Images et représentations de la folie: De l`autre coté du

1
« Images et représentations de la folie:
De lautre coté du miroir de la normalité. »
de Stéphane MALYSSE
? Malysse S., Images et représentations de la folie. De
lautre côté du miroir de la normalité, Revue Histoire et
Anthropologie, n° 23, LHarmattan, Paris, 2001.
« C´est lorsque les normaux et les stigmatisés viennent à se trouver
matériellement en présence les uns des autres, et surtout s´ils s´efforcent
de soutenir conjointement une conversation, qu´a lieu une des scènes
primitives de la sociologie, car c´est bien souvent à ce moment-là que les
deux parties se voient contraintes d´affronter directement les causes et les
effets du stigmate. »
Erving Goffman, Stigmate.
Voir ailleurs (Salvador de Bahia, Brésil) et voir autrement (à travers lobjetif dune
caméra photographique et vidéographique) et découvrir, presque la même chose, voire ce
que lon attendait, au delà de lexostisme, en cherchant à y voir et rencontrer les folies
ordinaires, quotidiennes et pathologiques dun groupe de femmes, internées dans un hôpital
public de santé mentale, un hôpital « psychanalytique ». Comment voir la folie des autres ?
Comment la comprendre à partir des images que lon sen fait et quelle diffuse
irrémédiablement dans le champs des interactions sociales ? Comment lexpérimenter
anthropologiquement entre construction et révélation ? Cet article propose une réflexion en
2
images autour dune expérience danthropologie visuelle du corps appliquée au vaste thème
de la folie féminine1.
En revoyant les images de la folies, rendues publiques par des psychiatres
« visualistes » comme les docteurs Charcot, Luys, Bourneville et Régnard, Londes et
Duchenne de Boulogne, puis en cherchant à élucider les relations entre ces images et les
manifestations de la folie, jai suivit deux parcours de terrain : le premier cherche à penser
les relations entre les « images du corps »2 et la folie, tandis que le second sappuie sur mes
propres expériences de terrain anthropologique, effectuées au sein de lhôpital Juliano
Moreira à Salvador3. A partir dune méthodologie appliquée à mes terrains de recherche
antérieurs ( Hygiène corporelle parisienne4 et Culte du corps à Rio de Janeiro5), définie
comme une anthropologie visuelle du corps, jai réalisé une recherche de terrain dune
durée de huit mois dans un Hôpital de Salvador, en focalisant mon regard sur laspect
1 Pour des raisons de stratégie de terrain anthropologique et parce qu’il est facile de voir que la folie « version masculine »
est bien différente, dans ses manifestations extérieures, que celle observable dans les aires féminines d’un hôpital
psychiatrique. En outre, le caractère plus “performatique” de la folie féminine explique sans doute le fait que la
photographie psychiatrique française du XIXème siècle ( Archives photographiques de la Salpétrière...) se soit concentré
presque exclusivement et de manière symptomatique sur les études de l’hystérie féminine.
2 Le terme dimage du corps désigne de façon générique, une représentation photographique ou vidéographique du corps,
tout en gardant le sens de représentation sociale du corps mise en image.
3 L’hôpital Juliano Moreira accueille actuelement 168 pacients, séparés par sexe en deux espaces : 102 femmes et 66
hommes. L’ hôpital, dirigé par le psychanaliste lacanien Marcelo Veras, realise plus de 3000 consultations par mois. En
effet, depuis un an, l’hôpital fonctionne de manière ouverte, et favorise la sortie des patients qui rentrent chez eux
rapidement (internement d’un mois en moyenne) et qui ne reviennent à l’hôpital que pour des entretiens et pour retirer
leurs médicaments.
4 D.E.S.S d’Ethnométodologie, Sales deau: les mises en scènes de lhygiène corporelle parisienne,1996.
5 Doctorat de l’E.H.E.S.S, Corps à corps: regards dans les coulisses de la corpolatrie carioca, 1999.
3
audiovisuel du monde social et matériel dun groupe dinternées et en cherchant à
comprendre la façon dont cet univers était vu et vécu subjectivement par ces femmes.
En passant de lautre coté de la normalité en produisant des images et des
enregistrements sonores comme données de recherches, jai essayé douvrir un espace de
réflexion interdisciplinaire (Psychiatrie, Psychologie, Psychanalyse, Anthropologie visuelle
et sonore, Anthropologie du corps, Herméneutique...) et réflexif (en tenant compte de mon
contre-transfert et de mes à-priori) afin de mettre en évidence non seulement la
prolifération des discours et des représentations que la folie suscite mais également la
polysémie de la folie en soi. Pour renouveler le discours sur la folie, une des possibilité
évoquée par le directeur de lhôpital Juliano Moreira, consiste à se diriger vers le patient
sans aucune connaissance préalable et se soumettre complètement à la narration des délires
et des performances en jeux dans cet espace clos.
Les psychanalystes lacaniens se posent comme des «secrétaires de la psychose » et
considèrent cette entrée dans le monde psychique de leurs patients comme une forme de
psychanalyse sur le vif. En entrant dans « le laboratoire tragique des cliniques
psychiatriques, où l´étude des démontages des gestes humains projette parfois de si vives
lumières sur les lois profondes qui en commandent la marche normale » (Jousse,1974:12),
jai résolument suivi les perspectives de recherche ouvertes par Erving Goffman et David
Le Breton, en cherchant à observer les échanges de regards et le langage corporel dans un
champs de visibilité mutuelle et de co-présence. En réalité, cette tentative dobserver la
folie à partir dune anthropologie visuelle et sonore ne prétend pas expliquer la folie en soi,
4
mais simplement élucider et interpréter ma propre interaction avec le groupe de patientes
que je rencontrais régulièrement, en étudiant les visions quune personne « normale » peut
construire de la folie en pénétrant pour la première fois dans son univers « officiel ». Mon
travail de terrain sest concentré dans lespace féminin et plus particulièrement dans ce que
Goffman appelle les « espaces libres » espaces dans lesquels le patient peut, avec une
certaine amplitude, se livrer à des activités interdites en dautres lieux. Dans ce qui
apparaît clairement comme un “non-lieux” (Augé, 1992), un grand couloir à lair libre, mon
expérimentation a prit la forme de sessions denregistrement dimages et de sons, dans
lesquelles ma propre interaction-filmée occupait le rôle central, vu « quil faut sans cesse
agir et justifier laction, sous le regard dautrui et que lhôpital est un endroit d´observations
intenses et croisées.» (Peneff, 1992) A partir de cette expérience de visibilité mutuelle et
outillée, je me suis demandé comment je voyais la folie en interaction avec ces patientes, en
entrant, sans blouse blanche, dans leurs délires et performances et finalement jai cherché à
voir comment je pouvais distinguer le normal du « pathologique » à travers les images et
les sons que javais entre les mains et surtout à lesprit ?
1. Images de la psychiatrie au XIXème Siècle:
Du regard clinique au regard anthropologique.
La visibilité est un piège.
Michel Foucault
5
Lanthropologie et, avant elle, lethnographie, a toujours été fascinée par lapparence
corporelle de lAutre. Jusquen 1950, le corps était considéré comme le meilleur moyen de
comprendre les différences culturelles, une véritable clé pour étudier scientifiquement les
différences ethniques, esthétiques et éthique qui se reflétaient sur sa surface. Cest à partir
de cette vision du corps comme preuve visible, que le racisme scientifique se développe,
donnant naissance à deux nouvelles disciplines : lanthropologie physique et
lanthropométrie. Sans aucun doute, ces nouveaux « savoirs » sur le corps, en créant de
toute pièce la notion de type, ont influencé profondément lutilisation de la photographie en
psychiatrie. Dès lors que le corps était vu comme une preuve, une évidence des différences
humaines, les scientifiques pensaient le corps comme « symptôme » et imaginaient, dans
cette logique, que les différences psychologiques et culturelles sexprimaient exclusivement
à travers son apparence, ses signes visibles. En pensant le corps comme un simple
indicateur visuel de lémotion, comme symptôme de lâme, les psychiatres du final du
XIXème siècle, fascinés par la récente invention de la photographie, crûrent fermement en
son caractère « scientifique » et tombèrent tous dans lillusion épistémologique et
méthodologique dune photographie médicale. A partir du final du XIXème siècle, le
regard porté sur la maladie et sur le malade changent irrémédiablement, tout comme
changent les représentations du corps et les visions de ce dernier. Les psychiatres de cette
époque considère le corps comme un écran sur lequel se projettent les conflits intérieurs et
espèrent rendre visibles les traits spécifiques et la physionomie symptomatique du fou.
Dans les premières collaborations entre la photographie et la psychiatrie, « la photographie
ne servait pas seulement à identifier les patients mais elle aidait à reconnaître les
symptômes, à élaborer les typologies noséographique des maladies mentales et finalement
pouvait servir de substrat thérapeutique.”(Samain,1992). En réalité, le regard clinique qui
apparaît à la fin du XIXème, cherche à comprendre les maladies mentales en les rendant
visibles au niveaux de l´apparence corporelle. En passant de la maladie mentale
« invisible » au stigmate corporel photographié, les psychiatres semblent ne pas avoir pris
conscience, aveuglés par le contexte général de visualisation des maladies (catalogues des
maladies de peau et des malformations physiques, rayon X...) et par lillusion réaliste de la
photographie, que le corps signifiant, porteur de messages passibles d´interprétations de la
part du médecin et du patient dépend également des représentations sociales du corps et de
1 / 21 100%

Images et représentations de la folie: De l`autre coté du

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !