le clinicien juin 2004 85
Pierre Bleau, MD, FRCPC
Présenté par l’Université de Montréal, dans le
cadre de la Journée de psychiatrie de
l’Université de Montréal, janvier 2004
Les troubles
anxieux :
comment les surpasser?
On qualifie l’anxiété de maladie lorsque
celle-ci envahit une personne et nuit à son
adaptation et à sa qualité de vie.1
Quelle est la prévalence?
Tel que défini dans le Diagnostic and Statistical
Manual of Mental Disorders-IV (DSM-IV), les
troubles anxieux représentent 50 % de tous les
troubles psychiatriques et affectent 25 % des
gens à un moment ou à un autre de leur vie.2,3
Au Canada, 11,7 % de la population souffrira
d’un trouble anxieux et dépressifs handicapant
au cours de la prochaine année.4Cela
représente trois millions de personnes qui
nécessiteront un diagnostic, des soins et un
suivi approprié (figure 1).
Quelles sont les causes?
Plusieurs hypothèses existent pour tenter de com-
prendre les causes des différents syndromes de
l’anxiété, mais l’absence de moyens diagnostiques
paracliniques fait toujours en sorte que ces
hypothèses ne demeurent que spéculatives.
Par exemple, une étude par résonance ma-
gnétique nucléaire a démontré, chez une cohorte
d’enfants atteints d’anxiété généralisée, un volume
augmenté de leurs complexes amygdaliens.5Une
hypovolémie hippocampale existe également chez
des patients souffrant de stress post-traumatique,
Daniel, âgé de 43 ans, vient
vous consulter, car, depuis
quelques mois, il se sent
«mal dans sa peau ». Il a de
la difficulté à se concentrer
et il souffre d’insomnie.
En l’interrogeant, vous
apprenez qu’il est
travailleur autonome et qu’il craint de se
retrouver sans contrat au cours de l’été : « si je
n’ai plus de contrat, je serai pris à la gorge et je
ne pourrai pas garder ma voiture. »
Comment pouvez-vous l’aider?
Le cas de Daniel
journée de
psychiatrie
86 le clinicien juin 2004
de trouble panique et de trouble dépressif.6
Plusieurs anomalies au niveau de la neuro-
transmission pourraient également être à la
base des problèmes
rencontrés avec l’anx-
iété.
Le traitement
Un bon traitement
commence par un bon
diagnostic.
L’ e xpression des
signes physiologiques
ou comportementaux
d’un trouble d’anxiété
ne signe pas néces-
sairement le diagnos-
tic. En effet, on peut,
par exemple, retrouver
«l’attaque de panique » chez tous les patients
anxieux et les comportements d’évitement
peuvent souvent être semblables. Dans le
DSM-IV, les troubles
anxieux sont classés
selon différents
symptômes
physiques ou com-
portementaux, mais
ce sont les symp-
tômes cognitifs qui nous aident à les dif-
férencier. En effet, la figure 2 illustre la thé-
matique à aborder et la clé de voûte d’un bon
diagnostic chez ces patients souffrants et dys-
fonctionnels.
Le traitement pharmacologique
Avec la médication, on ne procède pas à une
thérapie de remplacement, mais plutôt à une
modulation des symptômes (tableau 1).
Figure 1. Prévalence à vie des troubles dépressifs et anxieux.
0
5
20
15
10
État de stress
post-
traumatique
Dépression Phobie
sociale Anxiété
généralisée Trouble
panique Trouble
obsessionnel-
compulsif
17 %
13 %
7,8 %
5,1 %
3,5 % 2,3 %1
Adapté de : Kessler, National Comorbifity Survey, 1994.
1. Selon l’ECA.
Le Dr Bleau est professeur
adjoint, département de
psychiatrie, Université McGill
et psychiatre, Unité de crise
d’anxiété et de stress post-
traumatique, Hôpital Général
de Montréal.
L’expression des signes physiologiques
ou comportementaux d’un trouble
d’anxiété ne signe pas nécessairement
le diagnostic.
Les troubles anxieux
L’acide gamma-aminobutyrique est la
substance inhibitrice la plus puissante du
cerveau. Lorsque l’on sollicite ce système
pour le traitement de l’anxiété, avec les ben-
zodiazépines, par exemple, l’amygdale, ainsi
que toutes les autres structures menant à
l’anxiété, deviennent moins réactives. On
obtient ainsi une anxiolyse rapide et effi-
cace, mais celle-ci demeure non spécifique.
Le cerveau devient toutefois rapidement
dépendant de cet apaisement. Les problèmes
de dépendance sont toujours à craindre avec les
benzodiazépines.
L’utilisation des systèmes
modulateurs sérotoninergiques et
noradrénergiques a aussi changé
nos perspectives. Nous savons
entre autres, maintenant que ces
substances modulent les réac-
tions d’anxiété et participent à la
neuroprotection de certaines
structures et à la neurogenèse.7
L’utilisation d’inhibiteurs
sélectifs de la recapture de la
sérotonine (ISRS) et d’inhibi-
teurs de la recapture de la séroto-
nine/noradrénaline (ISRN) est
devenue le traitement de pre-
mière ligne pour les troubles
anxio-dépressifs. On utilise souvent le double des
doses antidépressives pour traiter le trouble
panique et de trois à quatre fois les doses antidé-
pressives pour le traitement du
trouble obsessionnel-compulsif.
Plus les troubles apparais-
sent tôt dans la vie, plus il sont
chroniques et plus nous
Figure 2. À quoi pensez-vous?
Trouble panique
Trouble obsessionnel-
compulsif
Trouble d’anxiété
généralisée
Trouble d’anxiété
sociale
Stress post-
traumatique et
stress aigu
Intolérance aux symptômes
Peur que les pensées
deviennent vraies, responsabilités
par rapport aux conséquences
Intolérance à l’incertitude
Intolérance à l’humiliation, à
l’observation ou à être le centre
de l’attention
Intolérance à l’événement et à la
pensée de l’expérience traumatique
87le clinicien juin 2004
Les problèmes de dépendance
sont toujours à craindre avec
les benzodiazépines.
88 le clinicien juin 2004
Classe Nom Dosage (mg) Commentaires
ISRS Citalopram 10 à 60
Fluoxétine 10 à 80
Fluvoxamine 25 à 300
Paroxétine 10 à 60 Attendre 8 à 10 semaines pour le TP; 10 à
16 semaines pour leTOC et l’ESPT
Paroxétine CR 12,5 à 75 Débuter avec de petites doses et augmenter
lentement la posologie
Sertraline 25 à 200 TP : doses intermédiaires et TOC : doses élevées
ISRN Venlafaxine XR 37,5 à 300 Indiqués pour le TAG, le TAS et l’anxiété chronique
Bonne solution de rechange pour le TP,
l’ESPT et le TOC
IMAO Phénelzine 15 à 90 Danger de crise hypertensive
IRMAO Moclobémide 150 à 600 Efficacité controversée. En Europe, la dose est
de 900 à 1 200 mg pour le TAS
NaSSA Mirtazapine 15 à 45 Bons résultats d’études menées avec le TP et l’ESPT
ATC Clomipramine 25 à 300 Clomipramine = ISRS pour le TOC
Désipramine 25 à 200
Nortriptyline 10 à 60
Benzodiazépines* Alprazolam 0,25 à 3 000 Alprazolam pour le TP
Clonazépam 0,5 à 4 Clonazépam pour le TP et le TAS
* Peut être utilisé pour le TAG, mais
considérer la dépendance
Anticonvulsivants Valproate 250 à 1 500 Utile comme thérapie d’augmentation pour le
Gabapentine 600 à 3 600 TOC, le TP et le ESPT
Topiramate 25 à 200
Lamotrigine 25 à 200
Ligand 5-HT1A Buspirone (agoniste) 15 à 60 Indiqué pour le TAG
Pindolol (antagoniste) 2,5 TID Utile comme augmentation dans le TOC
Neuroleptique Rispéridone 0,5 à 2 Augmentation dans le TOC et l’ESPT
Olanzapine 2,5 à 20 Études ouvertes avec le TAG
Quétiapine 25 à 400
Autres Ondansetron 0,25 BID Peut être utilisé pour le TAG et le TAS
(Bloqueurs 5-HT3)
Pramipexole 0,125 TID Augmentation avec le TAS
Clonidine 0,1 BID TP, TAS, ESPT
0,05 BID TOC
ISRS : inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine; ISRN : inhibitreurs de la recapture de la sérotonine/noradrénaline;
IMAO : inhibiteurs de la monoamine oxydase; ATC : antidépresseurs tricycliques; IRMAO : inhibiteurs réversibles de la
monoamine oxydase; NaSSA : antidépresseurs noradrénergiques/sérotoninergiques spécifiques; 5-HT1,2,3 : récepteurs de la
sérotonine; TP : trouble panique; TAS : trouble d’anxiété sociale; TAG : trouble d’anxiété généralisée; TOC : Trouble obses-
sionnel-compulsif; ESPT : état de stress post-taumatique; TID : trois fois par jour; BID : deux fois par jour
Tableau 1
La pharmacothérapie de l’anxiété
devrons être patients avant d’observer un
changement. Dans ce cas, les rechutes sont, le
plus souvent, imminentes lors de l’arrêt du
traitement. Dans des cas plus résistants de trou-
bles anxiodépressifs, l’utilisation des anticon-
vulsivants et des neuroleptiques de nouvelle
génération représentent des thérapies adju-
vantes utiles.8
La psychothérapie
Seules les psychothérapies cognitivo-
comportementales ont démontré, de façon
empirique, leur efficacité thérapeutique (ainsi
que la thérapie interpersonnelle dans le traite-
ment de la dépression). Le but est d’aider une
personne à adopter des comportements et des
pensées mieux adaptés à sa réalité.
L’apprentissage, la stimulation et le
développement de nouvelles voies neuronales
contribuent au succès de ces démarches.
Somme toute, nous devons viser la rémis-
sion du patient, et ce, dans les meilleurs délais
possibles.9La durée des symptômes aggrave
souvent le pronostic et la qualité de vie des
patients en dépend.
Références
1. Mendlowicz, MV, Stein, M : Quality of Life in Individuals
with Anxiety Disorders. Am J Psychiatry 157(5):669, 2000.
2. Diagnosis Statistical Manual. Quatrième édition. Texte
révisé. American Psychiatric Association. APA Press, 1998.
3. Kessler, RC, McGonagle, KA, Zhao, S, et coll. : Lifetime
and 12-month Prevalence of DSM-III-R psychiatric.
Disorders in the United States. Arch Gen Psychiatry 51(1):8,
1994.
4. Stats Canada. The Daily. 3 septembre, 2003.
5. De Bellis, MD, Casey, BJ, Dahl, RE, et coll. : A Pilot Study
of Amygdala Volumes in Pediatric Generalized Anxiety
Disorder. Biol Psychiatry 48(1):51, 2000.
6. Sheline, YL : Neuroimaging Studies of Mood Disorder
Effects on the Brain. Biol Psychiatry 54(3):338, 2003.
7. Manji, HK, Quiroz, JA, Sporn, J, et coll. : Enhancing
Neuronal Plasticity and Cellular Resilience to Develop
Novel, Improved Therapeutics for Difficult-to-treat
Depression. Biol Psychiatry 53(8):707, 2003.
8. Bleau, P : Anxiety Disorders: From Diagnosis to Treatment.
The Canadian Journal of CME 13(5):65, 2001.
9. Kjernested, K, Bleau, P : Long-term Goals in the
Management of Acute and Chronic Anxiety Disoreders. Can
J Psychiatry 49 (suppl 1):51S, 2004.
www.stacommunications.com
Cet article est disponible en
ligne. Visitez Le Clinicien.
Clin
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À retenir...
On qualifie l’anxiété de maladie lorsque celle-ci
envahit une personne et nuit à son adaptation et à sa
qualité de vie.
Au Canada, 11,7 % de la population souffrira d’un trouble
anxieux et dépressif au cours de la prochaine année.
L’utilisation d’inhibiteurs sélectifs de la recapture de la
sérotonine (ISRS) et d’inhibiteurs de la recapture de la
sérotonine/noradrénaline (ISRN) est devenue le traitement
de première ligne pour les troubles anxio-dépressifs.
Seules les psychothérapies cognitivo-comportementales
ont démontré, de façon empirique, leur efficacité
thérapeutique.
Les troubles anxieux
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