On s’étonne toujours de cette maturité instinctive des jeunes
interprètes qui, à peine sortis de l’adolescence, ont la
capacité d’assimiler et de traduire les œuvres de
compositeurs riches d’une expérience humaine et sensitive
que seules les années semblent pouvoir donner. L’univers
opulent de Brahms, le monde si particulier de Debussy, celui
de Poulenc, difficile à saisir dans sa vérité profonde, la
modernité intelligente d’un Karol Beffa, rien n’échappe aux
doigts ni au souffle de Raphaël Sévère.
Composées par Brahms à la fin de sa vie, les deux Sonates
op. 120 dont Raphaël Sévère jouait la deuxième, sont des
œuvres totalement abouties en tous domaines. L’écriture,
très savante sans que cela apparaisse autrement qu’à
l’analyse, va à l’essentiel, sans la moindre recherche d’effet
virtuose, l’accent étant mis seulement sur le poétique et sur
le sensible. Il y a de la nostalgie, une sorte de résignation,
mais beaucoup de vitalité aussi, un regard riche sur la vie,
même s’il est un peu désabusé.
Avec un son magnifique, des doigts infaillibles et un souffle
totalement sous contrôle, le jeune musicien raconte tout cela.
Comme il traduit de manière lucide le climat étrange de
la Première Rhapsodie de Debussy, celui, très personnel,
attachant, de l’Épitaphe de Karol Beffa et les humeurs
contrastée de la Sonate de Poulenc.
Créée après la mort du compositeur par son dédicataire
Benny Goodman et avec Leonard Bernstein au piano, cette
partition, sans être un testament musical, reflète tout de
même ces états d’âme contradictoires, rêverie,
contemplation et enthousiasme communicatif qui ont
marqué tout l’œuvre de Poulenc.
Adam Laloum, partenaire attentif et inspiré, joue un rôle
primordial dans la solidité de ces interprétations. Belle
qualité de toucher engendrant un son bien présent mais sans
brutalité, excellents choix d’accentuation et sens toujours
exact de ce doit être le dialogue des instruments dans ce type
d’œuvres. Grâce à lui aussi, ce fut une heure intense de
musique envoûtante.