Le second discours de Socrate
Dans une perspective philosophique cette fois-ci, et non pas simplement rhétorique, Socrate va chercher à
démontrer les vertus de l'amour, en partant de la définition la plus juste et la plus correcte. Ainsi, l'amour ne
serait plus un type de désir lié au corps, mais quelque chose de plus pur, qui a trait à la spiritualité, à
l'immortalité et à l'éternité. L'amour est donc un état de l'âme, il est l'essence même de l'âme. Cette dernière
doit donc être évoquée comme point de départ à toute une démonstration à visée morale. D'où la nécessité de
commencer par rappeler le principe de l'immortalité de l'âme (245c). L'âme est le principe premier, essentiel,
de mouvement : c'est son essence, d'être un mouvement automoteur. Dire cela revient ainsi à dire que
l'immortalité est consubstantielle à l'âme. Une fois définie, Socrate passe à l'explication de la réalité de l'âme.
Explication difficile, car l'âme est justement immatérielle. C'est pourquoi il proposera de dire à quoi elle
ressemble, et non ce qu'elle est, car un tel exposé ne qu'être de type divin. Socrate choisit le biais de l'image,
du mythe, pour donner un aperçu sur la nature de l'âme. Il explique ce faisant que le langage humain est
insuffisant, qu'il a besoin, pour aborder certaines réalités intelligibles, de recourir à des images sensibles. Le
mythe est donc le langage au moyen duquel l'homme peut exprimer ce qui est non sensible.
L'âme est alors identifiée à une puissance naturelle unificatrice (246a). L'âme est présentée comme étant
tripartite, composée de trois parties : la plus haute, celle à laquelle il revient de commander dans une âme
juste, à savoir la raison ; la partie colérique, le cœur, laquelle est naturellement docile à la raison ; et enfin la
partie appétitive, orientée vers les désirs liés au corps, difficile à discipliner et qu'il faut contraindre. D'où le
sens du mythe du cocher conduisant un attelage tiré par deux chevaux. Le cocher symbolise la raison, dont le
rôle consiste à commander. Les deux chevaux symbolisent les éléments subordonnés de l'âme, chacun étant
caractérisé par un rapport particulier au cocher. Le cheval blanc représente la partie de l'âme accessible à la
raison et à l'éducation, siège des sentiments; tandis que le cheval noir représente l'appétit, dirigé vers les désirs
et besoins physiques, sourds à la raison, et qui doit être maté. Cette représentation concerne les âmes non
divines. En outre, le trait capital de cet attelage sont les ailes, grâce auxquelles elle peut s'élever vers le ciel,
symbole de l'intelligible. La qualité d'une âme dépend de la qualité de ses ailes, ce qui permet aussi de
distinguer entre les âmes des immortels et celles des mortels. Le mortel est l'être qui a perdu ses ailes, qui ne
peut plus s'élever, qui est déchu. C'est justement cette déchéance qui est à l'origine de l'amour et de la
philosophie, ce que Socrate explique dans un commentaire assez long (246d).
Pour dire la cause de cette chute, Socrate utilise la métaphore de la nourriture. La nature de l'âme étant
divine, cette dernière a besoin d'une nourriture également divine. Elle doit donc se nourrir de la contemplation
de l'intelligible auquel elle accède lors de son parcours céleste, à la suite d'un dieu. Chaque âme appartient au
cortège d'un dieu (l'âme philosophe à celui de Zeus, l'âme amoureuse à celui d'Eros, l'âme guerrière à celui
d'Arès, etc.). En suivant son cortège, l'âme accède au lieu supracéleste, qu'il ne faut pas entendre en terme
spatial, mais qu'il faut se représenter comme un non-lieu, car seul ce qui est sensible occupe une place, tandis
que dans ce cas de figure nous parlons de l'intelligible. Socrate fait justement en sorte de ne pas décrire ce lieu,
car il est indescriptible (247c). La contemplation de l'intelligible équivaut à se nourrir de vérité, de connaissance
sublime. L'âme a besoin de contacts avec le vrai, faute de quoi elle dépérit, et perd ses ailes. Elle tombe alors et
s'incarne dans la condition mortelle de l'humain. Mais ce besoin, cette faim de connaissance perdure, dans les
âmes les moins corrompues, celles des philosophes et des amoureux. Le désir du Vrai, du Beau, fondés sur le
ressouvenir du Vrai et du Beau, caractérisent ainsi les âmes de ceux qui sont capables de cette remémoration.
Par ailleurs, Platon rappelle dans la République que seules les âmes qui ont contemplé l'être peuvent se glisser
dans une forme humaine. Ainsi, tout homme a eu accès au vrai. Ce postulat sert à définir l'homme : il se
distingue des animaux par sa capacité à passer du sensible à l'intelligible, identifiée à la capacité de raisonner
(249b-c). Il s'agit de la capacité à sortir de l'empirie, par le moyen du raisonnement. Ce processus est identifié
par Socrate à la remémoration des réalités intelligibles autrefois contemplées. Cette connaissance est donc
acte de mémoire, mais n'exclut pas le raisonnement, ou le processus rationnel, qui est lui-même une entreprise
de mémoire. La philosophie est un processus de remémoration - exactement comme l'est l'amour.