Formation mercredi26 janvier 2011 Les HES sont sommées de calmer leur frénésie publicitaire Par Nicolas Dufour Les hautes écoles spécialisées courtisent les étudiants parfois loin à la ronde, au-delà de leur bassin naturel. Les conseillers d’Etat élaborent un pacte de non-agression Touche pas à mes étudiants! Réparties par territoires, cantons ou groupes de cantons, les sept hautes écoles spécialisées (HES) publiques de Suisse se livrent à une concurrence féroce pour capter les cerveaux. Les jeunes qui choisissent cette voie préparent en général la maturité professionnelle pendant un apprentissage, avant de gagner ces filières de bachelor et master. La manière dont les HES courtisent des étudiants d’autres régions que leur bassin naturel a récemment provoqué de vives tensions, au point que le Conseil national des HES, leur instance politique, s’en est emparée en décembre, a appris Le Temps. Une part du financement des HES, dont l’enveloppe est attribuée par la Confédération, dépend du nombre d’étudiants. Les directions de ces réseaux d’écoles sont donc tenues d’augmenter leurs effectifs. Quitte à tendre des hameçons en dehors de leur région officielle. Dans le canton de Berne ont ainsi fleuri des affiches vantant les mérites des HES de Zurich, ou de celle de la Suisse du Nord-Ouest, qui comprend les écoles des deux Bâle, d’Argovie et de Soleure. «Cela nous a énervés», glisse le directeur de l’Instruction publique, Bernhard Pulver. Celui-ci a mis le sujet sur la table lors d’une réunion du Conseil national des HES. Problème: Berne elle-même ne ménage pas ses efforts publicitaires dans les régions limitrophes, voire au-delà. Les Lausannois ont ainsi pu voir à plusieurs reprises des affiches à l’honneur de la HES bernoise dans les stations de leur métro. Les murs des villes de l’Arc jurassien ont aussi été tapissés, alors que le canton de Berne, par le site d’enseignement de Saint-Imier, est partie prenante de la Haute Ecole ARC, antenne de la HES de Suisse occidentale (HES-SO, qui regroupe les cantons romands). Les responsables des HES distinguent deux types de promotion: celle qui porte sur les bachelors et masters généraux, et celle qui vante les filières spécifiques d’une HES – à Berne, la Haute Ecole d’agriculture, par exemple. Dans leur raisonnement, venir faire, dans un autre canton, de la propagande pour des cursus que propose aussi la HES locale relève du casus belli. En revanche, vanter ses masters particuliers ou titres postgrades est de bonne guerre. A la HES bernoise, la porte-parole Elisabeth Hasler assure: «Nous ne faisons de la publicité en dehors de notre zone que pour des formations qui ne sont pas proposées dans la région en question. Nous promouvons également nos événements d’information.» Cependant, la frontière peut paraître ténue; des portes ouvertes, comme en font les HES ces jours – période des inscriptions –, peuvent être vues comme un appel du pied pour tous les types de formation… Ces présences dans la rue, les trams ou les bus «ont mis certains directeurs d’école à bout de nerfs, hérissés par le fait qu’on chasse sur leurs terres», relève un responsable. Directeur de la HES-SO, Marc-André Berclaz a observé «un certain énervement». Stefan Buman, le patron de la partie valaisanne de la HES-SO, relève que «Berne se montre assez offensive». Les Valaisans répliquent, d’ailleurs, en promouvant ces jours leur filière de tourisme… à Berne: «Parce que leur propre HES ne la propose pas», s’empresse de préciser le responsable. A la tête de la Haute Ecole ARC, Brigitte Bachelard veut nuancer: «La meilleure publicité, c’est la réputation. Nous ne pouvons pas empêcher les flux d’étudiants, il faut surtout une saine émulation entre les écoles.» L’année passée, la HES-SO a dépensé 50 000 francs pour faire connaître ses masters, ainsi que 35 000 francs, payés aux deux tiers par les écoles, pour mettre l’accent sur les bachelors et masters en ingénierie et architecture. Ensuite, chaque site est libre de faire sa propre publicité. La centrale veut surtout «augmenter la visibilité dans des domaines où la demande est forte», tels que la santé, relève Marc-André Berclaz. Après une discussion plutôt houleuse, les conseillers d’Etat ont élaboré une recommandation, selon laquelle leur HES n’empiétera pas sur le territoire d’une autre, pour des formations équivalentes. Sur le fond, le marché de la formation étant a priori libre, pourquoi les HES ne pourraientelles pas se concurrencer frontalement, plutôt que se partager le territoire par un genre de Yalta des études professionnelles? «Ce n’est pas un Yalta, mais nous ne voulons pas de publicité excessive», rétorque Bernhard Pulver. «Bien sûr qu’il faut une concurrence, et pour cela, les écoles peuvent utiliser Internet, des prospectus ou les centres d’orientation. Mais des campagnes d’affichage représentent des dépenses non justifiables.» De fait, les ministres cantonaux craignent que les écoles ne s’engagent dans une surenchère avec les deniers publics, qui leur serait ensuite reprochée. Présidente du Conseil des HES, la Vaudoise Anne-Catherine Lyon résume: «Multiplier les publicités illustre un effet pervers du système, et reflète une mauvaise gestion des ressources publiques: on dépense pour attirer des étudiants qui rapporteront des subsides. C’est du gaspillage.» © 2009 Le Temps SA