Suicide : l`évolution séculaire d`un fait social

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Monsieur Christian Baudelot
Monsieur Roger Establet
Suicide : l'évolution séculaire d'un fait social
In: Economie et statistique, N°168, Juillet-Août 1984. Sociologie et statistique. pp. 59-70.
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Baudelot Christian, Establet Roger. Suicide : l'évolution séculaire d'un fait social. In: Economie et statistique, N°168, Juillet-Août
1984. Sociologie et statistique. pp. 59-70.
doi : 10.3406/estat.1984.4884
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1984_num_168_1_4884
Abstract
Suicide: The secular evolution of a social fact - Already at the end of the 19th century, Durkheim had
established this fact: suicide statistics allow us to bring to light the constant relations between its
frequency and certain social variables. These relations are impossible to ascertain by simple
observation of individual acts of despair. In this way, suicide becomes a social fact. Some of these
relations have been maintained and others modified. While suicide was an urban phenomenon in the
19th century, it has now become rather a rural phenomenon. This change reflects a modification of
forms of social integration. But one factor does not change: the family is a form of protection. In relation
to this factor, age and sex have an influence: men commit suicide more often than women, older people
more often than young ones.
Résumé
Dès la fin du XIXe siècle, Durkheim avait établi ce fait : les statistiques de suicide permettent de mettre
en évidence des relations régulières entre sa fréquence et certaines grandeurs sociales, relations
indécelables à la seule observation d'actes individuels de désespoir. Le suicide devient fait social.
Certaines de ces relations se sont maintenues, d'autres se sont modifiées. Urbain au XIXe siècle, le
suicide est plutôt rural au XXe siècle. Ce changement renvoie à une modification de formes
d'intégration sociale. Mais une donnée permanente demeure, la famille protège. L'âge et le sexe
influent en relation avec cette donnée : les hommes se suicident plus souvent que les femmes, les
vieux plus que les jeunes.
Resumen
Suicidio : evolución secular de un hecho social - Establet Desde fines del siglo 19, Durkheim senaló
este hecho : las estadísticas de suicidios permiten poner de manifiesto vínculos puntuales entre su
frecuencia y algunas magnitudes sociales, relaciones que no se descubren con la mera observación de
actos individuales de desesperación. El suicidio llega a ser un hecho social. Algunas de estas
relaciones se fueron manteniendo, otras se modificaron. Urbano en el siglo 19, el suicidio es más
pronto rural en el siglo 20. Este cambio refleja una modificación intervenida en las formas de
integración social. Mas perdura un dato permanente : la familia ampara. La edad y sexo influen en
relación con este dato : los varones se suicidan con mayor frecuencia que las mujeres, los mayores
más que los jóvenes.
Suicide
:
séculaire
l'évolution
d'un
fait
par Christian
social
Baudelot et
Roger Establet*
Dès la fin du XIXe siècle, Durkheim avait établi ce
fait : les statistiques de suicide permettent de mettre en
évidence des relations régulières entre sa fréquence et
certaines grandeurs sociales, relations indécelables à la
seule observation d'actes individuels de désespoir. Le
suicide devient fait social.
Certaines de ces relations se sont maintenues, d'autres
se sont modifiées. Urbain au XIXe siècle, le suicide est
plutôt rural au XXe siècle. Ce changement renvoie à
une modification des formes d'intégration sociale. Mais
une donnée permanente demeure, la famille protège.
L'âge et le sexe influent en relation avec cette donnée :
les hommes se suicident plus souvent que les femmes,
les vieux plus souvent que les jeunes.
'■
observations et propos recueillis sur les survivants n'ap
portent
pas nécessairement d'informations pertinentes sur
ceux qui succombent.
En matière de suicide, la statistique s'impose donc
d'abord de façon négative : le recours au chiffre est, pour
le sociologue, la seule prise offerte par un objet qui voue
à l'échec d'autres techniques d'observation (graphique I).
Mais il y a plus : le chiffre représente aussi un enjeu capital
dans la sociologie dûrkheimîenne; il constitue en luimême un élément théorique de la démonstration. Le propos
de Durkheim consiste en effet à montrer que le suicide ne
relève pas seulement de la psychologie individuelle; il en
relève bien sûr, mais c'est aussi un phénomène collectif,
mieux,, un fait^ social. Entre le. suicide de. X ou celui d'Y
et un taux de. suicide, existe une différence de nature et
non de degré. Le tout ne se réduit pas à la somme des
parties. La simple addition de tous, ces suicides imprévis
ibleset individuels, fait en effet surgir une réalité nouvelle,
en tous points différente des événements singuliers qui la
composent : douze mille drames se convertissent en un
Publié en 1897, Le Suicide d'Emile Durkheim est sou point d'une . courbe continue ; l'imprévisible entre dans
vent considéré comme l'acte fondateur de la sociologie;
l'ordre de la prévision; l'événement échappe, au destin
individuel pour s'inscrire, au même titre que la production,
la statistique y occupe une large place puisqu'elle constitue
à la fois la matière première et l'instrument principal de
de céréales ou le volume des exportations, parmi les gran
l'analyse. Plusieurs raisons expliquent cette union origi deurs collectives qui permettent de décrire une société
entière. La ventilation de l'ensemble des cas individuels
nelle entre sociologie et statistique.
Le suicide offre, par nature, peu de prise à l'observation
directe ou à l'entretien. Certes, psychiatres et suicidologues
ont parfois interrogé, dans des hôpitaux ou des cliniques,
des individus ayant survécu à une tentative de suicide.
Mais ces enquêtes ont toujours montré que tentatives et
* Christian Baudelot et Roger Establet enseignent la socio
suicides consommés constituaient deux faits distincts; non
logie,
le premier à l'École nationale de la statistique et de
seulement par le résultat, mais aussi par les caractéristiques
l'administration économique, le second à ^Université dlAix-endes populations concernées : de -beaucoup majoritaires
Provence {Aix-Marseille /).
**
•
parmi les tentatives de suicide, les femmes et les jeunes sont
Les nombres entre crochetStffî, •renvoient à la-'bibUographie en
les catégories qui se suicident le moins. De sorte que les fin d'article.
59
Graphique I
Évolution du taux de mortalité par suicide (1827-1982)
Taux pour 100 000 habitants
1830
1850
1900
1950
1971
Source : J.-CI. 'Chesnais, les morts violentes en France, cahier de l'INED, n* 75, Presses Universitaires de France (jusqu'en 1975). Résultats
établis i partir des comptes de (a Justke de 1827 i 1905 et des statistiques des causes de décès de 1906 à 1982.
selon de grandes catégories statistiques met en évidence
des variations régulières et constantes du taux de suicide
à travers le temps et l'espace; on prouve, du même coup,
que le suicide ne se réduit pas à un événement psycholo
gique
et individuel, puisqu'il existe une relation constante
et mesurable entre le phénomène pris dans son ensemble
et les grandes caractéristiques de la vie sociale que sont le
statut matrimonial, les jours de la semaine, la conjoncture
économique ou la religion. Ce fait nouveau, absolument
inobservable à l'œil nu, inconcevable sur la base de l'expé
rience la plus attentive, indécelable à partir des faits indi
viduels
connus, seule la statistique, sous sa forme la plus
rudimentaire (le comptage et l'addition), pouvait en révéler
l'existence. Le chagrin d'amour, la perte d'emploi, le revers
de fortune, le remords, le dégoût de la vie, la dépression,
la maladie mentale, la souffrance physique sont des motifs
individuels ou psychologiques qui peuvent entraîner des
individus à se tuer; mais ils ne sauraient, à eux seuls, rendre
compte des dimensions collectives du phénomène, de sa
constance et des régularités de ses variations. Le recours
au chiffre n'est donc pas seulement le résultat d'une contrainte
négative : il relève d'un choix délibéré, théoriquement
fondé.
66
Durkheim : du suicide comme fait social
au concept d'intégration
En fait, dès que sont dressées, au XIXe siècle, les pre
mières
comptabilités sérieuses des actions humaines,
notamment le Compte Général de la Justice Criminelle, à
partir de 1826, le caractère régulier des nombres obtenus
en additionnant des actions individuelles indépendantes
frappe les observateurs. En 1832, Quêtelet écrit à Villermé
[11] :
« Parmi les résultats relatifs à l'homme, un des plus
curieux me semble être celui qui concerne la régularité
avec laquelle se reproduisent périodiquement des faits de
même nature, de manière qu'on est obligé d'admettre,
comme dans les faits physique» qui sont entièrement en
dehors de l'homme, une dépendance intime entre les
effets et les causes... L'homme, comme individu, semble
agir avec la latitude la plus grande; sa volonté ne paraît
connaître aucune borne, et cependant, comme je l'ai déjà
fait observer plusieurs fois, plus le nombre des individus
que l'on observe est grand, plus la volonté individuelle
s'efface et laisse prédominer la série des faits généraux qui
dépendent des causes en vertu desquelles la société existe
et se conserve ».
il faut au XXe siècle, où la multiplication des statistiques
risque d'en amoindrir le prix, garder entières les facultés
durkheimiennes d'étonnement. En janvier 1970, quelqu'un
qui connaissait le nombre des suicides des trois années
précédentes pouvait prédire le nombre de suicides en 1970
avec une bonne précision. La moyenne des trois années
précédentes est de 7 724 suicides. Le pronostic : « En
1970, le nombre des suicides sera compris entre 7 824
(7 724 + 100) et 7 624 (7 724 — 100) » était exact. Le
nombre observé pour 1970 est 7 782.
Cette régularité des effectifs globaux du suicide n'est
pas la seule régularité que le recours à la méthode stati
stique permet à Durkheim d'établir; il en est de beaucoup
plus étonnantes qui concernent, cette fois, les relations
entre le taux de suicide et d'autres grandeurs sociales.
.
Le taux de suicide croît avec l'âge quels que soient le
sexe, le statut matrimonial, le département de rés
idence.
Le taux de suicide est plus fort chez les hommes que
chez les femmes, quels que soient l'âge, le statut matri
monial, le département de résidence.
Le taux de suicide est plus fort pour les célibataires et
les veufs que pour les personnes mariées, quels que
soient le sexe, l'âge et le département de résidence.
Le taux de suicide est plus fort â Paris qu'en province
quels que soient le sexe, l'âge et le statut matrimonial.
Entre les pay» européens, les- écarts se maintiennent
dans le temps.
- .
Entre les régions d'un même pays, les écarts se main»
tiennent dans le temps..
D*une année à l'autre, pour une société donnée, le
nombre des suicides et le taux de suicide varient peu
et de façon non erratique.
A long terme, l'évolution s*inscrit sur des courbes qui
s'élèvent ou descendent aux mêmes périodes pour tous
les pays européens.
Le suicide se commet plus souvent de jour que de nuit.
Le suicide croît avec la durée du jour, et l'ordre décrois
santdes saisons selon le nombre des suicides est le
suivant : été, printemps, automne, hiver.
Le suicide est plus fort au début de la semaine qu'à la
fin.
Le taux de suicide est lié à la religion : les protestants
se suicident plus que les catholiques, et ceux-ci plu»
■que les juifs.
. .: .
:.......-.
Le taux de suicide croît avec la taille des agglomérations.
Principaux résultats
France
Sondage
métropolitaine
au 1/20
Résultat du Recensement de 1982, obtenu par le
dépouillement d'un échantillon au 1/20 des questionn
aires,cet ouvrage se compose de cinq parties :
- une introduction et des notes techniques, qui décri
vent les modalités d'exécution du Recensement et
définissent les concepts retenus pour les question
naires
et l'exploitation,
- un commentaire synthétique des principaux résult
ats,
- une série de tableaux sur les migrations interré
gionales de population totale et de population active
durant les périodes intercensitaires 1962-1968,
1968-1975, et 1975-1982,
.
-. un ensemble de données des recensements de
1962, 1968, 1975 et 1982 présentées sous la forme
de séries chronologiques homogènes,
- une série de tableaux détaillés tirés du seul recen
sement de 1982 concernant les principales structu
res
de la population et les caractéristiques de l'habit
at.
.
Voici les principales.
« Recensement général de la population de 1982 . Princ
ipaux résultats du sondage au 1/20 - France métropolit
aine
», volume broché, 104 pages, 50 F.
CONSULTATION. VENTE :
P 591
Dans les observatoires économiques régionaux de l'INSEE
(adresses en fin de publication) et chez les libraires
spécialisés.
Institut National de la Statistique et des Études économiqyes —
SOCIOLOGIE ET STATISTIQUE
61
Tableau 1
:
Taux de suicide selon le sexe, l'âge et la taille de l'agglomération (1975)
Taux pour 100 000
Femmes 1
Hommes
15*24 ans
25-34 ans
35-44 ans
45-54 ans
55-64 ans
65 ans
et plus
55-64 ans
65 ans
et plus
14
15
13
12
16
11
24
20
19
21
19
18
34
33
32
33
27
21
54
44
43
44
33
19
54
49
48
35
41
28
86
82
74
82
72
45
23
14
16
16
18
18
37
26
30
33
28
28
Communes rurales
Moins de 10 000 habitants. . . .
De 10 000 à 50 000 habitants. .
De 50 000 à 100 000 habitants.
Au-dessus de 100000 habitants.
Paris
1. En dessous d'un certain âge le suicide féminin est exceptionnel. C'est seulement vers 55 ans que les femmes ont un taux de suicide
comparable à celui des adolescents masculins.
Tableau 2
Taux de suicide selon le sexe, l'âge
et la catégorie socioprofessionnelle (1968-1978) *
Taux pour 100 000
Hommes
Femmes
Agriculteurs
Salariés agricoles . . . ".
Patrons de l'industrie et du
commerce
Professions libérales et cadres
supérieurs
Cadres moyens
Employés
Ouvriers
Personnels de service ....
Clergé, armée, police ....
Inactifs
30-35
ans
45-50
ans
55-60
ans
55-60
ans
27
31
46
78
69
107
28
38
17
29
41
14
11
14
30
21
27
17
68
16
18
36
36
40
33
89
20
25
41
47
46
46
52
S
13
11
10
16
9
22
* Si le sexe, l'âge et l'état matrimonial sont correctement
indiqués dans les statistiques de décès, il n'en va pas toujours
de même pour la catégorie socioprofessionnelle. Il arrive qu'un
individu soit affecté, dans les statistiques d'état civil, à une
catégorie socioprofessionnelle différente de celle qui a été
chiffrée à partir de ses déclarations au recensement. La raison
en est simple : ceux qui déclarent le décès d'un proche à la
mairie ne disposent pas toujours de toutes les informations
nécessaires. On attribue alors souvent à un retraité son ancienne
Le concept d'intégration va servir de fil directeur à
l'explication de ces résultats, et la famille fournir à Durkheim le modèle réduit de la société. La famille protège du
suicide, puisque les gens mariés se suicident moins que
les personnes seules, célibataires, veuves ou divorcées.
Mais le lien lui-même entre un homme et une femme n'est
pas l'essentiel. Tout tient à la taille de la famille, comme le
montre un dossier copieux de statistiques complémentaires.
Famille nombreuse, famille solide, famille solidaire, fa
mil e
cohérente, voilà le noyau de l'intuition durkheimienne : la famille relie fortement les uns aux autres les
individus qui la composent. Elle les intègre, et, du même
coup, les protège. L'intégration est une fonction fonda
mentale, au sens biologique de ce terme. Une société, et
il peut s'agir pour Durkheim aussi bien d'une famille,
d'une nation, d'une religion, d'un village, n'existe que dans
la mesure où elle maintient son unité contre les différences
individuelles. Et une société protège d'autant plus du
suicide qu'elle est plus cohérente.
En un siècle, certains des phénomènes observés par Durk
heim ont peu varié, d'autres au contraire se sont assez
profondément modifiés. Commençons par le changement.
Note du tableau 2 (suite et fin)
profession; on déclare volontiers « employé » ceux pour lesquels
on manque d'informations précises. De là vient que les taux
ici présentés surestiment quelque peu les suicides des employés,
mais sous-estiment ceux des ouvriers et des inactifs. Les agri
culteurs,
les indépendants et les cadres sont les catégories les
moins concernées par cette imprécision de la statistique. Cette
question a été étudiée en détail par Claude LEVY et Jacques
VALLIN : La mortalité par catégorie socioprofessionnelle. Un
essai de calcul direct, INED, Population, juillet-octobre 1981.
Carte 1
Carte 2
Le suicide par département
il y a un siècle (1866-1876)
Le suicide par département pour les hommes
de 45 à 54 ans de nos jours (1968-1978)
Pour 100 000 habitants
HBBI 31 <Taux
S3 23 =
Taux <18
Urbain au XIXe siècle, rural au XXe siècle
Tous les indices recueillis en son temps par Durkheim
montrent que le suicide est un fait urbain, particulièrement
accusé dans les métropoles européennes. En France, la
Seine-et-Marne, la Seine-et-Oise, les Bouches-du-Rhône, le
Rhône sont parmi les départements les plus touchés. Au
xxe siècle, la tendance s'est infléchie sinon inversée. Le
taux de suicide est aujourd'hui à son maximum dans les
communes rurales, à son minimum à Paris pour toutes les
tranches d'âge (tableau 1). Entre ces deux extrêmes, on
peut déceler une tendance, faible mais réelle, de décrois
sancedu taux de suicide en fonction de la taille de l'aggl
omération.
Voilà des faits nouveaux : suicide urbain, au
xixe siècle, suicide rural, au xxe. A mi-parcours (1930)
Maurice Halbwachs constatait une tendance à l'homogén
éisation des taux entre les villes et les campagnes [8].
Il était au croisement de deux évolutions séculaires.
Pour 100 000 habitants
50<Taux
43<Taux;g50
33<Taux<$43
Taux< 33
Durkheim écrit dans le Suicide : « la misère protège v.
Il n'en fournit pas la preuve systématique : à l'égard de
la mesure objective des faits de classe, il fait preuve d'une
certaine indifférence, comme l'appareil statistique de son
temps. Cela dit, les indicateurs qu'il utilise sont assez
robustes. Et les tableaux construits par Halbwachs sur la
Suisse confirment tout à fait l'impression générale de
Durkheim [8]. Voici le second changement : au xxe siècle,
le suicide concerne avant tout les couches sociales les plus
démunies (tableau 2).
En passant de la ville à la campagne, et de la richesse
à la pauvreté, le suicide s'inscrit-il dans une géographie
différente? Comparons la carte départementale de Durkheim
(1866-1876) à une carte d'aujourd'hui (1968-1978) [cartes 1
et 2]. Cette dernière élimine l'effet de structure lié à l'âge
puisque le taux de suicide masculin représenté est celui
de la tranche d'âge 45-54 ans. La carte établie par Durkheim
pour le XIXe siècle ne l'élimine pas : les taux de suicide y
SOCIOLOGIE ET STATISTIQUE
é3
^
sont calculés tous âges confondus. Ces deux cartes ne sont Carte 3
donc pas rigoureusement comparables. Examinons alors
une carte départementale du taux de suicide global en 1975»
Le suicide par département en 1975 ♦
tous âges confondus (carte 3). Malgré la différence de» nwsures, les deux cartes contemporaines se ressemblent beau
coup : la corrélation est très forte (0,75). La mesure neu
tralisant
l'effet de structure accuse les écarts entre les dépar
tements (coefficient de variation : 44,8 % au lieu de 27,4 %
pour le taux de suicide global). Elle révèle aussi la forte
propension au suicide, masquée par une abondance relative
de jeunes, de certains départements. Inversement, certains
départements âgés régressent dans le classement. Mais ce
sont là des exceptions : dans l'ensemble, les départements
se classent de la même façon, quelle que soit la mesure.
Une analyse détaillée des recensements de 1896 et de
1901 montre que les départements qui devançaient les
autres en matière de suicide à cette époque (Paris, Région
parisienne, Midi) ne devaient pas leurs premières places
au classement à un excédent des catégories les plus suici
daires (vieilles personnes ou célibataires) : la région pari
sienne,
si elle comporte plus de célibataires que l'ensemble
du territoire, compte proportionnellement moins de vieux.
Le Midi, quant à lui, compte un peu plus de vieilles per
sonnes
mais moins de célibataires.
Une dernière carte résume les hausses et les baisses de
chaque département entre les deux dates (carte 4). Afin
d'éliminer de cette dernière les erreurs liées à l'enregi
strement (encadré p. 68), ce n'est pas la hausse absolue qui c.
L
est prise en compte (le taux de suicide est passé dans le les taux de suicide
Vaucluse de n % à g %) mais la modification du rang. Le Vau
cluse classé au XIXe siècle dans le quatrième groupe de dépar- rjy\
16e au 30e rang
tements se classe aujourd'hui dans le sixième : baisse relative. A l'inverse, le Finistère qui se classait dans le qua- V/ A 31e au 45e rang
trième groupe (et même dans le sixième selon la classifi- |
| au de)à du 4ge r
cation originelle de Durkheim) est aujourd'hui dans le
premier : hausse relative.
♦ Carte tirée de H. Lebras et E. Todd l'invention de la
France, Pluriel, Hachette, 1981.
France du Nord, France du Sud
Un premier coup d'oeil sur les deux premières cartes
(cartes 1 et 2) fait apparaître l'opposition entre le Nord et Diagramme 1
le Sud. Permanence du xixe siècle au XXe siècle, qui renvoie
à une histoire de longue durée : le suicide est septentrional. Axe des permanences et axe des évolutions
Mais on peut regarder de plus près. Épargnant le Sud, le
suicide ne mine plus les mêmes régions nordiques : il ne
siège plus comme au xixe siècle, dans les départements N.O. (hausse)
N. E. (haut et stable)
riches. Voilà qui confirme l'analyse par classes sociales.
On notera le recul massif de la région parisienne, des dépar
tements
du Rhône, des Bouches-du-Rhône, des AlpesMaritimes qui symbolisaient aux yeux de Durkheim l'indus
trialisation
et l'urbanisation de la France. Le suicide, c'était
le PLM; ce n'est plus le TGV.
On peut dresser rapidement un bilan séculaire : l'oppo
sition nord/sud se maintient; le suicide recule dans les
départements urbains et riches (bassin parisien, façade
méditerranéenne); le taux de suicide reste élevé dam le
Nord-Est et en Normandie et bas dans le Sud-Ouest; enfin
le suicide progresse en Bretagne et dan» les départements
du Centre.
S. 0. (bas et stable)
S. E. (baisse)
Carte 4
L'évolution du suicide
par département en un êiède
portion de personnes nées dans leur départements de rés
idence de ceux qui, à l'opposé, comportent la proportion la
plus forte de personnes nées hors de France. D'un côté,
une France vivant sur elle-même, de l'autre au contraire
un univers plus ouvert et traversé de mouvements. Et l'on
retrouve la différence entre la France de l'Ouest et du
Nord-Ouest (Mayenne, Côtes-du-Nord, Flandre, Finistère,
Morbihan, Vendée) et la façade méditerranéenne (AlpesMaritimes, Haute-Garonne, Isère, Hérault, Var, PyrénéesOrientales, Corse, Vaucluse). Cet axe factoriel coïncide
donc assez bien avec l'axe nord-ouest/sud-est des évolutions
(suicide en hausse, suicide en baisse).
Le deuxième axe, qui explique 31 % de la variance totale,
sépare tout particulièrement les départements jeunes du
Nord-Ouest et du Nord-Est de la France (Seine-et-Marne,
Aisne, Marne, Oise, Eure, Calvados, Côte-d'Or), des dépar
tements du Sud-Ouest et des contreforts méridionaux du
Massif central (Creuse, Aveyron, Corrèze, Dordogne, Lot,
Haute-Loire, Indre, Corse, Aude). Une France hautement
productive que caractérise la juxtaposition de l'agriculture
et de l'industrie s'oppose à la paysannerie méridionale. Et
l'on retrouve cette fois notre axe des permanences (suicide
élevé, suicide faible).
Nouvelles formes d'intégration
:
Stabilité dans la catégorie II
Forte hausse relative : passage de la catégorie III
à la catégorie I
Hausse relative : passage de la catégorie III
à la catégorie II, ou de la catégorie II à la
lorie I
orte oaisse relative : passage de la catégorie 1
à la catégorie III
Baisse relative : passage de la catégorie I à la
J catégorie II, ou de la catégorie II à la catégorie III
Les catégories ont été définies pour le XIX siècle (d'après
les données de Durkheim) puis pour le XX siècle de la ma
nière suivante
Catégorie I : ceux qui ont un taux de suicide supé
rieur à la moyenne (32 départements au XIX et 31 au XX).
Catégorie II : ceux qui ont un taux de suicide voi
sin de la moyenne (1 7 au XIX et 19 au XX).
Catégorie Ml : ceux qui ont un taux de suicide in
férieur
à ta moyenne (36 au XIX ; 35 au XX).
On peut schématiser cette évolution par ie diagr;amme
ci-contre.
Cette analyse historique des évolutions est confirmée
par une analyse des correspondances menée sur les dépar
tements ruraux français; sont en particulier inclus dans
cette analyse le taux de suicide et une batterie de variables
fortement correiées au suicide : alcoolisme, morts violentes,
fécondité, taux de célibat masculin, structure par âge, pro
portions
de paysans» de cadres supérieurs et d'étrangers...
Un premier axe, qui explique 36 % de la variance totale,
distingue les départements comportant la plus forte
Ce bilan xixe-xxe invite à enrichir l'explication proposée
par Durkheim en faisant largement sa part à l'évolution des
valeurs sociales qui orientent les comportements. Au
XIXe siècle, urbanisation et industrialisation se développent
dans un univers fondamentalement pénétré de valeurs
paysannes. L'urbain est un déraciné; sur le quai de la gare
Montparnasse, le Breton perd sa foi et un peu de son identité
(l'image est de Gabriel Le Bras). Au xxe siècle, surtout
après 1945, c'est une civilisation urbaine qui s'organise
autour du foyer, confortable et équipé, des formes modernes
de loisir comme le cinéma, puis la télévision, et dee départs
en vacances. Alors, le paysan empaysanné devient un marg
inal; non seulement il ne part pas en vacances, mais il
éprouve aussi les plus grandes difficultés à se marier; les
villageoises quittent la campagne pour rallier les valeurs
dominantes de la civilisation; de nombreux paysans sont
condamnés au célibat [3; 9]. Être intégré ne signifie donc
pas seulement être relié à ses semblables, mais surtout par
ticiper activement à ce qui, dans une société donnée, constitue
le foyer de la vie sociale.
Les départements où le suicide a baissé sont les dépar
tements industriels et tertiaires, où coexistent toutes les
ressources de la sociabilité moderne (université, admin
istrations,
loisirs) : Alpes-Maritimes, Rhône, Paris, Bouchesdu-Rhône, Isère. On comprend assez bien dès lors que la
France du Sud-Ouest, et plus généralement la France méri
dionale, échappe à la marginalisation de la France paysanne
de l'Ouest ou du Centre. Le Midi fait coexister culture
paysanne et culture urbaine, et cela depuis toujours. Il a
donc eu moins de mai à s'adapter aux traits nouveaux du
monde moderne (comme en témoigne la force de la scola
risation)
sans perdre ses activités rurales.
SOCIOLOGIE ET STATISTIQUE
65
Le régime du suicide a changé dans la mesure où le
régime des valeurs sociales s'est transformé; il n'a changé
que dans cette mesure. Mais il ne faut pas oublier ce qui
reste le centre de l'explication durkheimienne : la famille.
Dans tous les pays industrialisés, et quelles que soient
la date d'observation ou la nature de l'appareil statistique,
les faits les plus robustes sont bien ceux qui ont guidé
Durkheim dans son explication : le suicide comme fait
social relève d'abord d'une microsociologie de la famille
(tableau 3).
Même résultat qu'au XIXe siècle : la famille protège.
Intégration donc. Mais pourquoi ne pas essayer d'inclure,
dans l'explication microsociologique, et le sexe et l'âge?
Lorsque des facteurs distincts comme l'état matrimonial, le
sexe et l'âge agissent sur le taux de suicide d'une façon
aussi régulière et universelle, il est naturel d'être guidé par
un principe d'économie, et de rechercher si une même
variable sous-jacente n'est pas à l'œuvre dans les trois cas.
On peut en effet considérer le sexe et l'âge comme des
facteurs d'intégration à la famille, et donc à certains égards,
comme des réalités sociales.
Il n'est pas difficile aujourd'hui de mettre à jour ce qu'il
y a de social dans les statuts masculin et féminin.
En France, la femme est statutairement plus engagée que
l'homme dans les relations familiales. Statutairement plus
intégrée. De nombreuses études empiriques réalisées sur
la vie familiale et la sociabilité l'ont montré [7; 10; 12; 13].
C'est évident pour la femme mariée et mère de famille, à
qui incombe l'essentiel de la socialisation quotidienne des
enfants et de la sociabilité du couple (invitations, visites,
correspondance). Cela vaut aussi par voie de conséquence
pour la veuve ou la femme divorcée. Mais c'est vrai aussi
de la femme célibataire. Car la femme est toujours liée avec
plus de force que l'homme à la famille dont elle est issue.
Dans la sociabilité primaire, c'est-à-dire celle qui concerne
les groupes auxquels chacun a individuellement affaire
d'une manière quotidienne, dont il connaît tous les membres
par un contact direct personnalisé, l'homme est avant tout
rattaché aux gens de sa génération et à son univers profes
sionnel — copains d'école, camarades de travail, collègues;
la femme assure au contraire la continuité intergénérationnelle : elle n'est jamais déchargée d'obligations de
famille. L'autonomie masculine à cet égard comporte en
contrepartie plus de risques de solitude et conduit plus
souvent au suicide.
Et l'âge? Pas plus que le sexe, l'âge ne se réduit à une
réalité biologique ou psychologique; il est aussi le support
de statuts sociaux. L'histoire, l'ethnologie, les enquêtes
sociologiques [14] sur nos propres sociétés le montrent
chaque jour avec plus d'évidence. Mais comment alors
rendre sociologiquement compte de l'augmentation du taux
de suicide avec l'âge?
La première explication qui vient à l'esprit consiste à
invoquer la situation de moins en moins enviable de l'homme
ou de la femme qui avance en âge. Vieillir serait diminuer,
et le vieillissement social aggraverait la déchéance psycho
physiologique.
Or, si la relation entre l'âge et le taux de
suicide e9t universellement attestée, l'amélioration ou la
détérioration du statut social selon l'âge dépend de la
66
Tableau 3
Taux de suicide selon le sexe,
la situation matrimoniale et l'âge (1968*1978)
"
Cél
Age
ibataires
15-19 ans
20-24 ans
25-29 ans
30-34 ans
35-39 ans
40-44 ans
45-49 ans
50-54 ans
55-59 ans
60-64 ans
65-69 ans
10
19
31
46
59
67
73
74
91
86
89
Hommes
Mai Veufs
ries
12
14
11
15
19
34
30
33
39
40
50
Cél
cés ibataires
5
8
14
49
65
17
145 Divor
30
158 75
26
127 74
21
110 65
22
115 72
18
142 77
25
127 68
21
89
Femmes
riées ves cées
6
5
5
7
Ma
20
8
10
12
15
16
16
14
22
Veu
36 Divor
19 18
19 15
26 27
23 21
29 16
25 24
26
classe sociale à laquelle on appartient. Vieillir, dans l'uni
vers des cadres, c'est accroître ses pouvoirs et ses revenus,
c'est passer du statut d'emprunteur au statut de propriét
airevoire de prêteur. La déchéance sociale est donc loin
d'être la règle dans tous les milieux. Or, le taux de suicide
croît avec l'âge quelle que soit la catégorie socioprofes
sionnelle(tableau 2).
Sacrifier une «quantité d'existence»?
Si l'explication par la régression sociale échoue, c'est
qu'elle se fonde sur une illusion d'optique concernant l'âge,
illusion qui consiste à le compter à paitir de la naissance.
On peut aussi raisonner en espérance de vie, et compter
en quelque sorte l'âge d'un homme à partir de sa mort.
Un adolescent et un sexagénaire ne sacrifient pas la même
quantité d'existence. Le sexagénaire qui met « fin à ses
jours » n'apparaîtra plus accablé par le poids social et phy
sique des ans, il aura simplement « abrégé son existence ».
Si donc l'on se tue plus facilement quand on est plus âgé,
ce n'est point parce que la vie pèse davantage, mais parce
que le sacrifice à faire est plus léger. Cette explication
consiste à voir dans le suicide non pas le sacrifice de la vie,
mais celui d'une certaine quantité d'existence. Elle peut
se raccorder à l'ensemble des hypothèses explicatives pro
posées.
Il est fort probable en effet que la quantité d'existence
est pensée dans les termes d'expériences affectives à vivre,
d'enfants et petits-enfants à naître, d'anniversaires à sou
haiter et rappelle ce que P. Bourdieu [3] appelle dans
d'autres contextes « l'avenir objectif » de l'individu. Or, la
Graphique II
Évolution de i960 à 1982 du Unux de suicide
selon l'âge et le sexe
-
Suicide : les tendances récentes
Pour les hommes :
— l'évolution du suicide au cours des 20 dernières années n'a pas
affecté la hiérarchie des âges; en 1982, comme en 1960 (et comme en
1860), le suicide est d'autant plus fréquent que l'îge est élevé.
— si la hiérarchie demeure inchangée, les écarts entre taux de
suicide des différentes classes d'âge ont fortement diminué au cours
de ces 20 dernières années; cet écrasement des écarts est le résultat
de deux tendances contraires : une forte augmentation surtout depuis
1965, du suicide des plus jeunes; une diminution de celui des plus
vieux.
— on observe pour toutes les catégories une forte reprise à par
tir de 1978, cette reprise s'amorçant dès 1973 pour les moins de
54 ans.
Taux pour 100 000 habitants
HOMMES
66 -74 an»
70
\^,—
/
^
60
50
—
V
^^T
_^^*36
^^45/
55
25
^^
--64
-34
54 ans
44
40
30
20
10
.
.
/
■
^
^
15 -24 ans
_—
0 —
1960
1
1965
■
1970
■
1973
*
1978
«
i
1962
Pour les femmes :
— on n'observe pas chez les femmes de forte élévation du taux de
suicide des jeunes.
— les écarts "entres les âges tendent à se creuser.
' Taux pour 100 0O0 habitants
FEMMES
65 -74 ans
1960
1966
1970
1973
1978
mémoire sociale et la temporalité tout entière d'un individu,
avenir compris, s'inscrivent d'abord dans le cadre des évé
nements
caractéristiques de son groupe primaire, celui où
il effectue les expériences fondamentales de la socialisation.
On pourrait ainsi disposer d'un corps d'hypothèses cohé
rent : face à une situation douloureuse, l'individu n'est
pas seulement protégé par son intégration sociale actuelle;
il met dans la balance les relations sociales à venir. Et la
mise est plus forte à vingt ans qu'à soixante. Sans doute,
faudrait-il disposer d'informations plus nombreuses pour
décider si cette hypothèse, avancée comme telle, est rée
llement meilleure que l'autre.
En tant que phénomène social, le suicide relève donc
avant tout d'une microsociologie de l'institution familiale.
Étendre ce modèle explicatif aux données sociales macrosco
piques(régionales, sociales, nationales, religieuses) est
tentant, mais bien périlleux. A élargir le concept d'inté
gration à des groupes larges tels que la religion, la région,
la nation, les groupes politiques..., on risque de le vider
de tout son contenu explicatif.
C'est ainsi qu'il est difficile d'établir un rapport de causal
itédirect entre chômage et suicide, ou plus généralement
encore entre suicide et crise économique (graphique II).
Certes, les deux phénomènes ne sont pas indépendants
puisqu'à toute crise économique, à toute montée du chô
mage correspond dans notre pays un accroissement du
suicide : ce fut le cas dans les années trente, ce l'est encore
nettement aujourd'hui où, depuis 1976, le taux de suicide
ne cesse d'augmenter. Cette relation ne s'observe pourtant
pas dans tous les pays : en Angleterre où le chômage a plus
que doublé entre 1960 et 1979, le taux de suicide se retrouve
au même niveau en fin qu'en début de période; en Italie,
où le nombre de chômeurs a été multiplié par 2,5 entre
197G et 1978, le taux de suicide est demeuré constant.
Les différences entre ces trois pays suggèrent que la
relation entre chômage et suicide n'est ni simple, ni directe.
On peut émettre l'hypothèse qu'elle s'exerce au travers du
milieu primaire où se trouvent insérés les individus, la
famille en particulier. Le chômage peut contribuer à désin
tégrer la structure familiale, de même que la solidarité des
liens familiaux peut constituer un rempart efficace contre
les difficultés économiques et protéger ses membres d'un
geste de désespoir. Les caractéristiques microsociologiques
du milieu primaire jouent donc le rôle de médiation entre
des forces relevant de la macrosociologie (crise économique,
chômage, guerre...) et le suicide [4], C'est ainsi que l'exode
rural et la reconversion économique des départements
bretons au cours des trente dernières années ont exercé
sur la famille paysanne traditionnelle des effets de déstruc
turation certains; la proportion élevée de célibataires en
est un signe [9]. De même, doit-on, pour comprendre
l'impact indirect de la crise économique sur le suicide,
mettre en relation la propension plus grande des céliba
taires à se suicider, et le lien observé entre le fait de n'être
pas marié et celui d'avoir un risque de chômage élevé [15J.
1982
SOCIOLOGIE ET STATISTIQUE
67
L'amélioration de la source statistique, le perfectionnement
des techniques d'analyse, les changements intervenus dans
notre société n'ont pas altéré le noyau de relations mis au
jour par Durkheim, il y a bientôt cent ans, entre le suicide,
le sexe, l'âge, le statut matrimonial, la catégorie sociale et
la région définie comme un équilibre de grandeurs écono
miques et démographiques. Le régime du suicide a changé
en même temps que s'est transformé le régime des valeurs
sociales, et dans cette mesure seulement. L'explication
fournie peut être modifiée et même enrichie à la lumière
des changements sociaux et des connaissances nouvelles;
elle ne s'en trouve pas bouleversée. Quelque chose dans le
suicide dépend bien de manière régulière et intelligible
des grandeurs qui caractérisent l'état d'une société. A condi
tiond'en restreindre l'usage aux dimensions microsocio
logiques
des relations de l'individu avec son environnement
immédiat et surtout familial, le concept d'intégration
conserve toute sa force opératoire.
QUE VALENT LES STATISTIQUES DE SUICIDE?
// existe en France deux sources majeures qui évaluent annuellement
le nombre des suicides. La première, mise en œuvre par 1'LN.S.E.R.M.
et l'INSEE, sert de base à l'immense majorité des études sociologiques
et statistiques sur le suicide. Les chiffres figurant dans cet article et
le suivant en sont issus. Le plus souvent connue sous le nom de Statis
tique des causes médicales de décès (C.M.D.), cette source recense
de façon exhaustive tous les décès survenus une année donnée,
quelle qu'en soit la cause.
L'Administration de la Justice criminelle enregistre elle aussi chaque
année les suicides. Elle recueille les données à partir des enquêtes
judiciaires ouvertes dès lors que la mort est violente ou suspecte
(art. 81 du Code civil). Cette source est de beaucoup la plus ancienne,
puisqu'elle remonte à 1826, alors que h série des causes médicales de
décès ne commence qu'en 1906.
Entre les deuxsources, les différences sont importantes : de 1906 à 1961,
les suicides recensés par la Justice sont toujours plus nombreux que
ceux des causes médicales de décès. Cette différence s'explique en
partie par le fait que les chiffres de la Justice confondent, jusqu'en 1961,
suicides accomplis et suicides manques, alors que les statistiques des
causes médicales de décès n'ont jamais comptabilisé que les suicides
réussis. Cette explication ne rend toutefois pas compte de toute la
différence puisque, même après 1961, où suicides accomplis et tenta
tives manquées font l'objet de comptes séparés, les chiffres de la Justice
demeurent supérieurs à ceux de l'LN.S.E.R.M.-I.N.S.E.E. Très légè
rement, il est vrai, et de moins en moins. L'écart moyen entre les deux
séries est inférieur à 3 %; il était de 0,9 % en 1972.
Les statistiques de suicide ont fait, depuis qu'elles existent, l'objet
de critiques nombreuses [S]. Le suicide serait un phénomène dont il
est impossible de tenir une comptabilité exacte tant sont nombreux et
puissants les raisons morales et les moyens matériels de le dissimuler.
Forte, la dissimulation serait de surcroît différentielle, certains groupes
sociaux échappant, plus que d'autres, à l'enregistrement statistique.
En fait, il n'est pas si facile de cacher un mort et de dissimuler les
causes de son décès, surtout s'il s'agit d'une mort aussi peu naturelle
qu'un suicide. Un homme meurt. Son décès doit être déclaré à la mairie
dans les vingt-quatre heures; un bulletin de décès est alors dressé par
l'officier d'état civil de la commune où le décès est survenu, sur la base
des renseignements fournis par les membres de la famille, proches
voisins, services hospitaliers, ou police. Ce bulletin ne comporte que des
renseignements d'état civil : sexe, âge, profession, état matrimonial,
lieu de décès... Aussitôt informé, l'officier d'état civil donne délégation à
un médecin pour aller constater le décès et en déterminer les causes.
Ce peut être le médecin traitant, ou un médecin d'état civil. Le médecin
doit remplir un imprimé, le certificat de décès, qui se présente sous
la forme d'une carte-lettre bleue, comportant deux parties : la pre
mière, destinée au service d'état civil, sert en fait de permis d'inhumer
(y figurent les nom, prénom, âge et adresse du défunt ainsi que la date,
l'heure et la réalité du décès); la seconde, adressée au médecin de la
santé publique de la direction départementale de l'Action sanitaire et
sociale, contient les causes de décès. Cette dernière partie est close par
le médecin : elle ne sera pas ouverte à la mairie afin de respecter le
secret médical. Les deux documents, le bulletin et la partie cachetée
68
du certificat, sont ensuite transmis à I'I.N.S.E.R.M. qui assurera avec
l'I.N.S.E.E. le traitement statistique dans le plus strict anonymat.
Tel est le circuit normal. Ce circuit est perturbé toutes les fois où le
médecin appelé à constater la mort se trouve en présence d'un corps
dont il a des raisons de supposer que la mort n'est pas due à une cause
naturelle. Confronté à un cas de mort violente (ou qu'il soupçonne
pouvoir être tel), le médecin doit, aux termes de l'article 81 du Code
civil, refuser de délivrer le certificat de décès (et donc le permis d'inhu
mer),et prévenir aussitôt les autorités de police et de justice qui ouvri
ront une enquête. La police est d'ailleurs souvent saisie directement
avant même le constat du médecin, par les voisins, les familles, les
témoins, les pompiers. C'est en particulier le cas toutes les fois où
le suicide survient à l'extérieur du domicile, sur la voie publique, à
l'hôpital ou au domicile même, mais sous des formes « publiques »
de nature à alerter les voisins ou les passants : gaz, coups de feu,
défenestration, pendaison. La dissimulation devient alors très difficile
et même risquée. La détermination de la cause de la mort appartient
alors à la justice qui mandatera, pour l'établir, des officiers de police
judiciaire, des médecins et des médecins-légistes.
A noter qu'en l'absence même de toute coloration pénale, les disposi
tionsde l'article 81 présentent une indéniable importance. Il est parfois
indispensable que les circonstances d'une mort violente soient déter
minées de façon précise : nécessité de distinguer l'accident du suicide
pour les contrats d'assurance, les indemnités à verser en cas d'accicents du travail, etc.
De deux choses l'une, alors : ou bien l'enquête établit rapidement et
sans ambiguïté possible que la mort violente est « exclusive de tout
prolongement judiciaire » (accident ou suicide par exemple) et dans
ce cas le circuit normal est rétabli. Certificat et bulletin de décès
suivent alors leurs cours normal jusqu'à I'I.N.SE.R.M. C'est la procédure
la plus courante pour les suicides simples.
Ou bien la mort violente est suspecte et l'enquête de police est appro
fondie : le corps est transporté à l'institut médico-légal et le certificat
n'est alors pas rempli. Établi par les médecins de l'institut médicolégal et transmis aux autorités judiciaires, le diagnostic final de la
cause de mort n'est pas communiqué à l'institution statistique.
Les procédures administratives mises en place pour constater les
décès et en déterminer les causes sont, on le voit, de nature à restreindre
la possibilité matérielle de dissimuler les suicides. Il est quasiment
impossible de dissimuler un suicide dès lors qu'il se produit sur la voie
publique, au sens large du terme, c'est-à-dire en dehors du domicile
privé (hôpitaux, rues, rivières, lieux publics,...). Il est quasiment imposs
iblede dissimuler un suicide intervenu au domicile privé toutes les
fois où les circonstances de la mort le font apparaître au grand jour ou
contraignent légalement le médecin à respecter les dispositions de
l'article 81 du Code civil et à prévenir la police : pendaison, arme à feu,
arme blanche, asphyxie et très souvent, empoisonnement. Le suicide est
une affaire privée, soit : mait le constat du décès est une affaire publi
que;dès lors que la mort est violente, le médecin n'est plus seul avec
la famille : la police, la justice, les assurances, les pompes funèbres et
même l'opinion publique sont là aussi. Que l'édifice de V enregistrement
puisse comporter des failles et que ces failles soient sélectives et laissent
QUE VALENT LES STATISTIQUES D€ SUICIDE ? (suite et fin)
davantage passer certains suicides que d'autres, il ne serait pas
sérieux de le nier. Il n'est pas plus sérieux de prêter à cette dissimula
tion
une ampleur que des dispositifs institutionnels et des enjeux
économiques, sociaux et judiciaires l'empêchent matériellement
d'avoir.
Des études statistiques attentives testant la cohérence interne des
statistiques de décès [1 ; 2] ont montré que la dissimulation du suicide
était limitée; c'est ainsi que noyades et empoisonnement sont plus
souvent attribués à des suicides qu'à des accidents; or l'hypothèse de
la dissimulation attendait le résultat inverse.
Un deuxième grief est souvent retenu à l' encontre des statistiques de
suicide : les différentes sources disponibles ne donnent pas du phénomène
la même estimation. Cette observation est, de toutes les critiques qu'on
a pu porter, la plus fondée, mais aussi la plus facile, à terme, à corriger.
Si les effectifs globaux fournis par les deux sources statistiques tendent
à converger depuis 1961, il arrive qu'aujourd'hui encore les écarts
observés soient localement très élevés. C'est ainsi qu'en 1982, la police
judiciaire comptait plus de 200 suicides en Seine-Saint-Denis, alors
que l'I.N.S.E.R.M. n'en décomptait pas 100. Une différence de même
sens s'observait à Rennes, Lyon, Paris. Globalement inférieures à celles
de I'I.N.S.E.R.M., les statistiques policières du suicide s'y révélaient
localement parfois très supérieures, surtout dans les grandes villes.
La raison en est fort simple : ce n'est que très exceptionnellement
que les Parquets transmettent à 1'I.N.S.E.R.M. et aux statisticiens les
résultats de leurs enquêtes i. Loin de compter comme on pouvait le
supposer, sous la rubrique Suicides, les cas envoyés dans les instituts
médico-légaux, les statisticiens de I'I.N.S.E.R.M. se trouvent le
plus souvent contraints de répartir ces décès, faute d'informations
sûres, entre les « morts violentes avec doute sur l'intention » et les
« morts de cause inconnue ». Autant de suicides réels et reconnus
soustraits à la comptabilité de 1'I.N.S.E.R.M. Les statistiques de
1'I.N.S.E.R.M. pèchent donc par défaut; le fait est cette fois avéré.
Il y a néanmoins des suicides reconnus par la justice dont les certificats
parviennent à l'l.N.S.E.R.M.; certains établissements de médecine
légale transmettent plus volontiers que d'autres leurs résultats à
l'I.N.S.E.RM. Surtout, police et gendarmerie ne semblent pas, en
cette matière, se référer à une même doctrine. Lorsqu'elle diligente
une enquête ayant trait par exemple à un suicide, la gendarmerie est
plus encline que la police à remplir à mesure tous les formulaires néces
saires à assurer le suivi de l'affaire et à transmettre à l'institution
statistique le diagnostic final. Or les attributions territoriales respec
tivesde la police et de la gendarmerie ne sont pas les mêmes : les
premiers opèrent dans les villes et les seconds en campagne; si bien
qu'une grande partie des variations observées du suicide entre la
ville et la campagne doivent être attribuées aux différences entre les
conduites des gendarmes et des policiers dans l'acheminement des
résultats des diagnostics des instituts médico-légaux aux statisticiens
de 1'I.N.S.E.R.M.
La déperdition de l'information n'est donc pas due ici à la dissimul
ationmais au fonctionnement d'une organisation administrative divisée
en services qui ne communiquent pas entre eux. On peut alors mesurer
l'ampleur de la déperdition et, en même temps, la corriger, puisqu'il
suffit de faire communiquer les deux sources existantes comptabilisant
ici et là des cas de mort reconnus comme des suicides. Comment7. A
long terme, la solution consiste à obtenir des instituts médico-légaux
qu'ils transmettent à l'I.N.S.E.RM. les résultats de leurs examens.
Rien ne s'y oppose et il y a de bonnes raisons d'espérer qu'on y parvien
dra
*. On est réduit, à court terme à procéder à des comptages et à
des redressements statistiques.
Les premiers comptages de cet ordre ont été opérés en 1982 à Lyon,
par un service de 1'I.N.S.E.R.M., et à Paris, par un groupe de travail de
1'E.N.S.A.E. On a procédé, dans les deux cas, à un dépouillement
exhaustif des registres des instituts médico-légaux (la « bible ») de
cet deux métropoles sur une année civile; on a ensuite comparé 1a
liste des suicidés répertoriés à l'institut médico-légal avec la liste des
suicidés déclarés dans la statistique des causes médicales de décès.
Les résultats de ces deux comptages, opérés sous le sceau du secret
statistique et avec l'autorisation des procureurs généraux des deux
Cours d'appel, sont très voisins. A Paris, comme à Lyon, certains sui
cides figurent dans les deux sources; d'autres, en revanche, figurent
dans l'une et pas dans l'autre. H faut donc les additionner ».
Ces comptages et ces comparaisons ont permis de calculer des coeffi
cients de correction, par sexe et par tranche d'âge. On a appliqué ceux
du Rhône à l'ensemble des décès enregistrés en France au cours de
l'année 1980. Opération risquée, mais opération contrôlée : les comptag
es
effectués à Paris par le groupe de travail de I'E.N.SA.E., dans la
Seine-Saint-Denis et à Rennes par deux fonctionnaires de police, ont
tenu lieu d'observations permettant de contrôler, dans ces trois aires,
la validité de l'extrapolation. Ces trois contrôles se sont révélés posit
ifs. Il résulte de ces calculs que le nombre global des suicides se trouve
augmenté de près de 25 %, soit environ 2.700 suicides supplément
aires.
Robustesse des relations entre suicides et contexte sochri
La découverte d'une origine précise au sous-enregistrement des suicides
nous permet '
1. de corriger les données et de construire des tableaux ayant trait
au suicide dans la France d'aujourd'hui qui neutralisent ce sousenregistrement. C'est le cas des tableaux 2, 3 et 4;
2. d'effectuer une comparaison des relations entre suicide et contexte
social observées avant la correction et après : les principales relations
demeurent les mêmes. Avant comme après, le suicide croît avec l'âge,
est plus fréquent chez les hommes que chez les femmes, chez les agri
culteurs que chez les ouvriers et chez les ouvriers que chez les cadres.
Avant comme après, les relations entre suicide et état matrimonial
restent les mêmes qu'au temps de Durkheim : la famille protège. Une
seule relation est légèrement affectée par la correction : avant, le taux
de suicide, toutes choses égales d'ailleurs, décroît à mesure que la
taille de l'agglomération augmente. Il n'est pas étonnant que la cor
rection affecte cette relation, dans la mesure où les instances admin
istratives
préposées à l'enregistrement sont directement liées à la
taille de l'agglomération (police urbaine, gendarmerie rurale). Néan
moins la tendance, bien qu'atténuée, se maintient.
Se confirme ainsi l'hypothèse de tous les statisticiens que l'existence
d'un sous-enregistrement n'affecte pas la nature et le sens des distri
butions. Les relations du suicide avec certaines variables sociales sont
des relations robustes. Elles sont assez fortes pour que des appareils
d'enregistrement statistique de qualité quelquefois insuffisante ne
puissent parvenir à les dissimuler. Ce qui change, bien sûr, d'un appareil
d'enregistrement à l'autre, c'est le niveau des suicides enregistrés.
1. Cette tradition est ancienne; M. Halbwachs en a déjà fait mention dans
une note des Causes du suicide : « On avait [proposé, au moment de la rédac
tiondu Code Napoléon, que, dans les cas de mort violente les procèsverbaux de l'officier de police et du greffier criminel fussent envoyés à
l'officier d'état civil pour tenir lieu d'acte de décès. Mais la section du Conseil
d'État se prononça contre cette procédure « qui flétrirait sans utilité la
mémoire du décédé ».
2. C'est d'ores et déjà le cas à l'institut médico-légal de Lyon, dirigé par
le Pr Vedrinne. Un récent colloque tenu i Chambéry (juin 1983) a attiré
l'attention des autorités judiciaires, des médecins-légistes et des médecins
sur l'utilité de transmettre à I'I.N.S.E.R.M. les résultats des diagnostics.
3. Les résultats de l'étude lyonnaise figurent dans : A. Philippe, Apport
d'un institut médico-légal à la mesure du suicide dans uriftépartement, Journaljde
toxicologie médicale, Masson, Lyon, décembre 1983.
SOCIOLOGIE ET STATISTIQUE
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
[1] C. Baudelot et R. Establet : Durkheim et le suicide,
PUF, collection Philosophies, Paris, 1984.
[2] P. Besnard : « Anti ou Antédurkheimisme », Contribution
au débat sur les statistiques officielles du suicide, Revue
française de sociologie, juin 1976, p. 313, 341.
[3] P. Bourdieu : Esquisse d'une théorie de la pratique, Droz,
Paris-Genève, 1972 ; Célibat et condition paysanne, études
rurales, 1964.
[4] J.-C. Chesnais et J. Vallin : « Le suicide et la crise éc
onomique
», Population et Société, mai 1981, n° 147.
[5] J. D. Douglas : The social meanings of Suicide, Prin
ceton University Press, New-Jersey, 1967.
[6] E. Durkheim : Le suicide, Presses universitaire de France,
Paris 1897.
[7] M.
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avril: 1981.
« La sociabilité », Économie et statistique,
[8] M. Halbwachs : Les causes du suicide, Félix Alcan, Paris,
1930.
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[9] G. Jegouzo et J.-L. Brangeon : « Célibat paysan et pau
vreté », Économie et statistique, n° 58, juillet-août 1974.
[10] Y. Lemel et C. Paradeise : « La sociabilité », Document
Rectangle, INSEE, 1976.
[11] Texte cité par M. Perrot, dans sa communication au
Colloque de Vaucresson (23, 24, 25 juin 1976) sur l'histoire
de la statistique. Pour une histoire de la statistique,
INSEE, Paris, p. 132-133.
[12] A. Pitrou : « Le soutien familial dans la société urbaine »,
revue française de sociologie, XVIII, 1977.
[13] L. Roussel et 0. Bourguignon : La famille après le
mariage des enfants, PUF, Paris 1976, Cahier de VINED,
n° 78.
[14] Actes de la recherche en sciences sociales, numéro spécial
consacré à la jeunesse, n° 26-27, mars-avril 1979.
[15] N. Coëffic : « Chômage et famille », Données sociales,
édition 1984, INSEE, Paris, p. 81-86.
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