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G R A N D S P E R S O N N A G E S D E T O U R A I N E
REGARDS
SUR LES COMPOSITEURS
TOURANGEAUX
François LE ROUX*
RÉSUMÉ
Nous nous attachons ici à suivre six compositeurs qui se sont illustrés dans l’écriture
des mélodies françaises. Deux sont nés en Touraine : Charles Bordes et René de
Buxeuil ; deux y ont vécu un temps, Emmanuel Chabrier et Francis Poulenc, et deux
y vivent, Henri Dutilleux et Jack Ledru.
ABSTRACT
Here we are interested in dealing with six composers who were noted for composing
French songs. Two were born in Touraine, Charles Bordes and René de Buxeuil, two
lived there for a time, Emmanuel Chabrier and Francis Poulenc, and two live there
presently, Henri Dutilleux and Jack Ledru.
La Touraine est depuis toujours une terre d’accueil pour les artistes. Les
compositeurs, qui suivaient les rois au l de la Loire, furent nombreux, et les
spécialistes de la musique de la Renaissance en ont parlé. Ici, nous allons nous
attacher à suivre six compositeurs qui se sont illustrés dans l’écriture de mélo-
dies françaises, répertoire patrimonial fabuleux que le Centre international de
* Chanteur lyrique, fondateur de l’Académie Francis Poulenc et membre de l’Académie de
Touraine.
Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Touraine, tome 24, 2011, p. 51-66.
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la Mélodie Française-Académie Francis Poulenc de Tours (honoré par l’Aca-
démie de Touraine il y a quelques années) que j’ai fondé en 1997, s’attache à
défendre et promouvoir. Deux sont nés en Touraine. Quatre d’entre eux :
Charles Bordes, Emmanuel Chabrier, Francis Poulenc et Henri Dutilleux sont
au programme de la session d’août 2011 de l’Académie Francis Poulenc
d’interprétation de la mélodie. Comme on fait naître lalodie avec les « Nuits
d’été » de Berlioz, il s’agit donc de compositeurs du XIXe siècle et des sui-
vants. Nous les abordons ici par ordre chronologique.
*
Emmanuel Chabrier est le 18 janvier 1841 à Ambert (en Auvergne),
et mort le 13 septembre 1894, à Paris. Rien ne le destinait à la musique : ls
d’avocat, à une époque composer n’est pas un métier digne de ce nom ! Il
reçoit néanmoins, comme il se doit dans chaque bonne famille, des leçons de
piano dès l’âge de six ans. D’abord lycéen à Clermont-Ferrand, il continue
ses études au lycée Saint-Louis à Paris. Il étudie le droit et passe sa licence
en 1861. Parallèlement, il suit la classe d’Édouard Wolff pour le piano, de
Richard Hammer pour l’harmonie, de Théophile Semet, puis d’Aristide
Hignard (le compositeur ami de Jules Verne, qui écrira pour lui des livrets
d’opéra) pour la composition. L’année de sa licence il entre comme surnumé-
raire au ministère de l’Intérieur.
La vie artistique parisienne le fait rencontrer Saint-Saëns, Massenet,
Vincent d’Indy, l’entourage de César Frank, mais aussi des peintres (dont
Manet) dont il collectionne les tableaux.
À sa mort, la liste des tableaux, gravures et dessins lui appartenant fut
une révélation sur la sûreté de son goût et la qualité de ses amitiés (Francis
Poulenc la trouve sufsamment « parlante » pour la citer en intégralité dans le
livre qu’il a consacré à Chabrier à « La Palatine » de Genève en 1961).
Il fréquente la maison d’édition d’Alphonse Lemerre, qui est le rendez-
vous des poètes dits Parnassiens. C’est ainsi qu’il y noue une amitié durable
avec Paul Verlaine (1844-1896) qui lui écrit deux livrets d’opérettes, Fisch-
Ton-Kan et Vaucochard et Fils Ier, dont Chabrier n’achèvera pas les compo-
sitions. Peut-être est-ce aussi Verlaine qui écrivit la base du livret de l’opéra-
comique l’Étoile (créé en 1877).
Voici l’hommage que Verlaine lui rend dans son recueil Amour :
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À Emmanuel Chabrier (juin 1887) :
Chabrier, nous faisions, un ami cher et moi,
Des paroles pour vous qui leur donniez des ailes,
Et tous trois frémissions quand, pour bénir nos zèles,
Passait l’Ecce deus et le Je ne sais quoi.
Chez ma mère charmante et divinement bonne,
Votre génie improvisait au piano,
Et c’était tout autour comme un brûlant anneau
De sympathie et d’aise aimable qui rayonne.
Hélas ! ma mère est morte et l’ami cher* est mort.
Et me voici semblable au chrétien près du port,
Qui surveille les tout derniers écueils du monde,
Non toutefois sans saluer à l’horizon
Comme une voile sur le large au blanc frisson,
Le souvenir des frais instants de paix profonde.
* Lucien Viotti
On peut regretter que ce « compagnonnage » n’ait pas donné naissance
à des mélodies ! Celles-ci sont écrites sur des poèmes de gens beaucoup plus
célèbres à l’époque : Catulle Mendès, Edmond Rostand (et sa femme Rose-
monde Gérard), Maurice Rollinat, Armand Silvestre, et les classiques comme
Victor Hugo et Musset.
C’est en 1880, après avoir assisté l’année précédente à une représenta-
tion de Tristan et Isolde de Wagner à Munich, qu’il quitte son ministère pour
se consacrer uniquement à la musique. Wagner restera le phare de la vie de
ce compositeur si gai et léger. Il disait que l’exemple d’opéra léger était pour
luiLes Maîtres Chanteurs de Nuremberg ! Il écrira donc des œuvres comme
Le Roi malgré lui (1887) en pensant à Wagner. En 1881, il seconde comme
directeur des chœurs et pianiste accompagnateur, Charles Lamoureux, qui
vient de fonder l’orchestre qui porte son nom. En 1882, il voyage en Espagne
avec son épouse. Ce voyage lui inspire España (créé en 1883) qui le fait
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connaître. Dès 1884 il passera chaque année quelques mois à La Membrolle-
sur-Choisille pour composer. La maison en briques qu’il habita existe encore
au nord du bourg, au bas et à gauche de la route conduisant à Charentilly. Il
y avait naguère sur un de ses murs une plaque dédiée au compositeur. Elle a
disparu lors d’une restauration de la façade. Espérons que la municipalité
renouvelle l’hommage à ce grand inspirateur de musiciens tels que Debussy,
Ravel ou Poulenc. Il est enterré au cimetière du Montparnasse à Paris.
Citons comme mélodies (et chansons) qu’il a composées ou arrangées :
Les plus jolies chansons du pays de France, collectées par Catulle Mendès,
16 chansons du folklore arrangées (1888) ; 25 mélodies, dont les fameuses
« mélodies animales » : Ballade des gros dindons, Villanelle des petits canards,
Pastorale des cochons roses, Les Cigales. Plus une Invitation au voyage sur
le fameux poème de Baudelaire, avec basson obligé (écrit en 1870, mais de
publication posthume), curiosité entendue lors de l’Académie Francis Poulenc
d’août 2011 !
*
Charles Bordes est à Vouvray le 12 mai 1863 et mort à Toulon le
8 novembre 1909. Vous avez déjà eu une communication détaillée sur sa
carrière par Michel Daudin, je serai donc bref à son sujet et m’attacherai plus
à ses mélodies qu’au reste de son œuvre.
Élève à Paris, au Conservatoire, de Marmontel pour le piano et de César
Franck pour la composition, il devient en 1890 maître de chapelle à l’église
Saint-Gervais (Paris) il crée la chorale des Chanteurs de Saint-Gervais,
puis organise, en 1892, Les semaines saintes de Saint-Gervais, pendant les-
quelles la messe est accompagnée de musiques italiennes ou françaises de la
Renaissance.
Le 15 octobre 1896 voit l’inauguration de la Schola Cantorum, une
société de musique sacrée qu’il fonde avec ses collègues Vincent d’Indy et
Alexandre Guilmant. On y redécouvrira le plain-chant, Palestrina, Josquin
des Prés, Victoria. Il fonde ensuite les Schola Cantorum d’Avignon (1899) et
de Montpellier (1905).
Atteint par une attaque d’hémiplégie en 1903, Charles Bordes est mort
à Toulon le 8 novembre 1909, mais son corps, après avoir reposé provisoire-
ment au cimetière de Montpellier, a été transféré au cimetière de Vouvray, où
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il a été enterré le 20 janvier 1910. Dans le domaine de la mélodie, il faudra
attendre la publication posthume de ses œuvres par les soins de son successeur
à la Schola Cantorum, Pierre Onfroy de Bréville (autre compositeur injuste-
ment oublié), pour comprendre son apport original, et très personnel, à ce
genre si particulier.
Car il a choisi de laisser au second plan son œuvre de compositeur,
pourtant singulièrement attachante, pour se consacrer avant tout à son travail
d’ethnomusicologie. En 1897, il publie Archives de la tradition basque, une
collecte de chants populaires, commandée par le ministère de l’Éducation
publique. De ce travail sur le folklore basque, il a puisé un élan, une inspiration
pour son œuvre. Les chansons qu’il a collectées sont publiées à Paris par E.
Barillon, sans indication de date : 100 chansons populaires basques « recueillies
et notées au cours de sa mission par Charles Bordes », dont une sélection,
intitulée Douze chansons amoureuses du Pays Basque français, se trouve au
conuent entre chanson et mélodie. Il y a aussi Douze Noëls populaires basques
(vers 1880), et surtout la musique religieuse basque dont, en 1897, Kantika
espiritualak. On notera aussi : Dix danses, marches et cortèges populaires du
pays basque (1908). La Touraine, peut-être consie comme trop « civilie »,
ne fut pas l’objet de pareille enquête. Le Berry voisin aura droit à une pros-
pection, mais effectuée par un compositeur autre que Bordes.
Il a mis en musique quinze poèmes de Verlaine, mais son œuvre de
mélodiste comprend une quinzaine d’autres compositions sur des textes de
divers auteurs, dont quatre de Jean Lahor (nom de plume du docteur Henri
Cazalis, mort la même année que Bordes, et qui soigna Verlaine), d’autres de
Léon Valade, Maurice Bouchor et Francis Jammes. Souvent écrites avec
accompagnement d’orchestre, ces mélodies sont à découvrir absolument.
*
Jean-Baptiste Chevrier dit René de Buxeuil est dans la maison
dite Plancoulaine (nom rendu célèbre par René Boylesve, son compatriote,
dans son livre L’enfant à la balustrade) sur la commune de Buxeuil (Vienne)
le 4 juin 1881, et décédé à Paris le 29 juillet 1959. Ses parents tiennent le
bistro Les prévoyants de l’avenir à La Haye-Descartes (Indre-et-Loire). En
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