Suicide : l`évolution séculaire d`un fait social

Monsieur Christian Baudelot
Monsieur Roger Establet
Suicide : l'évolution séculaire d'un fait social
In: Economie et statistique, N°168, Juillet-Août 1984. Sociologie et statistique. pp. 59-70.
Citer ce document / Cite this document :
Baudelot Christian, Establet Roger. Suicide : l'évolution séculaire d'un fait social. In: Economie et statistique, N°168, Juillet-Août
1984. Sociologie et statistique. pp. 59-70.
doi : 10.3406/estat.1984.4884
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1984_num_168_1_4884
Abstract
Suicide: The secular evolution of a social fact - Already at the end of the 19th century, Durkheim had
established this fact: suicide statistics allow us to bring to light the constant relations between its
frequency and certain social variables. These relations are impossible to ascertain by simple
observation of individual acts of despair. In this way, suicide becomes a social fact. Some of these
relations have been maintained and others modified. While suicide was an urban phenomenon in the
19th century, it has now become rather a rural phenomenon. This change reflects a modification of
forms of social integration. But one factor does not change: the family is a form of protection. In relation
to this factor, age and sex have an influence: men commit suicide more often than women, older people
more often than young ones.
Résumé
Dès la fin du XIXe siècle, Durkheim avait établi ce fait : les statistiques de suicide permettent de mettre
en évidence des relations régulières entre sa fréquence et certaines grandeurs sociales, relations
indécelables à la seule observation d'actes individuels de désespoir. Le suicide devient fait social.
Certaines de ces relations se sont maintenues, d'autres se sont modifiées. Urbain au XIXe siècle, le
suicide est plutôt rural au XXe siècle. Ce changement renvoie à une modification de formes
d'intégration sociale. Mais une donnée permanente demeure, la famille protège. L'âge et le sexe
influent en relation avec cette donnée : les hommes se suicident plus souvent que les femmes, les
vieux plus que les jeunes.
Resumen
Suicidio : evolución secular de un hecho social - Establet Desde fines del siglo 19, Durkheim senaló
este hecho : las estadísticas de suicidios permiten poner de manifiesto vínculos puntuales entre su
frecuencia y algunas magnitudes sociales, relaciones que no se descubren con la mera observación de
actos individuales de desesperación. El suicidio llega a ser un hecho social. Algunas de estas
relaciones se fueron manteniendo, otras se modificaron. Urbano en el siglo 19, el suicidio es más
pronto rural en el siglo 20. Este cambio refleja una modificación intervenida en las formas de
integración social. Mas perdura un dato permanente : la familia ampara. La edad y sexo influen en
relación con este dato : los varones se suicidan con mayor frecuencia que las mujeres, los mayores
más que los jóvenes.
Suicide
:
l'évolution
séculaire
d'un
fait
social
par
Christian
Baudelot
et
Roger
Establet*
Dès
la
fin
du
XIXe
siècle,
Durkheim
avait
établi
ce
fait
:
les
statistiques
de
suicide
permettent
de
mettre
en
évidence
des
relations
régulières
entre
sa
fréquence
et
certaines
grandeurs
sociales,
relations
indécelables
à
la
seule
observation
d'actes
individuels
de
désespoir.
Le
suicide
devient
fait
social.
Certaines
de
ces
relations
se
sont
maintenues,
d'autres
se
sont
modifiées.
Urbain
au
XIXe
siècle,
le
suicide
est
plutôt
rural
au
XXe
siècle.
Ce
changement
renvoie
à
une
modification
des
formes
d'intégration
sociale.
Mais
une
donnée
permanente
demeure,
la
famille
protège.
L'âge
et
le
sexe
influent
en
relation
avec
cette
donnée
:
les
hommes
se
suicident
plus
souvent
que
les
femmes,
les
vieux
plus
souvent
que
les
jeunes.
Publié
en
1897,
Le
Suicide
d'Emile
Durkheim
est
sou
vent
considéré
comme
l'acte
fondateur
de
la
sociologie;
la
statistique
y
occupe
une
large
place
puisqu'elle
constitue
à
la
fois
la
matière
première
et
l'instrument
principal
de
l'analyse.
Plusieurs
raisons
expliquent
cette
union
origi
nelle
entre
sociologie
et
statistique.
Le
suicide
offre,
par
nature,
peu
de
prise
à
l'observation
directe
ou
à
l'entretien.
Certes,
psychiatres
et
suicidologues
ont
parfois
interrogé,
dans
des
hôpitaux
ou
des
cliniques,
des
individus
ayant
survécu
à
une
tentative
de
suicide.
Mais
ces
enquêtes
ont
toujours
montré
que
tentatives
et
suicides
consommés
constituaient
deux
faits
distincts;
non
seulement
par
le
résultat,
mais
aussi
par
les
caractéristiques
des
populations
concernées
:
de
-beaucoup
majoritaires
parmi
les
tentatives
de
suicide,
les
femmes
et
les
jeunes
sont
les
catégories
qui
se
suicident
le
moins.
De
sorte
que
les
observations
et
propos
recueillis
sur
les
survivants
n'ap
portent
pas
nécessairement
d'informations
pertinentes
sur
ceux
qui
succombent.
En
matière
de
suicide,
la
statistique
s'impose
donc
d'abord
de
façon
négative
:
le
recours
au
chiffre
est,
pour
le
sociologue,
la
seule
prise
offerte
par
un
objet
qui
voue
à
l'échec
d'autres
techniques
d'observation
(graphique
I).
Mais
il
y
a
plus
:
le
chiffre
représente
aussi
un
enjeu
capital
dans
la
sociologie
dûrkheimîenne;
il
constitue
en
lui-
même
un
élément
théorique
de
la
démonstration.
Le
propos
de
Durkheim
consiste
en
effet
à
montrer
que
le
suicide
ne
relève
pas
seulement
de
la
psychologie
individuelle;
il
en
relève
bien
sûr,
mais
c'est
aussi
un
phénomène
collectif,
mieux,,
un
fait^
social.
Entre
le.
suicide
de.
X
ou
celui
d'Y
et
un
taux
de.
suicide,
existe
une
différence
de
nature
et
non
de
degré.
Le
tout
ne
se
réduit
pas
à
la
somme
des
parties.
La
simple
addition
de
tous,
ces
suicides
imprévis
ibles
et
individuels,
fait
en
effet
surgir
une
réalité
nouvelle,
en
tous
points
différente
des
événements
singuliers
qui
la
composent
:
douze
mille
drames
se
convertissent
en
un
point
d'une
.
courbe
continue
;
l'imprévisible
entre
dans
l'ordre
de
la
prévision;
l'événement
échappe,
au
destin
individuel
pour
s'inscrire,
au
même
titre
que
la
production,
de
céréales
ou
le
volume
des
exportations,
parmi
les
gran
deurs
collectives
qui
permettent
de
décrire
une
société
entière.
La
ventilation
de
l'ensemble
des
cas
individuels
*
Christian
Baudelot
et
Roger
Establet
enseignent
la
socio
logie,
le
premier
à
l'École
nationale
de
la
statistique
et
de
l'administration
économique,
le
second
à
^Université
dlAix-en-
Provence
{Aix-Marseille
/).
* *
Les
nombres
entre
crochetStffî,
•renvoient
à
la-'bibUographie
en
fin
d'article.
'■
59
Graphique
I
Évolution
du
taux
de
mortalité
par
suicide
(1827-1982)
Taux
pour
100
000
habitants
1830 1850 1900 1950
1971
Source
:
J.-CI.
'Chesnais,
les
morts
violentes
en
France,
cahier
de
l'INED,
n*
75,
Presses
Universitaires
de
France
(jusqu'en
1975).
Résultats
établis
i
partir
des
comptes
de
(a
Justke
de
1827
i
1905
et
des
statistiques
des
causes
de
décès
de
1906
à
1982.
selon
de
grandes
catégories
statistiques
met
en
évidence
des
variations
régulières
et
constantes
du
taux
de
suicide
à
travers
le
temps
et
l'espace;
on
prouve,
du
même
coup,
que
le
suicide
ne
se
réduit
pas
à
un
événement
psycholo
gique
et
individuel,
puisqu'il
existe
une
relation
constante
et
mesurable
entre
le
phénomène
pris
dans
son
ensemble
et
les
grandes
caractéristiques
de
la
vie
sociale
que
sont
le
statut
matrimonial,
les
jours
de
la
semaine,
la
conjoncture
économique
ou
la
religion.
Ce
fait
nouveau,
absolument
inobservable
à
l'œil
nu,
inconcevable
sur
la
base
de
l'expé
rience
la
plus
attentive,
indécelable
à
partir
des
faits
indi
viduels
connus,
seule
la
statistique,
sous
sa
forme
la
plus
rudimentaire
(le
comptage
et
l'addition),
pouvait
en
révéler
l'existence.
Le
chagrin
d'amour,
la
perte
d'emploi,
le
revers
de
fortune,
le
remords,
le
dégoût
de
la
vie,
la
dépression,
la
maladie
mentale,
la
souffrance
physique
sont
des
motifs
individuels
ou
psychologiques
qui
peuvent
entraîner
des
individus
à
se
tuer;
mais
ils
ne
sauraient,
à
eux
seuls,
rendre
compte
des
dimensions
collectives
du
phénomène,
de
sa
constance
et
des
régularités
de
ses
variations.
Le
recours
au
chiffre
n'est
donc
pas
seulement
le
résultat
d'une
contrainte
négative
:
il
relève
d'un
choix
délibéré,
théoriquement
fondé.
66
Durkheim
:
du
suicide
comme
fait
social
au
concept
d'intégration
En
fait,
dès
que
sont
dressées,
au
XIXe
siècle,
les
pre
mières
comptabilités
sérieuses
des
actions
humaines,
notamment
le
Compte
Général
de
la
Justice
Criminelle,
à
partir
de
1826,
le
caractère
régulier
des
nombres
obtenus
en
additionnant
des
actions
individuelles
indépendantes
frappe
les
observateurs.
En
1832,
Quêtelet
écrit
à
Villermé
[11]
:
«
Parmi
les
résultats
relatifs
à
l'homme,
un
des
plus
curieux
me
semble
être
celui
qui
concerne
la
régularité
avec
laquelle
se
reproduisent
périodiquement
des
faits
de
même
nature,
de
manière
qu'on
est
obligé
d'admettre,
comme
dans
les
faits
physique»
qui
sont
entièrement
en
dehors
de
l'homme,
une
dépendance
intime
entre
les
effets
et
les
causes...
L'homme,
comme
individu,
semble
agir
avec
la
latitude
la
plus
grande;
sa
volonté
ne
paraît
connaître
aucune
borne,
et
cependant,
comme
je
l'ai
déjà
fait
observer
plusieurs
fois,
plus
le
nombre
des
individus
que
l'on
observe
est
grand,
plus
la
volonté
individuelle
s'efface
et
laisse
prédominer
la
série
des
faits
généraux
qui
dépendent
des
causes
en
vertu
desquelles
la
société
existe
et
se
conserve
».
il
faut
au
XXe
siècle,
la
multiplication
des
statistiques
risque
d'en
amoindrir
le
prix,
garder
entières
les
facultés
durkheimiennes
d'étonnement.
En
janvier
1970,
quelqu'un
qui
connaissait
le
nombre
des
suicides
des
trois
années
précédentes
pouvait
prédire
le
nombre
de
suicides
en
1970
avec
une
bonne
précision.
La
moyenne
des
trois
années
précédentes
est
de
7
724
suicides.
Le
pronostic
:
«
En
1970,
le
nombre
des
suicides
sera
compris
entre
7
824
(7
724
+
100)
et
7
624
(7
724
100)
»
était
exact.
Le
nombre
observé
pour
1970
est
7
782.
Cette
régularité
des
effectifs
globaux
du
suicide
n'est
pas
la
seule
régularité
que
le
recours
à
la
méthode
stati
stique
permet
à
Durkheim
d'établir;
il
en
est
de
beaucoup
plus
étonnantes
qui
concernent,
cette
fois,
les
relations
entre
le
taux
de
suicide
et
d'autres
grandeurs
sociales.
Voici
les
principales.
Le
taux
de
suicide
croît
avec
l'âge
quels
que
soient
le
sexe,
le
statut
matrimonial,
le
département
de
rés
idence.
Le
taux
de
suicide
est
plus
fort
chez
les
hommes
que
chez
les
femmes,
quels
que
soient
l'âge,
le
statut
matri
monial,
le
département
de
résidence.
Le
taux
de
suicide
est
plus
fort
pour
les
célibataires
et
les
veufs
que
pour
les
personnes
mariées,
quels
que
soient
le
sexe,
l'âge
et
le
département
de
résidence.
Le
taux
de
suicide
est
plus
fort
â
Paris
qu'en
province
quels
que
soient
le
sexe,
l'âge
et
le
statut
matrimonial.
Entre
les
pay»
européens,
les-
écarts
se
maintiennent
dans
le
temps.
-
.
Entre
les
régions
d'un
même
pays,
les
écarts
se
main»
.
tiennent
dans
le
temps..
D*une
année
à
l'autre,
pour
une
société
donnée,
le
nombre
des
suicides
et
le
taux
de
suicide
varient
peu
et
de
façon
non
erratique.
A
long
terme,
l'évolution
s*inscrit
sur
des
courbes
qui
s'élèvent
ou
descendent
aux
mêmes
périodes
pour
tous
les
pays
européens.
Le
suicide
se
commet
plus
souvent
de
jour
que
de
nuit.
Le
suicide
croît
avec
la
durée
du
jour,
et
l'ordre
décrois
sant
des
saisons
selon
le
nombre
des
suicides
est
le
suivant
:
été,
printemps,
automne,
hiver.
Le
suicide
est
plus
fort
au
début
de
la
semaine
qu'à
la
fin.
Le
taux
de
suicide
est
lié
à
la
religion
:
les
protestants
se
suicident
plus
que
les
catholiques,
et
ceux-ci
plu»
■que
les
juifs.
. . : .
:.......-.
Le
taux
de
suicide
croît
avec
la
taille
des
agglomérations.
Principaux
résultats
Sondage
au
1/20
France
métropolitaine
Résultat
du
Recensement
de
1982,
obtenu
par
le
dépouillement
d'un
échantillon
au
1/20
des
questionn
aires,
cet
ouvrage
se
compose
de
cinq
parties
:
-
une
introduction
et
des
notes
techniques,
qui
décri
vent
les
modalités
d'exécution
du
Recensement
et
définissent
les
concepts
retenus
pour
les
question
naires
et
l'exploitation,
-
un
commentaire
synthétique
des
principaux
résult
ats,
-
une
série
de
tableaux
sur
les
migrations
interré
gionales
de
population
totale
et
de
population
active
durant
les
périodes
intercensitaires
1962-1968,
1968-1975,
et
1975-1982,
.
.
-.
un
ensemble
de
données
des
recensements
de
1962, 1968,
1975
et
1982
présentées
sous
la
forme
de
séries
chronologiques
homogènes,
-
une
série
de
tableaux
détaillés
tirés
du
seul
recen
sement
de
1982
concernant
les
principales
structu
res
de
la
population
et
les
caractéristiques
de
l'habit
at.
«
Recensement
général
de
la
population
de
1982
.
Princ
ipaux
résultats
du
sondage
au
1/20
-
France
métropolit
aine
»,
volume
broché,
104
pages,
50
F.
CONSULTATION.
VENTE
:
P
591
Dans
les
observatoires
économiques
régionaux
de
l'INSEE
(adresses
en
fin
de
publication)
et
chez
les
libraires
spécialisés.
Institut
National
de
la
Statistique
et
des
Études
économiqyes
SOCIOLOGIE
ET
STATISTIQUE
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