Remise des CAS HES-SO de Praticien formateur par M. J.

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Remise des CAS HES-SO de Praticien formateur
HESAV
7 novembre 2012
Par M. J. Coquoz
Madame la directrice des soins du CHUV,
Madame la directrice de HESAV
Mesdames et messieurs les invités,
Mesdames et messieurs les certifiés,
Chers collègues,
C’est à vous, chers certifiés que je m’adresse pour vous dire la reconnaissance que Nicole Seiler et
moi-même, en tant que responsables des domaines Santé et Travail social, tenons à vous manifester
ainsi qu’aux institutions qui vous emploient pour avoir consacrer votre temps précieux à vous former à
votre fonction de praticiennes-formatrices et de praticiens-formateurs.
Cette remise de diplôme clôt la journée organisée par l’HESAV, une journée qui a été consacrée à
l’alternance et aux jeux d’équilibre entre les hautes écoles et les lieux de pratique professionnelle pour
préparer les étudiants au raisonnement et au jugement clinique. Cette journée de l’HESAV a placé en
quelque sorte les PF et leur formation au cœur de cet enjeu fondamental que les hautes écoles et les
lieux de pratique professionnelle ne peuvent réussir qu’ensemble, à savoir de développer les
compétences professionnelles qui sont requises pour soigner, éduquer, accompagner des personnes
malades, souffrantes ou ayant des difficultés de tout type. Pour préparer à ces professions particulières
faisant partie de ce qu’on appelle communément les métiers de l’humain, nous savons qu’il est
nécessaire d’acquérir des connaissances et des raisonnements qui soient nourries par les progrès de la
science, mais aussi d’exercer des savoir-faire dans des situations réelles et d’aiguiser ses capacités
réflexives à partir de sa propre implication dans ces situations.
J’ai donc envie de profiter de ce moment pour vous inviter à réfléchir sur l’usage d’un néologisme qui
devient un peu obsédant, parce qu’on l’entend régulièrement à propos des HES. Je veux parler ici de ce
terme d’académisation qui nous vient, semble-t-il, du mot allemand Akademisierung. On le trouve dans
des articles de presse, dans des textes produits par des lobbys comme EconomieSuisse ou par des
organisations d’entrepreneurs comme l’Union suisse des arts et métiers. Vous avez pu constater qu’il
est utilisé aussi par notre ministre de tutelle, le chef du Département de l’économie publique, M.
Schneider-Amman.
Qu’est-ce donc que cette académisation ? Le premier constat que l’on peut faire par rapport à l’emploi
de ce terme, c’est qu’il n’est jamais dénotatif. Ce terme ne sert pas à désigner une réalité dont on
relèverait les caractéristiques permettant de forger un concept. Non ce terme n’est pas un concept :
c’est un mot-valise, pour reprendre cette notion imagée du philosophe Chaïm Perelmann. Un mot-valise
désigne ces termes qui semblent se rapporter à une réalité évidente mais dans lesquels chacun peut y
mettre les réalités qui l’arrangent selon les situations dans lesquelles il les utilise.
Ce mot-valise – et c’est mon deuxième constat – est toujours utilisé avec une charge connotative. Et
j’ajoute : cette connotation est uniquement péjorative. L’académisation, on ne sait pas exactement
quelle chose elle désigne, mais on sait en tout cas que c’est une chose mauvaise et qui ouvre sur un
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risque. Par conséquent l’emploi du terme sert à la dénonciation, une dénonciation qui s’adresse très
souvent aux formations HES.
On comprend implicitement que derrière le mot académisation, est dénoncé un éloignement de la
réalité « vraie », je mets des guillemets bien sûr, cette réalité que l’on peut toucher avec ses mains et
que l’on ne trouve que sur le terrain. C’est la raison pour laquelle le mot académisation est volontiers
accompagné de la métaphore de la tour d’ivoire qui caractériserait les universités. Comme les HES et
les HEP ont été intégrées dans le paysage des hautes écoles en compagnie des universités et des
écoles polytechniques fédérales, elles se trouveraient en quelque sorte confrontées au risque de la
contamination.
Il faut toujours se méfier des mots-valise à connotation péjorative car ils ont une fonction d’intimidation.
On ne discerne pas bien ce qui est dénoncé par le terme d’académisation, on sait en revanche qu’il y a
des coupables potentiels : ce sont les directions des hautes écoles, les responsables de filière et les
professeurs. Le terme d’académisation sert d’arme rhétorique dans une argumentation, contre laquelle
il est très difficile de se défendre parce que justement l’accusation n’est pas claire, ne porte pas sur des
faits ou sur une description de la réalité.
Nous faisons régulièrement l’expérience de l’utilisation de cette arme rhétorique par les milieux qui
soutiennent les écoles supérieures, dans les controverses au sujet des niveaux de formation pertinents
pour une même profession. L’accusation d’académisation lancée aux HES s’accompagne d’un discours
laissant entendre que les écoles supérieures sont plus orientées vers la pratique.
Or la loi sur les HES inscrit l’orientation vers la pratique comme une mission fondamentale des HES ; et
faire croire que les formations HES dans les filières de la santé et du travail social sont insuffisamment
orientées vers la pratique relève de la malhonnêteté intellectuelle. Un tiers de la formation menant au
Bachelor, en moyenne, se déroule sur les terrains de la pratique professionnelle dans une démarche
d’alternance qui est travaillée par les enseignants et les PF : c’est exactement la même proposition que
dans les plans d’études des écoles supérieures.
Mais essayons de regarder de plus près le mot valise lui-même. Académisation renvoie bien sûr au
terme « académie » dont l’étymologie ne manque pas d’intérêt dans le sujet qui nous occupe. Le terme
est emprunté au grec. Akademeia désigne les jardins d’un riche citoyen grec, Akademos, qui se
trouvaient près d’Athènes et dans lesquels Platon avait l’habitude de donner ses enseignements. Ce
terme a désigné d’ailleurs l’école de philosophie platonicienne.
Le terme a été repris dans les langues modernes à partir de l’Italie où se sont développées dès le
XVIème siècle des académies célèbres dont par exemple l’accademia del disegno à Florence, qui
formait des artistes ingénieurs à l’image d’un Leonard de Vinci. Les académies étaient des héritières,
mieux organisées et en quelque sorte scolarisées, des formations sur le tas qui étaient assurées par les
corporations pour répondre aux besoins de leurs pratiques. Elles étaient chargées de donner des
enseignements de haut niveau et utiles à la résolution de problèmes concrets des professions. C’est sur
ce modèle que se sont basés les protestants de Suisse romande quand ils ont créé à Genève, à
Lausanne et à Neuchâtel les académies chargées de préparer les pasteurs, et qui sont devenues nos
universités.
L’académie est donc, en référence directe à la philosophie platonicienne, un lieu de formation dans
lequel se travaille l’application des savoirs théoriques dans la réalité pratique. Elle a comme anti-modèle
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la logique scolastique en usage dans les universités et qui était raillé par Molière dans la mise en scène
des personnages de médecins.
Il est donc particulièrement cocasse que la notion d’académie soit utilisée dans un parfait contresens
par ceux qui dénoncent l’académisation. Si l’on respecte le sens étymologique et la lignée des
institutions qui ont porté le nom d’académie, l’académisation serait particulièrement appropriée pour
désigner l’enseignement de haut niveau et la visée pratique que doivent assurer les formations HES.
Cette mission des HES est une mission difficile car elle oblige à conjoindre les exigences de la pensée
dans les enseignements théoriques dispensés à l’école et les exigences de l’action auxquelles sont
préparés, dans une démarche réflexive, les étudiantes et étudiants sur le terrain. Or ces deux exigences
sont inévitablement en tension l’une par rapport à l’autre car elles sont de nature différente.
Les exigences de la pensée, scientifique en particulier, imposent une logique interne qui respecte le
principe de non contradiction. Cela a pour effet inévitable de produire des approches réductrices de la
réalité: la pureté théorique se paie en effet d’une obligation de découper la réalité du monde.
Les exigences de l’action imposent en revanche une adéquation entre les moyens et les fins. Cette
cohérence-là oblige l’acteur à aborder la réalité dans toutes ses manifestations polymorphes, à affronter
les dilemmes qui en découlent et les situations paradoxales dans lesquelles il doit décider et agir.
Ces deux catégories d’exigences ont leurs propres contraintes et tendent à entretenir entre les hautes
écoles et les lieux de pratique les tensions qui sont celles que l’on désigne derrière l’opposition entre
théorie et pratique. Ce sont des tensions fécondes et qui sont à travailler ensemble dans l’alternance
parce que c’est dans la réflexion sur l’écart entre les exigences de la pensée et celles de l’action, sur les
tensions entre les théories disponibles pour comprendre une réalité et les possibilités d’action, que se
forge le professionnel le plus compétent. Celles et ceux qui collent à la théorie et peinent à affronter les
exigences de l’action comme celles et ceux qui collent à la pratique et ne parviennent pas à construire
une pensée rigoureuse sont des professionnels chez qui il manque des compétences.
C’est donc ensemble qu’on parviendra à remplir notre mission de former des professionnels de niveau
HES qui offrent aux bénéficiaires de nos institutions, de nos hôpitaux et de nos services, les prestations
de haute qualité auxquelles ils ont droit. Je vous félicite donc, chers certifiés qui êtes nos collègues,
pour votre titre et pour votre contribution à la formation de nos étudiantes et de nos étudiants.
J. Coquoz
Responsable du domaine du Travail social – HES-SO
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