ailleurs plus fréquent que celui de transfert de compétences ou de pratiques, entre générations, à l’interne. Les compétences du médiateur se dessinent ainsi autour du relationnel, de l’artistique et du technologique. Le premier des trois termes garde une importance majeure, ce qui différencie ce professionnel des artistes ou des programmateurs. Dans ce type de configuration où la spécialisation prime et où la médiation devient un métier précis, s’observe une hiérarchisation entre travail de création artistique et de programmation, d’un côté, et travail de médiation de l’autre. Cette hiérarchisation est fonctionnelle, parfois symbolique. Du point de vue fonctionnel, cela signifie que la définition de la programmation prime sur celle de médiation. Autrement dit, ce qui est objet de médiation est essentiellement ce qui est inclus dans un programme de création et de diffusion. Le travail de médiation est donc subordonné à d’autres finalités. Cela ne réduit pas pour autant l’importance de l’autonomie* des médiateurs, ni leur créativité. Cela ne signifie pas non plus que création et programmation ne sont pas touchées par la médiation. Au contraire, aujourd’hui plus qu’hier, elles sont constamment sollicitées par celle-ci. Cela signifie simplement que la division du travail génère des formes de spécialisation qui induisent un ordonnancement formel dans l’élaboration des activités réalisées au niveau du centre. On retrouve entre médiateurs et programmateurs le même type de clivage et de hiérarchisation qu’entre guides-conférenciers et conservateurs dans le cadre des musées.122 Indirectement, la question posée revient à se demander si ce qui prime est l’art ou la science comme formes “pures” ou la relation que les individus vont engager avec des formes artistiques ou des activités scientifiques.123 Généralement, dans ce type de configuration, les premiers termes l’emportent sur les seconds. 120 À titre d’exemple, une animatrice rencontrée dans un centre culturel bruxellois nous faisait part de son intérêt pour une initiative lancée au Manège. Mons, qui concerne la réalisation d’un blog de critique culturelle menée avec et pour des jeunes du secondaire. 121 G herbi M. (2013), “L’émergence du corps dans l’expérience virtuelle de lieu : une approche phénoménologique”, Thèse de doctorat, Louvain-la-Neuve/Mons : Université catholique de Louvain/UCL-Mons. 122 P eyrin A. (2008), “Démocratiser les musées : une profession intellectuelle au féminin”, Travail, genre et sociétés, vol. 1, n° 19, pp. 65-85. Autre parallèle à noter entre ces deux cas, la dimension très féminine et “relationnelle” des métiers observés. 123 A ussi, il n’y a pas véritablement d’opposition entre artiste et non-artiste. C’est au sein même des artistes de profession que certains adopteront plutôt une orientation de création, tandis que d’autres celle de médiation (cette dernière impliquant d’ailleurs un travail important de création de dispositifs ou d’animations). 69 Etudes N°2.indd 69 19/11/13 14:30 Étudesn°2 4.1.2. LA MÉDIATION CULTURELLE COMME RÉFÉRENTIEL TRANSVERSAL Dans une configuration où est questionnée l’existence même d’une sphère artistique reconnue pour son extériorité et des attributs qualitatifs spécifiques, le travail de médiation artistique et culturelle ne sera pas appréhendé de la même manière. Si dans des centres culturels qui s’inscrivent dans une configuration de différenciation, et donc de spécialisation de la médiation culturelle comme fonction dans l’organisation, ce qui apparaît important concerne les supports professionnels extérieurs, la technologisation des activités et la hiérarchisation entre programmation et médiation, l’orientation en termes de maillage induit d’autres déclinaisons. Celles-ci s’ancrent dans un phénomène majeur : la quasi-absence (en principe, du moins) de hiérarchisation des expressions culturelles sur des critères esthétiques. Bien sûr, comme des choix doivent être posés (notamment, en termes de diffusion), des formes de hiérarchisation, ne fût-ce qu’implicites, existent dans la pratique. Néanmoins, ce principe de non-hiérarchisation est tellement légitime qu’il traverse l’esprit du centre et certaines de ses pratiques. Aussi la médiation culturelle qui s’incarne concrètement dans les activités de ce type de centre est-elle transversale à celles-ci, elle est censée inonder l’ensemble de ces activités. Ce phénomène se traduit par une ouverture maximale du dispositif du centre culturel.124 Cela signifie que tout le monde doit pouvoir s’y exprimer et que, de ce fait, il convient de réduire toute forme, même implicite, d’exclusion, telles celles qui pourraient s’immiscer à partir du moment où sont introduites des exigences de qualité technique ou esthétique envers les participants aux activités. Dans ce type de configuration, on retrouve ainsi peu de hiérarchisation interne. Eventuellement, existent des divisions de type interpersonnel mais elles s’organisent moins nettement en termes fonctionnels comme dans la configuration précédente. Apparaissent, par contre, des formes de délégitimation par l’externe. Elles émanent alors d’autres centres culturels, qui s’apparentent davantage au premier cas de figure abordé dans ce point, d’autres structures culturelles ou encore de nouveaux artistesintervenants récemment engagés pour réaliser des prestations d’animation dans le centre culturel. Dans de tels discours négatifs, seront tout à la fois reprochés : un manque de professionnalisme, une faible capacité d’innovation dans les pratiques de médiation culturelle, un esprit “centres culturels” trop autarcique et, corrélativement à cela, une forme d’amateurisme liée à une peur d’introduire des exigences de qualité. Les discours de légitimation et de délégitimation consistent toujours à figurer un positionnement des uns par rapport aux autres. En cela, ils parlent de manière réductrice de la réalité des pratiques. Néanmoins, ils permettent de situer les ambitions de chacun et, parfois, a contrario, les problèmes à résoudre selon la configuration dans laquelle on se trouve. Aussi, dans cette conception de la médiation demeure un problème difficile à résoudre pratiquement au sujet des choix relatifs aux contenus de l’action et aux limites des domaines d’action, puisque s’y combinent une quasiabsence de critères d’évaluation et d’arbitrages (en particulier, esthétiques) et une définition extensive de la culture. 124 Pour cerner l’importance de ce phénomène, on peut citer une observation que nous avons réalisée dans un centre culturel. Lors d’un débat qui faisait suite à un concours de photographies dont les participants étaient des personnes de la commune d’implantation du CC, apparaît l’idée, en vue de la réorganisation future de ce concours, d’engager un artiste-photographe qui pourrait constituer un support pour les participants (amateurs) en amont du processus. Cette idée a été rejetée par un membre du conseil culturel dont l’argumentaire consistait à rappeler : 1) que tout le monde doit pouvoir s’exprimer ; 2) qu’il ne faut pas laisser s’immiscer insidieusement la question des exigences de qualité technique et esthétique ; 3) car cela risquerait de produire des formes d’exclusion et donc de dévier l’action du CC de l’objectif fondamental d’expression de tous. Il est remarquable que, dans la suite du débat, cet argumentaire n’ait pas été contredit par les autres personnes présentes. 70 Etudes N°2.indd 70 19/11/13 14:30 L’incertitude structurelle présente dans de nombreux centres à propos des modes de jugement de ces contenus culturels des activités est en partie réduite sur le terrain par le caractère affirmé des aspirations professionnelles des médiateurs. En effet, la médiation, comprise comme acte communicationnel, répond à des objectifs relationnels, dont le degré de précision peut effectivement réduire l’incertitude initiale relative aux contenus de l’action. Ces objectifs concernent toujours la transformation partielle de l’individu (public, participant,…) au cœur du processus de médiation. Cette transformation est susceptible de porter tout à la fois sur les compétences cognitives, l’état émotionnel, les capacités d’action ou encore le potentiel créatif des individus ou groupes. À travers les débats historiques sur les centres culturels et les développements pratiques plus récents, peuvent être dégagés quatre principaux mobiles à la médiation : 1) instruire (ou enseigner), 2) distraire (ou divertir), 3) politiser ou 4) (re) découvrir le rapport à soi et aux autres. Bon nombre d’activités organisées en centre culturel mêlent ces ambitions. Pourtant, dans les discours, et donc aussi dans la manière de légitimer certaines actions, les deux premières demeurent des repoussoirs assez forts, tandis que s’observe une oscillation de plus en plus nette entre un travail socioculturel à forte dimension citoyenne et sociopolitique, d’un côté, et une focale sur un travail encourageant les mouvements subjectifs de l’expérience sensible. Il s’agit de plus en plus d’une oscillation plutôt que d’une opposition, dans la mesure où, dans de nombreux cas, ces termes apparaissent de moins en moins en contradiction. Étudesn°2 4.2. L ES ASPIRATIONS DU MÉDIATEUR : CRITIQUE SOCIOPOLITIQUE OU MOUVEMENTS DE L’EXPÉRIENCE SENSIBLE ? Les centres culturels sont nés à partir d’une conception politisée de la culture en opposition, dans les discours en tout cas, à deux autres formes de médiation culturelle qui sont : la distraction (ou le divertissement) – synonyme de consommation passive et d’aliénation à l’égard des industries culturelles –, et l’enseignement – synonyme d’intériorisation de la domination culturelle des élites. Socialement, le tranchant des critiques de l’aliénation et de la domination (dont les formes intellectuelles, parmi les plus radicales, se retrouvent, respectivement, dans les œuvres de Debord125 et de Bourdieu126) s’est largement atténué pour la raison qu’elles font largement partie aujourd’hui du sens commun et qu’elles constituent ainsi une balise permanente. Cela pose le problème de l’inconséquence de ce type de critiques, devenues banalisées et stéréotypées,127 voire obsolètes.128 De plus, les formes actuelles de légitimité culturelle, incarnées notamment dans la figure de l’“omnivore culturel”129, tendent, d’un côté, à relativiser les découpages entre cultures populaires commercialisées, cultures locales et avant-gardes artistiques, et, d’un autre côté, à valoriser l’alternance des modalités d’engagement culturel – de la consommation très passive derrière un lecteur de DVD à l’admiration de performances qui invitent à l’implication du public, en passant par l’écoute de conférences en ligne au sujet de tel ou tel mouvement artistique. Autant dire que les centres culturels doivent composer avec cette diversification des pratiques culturelles, mais aussi leur hybridation. Les catégories de pratiques culturelles et de compréhension de celles-ci ayant changé, les mobiles de l’action culturelle connaissent eux aussi des transformations. La difficulté actuelle – ou l’impossibilité empirique – d’aborder la réalité culturelle de manière structuraliste amène de fortes remises en question des principes de l’action culturelle qui ne peut plus être pensée dans les même termes qu’au moment de la fondation des centres culturels. 125 Debord G., op. cit. 126 Bourdieu P. (1979), La distinction. Critique sociale du jugement, Paris : Editions de Minuit. 127 R ancière J. (2009), “Critique de la critique du “spectacle””, in Rancière J., Et tant pis pour les gens fatigués. Entretiens, Paris : Editions Amsterdam, pp. 619-636. 128 Dosse F. (2012), Histoire du structuralisme.* Tome II : Le chant du cygne. 1967 à nos jours, Paris : Flammarion. 129 Peterson R., Kern R. (1996), “Changing Highbrow taste : From Snob to Omnivore”, American Sociological Review, vol. 61, n° 5, pp. 900-907. 71 Etudes N°2.indd 71 19/11/13 14:30 Étudesn°2 Pour situer le déplacement opéré, attardons-nous sur un extrait d’un texte d’Henri Janne issu de l’ouvrage L’animation socio-culturelle, espace d’affrontement idéologique paru en 1977 : “La démocratie culturelle […] consiste à considérer la culture non plus comme objet de consommation (même intelligente) mais comme terrain social de participation : l’attitude passive, “réceptive” devant les “œuvres” ou devant les créations actuelles, doit faire place à la critique en groupes, à des activités, par quelque côté, opératives et créatrices, ainsi qu’au déclenchement d’expressions personnelles par des actes culturels ou, au moins, à propos des productions culturelles ; c’est ici que la politique (culturelle) se fonde sur l’“animation”, car il s’agit de faire resurgir les motivations inhibées et refoulées dont la culture élitiste de classe et le consommation passive de la culture ont bloqué l’élan.”130 Si de nombreux acteurs de terrain s’accorderaient certainement sur les principes présentés ici pour fonder la démocratie culturelle, il convient de noter que deux éléments majeurs de cette présentation ne se retrouvent plus de manière fréquente dans les discours des animateurs de centres culturels, à savoir : une modalité d’action privilégiée – “la critique en groupes” – et deux ennemis de l’émancipation personnelle – la culture élitiste et la consommation passive. Même si ces deux ennemis représentent encore des repoussoirs, on ne retrouve pas chez les acteurs de terrain d’aujourd’hui les thèmes du blocage, de l’inhibition ou du refoulement créés par ces forces sociales.131 Dès lors, implicitement, c’est un changement de conception du rapport entre l’individu et le monde qui s’opère. S’il n’est pas question de dénier l’importance des contraintes sociales et culturelles contemporaines, il est rare que de manière spontanée les professionnels en centre culturel perçoivent les liens entre les individus et leur environnement sous l’angle de l’homologie* ou du déterminisme des premiers sur les seconds. Le rapport à la finalité concrète de l’action culturelle s’en trouve transformée. La visée émancipatrice demeure belle et bien mais se situe moins dans une libération de l’individu par le travail de critique en groupe que dans la mise en place de conditions de déploiement de l’expérience personnelle.132 Il s’agit ainsi d’étendre l’espace des possibles à travers et pour les mouvements subjectifs des participants de l’action culturelle. Si ce type de processus émancipatoire comporte une dimension politique, dans la mesure où il invoque une autre esthétique du soi ou du rapport aux autres, bref, une autre manière de partager le sensible133, il ne se développe pas dans un registre préalablement perçu comme “politique”134. Ce qui prime est le mouvement subjectif d’émancipation, qui est discontinu, personnel et ponctuellement collectif. De la sorte, ce mouvement est paradoxalement amené à être excessivement méfiant à l’égard des idéologies de l’émancipation. Alors que la critique sociopolitique demeure familière, il est probable que ce travail sur l’expérience sensible soit encore perçu comme un domaine abstrait. Pourtant, il se révèle très présent dans les pratiques. La raison de ce paradoxe se situe certainement dans les difficultés de mettre socialement en mots des moments qui articulent expériences à soi et rapports au corps (physique, sonore,…), et ce, même si ces deux dimensions sont souvent articulées à des dynamiques collectives et à des encouragements à l’expressivité. Voici un extrait qui rend compte, dans le détail, d’une telle aspiration vécue et formulée par un médiateur, extrait qui devrait permettre de mieux palper ce qui se joue discrètement dans de nombreuses activités organisées en centre culturel. 130 Janne H., cité in : de Coorebyter V., op. cit., p. 36. 131 U ne des raisons de ce changement se trouve certainement aussi dans le caractère inaudible de ce raisonnement pour une grande partie des publics ou participants de l’action culturelle. 132 Cf. sur ce thème : Martuccelli D. (2010), La société singulariste, Paris : Armand Colin. 133 Rancière J. (2000), Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris : La Fabrique. 134 Cingolani P. (2011), “Psychanalyse, politique et désidentification”, Revue du MAUSS, vol. 38, n° 2, pp. 171-183. 72 Etudes N°2.indd 72 19/11/13 14:30 D’abord on sent l’envie, on sent l’envie des enfants, ils arrivent dans le parc, ils sont contents. Ils sont contents d’être là, ça se sent, ils parlent : “Blah blah… oui, je suis déjà venu.” Ca commence directement en fait vraiment à la première seconde c’est déjà, ça commence. […] Ils arrivent avec quelque chose, ils sont là et puis du coup, ce qui m’a beaucoup marqué, c’est comment les animateurs partent de ce que les enfants sont, ce qu’ils amènent, pour les emmener vers d’autres choses. Et avec les animateurs avec lesquels je travaille, je trouve que c’est vraiment des gens qui ont cette capacité d’emmener les enfants, […] de les emmener vers un espace qu’ils ne connaissent pas encore et c’est ça la médiation. […] C’est être cet élément – je ne sais pas comment expliquer – donner cette énergie pour qu’on dépasse ses propres limites. Alors ce qui est beau là, c’est qu’on voit le prof qui n’a pas du tout l’habitude de voir ses enfants, sa classe, dans cet état-là parce qu’on sort du cadre complètement. Ce qui m’amuse c’est l’explosion du cadre pour arriver dans un autre, ce n’est pas qu’il y a pas de cadre mais c’est totalement différent de l’école. […] Le travail en amont aussi il est intéressant. On leur a construit des combinaisons, cousu, etc. donc il y avait une étape à un moment donné, on leur demandait de se changer donc ils mettaient des combinaisons au-dessus de leurs vêtements. […] Pas tout de suite, d’abord on parlait de l’artiste, comment il est venu à faire de la sculpture, […] les présentations, la création d’ambiance de groupe et que chacun se sente bien à l’aise l’un par rapport à l’autre, l’animateur par rapport aux enfants… […] Il y a vraiment une première demi-heure et c’est là que beaucoup de choses se jouent et puis on les laisse se changer, mettre des combinaisons : il y en a des bleus, des jaunes, des rouges spécifiquement sur cette animation. Donc ils se sont retrouvés dans le parc tous habillés de la même manière mais d’une manière plastique, avec les trois couleurs primaires. Et donc on dépasse déjà le côté identitaire, “mes fringues, mon truc”. Et là il y a eu, il y a eu plein de choses qui se sont passées. Simplement voir des enfants qui se couchent sur le sol comme ça et qui regardent le ciel et qui s’arrêtent et qui sont là “waouuuuuuuh… waouh” qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il fasse beau, ils sont comme ça. Ils voient un tas de feuilles, ils sautent dedans, ils se couchent, ils se roulent. Étudesn°2 “Qu’est-ce qui vous marque quand vous êtes là, présente sur une animation […] ? Parce que l’animateur les incite à se laisser aller ? Parce qu’il y a ça et du coup ils se laissent aller et ils s’approprient le truc. Cette animation est vraiment sur le fait de partir de la sculpture pour utiliser son corps comme une propre sculpture. A un moment donné, l’animateur dit : “on ferait bien un concours sur la classe la plus longue, comment vous feriez la classe la plus longue.” Et puis, ils s’installent, ils font une grande ligne tous comme ça, couchés, vraiment au sol mais donc c’est vraiment eux – après on fait une photo – et artistiquement c’est très intéressant. Oui, parce qu’avec toutes les couleurs… C’est superbe, c’est super beau et ça pourrait être et ça découle du travail de l’artiste de s’installer dans un parc, d’utiliser une matière. […] C’est fascinant de voir ces moments qui se créent. On ne sait pas ce qu’il en reste, on ne sait pas ce qu’il en restera, ce n’est pas mesurable mais sur le moment on sent… on sent qu’il se passe quelque chose. Il y a un truc extraordinaire qui se passe. Et il y a un truc aussi très – allez – très important 73 Etudes N°2.indd 73 19/11/13 14:30 Étudesn°2 parce que ce n’est pas un moment individuel, c’est un moment collectif et on est dans le collectif et ça c’est une valeur qui est très importante à transmettre. […] Donc ils se retrouvent dans une situation où eux-mêmes se surprennent et c’est un peu là, là, un des sens de l’œuvre artistique d’avoir une autre vision de soi-même, une autre vision des autres. Donc le projet pour moi est cohérent.” (Animateur, d) L’émancipation culturelle ne se pense plus uniquement à travers l’idée de libération des jougs de la consommation ou de la culture dominante. Pourtant, dans l’extrait cité ici, de même que lors de discussions avec d’autres animateurs, n’apparaît pas une indifférence à l’égard de la politique, définie dans un sens très général comme souci de relier l’individuel et le collectif et d’interroger cette relation. Il existe une importante préoccupation de donner aux individus les possibilités de se trouver, de déployer leur action, de se situer par rapport aux autres, et, de la sorte, relier concrètement et de manière créative quotidien, esthétique et politique. Si changement d’approche des finalités en acte de l’action culturelle il y a, il se joue moins sur l’idée de substituer l’esthétique individuelle au sociopolitique collectif que sur celle de promouvoir les registres du sensible autant que ceux du discursif et des régimes d’intelligibilité établis. Ce basculement s’inscrit dans une recherche de sens sans téléologie. Nourri de la critique artiste de la société capitaliste et industrielle135, il n’est pas propre aux centres culturels. Il est également présent dans les structures culturelles marchandes mondialisées – il suffit de penser aux logiques de l’innovation dans le secteur des jeux vidéo qui, à travers le virtuel, crée des expériences physiques et émotionnelles de plus en plus diverses et réelles. Néanmoins, la présence de cette critique artiste dans le monde marchand contemporain n’invalide pas pour autant d’autres initiatives qui, plus ou moins explicitement, s’en inspirent à travers des orientations diversifiées. Ainsi, les centres culturels, en accordant de plus en plus d’attention à l’expérience personnelle, continuent souvent à avoir pour souci de relier celle-ci à des dimensions collectives, certes à géométrie variable, et ce, à partir d’une préoccupation non marchande. Cela constitue une de leur originalité. Ce basculement vers le subjectif n’est donc pas vécu comme un danger à combattre. Il est plutôt perçu comme une finalité à proprement parler, d’abord, comme un passage obligé pour tout projet à dimension collective, ensuite.136 4.3. L A CONSTITUTION DES DESTINATAIRES DE LA MÉDIATION – UNITÉ DES PARTICIPANTS ET SEGMENTATION DES PUBLICS ? L’idée de mouvement est motrice de l’action en centres culturels. Elle a adopté des contours différents au cours de leurs quarante années d’histoire, associée initialement au travail de distanciation critique à l’égard des systèmes d’aliénation et domination culturelle, pour s’articuler de plus en plus à un travail d’extension et de mise en commun de l’expérience sensible. Cette idée, pour être opératoire, s’incarne 135 Boltanski L., Chiapello E. (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris : Gallimard. 136 À travers cet extrait d’entretien, Touraine exprime bien cette préoccupation : “Aujourd’hui, le souci de soi comme valeur centrale est partout présent. En bien et en mal. Le sujet en est la version positive ; la version négative est la subordination des acteurs à un système de pouvoir qui casse les structures sociales pour laisser l’individu flexible sur le marché ou le soumettre à une idéologie. Je vous ai dit quelle importance j’attribue aux efforts pour réintroduire ce qui a été écarté, rejeté, infériorisé par le modèle européen rationaliste et en particulier pour réinventer le corps, l’imaginaire, la diversité culturelle, pour l’égale considération accordée aux hommes et aux femmes. Les références à de grandes valeurs ont disparu et sont remplacées par un individualisme de l’authenticité et de l’ouverture aux autres : responsabilité personnelle, responsabilité collective. Cela commence dans les conduites les plus proches : le souci du corps, de l’esthétique. Dans la gymnastique et la recherche de la forme, il n’y a pas qu’une dimension commerciale ; les femmes se font des soins pour elles-mêmes. D’où l’image de la beauté comme unité, comme rapport à soi. L’estime de soi suppose le regard du sujet sur lui-même. Le thème du rapport à soi est donc partout présent.” Cf. Touraine A., Khosrokhavar F. (2000), La recherche de soi. Dialogue sur le sujet, Paris : Fayard, pp. 113-114. 74 Etudes N°2.indd 74 19/11/13 14:30 Étudesn°2 généralement dans des activités organisées pour des groupes, parfois par eux. À l’observation, il apparaît que ces groupes sont de plus en plus souvent organisés en dehors du principe de rassemblement volontaire des individus qui les constituent. Nous avons abondamment illustré le travail de médiation culturelle qui s’opère pour des groupes scolaires ; nous pourrions évoquer les dispositifs créés pour les demandeurs d’emploi, les personnes handicapées ou encore le troisième âge. Ces groupes, davantage constitués par l’action publique que par les volontés individuelles, servent de support à l’entame d’activités de médiation culturelle. Cette modalité de constitution, segmentée, des “publics” ou des “participants”, sans être exclusive, représente un phénomène qui interroge nombre d’acteurs de centres culturels eux-mêmes prêts à défendre les idées d’intergénérationnel, d’interculturel, et, plus généralement, de rassemblement associatif ou volontaire… De manière plus générale, ceci invite à reposer la question de la différenciation et du maillage sous un autre angle, autour de la diversité des publics, des participants et des cultures, d’un côté, et de l’unité du public et de la participation culturelle, de l’autre. Nous voudrions, dans ce point, rappeler d’abord qu’elle n’est pas neuve et qu’elle s’exprime sous forme de tension dialogique* depuis l’origine des centres culturels. Ensuite, nous souhaiterions montrer que, dans les pratiques, diversité ou unité ne sont pas des valeurs en elles-mêmes qu’il suffirait de choisir. Selon nous, s’appuyer sur la diversité ou l’unité pour réaliser une action, ou développer l’un ou l’autre principe comme finalité, ne peut se comprendre qu’à partir de l’élucidation d’un registre normatif*, peu explicité mais particulièrement présent dans les centres culturels, à savoir, justement, celui du mouvement. Nous verrons in fine qu’un des dilemmes récurrents des animateurs en centre culturel se situe entre un idéal d’activités qui combinent perspectives d’unité et de mouvement du public et une efficacité d’action en termes de mouvement qu’ils savent davantage trouver dans une action différenciée (tandis qu’ils rejettent d’apparentes perspectives d’unité quand elles sont trop synonymes de statu quo culturel, voire de régression). 4.3.1. A MBITION DE LA DÉMOCRATIE CULTURELLE – PRODUIRE DU COMMUN À PARTIR DE CLIVAGES IDÉOLOGIQUES ET INSTITUTIONNELS La politique culturelle développée en Belgique francophone se fonde sur la reconnaissance du principe de diversité qui, d’une certaine manière, est entériné par le pacte culturel de 1973. Cette diversité n’est pas qu’un principe normatif*. Il s’agit avant tout d’une réalité constatée et institutionnalisée. Cette diversité est idéologique, philosophique, mais aussi religieuse… Aussi, même si elle constitue aujourd’hui un paradigme à part entière137, l’histoire des centres culturels nous rappelle qu’elle est aussi un moyen de produire de l’unité. Convoquer les exigences de parité et de pluralisme dans la composition des instances décisionnelles afin de produire localement une action culturelle commune indique bien qu’un tel chemin est emprunté. En effet, dès l’arrêté royal du 5 août 1970 et le Rapport au Roi annexé à cet arrêté, l’orientation générale de la politique des centres culturels est clairement présentée autour du principe d’éducation permanente et de modes d’organisation et d’action fondés sur la participation de tous. Éducation permanente et participation sont à la fois finalités et modalités.138 Ces principes s’incarnent très concrètement dans les structures 137 Lowies J.-G. (2013), “La diversité culturelle”, Repères, n° 3. 138 “[L] es centres culturels reposent sur des mécanismes participatifs qui structurent véritablement leur conduite ; ils favorisent l’accès mais aussi la participation ; ils tentent de préserver et de développer la culture dans ses différentes expressions, notamment à travers le soutien aux vies culturelles locales ou à la diffusion culturelle ; ils mettent en œuvre la liberté de création artistique, qui a été reconnue explicitement par l’article trois du décret de 1992. Concernant le libre choix en matière culturelle, c’est par la conjonction entre le principe de participation active et le principe de pluralisme que se réalise le respect de cette prérogative déduite du droit à la culture. Enfin, force est de constater, dans les législations relatives aux centres culturels dès même l’arrêté de 1970, l’importance réservée au droit de participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques culturelles.” Cf. Romainville C., op. cit., p. 7. 75 Etudes N°2.indd 75 19/11/13 14:30 Étudesn°2 prévues par l’arrêté. Les centres culturels sont en effet des asbl139 composées de représentants politiques de différents partis et de représentants d’organismes privés (des associations d’éducation permanente, notamment) de différentes tendances philosophiques. Pluralisme et parité sont ainsi, parallèlement, les deux maîtres mots invoqués pour concrétiser l’idéal de participation au niveau local. L’extrait ci-dessous, tiré d’un discours du Ministre Parisis, Ministre à la Culture française de l’époque, indique bien, à travers la critique des seules activités visant l’accès à la culture, que la diversité représente un point de départ de l’action culturelle pour, notamment, produire de la rencontre et du commun, ce processus ne pouvant se réaliser qu’à travers des formes de participation. “On a dit […] que les Maisons de la Culture et les Foyers culturels étaient des organismes qui devaient, avant tout, poursuivre une tâche d’éducation permanente. […] Mais vous constaterez sans doute que […] ce but n’est pas toujours poursuivi […]. Et je conçois que, surtout au plan des foyers culturels, il est certes moins brillant aux yeux de certains de s’attacher à susciter la participation active de chacun, à favoriser le dialogue et la rencontre140 que de constituer une affiche de spectacles qui donne l’impression d’avoir “fait quelque chose”. Mais il faut être clair […] l’action des nouveaux organismes ne peut avoir comme seul but d’aboutir à une simple multiplication du public consommateur de culture artistique.” (Cahiers JEB, 1971 : 38-39) Ce processus est censé largement émerger d’un organe créé dès 1970 et repris dans le décret de 1992, à savoir le conseil culturel. Composé de 10 membres au moins (nommés par le conseil d’administration), cet organe participatif, arrête, comme le stipule l’article 6 décret de 1992, “le projet de programme général d’action de l’association, au moins une fois par an, le soumettant au conseil d’administration et le transmettant à l’assemblée générale.” Ainsi, si elle est un point de départ constitutif, la diversité est aussi à surmonter en vue de fonder un espace commun de démocratie culturelle. Ce parcours est réalisé grâce à des dynamiques participatives présentes au cœur des activités culturelles et rendues possibles par l’existence d’instances de dialogue et de projection telles que les conseils culturels. Aussi, diversité et unité sont-elles historiquement pensées de manière originale et dialogique*. 4.3.2.L ES FORMES CONCRÈTES DE L’UNITÉ ET DE LA DIVERSITÉ DANS LES PRATIQUES DE MÉDIATION CULTURELLE Dans la pratique, cette dialogique* entre diversité et unité rencontre pourtant de nombreux écueils. L’évolution des conseils culturels en fournit d’ailleurs un bon exemple. Dans de très nombreux centres, le conseil culturel, même s’il existe encore, est devenu un organe peu déterminant. Certains considèrent que “c’est une cellule qui ne fonctionne pas bien”, d’autres qu’il s’agit d’une “coquille vide”… Dans la plupart des cas, ce sont les professionnels – les animateurs, en l’occurrence – qui assurent le rôle de programmation originellement dévolu aux membres du conseil culturel.141 Les raisons de ce glissement sont multiples et il ne s’agit pas de les rediscuter ici. 139 Associations sans but lucratif. 140 Nous soulignons. 141 D ans les cas où la place prédominante des professionnels est moins nette ou est remise en question, les supports que ces acteurs trouveront auprès des non-professionnels, notamment grâce à leur présence dans ces organes que sont les conseils d’administration et conseils culturels, seront déterminants. Ces cas se retrouvent surtout dans des centres de catégorie 3 ou 4. 76 Etudes N°2.indd 76 19/11/13 14:30 “Et justement les conseils culturels sont censés être des organes généralistes et ça ne fonctionne pas. A côté de cela, par contre, on a des commissions spécialisées qui elles fonctionnent très bien : une commission “musique classique”, une commission “arts plastiques”, une commission “cinéma – arts et essais” et là des gens, sur des thématiques précises, qui les intéressent, viennent. […] Il y a 10 ans il y avait encore un conseil culturel mais qui était moribond […] et le conseil culturel a été supprimé au profit des commissions. […] Il faut quand même avoir l’avis… nous, décider seuls, ça ne va pas, même si ça va plus vite.” (Animateur-directeur, j) Étudesn°2 Ce qui est remarquable est que, face à cette carence citoyenne dans le travail de définition des orientations du centre culturel, plusieurs animateurs-directeurs, ont tenté de mettre en place de nouvelles modalités de participation. Ils sont partis de deux postulats : la défection est autant le résultat d’un désintérêt progressif que le résultat d’une bataille perdue de la part des citoyens face aux professionnels ; même si le désintérêt peut s’expliquer par un sentiment de déconnexion par rapport à l’enjeu global “centre culturel”, il pourrait y avoir des dynamiques d’intéressement sur des enjeux plus précis. Des centres, de toutes tailles, déploient des tentatives de recomposer l’esprit de la démocratie culturelle sur la base de logiques plus individualistes – l’intérêt collectif n’est pas premier – et plus spécialisées – les compétences du professionnel ne sont pas celles d’un citoyen, qui ne sont pas non plus les mêmes d’un autre citoyen. La diversité initiale des goûts et points de vue (plus que des tendances idéologiques) amène à une diversité des lieux de participation à la définition de l’action culturelle, qui elle-même produit une diversité des activités et des espaces de l’action culturelle. La question de l’unité s’efface peu à peu. Rares sont pourtant les animateurs qui en font un mythe révolu ou un principe mobilisateur rétrograde. Si l’unité disparaît, c’est moins pour des raisons idéologiques (d’ailleurs, elle demeure souvent comme principe souhaitable) que pratiques. Confrontés à l’exigence d’efficacité de l’action culturelle, les animateurs semblent devoir délaisser cette question de l’unité pour celle de la diversité ou de la différenciation. Cette dernière n’est pas pour autant contraire au principe de participation. Comme le poursuit ce même animateur : “C’est ce qu’on appelle de l’éducation permanente justement : rassembler des groupes, les forcer à se positionner sur une question bien précise, de prendre des décisions, de faire des recherches, de trouver des informations… Alors, en plus, en termes de public, quand il y a un groupe-citoyen qui est derrière on a beaucoup plus de public puisqu’ils se sentent investis par le projet. C’est leur projet quelque part.” (Animateur-directeur, j) Même si elle n’est jamais posée comme première par les acteurs de terrain, la question de l’efficacité de l’action culturelle apparaît toujours à un moment ou à un autre car elle flirte avec celles du sens et de l’utilité de l’action menée. Elle prend des contours multiples ; c’est tout à la fois “avoir du public”, “susciter une véritable participation”, “avoir organisé un événement de qualité”,… Elle est susceptible d’être traduite très différemment selon le type de centre culturel. Néanmoins, il est rare que, fondamentalement, un centre culturel se satisfasse “du public pour le public”, “de l’art pour l’art” ou “de la participation pour la participation”. Comme le disent certains, il faut avant tout qu’“il se passe quelque chose”. Cette expression floue traduit en réalité les différents mobiles à la base de l’action de médiation artistique ou culturelle (cf. point précédent 6.2.), et, en particulier les deux mobiles particulièrement valorisés, à savoir le travail critique et celui de l’expérience sensible. C’est à partir de cela que, du point de vue de nombreux professionnels, est appréhendée l’efficacité des activités menées. Cette efficacité s’évalue en constatant le mouvement critique ou 77 Etudes N°2.indd 77 19/11/13 14:30 Étudesn°2 celui de l’expérience sensible réalisé par des individus, parfois par des groupes.142 Même si elle peu mesurable, elle s’avère tout à fait palpable. Elle s’observe lors du déroulement des activités, elle se raconte lorsqu’un animateur artistique évoque son travail auprès du coordinateur de projet, elle devient tangible quand les participants émettent des retours sur les activités auprès des animateurs et leur disent ce qu’ils ont vécu, ressenti, découvert,… Ainsi, les mobiles de la médiation culturelle, s’ils constituent des idéaux, représentent également d’une certaine manière des critères d’efficacité. En cela, ils sont amenés à subir l’épreuve du réel, ils sont expérimentés quotidiennement avec des personnes concrètes, qu’elles soient considérées comme public(s) ou participant(s). L’extrait ci-dessous indique bien comment, à travers des activités de diffusion organisées à partir d’un canevas précis, un centre culturel vise à (et tente de) susciter un déplacement de schèmes* culturels et artistiques de certaines populations. “[S]i on fait de la danse, on a fait des soirées […] entre tradition et contemporain, à l’initiative d’un artiste qui était ici en résidence. [Dans notre commune], il y a des communautés hispanophones, portugaises, il y a des danses traditionnelles […]. On peut faire une soirée où on fait un spectacle qui est plutôt lié à la tradition et ils vont venir. Et puis, on leur fait découvrir, dans la même soirée – ils auront un seul et même ticket – et ils vont découvrir un autre spectacle, contemporain mais en relation avec leur culture. C’est génial ça parce que là je dirais qu’on piège un peu le public [rires]. Mais alors il ne faut pas aller trop loin dans le saut entre les deux parce que si on perd la moitié des gens ça ne va pas non plus. […] Donc, on est sur un fil ténu où il faut les amener plus loin que ce qu’ils connaissent mais sans les décontenancer complètement pour qu’ils aient quand même envie de revenir. […] C’est difficile. Donc quand on parle des publics, c’est ça. Pour nous, l’enjeu ce n’est pas donner forcément ce qu’ils veulent tout à fait voir mais leur donner quand même un peu et les inciter à aller voir un tout petit peu plus loin. […] Pour la première partie qui était plus conventionnelle entre guillemets, faire venir le public, ce n’étaient pas tellement un souci ? Si on fait une programmation communautaire, elle est informée […] quelle que soit la communauté, le tam-tam fonctionne assez vite au sein des communautés. […] Ca fonctionne, mais on essaie justement de ne pas faire ça, c’est le noyau puis on va voir autre chose.” (Animateur, j) Cet extrait illustre particulièrement cette ambition de médiation culturelle qui représente un désir de mouvements des schèmes* artistiques et de déplacement de leurs limites. En l’occurrence ici, ces schèmes* artistiques sont aussi culturels, au sens anthropologique du terme, puisqu’ils sont propres à une communauté ethnique. Cet exemple nous amène ensuite à discuter plus précisément du rapport entre désir de mouvement et dialogique* de la diversité et de l’unité. Ici, l’horizon communautaire est clairement posé. D’ailleurs, c’est en acceptant la différenciation ethnique ou culturelle et en s’y appuyant que l’action culturelle est mise en place et ses finalités partiellement réalisées. Le processus se déroule en au moins deux étapes : constat de la diversité de la société urbaine qui se traduit par la juxtaposition de relatives unités culturelles, d’une part, et mobilisation de ces phénomènes d’unités communautaires en vue de réaliser des déplacements de l’expérience sensible, d’autre part. Cette expérience peut produire de la diversité interne à la communauté ou la questionner, notamment au niveau du rapport entre générations, ce qui est particulièrement 142 À titre d’exemple, un Centre d’expression et de créativité (CEC) adossé à un centre culturel hennuyer s’appelle “Le Déclic”. Rien que ce nom traduit bien cet attendu de mouvement de l’expérience ou de la création, attendu différent de celui d’apprentissage de techniques artistiques, propre à l’académisme, par exemple. 78 Etudes N°2.indd 78 19/11/13 14:30 Le désir de mouvement se retrouve partout, même si, de la diffusion aux ateliers artistiques, il prend des formes concrètes très diverses qui seront plus ou moins privilégiées selon les lieux. Ce désir de mouvement répond à une ambition professionnelle propre aux médiateurs culturels et constitue donc un repère normatif*. C’est seulement à partir de là que se construisent des manières différentes de constituer les publics ou de laisser la place pour les participants. Cette deuxième problématique est récurrente, mais secondaire, c’est-à-dire qu’elle est prise en compte en regard de l’objectif premier qu’est celui du mouvement. En d’autres termes, elle est souvent tout autant un moyen qu’une finalité de l’action. Étudesn°2 important quand on parle de populations dont l’histoire est liée à l’immigration et de rapports à la tradition. L’appui communautaire est ici crucial pour attirer le public et concrétiser l’objectif du centre culturel. Pourtant, la personne citée rappelle in fine que l’action ne vise pas le renforcement communautaire, qu’il s’agit surtout de partir de là pour aller vers “autre chose”. En résumé, le mouvement représente un objectif premier. Pour le réaliser, il convient de s’appuyer sur la société telle qu’elle se compose autour d’une diversité culturelle, voire autour d’une différenciation communautaire. Dans l’action, la question du mouvement apparaît première sans que nécessairement la question, secondaire, de la différenciation communautaire change. Pourtant, cette différenciation n’est pas souhaitée. Souvent, on souhaite éviter de la renforcer car un des risques reconnus de ce type de processus est celui de la séparation sociale ou culturelle. Au bout du compte, plutôt que d’opposer diversité et unité143, il est possible de repérer deux dialogiques* différentes. D’un côté, il est possible de partir de l’unité de groupes différents pour produire une multiplicité d’actions. De l’autre, il est possible de partir de la diversité de la société pour envisager une action commune. Clairement, la deuxième voie est celle privilégiée historiquement dans les centres culturels. Pourtant, partir de la diversité pour arriver à de l’unité, du commun, du partagé, représente une difficulté pratique pour réaliser l’objectif de mouvement critique ou sensible, objectif déjà suffisamment complexe qui exige une accroche, un intérêt, auprès du public ou des participants. Aussi, les acteurs de terrain vont devoir hiérarchiser ces finalités, instrumentaliser partiellement cette dialogique* de l’unité-diversité pour concrétiser leur action. Ce faisant, ils sont bien conscients que, d’un côté comme de l’autre, deux spectres les guettent. Si adopter la première voie comporte le risque de renforcer la séparation sociale et culturelle, prendre de manière trop raccourcie la seconde comporte le risque d’encourager l’uniformisation culturelle. 4.3.3.L ES DÉCALAGES ENTRE IDÉAL ET PRATIQUES DE MÉDIATION CULTURELLE La différenciation culturelle représente un fait social normal.144 Ceci n’empêche nullement la multiplicité des déclinaisons pratiques et politiques de cet état de fait. Réduire cette différenciation, comme la renforcer, peuvent être des objectifs. En amont de cela, la dénier, la relativiser, la mettre en évidence en sont d’autres. Dans le cadre de l’action culturelle – on l’a vu –, elle sert régulièrement de support à l’action. Cette logique est susceptible d’être suivie de manière approfondie, notamment dans le cadre d’un marketing culturel qui conçoit l’action culturelle à partir des aspirations de différents groupes-cibles à déterminer préalablement. Dans certains cas, la différenciation se combine d’ailleurs avec logique de séparation, de telle sorte qu’un groupe ne nuise pas à l’expérience d’un autre. Ce type de démarche s’observe peu 143 Pour une synthétique mise en discussion des enjeux et ambivalences de la notion de diversité culturelle, voir : Lowies J.-G., op. cit. 144 Warnier J.-P. (2007 – 1ère éd. originale 1999), La mondialisation de la culture, Paris : La Découverte. 79 Etudes N°2.indd 79 19/11/13 14:30 Étudesn°2 en centres culturels, sans doute parce que, idéologiquement, un certain souci de l’unité demeure. Aussi, même si elle n’est pas fondée sur des techniques stratégiques et économiques qui l’approfondissent, la différenciation n’en demeure pas moins un moyen privilégié dans la réalisation des activités. Etre conscient de la diversité de la société, la prendre en compte pour inclure le maximum d’individus et de groupes en vue de produire une action culturelle partagée, à travers des activités qui le sont tout autant : ce chemin est un objectif régulièrement évoqué par les animateurs en centres culturels. Souvent, il est très largement à construire et implique de mettre en place des projets longs et ambitieux. Parfois, cependant, cette action culturelle fédératrice est là, devant le seuil du centre culturel. Dans ce cas, pourtant, elle ne satisfait que très rarement les animateurs du centre culturel. Le fait qu’elle soit déjà là la rend suspecte145 : de consensualisme, de simplisme, de démagogie, parfois même, de conservatisme ou de poujadisme. Cette action peut tout aussi bien être une fête folklorique locale qu’une demande de programmer une “vedette” grand public. L’extrait ci-dessous illustre la manière dont un animateur répond à la question du public du centre culturel et s’interroge sur son rapport aux attentes de ce public. “Moi je ne suis pas sociologue, j’ai envie de parler avec mon instinct mais j’aurais envie de dire que c’est une population qui n’est pas, que c’est difficile de les lever intellectuellement jusqu’à présent. Et que c’est vrai que la programmation du centre culturel elle en pâtit aussi. En tout cas, tout ce qui est grand public, diffusion, enfin tout ce qui est dans le cadre de l’abonnement, je me rends compte que ce qui marche le mieux ce sont les spectacles populaires et que dès qu’on est dans quelque chose d’un peu plus intellectuel ou qui demande un peu trop de connaissances, les gens ne sont pas intéressés ou ils ne vont pas être curieux. En tout cas, ça ne va pas. Quand vous dites les “spectacles populaires”, ça veut dire le théâtre dialectal ou quelque chose comme ça ? Ça, ça fonctionne bien mais ça concerne une petite jauge. Non c’est plutôt RTL TVI, Sois belge et tais-toi, Les frères Taloche, des trucs où les gens savent qu’ils vont rire et qu’on ne va pas les déranger avec des trucs qu’ils ne connaissent pas, avec des informations qui font référence à une culture qui est un peu éloignée d’eux.” (Animateur, k) Des “spectacles grand public” sont régulièrement organisés en centres culturels. Ils sont pourtant peu valorisés dans les discours des uns et des autres. À travers ce phénomène, apparaît toute l’ambiguïté de la catégorie “populaire” dans l’action culturelle. Fondatrice146, celle-ci est tout à la fois valorisée et rejetée, pour des raisons cependant différentes. D’abord, elle est valorisée quand elle renvoie au populus, c’est-à-dire “à la cité unifiée sans exclusive”147, comme dans l’expérience du Théâtre National Populaire à l’époque de Jean Vilar. Cette déclinaison s’oppose à celle en termes de plebs, c’est-à-dire d’un groupe se situant au bas de la hiérarchie sociale. L’amour du “bas peuple” se retrouve uniquement quand celui-ci est patrimonialisé, mythifié et idéalisé 148 en vue d’en faire un objet artistique (opposé alors au nécessaire mauvais goût bourgeois). À côté de cela, le “populaire”, quand il se décline aujourd’hui comme une figure hétéronome ou “frileuse”, apparaît comme un repoussoir à l’action culturelle. Le 145 On ne discute pas ici des bonnes ou mauvaises raisons de la trouver “suspecte”. 146 Rappelons que la démocratie culturelle s’appuie sur les ressorts de l’éducation permanente, s’inscrivant elle-même dans la filiation de l’éducation populaire. 147 Fleury L., op. cit., p. 125. 148 Pour une analyse d’un tel regard “populiste” en littérature, cf. : Grignon C., Passeron J.-C. (1989), Le Savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris : Le Seuil. 80 Etudes N°2.indd 80 19/11/13 14:30 Étudesn°2 populaire hétéronome est celui qui laisse guider ses goûts par l’extérieur ; il est victime de sa complicité avec du personnel politique local qui lui dit ce qu’il doit penser et aimer ou de son attrait pour des pseudo-stars produites par les industries culturelles (régionales, nationales ou internationales). Le populaire “frileux” est celui qui n’est pas attiré par le changement de goûts, par la culture d’autrui ou par d’autres types d’expériences socioculturelles. Ainsi, s’il est dévalorisé, le populaire le sera parce qu’il est contraire à l’idée même de mouvement subjectif. Les deux termes sont importants. C’est parce qu’il n’y a, d’une part, pas de déplacement des cadres de l’expérience et, d’autre part, pas de travail autonome dans ce déplacement, que le populaire constitue tout autant un repoussoir qu’un mobile à l’action culturelle. Ce qui importe de pointer in fine est que valorisation et dévalorisation de la même catégorie – “populaire” – se comprennent dans la mesure où cette catégorie n’est pas toujours mobilisée à partir du même registre. Elle peut être valorisée dans le cas où elle se comprend à partir de la dialogique* unité-diversité. Par exemple, quand l’action culturelle s’inscrit dans un processus participatif élargi et, au final, intégré, le “populaire” est une catégorie mobilisatrice perçue de manière éminemment positive. Le cas, devenu reconnu, de la Zinneke Parade bruxelloise illustre cela ; on retrouve d’autres exemples, plus modestes dans leur ampleur, mais similaires dans leur logique, dans plusieurs villes wallonnes. Le “populaire” peut par contre être dévalorisé quand son usage s’inscrit sur l’autre axe de compréhension des finalités en acte de la médiation culturelle, à savoir celui du mouvement de l’expérience critique ou sensible. C’est le formaté, l’établi ou le préconstruit qui est rejeté. Aussi, ce n’est pas plus le “populaire” que le “bourgeois” ou l’“ethnique” qui pose vraiment problème, mais bien plutôt l’absence de volonté de “désidentification” des individus et des groupes. À nouveau, les repères normatifs* des médiateurs se retrouvent bien autour de l’idée de “faire bouger” les individus, d’où la double idée qu’un de leurs rôles sociaux est d’arriver à “faire bouger” ceux qui n’y sont pas prêts (pour de multiples raisons) et que leurs principaux ennemis représentent les personnes qui considèrent qu’il n’y a pas de sens à prétendre “faire bouger” des gens qui n’en ont pas l’intention. Si l’ambition du médiateur se situe au niveau des mouvements subjectifs, le décloisonnement des publics, des pratiques ou des participants constitue un objectif secondaire fréquent. Il se réalise dans de nombreuses activités mais se donne particulièrement à voir dans l’accompagnement de processus participatifs, à la fois inclusifs et mobilisateurs. L’épreuve de la réalité – la recherche d’une certaine efficacité d’action – indique pourtant la difficulté, voire l’impossibilité structurelle, de se situer constamment dans ce type de processus. Aussi, apparaît régulièrement la nécessité de développer soit des actions ambitieuses au niveau de la médiation esthétique mais plus spécifiques au niveau des “cibles” visées, soit des activités considérées comme moins ambitieuses mais ayant le mérite d’être grand public. Au terme de ce parcours, il est possible de dessiner l’idéal et les pratiques de médiation culturelle autour de ces deux axes (finalité et/ou moyen) que sont : la priorité donnée ou non au mouvement de l’expérience subjective ; la dialogique* unité-diversité (cf. schéma 4, ci-dessous).149 149 Le cadran situé en haut à droite du tableau est moins évoqué. Néanmoins, on peut y retrouver certains cas pratiques, tels ceux liés à des formes de privatisation de l’action culturelle par des participants qui décident et reproduisent, sans les rediscuter, des activités qu’ils mènent grâce aux supports du CC depuis plusieurs années. 81 Etudes N°2.indd 81 19/11/13 14:30 Étudesn°2 Schéma 4 – Les décalages entre idéal et pratiques de médiation culturelle Unité des groupes et diversité d’actions culturelles Pratiques Priorité donnée au mouvement subjectif Non-priorité donnée au mouvement subjectif Idéal Diversité de la société et action culturelle commune 4.4. L A MÉDIATION CULTURELLE COMME RAPPORT À LA SOCIÉTÉ – DÉMOCRATIE CULTURELLE ET MOUVEMENTS SUBJECTIFS Les centres culturels constituent un beau cas pour étudier la médiation culturelle, artistique et esthétique, ainsi que l’évolution des métiers de la culture. Ils sont nés d’expériences et de débats conflictuels et incarnent un positionnement historique autour d’un référentiel fort, celui de la démocratie culturelle. Lieux pluridisciplinaires et participatifs, ils représentent indirectement une tentative originale de réaliser ce qu’on nomme de plus en plus couramment “les droits culturels”150. Pourtant, ces centres culturels se sont dans le même temps inscrits dans une profonde dynamique de division du travail de médiation culturelle qui questionne les finalités des activités qui y sont menées. Le sens de ces transformations est parfois objet de confusion, à tel point qu’il est tout à la fois possible de reprocher à ces centres leur amateurisme et leur manque de spécialisation et, par ailleurs, regretter leur professionnalisation devenue excessive et le déclin du militantisme et de l’engagement bénévole. D’ailleurs, l’actuelle situation d’attente institutionnelle (en vue d’un nouveau décret) traduit peut-être une part des incertitudes sur l’horizon des finalités et sur celui des réalités sociologiques créées autour de cette histoire des centres. Qu’est-ce que la médiation culturelle ? En quoi est-elle susceptible de s’incarner dans des discours et pratiques professionnelles ? Comment les logiques de différenciation sociale s’y articulent-elles ? En quoi les individus et groupes sont-ils prêts à s’impliquer dans des activités de médiation ? Ces centres culturels cristallisent de nombreuses questions. Ce faisant, à travers plus précisément les déclinaisons que les professionnels (“animateurs”, “animateurs-directeurs”, “médiateurs”…) en proposent, semble se dégager un enjeu fondamental : pourquoi et comment travailler aux mouvements subjectifs des individus et des groupes ? Cette double question renvoie à une autre, classique et dont la portée s’avère encore plus générale, l’activité de travail consiste-t-elle à s’adapter à la réalité ou à la produire ? 150 Romainville C., op. cit. 82 Etudes N°2.indd 82 19/11/13 14:30 Étudesn°2 Même si, dès leurs origines, ils se sont construits à partir d’autres finalités, telles que la démocratisation de la culture ou la décentralisation, les centres culturels se sont distingués dans la mesure où ils les combinaient à une finalité fondamentale de démocratie culturelle dont un des socles constituait l’animation socioculturelle. Ces différentes finalités continuent d’exister sous diverses formes, tout en voyant s’en adjoindre d’autres, telles que la création artistique ou le développement territorial. Ces évolutions multiples, et parfois disparates, ne vont pas sans poser la question de l’identité des centres culturels. Néanmoins, dans l’ensemble, s’est perpétué un souci de démocratie culturelle, malgré ses propres inflexions. Ainsi, si les mobiles idéaux de l’animateur ou du médiateur culturel se déplacent partiellement des registres discursifs des problématiques sociopolitiques pour accorder davantage d’attention à l’expérience sensible des individus, il n’en demeure pas moins que l’enjeu central demeure celui des mouvements subjectifs. Il est possible d’en parler en termes d’émancipation, à condition de ne plus concevoir celle-ci comme une forme de libération collective à l’égard de processus d’aliénation ou de domination. L’émancipation est devenue une manière d’être au monde qui consiste à repousser continuellement les limites de ce monde contraignant mais “élastique”151. L’émancipation, telle qu’elle est travaillée par les animateurs et médiateurs, n’est plus le passage d’un état à un autre état, en l’occurrence du mensonge à la vérité, ou de l’hétéronomie* à l’autonomie*. Elle représente davantage une dynamique, discontinue mais prolongée, en l’occurrence une dynamique de soutien à la réalisation des mouvements subjectifs potentiels. Ainsi, le mouvement semble, aujourd’hui davantage qu’hier, tout autant valorisé pour lui-même que pour sa finalité. Quoi qu’il en soit, au-delà de ses inflexions historiques, le mouvement subjectif reste le noyau sur lequel se construit le travail de médiation culturelle Cette finalité, à actualiser dans le travail de médiation, s’avère transversale au secteur des centres culturels, davantage que celle de participation qui, pourtant, est aussi au cœur du référentiel de démocratie culturelle. Cette finalité est fédératrice, malgré la diversité des pratiques. Elle n’est pourtant pas une évidence. Certains centres culturels, certes peu nombreux, s’en détachent nettement. Ils la considèrent comme particulièrement “idéologique”, estimant que le travail de l’animateur culturel ne doit pas avoir pour mission de transformer les désirs et les repères cognitifs des individus. Ils dénoncent alors le rôle des pouvoirs publics – en l’occurrence ici la Communauté française – dans la mise en œuvre étatique d’un tel objectif de transformation des subjectivités ainsi que le travail d’une grande partie de leurs collègues en centres culturels, doublement taxés de prosélytisme et d’inconséquence dans l’action qu’ils mènent. Ce faisant, ils posent la question centrale évoquée précédemment : le rôle de l’animateur est-il de produire (ou de changer) la/les réalité(s) ? N’est-il pas tout autant de composer avec celle(s)-ci ? Sont, par ailleurs, posées certaines critiques précises au sujet du rapport que les animateurs entretiennent avec le type de pratiques culturelles quotidiennes des individus. Ces critiques dénoncent l’entrave régulière et les jugements négatifs que certains animateurs socioculturels portent à l’égard de logiques culturelles propres à certains groupes sociaux, telles que l’entre soi social152 et la recherche de divertissement culturel des classes moyennes supérieures. Elles dénonceront tout autant le point de vue misérabiliste porté à l’égard des “désengagés culturels”153 qui, définis par le “manque” de culture et de rapport à la culture, deviennent une cible prioritaire pour une action culturelle de type “missionnaire”154. Au final, si ces désaccords sur la finalité de l’action culturelle sont rares dans le milieu des animateurs socioculturels ou des médiateurs culturels, ils ont le mérite de 151 Martuccelli D. (2005), op. cit. 152 Donzelot J., Mével C., Wyvekens A. (2003), Faire société. La politique de la ville aux États-Unis et en France, Paris : Le Seuil. 153 Callier L., Hanquinet L., op. cit. 154 Passeron J.-C., op. cit. 83 Etudes N°2.indd 83 19/11/13 14:30 Étudesn°2 déconstruire son caractère d’évidence et d’invoquer toute une série de raisons qui interrogent le sens même de la médiation culturelle. La médiation culturelle comme finalité d’action professionnelle comporte effectivement une dimension idéologique. Cette dimension est en fait inhérente au processus même de constitution d’un territoire professionnel, puisque cela exige non seulement une organisation sociale mais aussi toute une série de processus argumentatifs qui légitiment l’élaboration d’un tel découpage et, plus fondamentalement, le développement d’une expertise et de pratiques professionnelles. Au-delà de la dimension idéologique au cœur de toute profession, les deux questions à traiter véritablement sont celles de l’enjeu central que cette profession entend réaliser et de sa légitimité à le faire. La réponse à cette deuxième question est à resituer par rapport au travail réalisé par d’autres groupements, professionnels ou non, dont l’enjeu est proche, voire similaire. Le regard sur les pratiques professionnelles en centres culturels met en évidence leur diversité, en termes de finalités et de modalités. Le suivi des discours, quant à lui, rappelle l’enjeu de l’émancipation ou, comme nous l’avons défini, du travail sur les mouvements subjectifs. Cet enjeu possède deux caractéristiques particulières à distinguer : à un premier niveau, prônant un travail proprement subjectif, il encourage à la liberté individuelle et ne véhicule pas véritablement de contraintes normatives ; à un deuxième niveau (un méta-niveau), en encourageant le mouvement, il induit une manière d’être au monde, basée sur l’ouverture vers l’extérieur et sur l’écoute des résonnances entre soi et le monde. Ainsi, si ce travail n’implique pas de véhiculer des valeurs, des normes de comportement ou des types de conduite, il n’est pas neutre pour autant, dans la mesure où il perçoit positivement l’encouragement à faire travailler les subjectivités.155 Même sans contenu, ce travail de médiation esthétique est un travail de “fabrication” des subjectivités, un travail sur la matière humaine. Il est donc à resituer par rapport à un ensemble plus étendu de domaines professionnels où la dimension de socialisation est centrale : que ce soit l’école, bien entendu, ou les champs de l’éducation à la santé, de l’insertion socioprofessionnelle, mais aussi ceux de la conversion religieuse, par exemple. Ce n’est d’ailleurs pas anodin que de nombreux projets de médiation esthétique se construisent en complémentarité avec ces domaines, ou en concurrence avec ceux-ci. Certes, la médiation esthétique ne ressort pas vraiment de la socialisation, entendue comme processus de transmission de valeurs, de normes et de pratiques. Mais, à vrai dire, les autres domaines ne s’y réduisent pas davantage. Si l’on suit la thèse de Dubet156, il est possible de parler de “déclin du programme institutionnel”, que se donnait l’école, le monde de la santé ou encore celui de la justice. Cela signifie qu’il y a dissolution du processus d’intégration sociale et culturelle descendant des institutions vers les individus, notamment parce que les sujets (écoliers, malades,…) comme les acteurs (enseignants, infirmiers…) de la socialisation ne croient plus guère dans le caractère transcendant ou supérieur de la Vérité de ce processus descendant.157. Aussi, à l’école comme à l’hôpital, se développent des régimes d’interaction plus égalitaires que par le passé. Plus précisément, on pourrait dire que l’horizon égalitaire est devenu envisageable alors que le régime d’interaction hiérarchique, toujours bien présent, est régulièrement à pré155 Ce souci n’étant pas sans rappeler une des voies ouvertes par la psychothérapie (cf. Buchmann, Esner (1997), “The transition from the utilitarian to the expressive self : 1900-1992”, Poetics, n° 25, pp. 157-175), même si dans ce cas l’orientation privilégiée a été celle de l’introspection plus que celle du décentrement par rapport à soi (Martuccelli, 2011). 156 Dubet F. (2002), Le déclin de l’institution, Paris : Le Seuil. 157 C ertains auteurs s’empressent néanmoins de rappeler que cela ne signifie nullement le règne de l’individu et la fin des socialisations. En effet, il est tout à fait envisageable de concevoir les socialisations de manière plus diffractée (groupes de pairs, diversité des contenus médiatiques,…) et plus insidieuse (sous forme d’acceptation, pratique plus que psychologique, de la contrainte). Le débat sur les interprétations à donner de ces phénomènes historiques est loin d’être clos. (Cf., notamment : Lahire B. (2013), Dans les plis singuliers du social. Individus, institutions, socialisations, Paris : La Découverte.) 84 Etudes N°2.indd 84 19/11/13 14:30 La critique de la médiation culturelle, implicite, marquée par une indifférence plus que par de l’opposition, n’est pas à confondre avec celle, explicite et politique, de l’injonction à l’autonomie* et à la responsabilisation portée par l’idéologie néolibérale et traduite dans de nombreuses politiques publiques menées par les démocraties sociales européennes159. Si finalité de la médiation esthétique et injonction à l’autonomie* possèdent certains principes normatifs* communs, autour de la valorisation de l’expressivité et de la créativité160, et si, dans certains cas, elles se confondent effectivement, fondamentalement, elles ne se superposent pas. Cette non-superposition n’est pas un postulat théorique. Elle est au cœur des motivations et des pratiques des professionnels de l’animation socioculturelle et de la médiation esthétique. La question qui est régulièrement rappelée est de faire de l’émancipation un enjeu proprement culturel et, au niveau organisationnel, d’orienter l’action vers cette finalité.161 En d’autres termes, la question qui se pose régulièrement est de savoir si l’émancipation peut n’avoir pour objectif qu’elle-même. Souvent, la réponse à cette question est affirmative. Dans les discours, il est clair que l’objectif culturel est distinct d’objectifs politiques ou économiques. Une action culturelle n’a pas pour vocation de produire un consensus politique ni d’atteindre quelque succès ou profit économique ou encore de conformer les individus aux compétences personnelles attendues sur le marché de l’emploi. Pourtant, cette question revient régulièrement, dans la mesure où la culture devient un domaine attractif pour les villes, que ce soit en termes politiques ou économiques, à travers la gouvernance urbaine par la culture162 ou par l’essor des industries créatives163, les deux étant souvent imbriqués. Les acteurs reconnaissent les risques que ces rapprochements comportent mais n’éprouvent, pour la plupart, guère de craintes à “se frotter” à ces domaines de la vie sociale : soit dans une perspective de maillage ayant en tête qu’il est justement nécessaire d’imprégner globalement les différents domaines de la vie sociale de l’enjeu de l’émancipation ; soit dans une perspective plus différentialiste, en estimant qu’il convient de ruser avec ces autres domaines en déjouant les tentatives d’instrumentalisation et en tirant bénéfice de ces opportunités. Les doutes s’avèrent par contre beaucoup plus récurrents sur le positionnement d’un secteur comme celui des centres culturels, par rapport à ce qu’il est convenu de nommer le “social”. Cette ambiguïté est d’ailleurs relativement présente dans le décret de 1992 régissant le secteur, puisqu’il y est fait référence à l’enjeu de la précarité, en précisant dès son article trois qu’il est nécessaire que les centres fassent preuve d’“une attention particulière aux personnes les plus défavo- Étudesn°2 ciser et à légitimer en situation.158 Aussi, les formes d’incertitude au cœur des lieux de socialisation ne semblent pas tout à fait étrangères à l’enjeu de médiation esthétique. Qui plus est, dans un cas comme dans l’autre, apparaît une “méta”-forme de socialisation, celle qui consiste à s’engager dans une série d’interactions réciproques avec en perspective une capacité des individus à désirer opérer un mouvement sur eux-mêmes et dans leur rapport aux autres. Ce phénomène explique a contrario les réticences de la part d’individus qui entrevoient négativement cet encouragement aux mouvements subjectifs, en le considérant dans certains cas comme une forme de domination sociale. Cette réticence consiste à dire que la médiation esthétique comme enjeu est aussi un processus social. Souvent plus tacite que politique, elle dit peut-être qu’il n’y a pas de raison à bouger, à se mettre en mouvement ou à déplacer ses repères expérientiels et cognitifs. 158 Le travail de cadrage des interactions est d’autant plus important que les individus n’emmènent pas dans ces interactions toute une série d’évidences en termes de “rôles sociaux institutionnalisés”. 159 Peters G., op. cit. 160 Menger P.-M. (2002), Portrait de l’artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme, Paris : Le Seuil. 161 O n a évoqué, dans ce point, des voix dissonantes qui rejettent cette finalité d’émancipation. On a vu également que, dans certains cas, minoritaires à nouveau, l’enjeu s’exprime prioritairement en termes de création artistique. 162 Arnaud L. (2008), Réinventer la ville. Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain, Rennes : Presses Universitaires de Rennes. 163 Vivant E. (2009), Qu’est-ce que la ville créative ?, Paris : PUF. 85 Etudes N°2.indd 85 19/11/13 14:30 Étudesn°2 risées”. L’interprétation qui en est donnée prend au moins deux voies. La première maintient la culture, sous sa déclinaison en termes d’émancipation individuelle et collective, comme finalité première qu’il convient de généraliser, de diffuser dans tous les milieux sociaux, même ceux qui, objectivement, sont repérés comme étant les plus “éloignés” de ces processus. La seconde subordonne la culture au social en considérant que l’émancipation passe par un travail sur le lien social. Or, ces deux objectifs sont pourtant susceptibles de s’opposer dans bien des cas, l’émancipation individuelle étant aussi un arrachement par rapport à des ancrages sociaux.164 Il peut sembler contradictoire de parler ici des rapports entre différents domaines de la vie sociale, alors que l’ambition de démocratie culturelle s’annonçait comme une finalité de participation à la vie culturelle au-delà de tout découpage (catégoriel, pratique…) préalable, ce qui permettait de comprendre à la fois l’euphémisation de la définition de ce qui était artistique ou non et le fait que l’action culturelle puisse aussi porter sur des questions urbanistiques locales, par exemple. Transversalité ne signifie cependant pas que tout est dans tout. Ainsi, un enjeu d’émancipation est amené à se positionner par rapport à d’autres enjeux tels que la cohésion sociale ou le développement économique, que ces dernières finalités soient structurées en secteur ou non d’ailleurs. Par conséquent, et pour le dire d’une autre manière, la finalité culturelle d’émancipation n’est, en théorie, pas plus aujourd’hui qu’hier, réservée au domaine de la culture et des arts qu’à tout autre domaine (comme celui de la protection de l’environnement, de l’informatique,…), comme en témoigne l’action de bon nombre de centres culturels. Ce qui importe de distinguer, à l’analyse, est donc finalité culturelle d’émancipation ou de mouvement subjectif, d’un côté, et secteur ou domaine culturel, de l’autre. Ceux-ci se confondent dans certains cas – figures de différenciation – et sont davantage distincts dans d’autres – figures de maillage. Au final, à partir d’une attention portée à l’égard des activités réalisées en centres culturels, les formes de déviation par rapport à l’enjeu professionnel de médiation esthétique résultent moins de désaccords sur cette finalité que des modalités d’action concrètes à l’œuvre dans l’exercice de composition locale des centres. La plasticité donnée à l’interprétation du décret, la segmentation sectorielle et les particularités endogènes* (historiques, politiques,…) d’implantation des centres représentent des éléments structurels déjà observés165 qui témoignent de ces différentes raisons de multiplier les enjeux de l’action culturelle. À cela s’en ajoutent d’autres, parmi lesquelles la logique de spécialisation des politiques culturelles, l’accroissement du financement ponctuel par rapport au structurel, ainsi que le couplage concomitant de l’action de médiation esthétique avec des objectifs événementiels, sociaux ou économiques (qu’on retrouve particulièrement dans l’intégration des politiques urbaines et culturelles). Tous ces éléments, largement produits globalement à travers les contours contemporains de l’action publique, renforcent paradoxalement la dimension proprement locale des orientations adoptées par le travail d’action culturelle. C’est un constat. Il permet de rappeler que la démocratie culturelle ne résulte pas uniquement d’options idéologiques générales mais dépend tout aussi largement des contours des multiples contraintes et ressources (droits culturels, décrets, formations, budgets,…) de l’action culturelle au concret. 164 Le rapport entre la culture et l’écologie, problématique qui n’est pas neuve dans les centres culturels, mais qui s’est considérablement généralisée, semble procéder de la même ambiguïté. Cependant, ces rapports demeurent plus ponctuels de telle sorte que, sans observations complémentaires, il est difficile d’en proposer une analyse précise. 165 de Coorebyter V., op. cit. 86 Etudes N°2.indd 86 19/11/13 14:30 Faire médiation culturelle représente une activité sociale qui vise à relier les dimensions individuelles et collectives, éventuellement en focalisant une attention aiguë sur le caractère intersubjectif du dispositif mis en place. En tous les cas, pourtant, cette activité se confronte à une autre articulation, à savoir celle entre la vie subjective et l’“esprit objectif” (c’est-à-dire les institutions, les représentations, les contenus culturels – artistiques, scientifiques… – qui dépassent largement l’individu et lui survivent). Comme l’écrivait Simmel, “[l] a culture naît – et c’est ce qui est finalement tout à fait essentiel pour la comprendre – de la rencontre de deux éléments, qui ne la contiennent ni l’un ni l’autre : l’âme subjective et les créations de l’esprit objectif.”166 Étudesn°2 5. Conclusions La dimension tragique de la culture naît pour Simmel de la croissance et de l’autonomisation de cet esprit objectif, processus propres à la modernité. Vertigineuse pour l’individu, elle est en même temps une condition nouvelle d’émancipation subjective. À sa façon, le document fondateur des politiques culturelles en Belgique francophone, mené par le Ministre Wigny, reconnaissait ce développement inédit de l’esprit objectif en soulevant deux enjeux motivant l’urgence et l’importance démocratique d’une intervention publique systématique dans le domaine des arts et de la culture : “l’extension continuelle du domaine de la culture” et l’accélération du développement de la culture.167 À cet état de fait, de multiples réponses ont été apportées : certaines privilégient la “formation” ou la “sensibilisation” des individus à la dynamique de l’esprit objectif ; d’autres rappellent que la culture objectivée est fondamentalement le produit de créations subjectives (dont la sélection est socialement produite) ; aussi, ce sont ces capacités de n’importe qui168 qu’il faut encourager plutôt que quelques formes d’“ajustement” ou d’“adaptation”. Malgré le caractère conflictuel des interprétations qu’on peut lui donner, la médiation culturelle naît à partir du moment où s’opère un travail conscient de circulation entre la/les culture(s) subjective(s) et objective(s). Les raisons et le sens de cette circulation divergent régulièrement, d’un centre culturel à un autre, mais aussi fréquemment au sein d’un même centre culturel. Quoi qu’il en soit, ces tensions demeurent liées à une finalité proprement culturelle ; qui plus est, elles participent de la vitalité d’un souci d’action et de médiation culturelle. Pour se réaliser dans une dimension collective suffisamment conséquente, ce souci appelle toujours des dimensions de l’action qui sont extérieures et non spécifiquement culturelles. Ces dimensions sont relatives à l’organisation et aux supports (matériels, notamment) de l’action. D’une certaine manière, à leurs débuts, les centres culturels ont pu partiellement éviter l’importation de ces logiques non culturelles. En termes d’organisation, la solution trouvée était originale puisque, coproduite entre animateurs et participants, l’ensemble de l’activité culturelle répondait un à objectif (socio) culturel, de sa conception à sa concrétisation, en passant par son organisation pratique. À côté de l’intégration même de l’objectif culturel dans l’organisation des activités, un autre phénomène limitait l’apparition d’objectifs strictement organisationnels, à savoir la petite taille des structures. Ce phénomène se devait d’être circonscrit dans le temps ; il était lié à la jeunesse de ce nouveau dispositif. À cette époque pourtant, l’action culturelle dépendait plus qu’aujourd’hui du politique local, ce qui 166 Simmel G. (1911), “Le concept et la tragédie de la culture”, in Simmel G. (1988), La tragédie de la culture et autres essais, Paris : Editions Rivages, p. 184. 167 Ministère de la Culture française (1968), Plan quinquennal de politique culturelle, pp 5-6. 168 Pour reprendre l’expression développée par Rancière pour définir le caractère fondamentalement démocratique de la politique. (Cf. Rancière J. (1998), Aux bords du politique, Paris : Gallimard.) 87 Etudes N°2.indd 87 19/11/13 14:30 Étudesn°2 guettait l’autonomie* de ses orientations.169 Même si des liens assumés ou des heurts avec le pouvoir politique local demeurent çà et là, la croissance des structures et la professionnalisation du secteur ont manifestement permis de prendre du recul par rapport à ce type de rapport de dépendance, à l’époque perçu comme un repoussoir. Dans le même temps est apparue une dynamique d’approfondissement de la division du travail d’action culturelle. Les raisons en sont autant externes qu’internes, à tel point qu’il est devenu possible de mettre en évidence le travail de composition locale qui est réalisé par les centres culturels, en soulignant que cette logique est produite structurellement (et ne se réduit donc pas à un retour en force de spécificités locales). D’une certaine manière, le relâchement du lien de dépendance unilatéral à l’égard du pouvoir politique local s’est accompagné d’un accroissement du travail organisationnel réalisé localement par les centres. Le travail de composition locale se traduit donc en au moins deux dynamiques : une ouverture accrue du centre à l’égard de tout projet ou collaboration ponctuelle au sein d’un monde urbain et une augmentation du travail de gestion et de coordination. La médiation culturelle au concret se situe dans cet entre-deux, espace de potentialités socioculturelles et artistiques accrues et de contraintes organisationnelles (plus que politiques) inflationnistes. Si les métiers de la médiation culturelle en centre culturel parviennent à poursuivre leur objectifs de suscitation et d’accompagnement des mouvements subjectifs, ce n’est pas parce qu’ils détiennent le “monopole” de l’animation socioculturelle170, mais parce qu’ils sont des leviers efficaces d’actions collectives ouvertes au sein de multiples mondes urbains de la médiation culturelle. Nous avons tenté de représenter l’ensemble de cette évolution dans le schéma suivant : 169 Francq B., Wirix L. (1977), Le Bon, la Brute et l’Idéologie. Analyse d’un conflit culturel (La Maison de la Culture de Verviers), ronéotypé. 170 En sociologie des professions, l’exercice professionnel est souvent lié à une expertise qui constitue un “monopole”, grâce au “mandat” (Hughes) qui lui est socialement octroyé. C’est le cas de la médecine. Ce n’est pas le cas ici. 88 Etudes N°2.indd 88 19/11/13 14:30 89 Etudes N°2.indd 89 19/11/13 14:30 • En toile de fond, la question de l’émancipation (individuelle < > collective) • Une attention dominante à l’égard des logiques culturelles endogènes • Une articulation des registres discursifs et sensibles (avec une focale accrue sur les seconds) Continuité historique en termes d’aspirations à susciter les mouvements subjectifs Même si Déclin de l’utopie communautaire et reconnaissance des logiques individualisées et spécialisées dans la participation CONTINUITÉ DE L’AMBITION CULTURELLE 2/Externe : •M ultiplication des niveaux institutionnels partenaires • Logique “emploi” • Incitation à la logique du projet 1/Interne : •P rofessionnalisation et déclin de l’hégémonie politique •D iversification et spécialisation des métiers •M ultiplication des échelles d’intervention Transformation en termes d’approfondissement de la division du travail d’action culturelle Même si Maintien des modes formels de composition des organes du centre culturel et des métiers reconnus (“animation”) TRANSFORMATION DE L’ORGANISATION Schéma 5 – Perspectives et évolution des métiers de la médiation culturelle en centre culturel Travail de composition locale au cœur de mondes urbains de la médiation culturelle Réseaux d’opérateurs culturels Autres organisations locales Intervenants Étudesn°2 Associations culturelles locales, CEC… Coordination Animation socioculturelle ; médiation artistique ; diffusion… Unité/différenciation < > priorité au mouvement subjectif/ non-priorité Gestion CC FAIRE MÉDIATION CULTURELLE EN CENTRE CULTUREL Étudesn°2 Sans plus nous attarder sur les contenus des différentes logiques d’action, attardonsnous sur la forme de cette représentation de l’évolution des métiers de la médiation culturelle dans les centres culturels. Sont dessinés trois colonnes et un rétrécissement représenté par deux flèches obliques qui se rapprochent entre la première et la troisième colonne. La première colonne permet de lire une intention assez générale, tandis que la troisième illustre les pratiques concrètes qui traduisent cette intention. En mettant en parallèle de telles colonnes, généralement, on évalue ce que les gens prétendent accomplir. De là, on louera le volontaire et on vilipendera l’apathique. Ce faisant, on oublie souvent une dimension intermédiaire qui consiste à se demander dans quel contexte les gens réalisent ce qu’ils prétendent réaliser. Même s’il est souvent moins agréable de le présenter dans une discussion que les idées maîtresses, ce contexte n’est pas plus abstrait ou aléatoire que celles-ci. Il permet de comprendre que tout n’est pas possible, tout en jugeant de manière plus perspicace – pour ceux qui le souhaitent – les cas d’éventuelle “mauvaise foi”. Dans le cadre de l’activité de médiation culturelle à l’œuvre dans les centres culturels de Belgique francophone, cette dimension intermédiaire, relative au contexte d’action, est présentée dans la deuxième colonne du schéma. Cette colonne est cruciale pour comprendre le sens de cette déperdition des idées – dont la relative continuité historique est à souligner – vers les activités concrètes. Cette déperdition ne constitue pourtant pas le point final de l’action. Même si, dans leur réalisation effective, ces idées sont amenées à devoir être portées par un important travail de gestion et de coordination, elles rebondissent ensuite vers des acteurs professionnels et associatifs extérieurs à la structure du centre mais ancrés dans des mondes urbains de la médiation. En conclusion, il est possible de soulever quelques interrogation qui pourraient alimenter un éventuel débat public sur cette question de “faire médiation culturelle”. D’abord, rappelons que nous n’avons pas pu aborder le point de vue du “public”, du “participant”, de l’“usager”,…, si ce n’est à travers ce que les professionnels en disent. Il faut souligner pourtant l’importance à l’avenir de s’intéresser à ce point de vue. Cela est réalisé en partie, grâce notamment aux utiles enquêtes longitudinales sur les pratiques culturelles. Néanmoins, on sent bien qu’à côté de ces enquêtes, il y a place pour d’autres types de problématiques, en vue notamment de cerner plus spécifiquement les questions de mouvements subjectifs. Par ailleurs, il demeure pertinent de replonger dans le débat relatif aux finalités de la médiation culturelle (cf. première colonne du schéma 5). Nous l’avons moins développé pour lui-même que pour les implications concrètes des différentes options retenues. Ce choix repose dans le fait que nous n’avons pas plus de raisons que les acteurs de terrain de trancher un débat qu’ils développent très bien eux-mêmes. Au-delà des divergences à l’œuvre dans ce débat, on peut toutefois relever deux situations limites où on sort de la médiation culturelle dans la mesure où n’est plus visée une logique de circulation entre l’“esprit objectif” et l’“esprit subjectif” : la première se trouverait, par exemple, dans un soutien à la création artistique (professionnelle) pour elle-même171 ; la seconde s’observerait, par exemple, dans des formes d’autarcie culturelle localiste auto-suffisantes. Ces deux voies montrent comment il est possible de sortir de finalités culturelles à partir des discours et pratiques de médiation culturelle. À côté de cela, la présente étude montre surtout comment les modalités de l’action amènent, indirectement – sur une base souvent moins volontaire ou moins consciente –, des finalités non culturelles. On l’a souligné. Il ne faut cependant pas pécher par naïveté. L’histoire du mécénat ou des bureaucraties culturelles rappellent que des avancées culturelles et artistiques s’accompagnent souvent de formes sociales qui développent aussi d’autres finalités, qu’elles soient politiques, économiques ou strictement administratives. Cela n’empêche que dans le cadre des centres culturels, il nous semble judicieux de questionner l’articulation entre médiation culturelle et travail organisationnel, tout 171 À nouveau, soulignons qu’une part de la création artistique se conçoit simultanément comme dynamique de médiation. 90 Etudes N°2.indd 90 19/11/13 14:30 Étudesn°2 en rappelant les causes multiples et imbriquées des articulations concrètes que les organisations locales donnent à voir. Enfin, ce travail de composition locale soulève, selon nous, une dernière interrogation, non plus tellement pour le fait que sa logique même accroît des objectifs non culturels, mais parce qu’elle remet en question une certaine conception universelle d’une politique culturelle. À ce sujet, les discours actuels n’ont, sans surprise, plus la même emphase que la rhétorique présente dans le plan Wigny précédemment évoqué. De même, en reconnaissant d’emblée la dynamique locale endogène*, les centres culturels n’ont dans les faits pas eu pour but de singer la politique culturelle à la française, dont la vocation était justement de type universaliste. Pourtant, par sa charge programmatique et sa capacité à s’implanter densément et quasiment partout où des gens, en association, le souhaitaient, la politique des centres culturels avait pour but d’imprimer durablement sa philosophie d’action sur l’ensemble du territoire belge francophone. L’apparition de la logique de composition locale rend toutefois compte du fait que cette politique initiée par l’actuelle Communauté française de Belgique n’est aujourd’hui qu’un élément de support parmi d’autres. Autrement dit, le référentiel de démocratie culturelle devient une philosophie d’action portée dans des discours généraux mais dépendant fortement de la volonté locale, et de l’horizon de possibilités, de certains professionnels. Mais quid des cas où cette dernière condition n’est pas remplie ? Cette question n’est pas neuve – en témoigne l’existence de centres culturels non reconnus – mais est susceptible de resurgir, pour des raisons cette fois plus structurelles qu’endogènes*. En d’autres termes, au risque de convoquer une expression surannée, on pourrait se demander si la médiation culturelle demeure une vocation qui se pose à l’échelle sociétale et si, dès lors, elle mérite ou non de s’ancrer dans une consistance sociologique – des dispositifs et des métiers – susceptible de l’incarner. 91 Etudes N°2.indd 91 19/11/13 14:30 Étudesn°2 6. Bibliographie Littérature professionnelle Faits et gestes, “Les Centres culturels : poids économique et emplois”, n° 8, janvier/ février/mars 2003. Ansay P. (2006), “Thérèse Mangot. Quand une Juste nous quitte”, La Revue Nouvelle, n° 7-8. Cahiers JEB (1971), “Foyers culturels et Maisons de la Culture”, 15ème année, n° 1-2. Direction générale de la Culture – Fédération Wallonie-Bruxelles (2013), “Centres culturels et territoires d’actions. Une partition symphonique. Des actions partagées”, Cahier 1. Fédération Wallonie-Bruxelles (2012), “Focus Culture. Faits & Tendances”. Ingberg H. (1971), “L’animation culturelle : quelques approches”, Cahiers JEB, 15ème année, n° 3. Ingberg H. (1975), “Former des animateurs socio-culturels en milieu populaire”, JEB points 1. Ingberg H. (1977), Pointillés, n° 2, cité in Pointillés, n° 7-8, 1978. Jousselin J. (1974), “Renouveau du mouvement de la jeunesse et fin des mouvements de jeunesse ?”, Cahiers JEB, 18ème année, n° 1-2. Mangot T. (1978), Pointillés, n° 7-8. Ouvrages et articles scientifiques Arnaud L. (2008), Réinventer la ville. Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain, Rennes : Presses Universitaires de Rennes. Auboin N., Kletz F., Lenay O. (2010), “Médiation culturelle : l’enjeu de la gestion des ressources humaines”, Culture Etudes, n° 1, pp. 1-12. Bardin C., Lahuerta C., Méon J.-M. (2011), Dispositifs artistiques et culturels. Création, institution, public, Lormont : Le bord de l’eau. Becker H. S. (2006 – 1ère éd. américaine 1982), Les mondes de l’art, Paris : Flammarion. Berger P. (2006 – 1ère éd. américaine 1963), “Digression 1 : Réversibilité biographique (ou : Comment endosser un passé de confection)”, in Berger P., Invitation à la sociologie, Paris : La Découverte, pp. 91-102. Boltanski L., Chiapello E. (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris : Gallimard. Bourdieu P. (1977), “La production de la croyance. Contribution à une économie des biens symboliques, Actes de la recherche en sciences sociales, n° 13, pp. 3-43. Bourdieu P. (1979), La distinction. Critique sociale du jugement, Paris : Editions de Minuit. Buchmann, Esner (1997), “The transition from the utilitarian to the expressive self : 1900-1992”, Poetics, n° 25, pp. 157-175 Callier L., Hanquinet L. (avec Guérin M., Genard J.-L.) (2012), “Etude approfondie des pratiques et consommation culturelles de la population en Fédération WallonieBruxelles”, Etudes, n° 1. 92 Etudes N°2.indd 92 19/11/13 14:30 Cingolani P. (2011), “Psychanalyse, politique et désidentification”, Revue du MAUSS, vol. 38, n° 2, pp. 171-183. Crozier M., Friedberg E. (1992 – 1ère éd. originale 1977), L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Paris : Le Seuil, pp. 166-167. de Coorebyter V. (1988), Les centres culturels dans la Communauté française de Belgique, Bruxelles : CRISP. Debord G. (1992 – 1ère édition originale 1967), La Société du Spectacle, Paris : Gallimard. Devos F. (2010), “Les rapports entre l’art et l’économie. Quatre manières de s’aimer et de se détester”, in Smart. be, L’artiste et ses intermédiaires, Bruxelles : Mardaga, pp. 183-191. Étudesn°2 Caune J. (2006), La démocratisation culturelle. Une médiation à bout de souffle, Grenoble : PUG. Djakouane A., Négrier E. (2010), “Focus sur les publics des festivals”, in Poirrier P., Politiques et pratiques de la culture, Paris : La documentation française, pp. 202-205. Donzelot J., Mével C., Wyvekens A. (2003), Faire société. La politique de la ville aux États-Unis et en France, Paris : Le Seuil. Dubar C., Tripier P., Boussard V. (2011), Sociologie des professions, Paris : Armand Colin. Dubet F. (2002), Le déclin de l’institution, Paris : Le Seuil. Durkheim E. (2004 – 1ère éd. originale 1893), De la division du travail social, Paris : PUF. Fleury L. (2003), “Retour sur les origines : le modèle du TNP de Jean Vilar”, in Donnat O., Tolila P. (dir.), Les(s) public(s) de la culture, Paris : Presses de Sciences Po, pp. 123-138. Francq B. (2003), La ville incertaine. Politique urbaine et sujet personnel, Louvainla-Neuve : Academia-Bruylant. Francq B., Lapeyronnie D. (1990), Les deux morts de la Wallonie sidérurgique, Bruxelles : CIACO. Francq B., Leloup X. (2002), “Bruxelles riche, Bruxelles pauvre. Contrastes, dispersion, création culturelle”, Les Annales de la recherche urbaines, pp. 7-14. Francq B., Wirix L. (1977), Le Bon, la Brute et l’Idéologie. Analyse d’un conflit culturel (La Maison de la Culture de Verviers), ronéotypé. Friedberg E. (1993), Le pouvoir et la règle, Paris : Le Seuil. Gherbi M. (2013), “L’émergence du corps dans l’expérience virtuelle de lieu : une approche phénoménologique”, Thèse de doctorat, Louvain-la-Neuve/Mons : Université catholique de Louvain/UCL-Mons. Goffman E. (1973), La mise en scène de la vie quotidienne – 1. La présentation de soi, Paris : Editions de Minuit. Grignon C., Passeron J.-C. (1989), Le Savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris : Le Seuil. Heinich N. (2005), L’élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris : Gallimard. Hermès (2011), “Les musées au prisme de la communication”, n° 61. Hoggart R. (1970 – 1ère éd. anglaise 1957), La culture du pauvre. Etude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris : Editions de Minuit. 93 Etudes N°2.indd 93 19/11/13 14:30 Étudesn°2 Hughes E. C. (1996), Le regard sociologique. Essais choisis, Paris : Editions de l’EHESS. Kindt M. (2013), Vers une conceptualisation de l’expérience culturelle des enfants : le cas de la visite aux musées d’art et d’histoire. Thèse de doctorat, Louvain-la-Neuve/ Mons : Université catholique de Louvain/UCL-Mons. Lafortune J.-M. (dir.), La médiation culturelle. Le sens des mots et l’essence des pratiques, Presses de l’Université du Québec : Québec. Lahire B. (2013), Dans les plis singuliers du social. Individus, institutions, socialisations, Paris : La Découverte. Lawrence P. R., Lorsch, J. W. (1967). Organization and Environment : Managing Differentiation and Integration. Boston : Harvard Business School Press. Lowies J.-G. (2012), “La coopération culturelle en Belgique fédérale”, in Aubin D., Leloup F. et Schiffino N. (dir.), La reconfiguration de l’action publique en Belgique, Louvain-la-Neuve : Academia-L’Harmattan, pp. 93-109. Lowies J.-G. (2013), “La diversité culturelle”, Repères, n° 3. Martuccelli D. (2005), La consistance du social. Une sociologie pour la modernité, Rennes : Presses Universitaires de Rennes. Martuccelli D. (2006), Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine, Paris : Armand Colin. Martuccelli D. (2010), La société singulariste, Paris : Armand Colin. McQuarrie M., Marwell N.P. (2009), “The Missing Organizational Dimension in Urban Sociology”, City & Community, vol. 8, n° 3, pp. 247-268. Menger P.-M. (2002), Portrait de l’artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme, Paris : Le Seuil. Morin E. (2003 – 1ère éd. originale 2001), La méthode – 5. L’humanité de l’humanité. L’identité humaine, Paris : Le Seuil. Passeron J.-C. (2006 – 1ère éd. originale 1991), “Figures et contestations de la culture. Légitimité et relativisme culturel”, in Passeron J.-C., Le raisonnement sociologique. Un espace non poppérien de l’argumentation, Paris : Albin Michel, pp. 445-508. Peters G. (2006), “Nouveau management public (New Public Management)”, in Boussaguet L., Jacquot S., Ravinet P., Dictionnaire des politiques publiques, Paris : Les Presses de Sciences Po, pp. 306-312. Peterson R., Kern R. (1996), “Changing Highbrow taste : From Snob to Omnivore”, American Sociological Review, vol. 61, n° 5, pp. 900-907. Peyrin A. (2008), “Démocratiser les musées : une profession intellectuelle au féminin”, Travail, genre et sociétés, vol. 1, n° 19, pp. 65-85. Raison présente (2011), “Pour une éthique de la médiation culturelle ?”, n° 177. Rancière J. (1998), Aux bords du politique, Paris : Gallimard. Rancière J. (2000), Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris : La Fabrique. Rancière J. (2004 – 1ère éd. 1987), Le maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Paris : 10/18. Rancière J. (2009), “Critique de la critique du “spectacle””, in Rancière J., Et tant pis pour les gens fatigués. Entretiens, Paris : Editions Amsterdam, pp. 619-636. Remy J. (2007), “De l’automobilisme à l’automobilité”, in Lannoy P., Ramadier T., La mobilité généralisée. Formes et valeurs de la mobilité quotidienne, Louvain-la-Neuve : 94 Etudes N°2.indd 94 19/11/13 14:30 Academia-Bruylant, pp. 21-40. Romainville C. (2012), “Le droit à la culture & la législation relative aux centres culturels”, in de Bodt R., Lowies J.-G. (coord.), Repères, n°1. Scieur P. (2011 – 1ère éd. originale 2005), Sociologie des organisations. Introduction à l’analyse de l’action collective organisée, Paris : Armand Colin. Simmel G. (1911), “Le concept et la tragédie de la culture”, in Simmel G. (1988), La tragédie de la culture et autres essais, Paris : Editions Rivages. Touraine A. (1993 – 1ère éd. 1973), Production de la société, Paris : Le Seuil. Touraine A., Khosrokhavar F. (2000), La recherche de soi. Dialogue sur le sujet, Paris : Fayard. Étudesn°2 Remy J., Voyé L. (1992), La ville : vers une nouvelle définition ?, Paris : L’Harmattan. Urfalino P. (1989), “Les politiques culturelles : mécénat caché et académies invisibles”, L’Année sociologique, vol. 39, pp. 81-109. Urfalino P. (2004 – 1e éd. originale 1996), L’invention de la politique culturelle, Paris : La Documentation française. Vanneste D. (2011), L’espace politique des villes. Etude sociologique du travail de mise en œuvre de politiques urbaines dans trois petites villes wallonnes (Belgique), Thèse de doctorat, Louvain-la-Neuve/Mons : Université catholique de Louvain/UCL-Mons. Vivant E. (2009), Qu’est-ce que la ville créative ?, Paris : PUF. Warnier J.-P. (2007 – 1ère éd. originale 1999), La mondialisation de la culture, Paris : La Découverte. Weber M. (1963 – 1ère éd. allemande 1919), “Le métier et la vocation de savant”, in Weber M., Le savant et le politique, Paris : 10/18. Weber M. (1995 – 1ère éd. allemande 1921), Economie et société (Tome 1). Les catégories de la sociologie, Paris : Presses Pocket. 95 Etudes N°2.indd 95 19/11/13 14:30 Étudesn°2 7. Lexique Corrélation : relation entre plusieurs notions, concepts ou faits, fondée sur un lien nécessaire de sens. Diachronique/synchronique : ce sont des antonymes. Diachronique : qui se rapporte à l’évolution, voire la chronologie des faits (perspective diachronique : perspective historique). Synchronique : qui se rapporte à des faits simultanés (perspective synchronique : perspective systémique). Dialogique : selon E. Morin, la conception de la relation nécessaire et complémentaire de processus ou d’éléments opposés, antagonistes ; cela s’oppose à la dialectique de Hegel qui associe par une synthèse les éléments en contradiction (thèse-antithèse). Dyade : deux éléments qui se complètent réciproquement. Effet de saturation progressive : se dit d’un effet de récurrence (répétition) des informations fournies au chercheur par son matériau, qui finit par ne plus apporter de nouvelles données à analyser. Endogène/exogène : ce sont des antonymes. Endogène : qui provient de l’intérieur. Exogène : qui provient de l’extérieur. Fonctionnaliste : qui se rapporte au fonctionnalisme. Une perspective sociologique qui envisage les éléments d’une société, d’une organisation, à partir des fonctions qu’ils y remplissent. La finalité de ces éléments est de former un tout et de garantir l’équilibre du système. Hétéronomie/autonomie : ce sont des antonymes. Hétéronomie : dispositif ou processus de construction des normes (règles) qui vient de l’extérieur au groupe. Autonomie : dispositif ou processus de construction des normes (règles) qui est produit par les acteurs concernés, qui vient donc de l’intérieur. Heuristique : qui se rapporte aux règles de la recherche scientifique. Homologie : relation qui assure le même rôle dans des systèmes différents. Maïeutique : démarche philosophique qui vise à faire émerger la vérité chez les individus. Sur un plan pédagogique, méthodologie qui fait émerger les connaissances chez des individus (“art de faire accoucher”). Matériau empirique : ensemble des données classées par le chercheur, servant de base à son analyse. Neutralité axiologique : attitude a priori du chercheur qui n’émet pas de jugement de valeur sur son objet d’étude. Normatif : qui émet des règles, voire les impose. Réticulaire : qui se rapporte au réseau. Schème : disposition, structure de raisonnement d’un individu qui permet ou détermine l’analyse et l’interprétation. 96 Etudes N°2.indd 96 19/11/13 14:30 Solidarité mécanique/organique : formes de solidarité et de société chez E. Durkheim, l’une – mécanique – posant la cohésion sociale à partir de la force (qui peut être sacrée) de la conscience collective, l’autre – organique – montrant que la cohésion sociale relève de la complémentarité des fonctions et des valeurs autour de la personne humaine. Structuralisme : courant de pensée qui privilégie le point de vue d’une organisation sociale (structures fondamentales) qui détermine les pratiques et les croyances des individus qui en dépendent. Étudesn°2 Société postindustrielle : type de société qui émerge dans les années 1970 et qui met l’accent sur des éléments immatériels (connaissance, éthique, société de services,…) plus que sur des éléments matériels (société industrielle). Typologique : qui relève d’une classification organisée. Variable : élément qui peut prendre des valeurs différentes dans un ensemble donné. 97 Etudes N°2.indd 97 19/11/13 14:30 Étudesn°2 Table des matières Préface. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1. Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 2. Évolution des métiers de la médiation culturelle en centre culturel – approfondissement de la division du travail d’action culturelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 2.1. Retour sur un référentiel de métier – “L’animateur socioculturel” comme catégorie fondatrice. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 2.1.1. Instituer la démocratie culturelle – Pour une conception maïeutique de l’action culturelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 2.1.2.Vers une structuration professionnelle – Formations, référentiel de métier et réserve de recrutement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 2.1.3. L’inscription prioritaire de la démocratie culturelle dans les pratiques professionnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 2.2. Croissance des centres culturels et diversification progressive des métiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 2.2.1. Accroissement des structures et évolution de l’engagement bénévole (militantisme, volontariat…). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 2.2.2. L es dispositifs d’aide à l’emploi comme supports de développement des métiers. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 2.2.3. S pécialisation et division du travail au sein de l’organisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 2.3. Animateurs, médiateurs et animateurs-directeurs dans la division du travail. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 2.3.1.Les catégorisations de métier – Différences d’appellation, différences de registres. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 2.3.2.L’animateur-directeur – Vers la gestion d’une structure culturelle. . . . . . . . . . . . . . . . . 30 2.3.3.L’animateur – Carrières variées et développement de compétences de coordination. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 2.3.4.Une catégorie moins visible – Les animateurs “externes” à la structure. . . . . . . . . 39 2.4. Au-delà des limites de l’organisation, la division du travail de médiation culturelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 3. Les mondes urbains de la médiation artistique et culturelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 3.1. Les centres culturels – Problématisation en termes d’acteurs de mondes urbains de la médiation artistique et culturelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 3.1.1.Les mondes urbains comme configurations sociales et spatiales. . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 3.1.2.Les mondes urbains, lieux de la médiation artistique et culturelle. . . . . . . . . . . . . . . . . 47 98 Etudes N°2.indd 98 19/11/13 14:30 3.1.3.Contextes urbains et orientations de l’action de médiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 3.2.1. Une figure de spécialiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 3.2.2.Une figure de généraliste. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 3.2.3.Une figure de liaison. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 3.2.4.Une figure d’immersion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 3.3. La dynamique des mondes urbains de la médiation artistique et culturelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 Étudesn°2 3.2. L’action de médiation artistique et culturelle – Quatre figures de centres culturels. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 3.3.1. Retour sur les différentes figures de centres culturels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 3.3.2.Essai d’interprétation sur le rapport entre figures et catégories de centre culturel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 3.3.3.Segmentations internes aux centres culturels et dynamiques de composition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 4. Pratiques de médiation culturelle et mouvements subjectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 4.1. Consistance de la médiation artistique et culturelle : fonction dans l’organisation ou référentiel transversal ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 4.1.1.La médiation culturelle comme métier et fonction dans l’organisation. . . . . . . . . . 68 4.1.2. La médiation culturelle comme référentiel transversal. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 4.2. Les aspirations du médiateur : critique sociopolitique ou mouvements de l’expérience sensible ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 4.3. La constitution des destinataires de la médiation – Unité des participants et segmentation des publics ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 4.3.1.Ambition de la démocratie culturelle – Produire du commun à partir de clivages idéologiques et institutionnels. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 4.3.2.Les formes concrètes de l’unité et de la diversité dans les pratiques de médiation culturelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 4.3.3.Les décalages entre idéal et pratiques de médiation culturelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 4.4. La médiation culturelle comme rapport à la société – Démocratie culturelle et mouvements subjectifs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82 5. Conclusions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 6. Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 7. Lexique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 99 Etudes N°2.indd 99 19/11/13 14:30 Etudes N°2.indd 100 19/11/13 14:30 Etudes N°2 couverture.indd 3 19/11/13 14:34 Observatoire des Politiques Culturelles (OPC) 68A, rue du Commerce - 1040 Bruxelles – Belgique Tél : 00 32 2 413 29 80 - Mél. : [email protected] www.opc.cfwb.be Etudes N°2 couverture.indd 4 19/11/13 14:34