Etude les relations entre émotion et créativité

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Etude les relations entre émotion et créativité
FRANCK ZENASNI
Laboratoire Cognition et Développement, CNRS, UMR, 8605
Université PARIS 5
TODD I. LUBART
Laboratoire Cognition et Développement, CNRS, UMR, 8605
Université PARIS 5
ISAAC GETZ
Ecole Supérieure de Commerce Parisien
Introduction
L’étude systématique des relations entre émotion et créativité à l’aide d’une approche
expérimentale n’est que très récente. Etude tardive par rapport à l’histoire de la psychologie
expérimentale (qui a plus de cent ans maintenant) et par rapport à l’intérêt qu’a suscité ce
thème de recherche dans d’autres approches ou disciplines. L’arrivée tardive de ces études
dans le champ expérimental était en partie due à la difficulté d’opérationnaliser à la fois une
émotion et un acte créatif avec les contraintes imposées par ce cadre d’étude. Cependant les
nombreuses recherches menées sur les émotions et leurs méthodes d’induction ainsi que les
nombreux travaux concernant les processus élémentaires de créativité et leurs mesures
permettent désormais d’aborder expérimentalement et avec une certaine validité écologique,
l’étude des relations entre émotion et créativité. Ces études peuvent permettre de comprendre
les relations entre les émotions et la créativité musicale tant sur les productions que sur leurs
contenus. Elles peuvent par exemple permettre d’identifier quelles émotions favorisent la
composition musicale et quelles émotions l’inhibent et permettrent de comprendre les
relations entre les contenus de ces compositions et la nature de l ‘état émotionnel du
compositeur.
Ce que nous disent les études expérimentales
Un certain nombre de travaux expérimentaux montrent que les émotions d’un individu
modifient sa créativité. Ces observations ont été faites à partir de la manipulation des états
émotionnels d’un participant (Induction d’une émotion) : des groupes de participants
différents au niveau de leur état émotionnel ne présentent pas la même créativité. Ainsi dans
le cas de la créativité musicale il est par probable que les émotions modifient la productivité
créative d’une personne : un état émotionnel positif peut par exemple à la fois stimuler et
intensifier la créativité musicale d’un individu ainsi que modifier le contenu de ses
compositions.
Les états émotionnels influence la productivité créative mais en fonction de certaines
conditions
La relation entre les émotions et la créativité n’est cependant pas simple. A un état
émotionnel ne correspond pas une performance créative, de même à une émotion ne
correspondrait pas une création musicale particulière. En effet certaines variables modulent
l’effet des émotions sur la créativité :
•
Intensité émotionnelle : souvent négligée dans les recherches sur
« émotion et créativité », alors qu’elle fait partie intégrante de la notion d’état
émotionnel, l’intensité de l’émotion ressentie module les performances de créativité.
Par exemple un artiste sous un état émotionnel très intense sera plus créatif que si cet
état émotionnel est faiblement ressenti. La production musicale servant alors à
diminuer l’intensité de l’émotion vécue.
•
Nature de la tâche de créativité : les relations entre émotion et créativité
dépendent de la nature de la tâche de créativité à réaliser et ceci a deux niveaux.
D’abord sur le mode d’expression de la créativité (expression verbale, expression
figurative) ; ainsi nous avons observé que la relation entre les émotions et la créativité
n’était pas la même selon que demandions à l’individu de produire le plus d’idée par
des mots ou par des dessins.
•
Aptitudes et traits émotionnels des individus : les traits émotionnels sont
les dispositions ou les tendances des individus à réagir avec une ou plusieurs
émotions. L’intelligence émotionnelle représente les capacités à identifier non
seulement ses propres émotions (ou sentiments), mais aussi celles des autres
individus, ainsi que la capacité à les discriminer et à les utiliser pour orienter les
pensées et/ou les actions. Certains traits émotionnels et certaines capacités
émotionnelles modulent l’effet des émotions sur la créativité. Ainsi le trait émotionnel
expressivité, qui correspond à la tendance de l’individu à exprimer ses émotions est
liée au nombre d’idées produites à certaines tâches de pensée divergente : plus
l’individu exprime ses émotions plus il produit d’idée. L’observation peut par
exemple expliquer pourquoi deux individus différents au niveau de l’expressivité
émotionnelle, mais toute chose égale par ailleurs, ont dans un état émotionnel positif,
une production musicale différente : un individu expressif au niveau émotionnel
créerait plus de composition qu’un individu non expressif.
Ces variables avec d’autres non – citées (agréabilité de la tâche, théories implicites…)
pourraient donc participer à la modification de la composition musicale.
Les émotions modifient le contenu des productions créatives
L’autre point abordé dans nos travaux concerne les relations entre l’état émotionnel de
l’individu qui réalise une tâche de créativité et la valence émotionnelle des idées produites par
celui-ci à la tâche. Pour interpréter les relations entre émotions et créativité les psychologues
expérimentaux se sont basés soit sur une théorie de la congruence émotionnelle (basée sur la
théorie de Bower, 1981) sur la théorie de l'émotion comme signal (affect as information
model, Schwartz, 1990). Dans le premier cas, la valence émotionnelle des idées produites par
un individu, à une tâche de créativité devrait être congruente avec son état émotionnel (positif
ou négatif). Par exemple un individu dans un état émotionnel positif créerait des musiques
plutôt gaies, agréables, joyeuses alors qu’un individu dans un état émotionnel négatif créerait
plutôt des musiques tristes, sombres. Dans le second cas, la valence des idées est non –
congruente avec un état émotionnel négatif de l'individu ; cet état négatif signalant qu'il est
dans une situation problématique il aura la tendance à élaborer des idées positives et
originales pour revenir à un état émotionnel moins désagréable. Ainsi ici c’est l’individu dans
un état émotionnel négatif qui créerait des musiques plutôt gaies, joyeuses, stimulantes.
Compositions d’autant plus originales, que l’individu élaborera au maximum ses productions
afin de sortir de cet état émotionnel. Ces hypothèses de relation n'ont jamais été directement
validées puisque aucune étude (publiée) ne rapporte les relations entre la valence des idées
produites et l'état émotionnel de l'individu (seul résultat qui pourrait départager ces deux
approches). Nos recherches tendent à vérifier pour le moment, pour une créativité générale,
(des études plus poussées sont en cours) une relation de congruence: les idées produites ont
une valence qui correspond à la valence de l'état émotionnel de l'individu. Le contenu des
compositions d’un auteur serait peut-être ainsi congruent à son état émotionnel.
Le modèle de résonance émotionnelle
Le modèle de Résonance émotionnel est un modèle théorique qui explique les
relations entre le vécu émotionnel des individus et l’originalité des productions créatives. En
ce qui concerne la créativité musicale, il peut expliquer comment l’originalité d’une
composition musicale est reliée au vécu émotionnel personnel des individus.
Il y a trois composantes dans le modèle de résonance émotionnelle : (a) les endocepts
qui représentent des émotions idiosyncrasiques acquises par expérience et attachées à des
concepts ou à des images dans la mémoire; (b) un mécanisme automatique de résonance qui
propage un profil émotionnel d'un endocept à travers la mémoire et active d'autres endocepts;
(c) un seuil de détection de résonance qui détermine si un endocept activé par la résonance
(ainsi que le concept/image auquel il est attaché) entre dans la mémoire de travail.
A partir de l'expérience, les endocepts sont attachés dans la mémoire à des
concepts ou à des images qui représentent des objets, des personnes, ou des événements vécus
par l'individu. Par "concept" nous n'entendons pas la représentation d'un terme générique (par
exemple, le concept "ascenseur" du dictionnaire), mais la représentation plus ou moins
spécifique d'un objet, d'une personne, ou d'un événement vécu par l'individu (par exemple,
"l'ascenseur que j'ai pris à la tour Eiffel"). Les endocepts sont acquis par l'expérience en même
temps que les concepts/images et sont attachés à ces derniers dans la mémoire.
Dans ce modèle, les concepts sont partiellement interconnectés, et sont capables ainsi
de s'activer mutuellement par des voies préétablies. Toutefois, cela ne constitue pas la seule
manière de relier les concepts dans la mémoire. Au moment où un concept ou une image sont
activés (par un stimulus externe ou par la pensée), les émotions idiosyncrasiques stockées
dans l'endocept attaché sont également activées. Cette activation endoceptuelle n'empêche pas
un concept ou une image d'activer d'autres concepts ou images dans la mémoire, bien qu'une
telle activation cognitive conduise à la production d'idées différentes (Mednick, 1962;
Simonton, 1988). Contrairement à l'activation cognitive qui suit des chemins établis (par
exemple, la propagation de l'activation à travers un réseau sémantique), l'activation d'un
endocept propage le profil émotionnel de ce dernier comme une "vague" à travers la mémoire.
Si le profil d'un autre endocept est proche du profil propagé, les deux endocepts vont entrer en
résonance. Enfin, la force de résonance d'un endocept au profil proche dépend du degré de
l'accord entre ce dernier et le profil multidimensionnel de l'endocept d'origine.
Pour expliquer plus concrètement notre conception de la résonance, on se servira d'une
analogie avec la musique. Ainsi, un endocept peut être considéré comme un diapason, par
exemple une petite fourche, qui produit un son complexe. Un stimulus externe (tel qu'un
problème posé) ou une pensée interne font vibrer ce diapason. L'onde du son se propage.
D'autres diapasons, qui peuvent être de formes ou de matériaux différents, commencent à
vibrer automatiquement à mesure qu'ils produisent le son proche de celui du premier
diapason. Nous allons décrire maintenant la phase suivante qui concerne le fait de détecter
qu'un ou plusieurs diapasons ont en train de résonner harmonieusement avec le premier.
Chaque élément de notre modèle implique des différences individuelles. En premier
lieu, les individus se distinguent pour ce qui concerne leurs connaissances et leurs
expériences. Dans le cadre du modèle, les individus varient selon la richesse et le contenu de
leur mémoire fondée sur les concepts et les images. En second lieu, des individus qui ont vécu
des expériences semblables peuvent se distinguer dans leur propension à s'arrêter sur leurs
expériences et les interpréter (Tellegen, 1982), ou à y répondre émotionnellement de manière
complexe et idiosyncrasique (Averill, 1994; Lane et al., 1990). Dans le cadre de notre modèle,
ces individus varient selon la nature multidimensionnelle et idiosyncrasique de leurs
endocepts.
Conclusion
Les études expérimentales que nous menons peuvent avoir de nombreuses
implications dans l’étude de la créativité musicale : d’une part, permettre de comprendre les
conditions émotionnelles dans lesquelles se réalise la créativité musicale et d’autre part
déterminer les processus qui la sous-tendent. En ce qui concerne leurs applications. : elles
peuvent par exemple permettre de faciliter la composition musicale à partir de la juste
utilisation de ses émotions, amener des compositeurs débutants à progresser dans la
composition ; ou encore nous amener à comprendre de quelle manière la créativité musicale
peut, au moins en partie, libérer des individus assujettis à des troubles de l’expression
émotionnelle.
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