Les rapports collectifs à l`environnement naturel : un enjeu

Université de Franche-Comté
École doctorale « Langages, Espaces, Temps, Sociétés »
Thèse en vue de l’obtention du titre de docteur en
Philosophie
Les rapports collectifs à l’environnement naturel : un enjeu
anthropologique et philosophique
Présentée et soutenue publiquement par
Pierre CHARBONNIER
Le 25 novembre 2011
Sous la direction de M. le Professeur Stéphane HABER
et la co-direction de M. le Professeur Thierry MARTIN
Membres du jury :
Philipe DESCOLA, Professeur au Collège de France, Directeur d’études à l’École des Hautes
Études en Sciences Sociales
Stéphane HABER, Professeur à l’université Paris Ouest-Nanterre-La Défense
Bruno KARSENTI, Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales,
rapporteur
Frédéric KECK, Chargé de recherches au CNRS
Catherine LARRÈRE, Professeur à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne, rapporteur
Thierry MARTIN, Professeur à l’université de Franche-Comté
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Mes remerciements vont dʼabord à Stéphane Haber, qui a toujours su être à la bonne
distance au cours de ces trois années de recherches. Ni trop présent ni absent, cʼest à lui
que je dois dʼavoir pu mener ce travail avec la confiance quʼil nʼa jamais cessé de
mʼaccorder. À Thierry Martin, je dois dʼavoir bénéficié de conditions de recherches idéales à
lʼUniversité de Franche-Comté.
Jʼai eu la chance dʼentrer dans le monde académique de la meilleure des façons,
entouré par lʼéquipe du laboratoire Logiques de lʼAgir et du département de philosophie de
lʼUniversité de Franche-Comté. Le séminaire “Nature et Société” a accueilli mes premiers
travaux, et je conçois les pages qui suivent comme une contribution à cette réflexion
collective. Je pense tout particulièrement à Vincent Bourdeau, Frédéric Brahami, Arnaud
Macé, et Hervé Touboul, mes compagnons duPetit Bar, qui ont conjugué avec excellence
lʼesprit de camaraderie à la rigueur scientifique.
Mes recherches ont été ponctuées par de nombreuses rencontres, parmi lesquelles
certaines sont devenues déterminantes. Bruno Karsenti, avec qui jʼai pris le tournant de la
philosophie des sciences sociales, Frédéric Keck, qui mʼa aidé à penser le dialogue entre
philosophie et anthropologie, Catherine Larrère, qui mʼa ouvert la voie de la philosophie de
lʼécologie, et enfin Philippe Descola, dont les travaux ont été à lʼorigine de cette entreprise.
Cela nʼest pas un hasard si cʼest dʼabord à leur examen que je présente mon travail.
Le travail de thèse est heureusement aussi lʼoccasion de rencontres amicales. Je
pense aux doctorants de Besançon, et notamment à mon compère Jean-Pierre, aux
participants des journées de philosophie sociale, à Gildas et Jan qui mʼont aidé à les
organiser. Je pense aussi à mes amis du Laboratoire dʼAnthropologie Sociale, qui ont su
accueillir parmi eux un philosophe en exil.
Mes pensées vont enfin à tous mes proches, mes amis et ma famille, à tous ceux qui
sont sans que lʼon sache au juste ce quʼon leur doit, si ce nʼest dʼêtre là.
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Introduction
Les recherches qui suivent portent sur les rapports collectifs à lʼenvironnement
naturel, et plus précisément sur lʼapport des théories anthropologiques à leur compréhension
philosophique. Ce point de départ doit être conçu moins comme un simple thème que
comme un véritable problème, puisque ces relations ne forment pas une dimension de
lʼexistence collective qui va de soi, et quʼil suffirait de décrire fidèlement pour en saisir le
fonctionnement. On aurait tort, en effet, de céder à une représentation intuitive qui verrait une
asymétrie fondamentale entre dʼune part des rapports sociaux intégralement livrés à la
contingence historique et à la libre création de conventions, et de lʼautre lʼinscription de ces
relations sociales dans un environnement donné, avec ses caractéristiques et ses
contraintes propres ou pire, qui verrait là deux mondes dont la rencontre nʼest
quʼaccessoire. Bien au contraire, les liens qui se nouent entre un groupe humain et son
milieu naturel affectent de lʼintérieur la façon dont il se construit, ainsi que lʼidée même que
lʼon se fait, dans ce groupe, de lʼappartenance à une telle entité. Et réciproquement, le
déploiement des activités humaines dans un milieu naturel participe pleinement dʼune
dynamique écologique dont elles sont des facteurs à part entière. Lʼhistoire de la nature et
celle des hommes sont donc intimement liées ; cela, nous le savons au moins depuis les
traités hippocratiques sur les climats, Alexandre von Humboldt en a livré plus tard un tableau
magistral, et des études plus récentes nous le rappellent encore1.
Mais si lʼintuition dʼune intimi entre les hommes, leur condition, le ploiement
historique de leurs actions, et lʼenvironnement, les lieux, les plantes et les animaux qui le
peuplent, est largement partagée par la tradition intellectuelle dont nous sommes les
héritiers, lʼanalyse de ses implications sociales et conceptuelles a sans doute tardé à livrer
tous ses enjeux. Ce décalage entre la description dʼun fait et la prise de conscience dʼun
1 Pour Hippocrate, voir le traité Airs, eaux, lieux, trad. P. Maréchaux, Paris, Payot, 1996, et notamment à partir du
paragraphe 12 la comparaison des peuples en fonction des climats ; pour Humboldt, voir Kosmos, Stuttgart,
Gottaʼscher Verlag, 1845-1862 ; actuellement, ce sont certainement les travaux de J. Diamond qui illustrent le
mieux pour un large public ce regard sur les sociétés humaines, en particulier De lʼinégalité parmi les hommes,
Paris, Gallimard, 2006.
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problème a sans doute des raisons multiples, historiques tout autant quʼintellectuelles, mais
cʼest bien lui qui fournit à notre réflexion un de ses appuis essentiels, puisque avec lui
apparaît lʼoccasion dʼune réflexion historique et critique destinée à en saisir la portée. La
dimension écologique de la vie sociale implique en effet des processus qui ne sont ni
aveugles, ni linéairement déterminés : lʼappropriation intellectuelle et pratique du milieu
naturel fait partie intégrante des phénomènes que lʼon peut qualifier, au sens le plus large,
de sociologiques autrement dit, où se joue la production de cette réalité quʼest le social et
des formes de conscience qui lʼaccompagnent. Les possibilités et impossibilités liées à la
configuration toujours singulière de lʼenvironnement creusent lʼespace viennent se loger
des choix intellectuels, techniques, économiques, politiques, ainsi que des trajectoires
historiques elles aussi singulières. Dʼune manière ou dʼune autre, il faut donc pour faire
sociéprendre en charge la nature : autrement dit, cʼest lʼépaisseur même de la réalité
sociale qui est parcourue par la nécessaire référence collective à la nature, formant ainsi à la
fois une dynamique constitutive et un indéniable paradoxe. De cette idée découle
lʼorientation du regard qui sera ici la nôtre, et qui consiste à prendre pour objet ce qui circule
entre nature et société plutôt que lʼun ou lʼautre de ces deux grands massifs consacrés par la
langue, et en un sens qui reste à déterminer, par la philosophie, les sciences sociales, et
sans doute plus généralement notre culture elle-même. Or lʼespace problématique associé à
la reconnaissance et à la compréhension de ces processus est à la fois vaste et très difficile
à arpenter, tant les incertitudes, les tensions et les obstacles y sont nombreux : que ce soit
du côté de la philosophie ou des sciences sociales, les relations collectives à
lʼenvironnement naturel constituent une question vive, au sens où elle alimente la réflexion,
mais aussi elle reste largement irrésolue.
Il faut immédiatement ajouter que ces questions possèdent en quelque sorte un
double-fond. En effet, lʼidée même de nature, en tant que produit intellectuel singulier, joue
un rôle essentiel dans lʼhistoire et la structure générale des relations socio-
environnementales chez les sociétés qui lʼont manipulé ou la manipulent encore. Sans
sʼengager de manière trop abrupte sur ce sujet, on peut déjà indiquer que ce rôle est à
entendre en deux sens : lʼun actif, puisque la catégorie de nature oriente tout à la fois la
pensée et lʼaction en leur fournissant un cadre de formation, dʼexpression et dʼinterprétation ;
lʼautre passif, puisque, en tant que catégorie, elle est également le produit dʼune histoire
culturelle singulière. En dépit de ce quʼil peut avoir de précaire, le grand récit évolutif des
sociétés humaines permet de donner une première approche de ces relations entre lʼidée de
nature et les rapports à lʼenvironnement. Le développement de sociétés agraires et
pastorales, laissant derrière lui la mosaïque des sociétés de chasseurs-cueilleurs
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