Revue SOAO n° 02- 2008, pp. 34-40 Revue SOAO - n° 02 - 2008, pp. 34-40 © EdUCI 2008 LE MÉLANOCYTOME PAPILLAIRE : À PROPOS DE 4 OBSERVATIONS Papillary melanocytoma. A study about 4 cases. F. Sylla1, A. Napo1, S. Boni2, S. Bakayoko1, A. Guindo1, A. Simaga1, f. Sidibé1, l. Traoré1, j. Traoré1, a. Diallo1. 1- Institut d’Ophtalmologie Tropicale de l’Afrique (I.O.T.A.), Bamako - Mali. 2- CHU de Treichville, Abidjan - Côte d’Ivoire Correspondance : F. Sylla Institut d’Ophtalmologie Tropicale de l’Afrique (I.O.T.A), BP. 248 Bamako, Mali. Email : [email protected] RESUMe Introduction : Le mélanocytome est une tumeur bénigne, rare et le plus souvent papillaire, unilatéral. Les mélanocytomes seraient plus fréquents chez les patients mélanodermes. Nous rapportons quatre cas de mélanocytomes observés au Mali. Observations : Le premier cas, révélé par une dyschromatopsie, le second dans un contexte de baisse d’acuité visuelle, le troisième par une douleur oculaire et le quatrième pour prurit oculaire. Dans les quatre cas le fond d’œil a mis en évidence une papille partiellement ou totalement masquée par une tumeur noire qui débordait sur la choriorétine avoisinante. L’angiographie à la fluorescéine montrait une tumeur pigmentée sombre, hypo fluorescente masquant la papille et ses vaisseaux. On notait l’absence de abstract Introduction : melanocytoma is a benign tumor which is uncommon and more often papillary and unilateral. Melanocytoma is said to be more common in melanoderm patients. We are reporting four cases of melanocytoma observed in Mali. Observation : the first case was revealed by a dyschromatopsia, the second was revealed in a context of loss of vision, the third case was revealed by an ocular pain and the fourth case was revealed by ocular pruritus. In the four cases the fundus of the eye showed a papilla partially or totally obscured by a black tumor which extended into the surrounding choriorétine. The fluorescein angiography revealed a hypo fluorescent réseau vasculaire intra tumoral et de modification de la circulation rétinienne ou choroïdienne péri papillaire. Conclusion : Ces quatre cas de mélanocytomes ont été rapportés à l’Institut d’Ophtalmologie Tropicale de l’Afrique parmi les consultants. Bien que les mélanocytomes papillaires soient plus fréquents chez les mélanodermes il faut savoir évoquer le diagnostic devant l’aspect clinique caractéristique et effectuer une surveillance clinique et angiographique annuelle car la croissance et la transformation maligne de la tumeur sont possibles. mots - cles : melanocytome melanome. papille - melanoderme - dark pigmented tumor obscuring the papilla and its vessels. We noticed the absence of intra tumor vascular net and the absence of modification of the retinal or peripapillary choroidal circulation Conclusion : these four cases of melanocytoma had been reported at the tropical ophthalmology institute of Africa. Though papillary melanocytoma cases are more common in melanoderm subjects, we must be careful evoking the diagnosis considering the characteristic clinical aspect and institute an annual clinical and angiographic monitoring because the growth and malignant transformation of the tumor are possible. key words melanoma F. Sylla et al. 34 - : melanocytoma – papilla – melanoderm – Revue SOAO - n° 02 - 2008, pp. 34-40 INTRODUCTION Le mélanocytome est une tumeur rare, bénigne et noire, le plus souvent unilatéral, avec comme siège de prédilection la papille. D’autres types de tumeurs pigmentées peuvent être localisés au niveau de la papille notamment l’hamartome, l’adénome pigmenté, le naevus et le mélanome malin1,2. Ces tumeurs étaient considérées comme une transformation maligne et la thérapeutique consistait à une énucléation. Les travaux de Zimmermann et Garron en 1962 ont conclu a la nature bénigne des mélanocytomes par l’examen anatomopathologique des yeux énuclées 3. Parfois, le mélanocytome est difficile à distinguer d’un mélanome malin papillaire, d’où la nécessité d’une surveillance régulière afin d’analyser les éléments devant faire penser à une dégénérescence maligne et les modalités évolutives du mélanocytome papillaire4,5,6. Sa prévalence est inconnue. Il serait plus fréquent chez les mélanodermes par opposition à la fréquence du mélanome de la choroïde qui est très faible7. Nous rapportons 4 cas d’un mélanocytome papillaire observe à l’iota au Mali. OBSERVATIONS millimètres en nasal sur un recul de 3 ans. L’acuité visuelle était stable et l’aspect macroscopique de la tumeur restait inchangé. Après un suivi de 3ans (fig3), le diagnostic de mélanocytome papillaire à l’œil droit fut retenu et la surveillance maintenue. CAS 2 Homme de 67ans, nationalité malienne, diabétique connu depuis 7ans sous antidiabétique oral consulta pour une baisse acuité visuelle progressive des 2 yeux depuis 3 mois environ. L’examen de l’œil droit a retrouvé une acuité visuelle de 5/10, améliorable à 8/10 avec +1D, une cataracte corticale évolutive et une pression intraoculaire de 14 mm Hg. A l’œil gauche, l’acuité visuelle était réduite à compte les doigts à 1 mètre non améliorable, une cataracte blanche totale et une PIO a 15 mm Hg. L’ophtalmoscopie de l’œil droit montrait une tumeur papillaire, irrégulièrement pigmentée, qui recouvrait les 3/4 de la papille et infiltrait la rétine adjacente, les contours n’apparaissaient pas réguliers (fig4). Du fait de la cataracte, le fond d’œil gauche était inaccessible. Le bilan complémentaire a été réalisé après phakoexérèse avec implantation en chambre postérieur à l’œil gauche. Le cliché en lumière rouge montrait a l’œil droit une tumeur pigmentée localisé dans le secteur temporal supérieur de la papille. Au cours de la séquence angiographique, il n’apparut pas de réseau vasculaire intra tumoral. Au temps tardif, il n’y avait qu’une discrète hyper fluorescence dans la limite CAS 1 Un homme âgé de 30ans, nationalité togolaise, sans antécédents particuliers consulta pour une dyschromatopsie des 2 yeux depuis 2 ans. L’acuité visuelle était de 10/10 aux deux yeux. L’examen du segment antérieur était normal. On notait au fond de l’œil droit une tumeur pigmentée, légèrement surélevée, occupant les deux tiers de la papille sur son versent nasal. La tumeur recouvrait en partie les vaisseaux papillaires et débordait sur la rétine en dedans et en supérieur avec un aspect fibrillaire des berges en «plume de canard» (fig1). Le fond d’œil gauche était normal. Au cours de la séquence angiographique, on notait une hypo fluorescence de la tumeur et une absence de réseau vasculaire intra tumoral (fig2). La portion de la papille non infiltrée par la tumeur restait légèrement hyper fluorescente. Au temps tardif, il n’y avait pas de diffusion de colorant. L’angiographie de l’œil gauche était normale. Le champ visuel de Goldmann réalisé, objectivait un élargissement de la tache aveugle. Le Potentiel Evoqué Visuel et le test des 15 HUES dé saturé était sans anomalies. Au terme de ce bilan d’une tumeur pigmentée papillaire révélée par une dyschromatopsie, le problème diagnostique entre mélanocytome, naevus et mélanome malin de la papille restait posé. Dans l’incertitude, nous avons opté pour une surveillance rapprochée. Ces contrôles réguliers montrèrent en angiographie une légère progression de la tumeur de quelques Le mélanocytome papillaire... 35 Revue SOAO - n° 02 - 2008, pp. 34-40 nasale de l’infiltration tumorale (fig5). L’angiographie de l’œil gauche était normale. Le champ visuel de Goldmann montrait un élargissement de la tache aveugle à droite. CAS 3 Homme de 63ans, nationalité malienne, sans antécédents connus consulta pour une douleur à l’œil gauche depuis une semaine environ. L’acuité visuelle sans correction de l’œil droit était de 10/10, sans anomalie du segment antérieur et 3/10 à l’œil gauche non améliorable avec une kératite stromale. La pression intraoculaire était de 12 mm Hg pour l’œil droit et non pris à l’œil gauche à cause de la lésion cornéenne. L’examen du fond d’œil droit montrait une tumeur papillaire, irrégulièrement pigmentée, qui recouvrait la 1/2 inférieure de la papille et infiltrait la rétine adjacente avec un contour irrégulier. Le fond d’œil gauche était normal. Le bilan a été réalisé après le traitement de la kératite. L’angiographie montrait à droite une tumeur pigmentée masquant la 1/2 de la papille ainsi que l’émergence des vaisseaux (fig6). Il n’y avait pas de diffusion au temps tardif (fig7). L’angiographie de l’œil gauche était normale. Le champ visuel de Goldmann montrait un élargissement de la tache aveugle à droite. Le diagnostic de mélanocytome de la papille de l’œil droit fut retenu. CAS 4 Homme de 32 ans, nationalité malienne, sans antécédents connu, consulta pour prurit oculaire bilatérale depuis 2 mois environ. L’acuité visuelle sans correction était de 10/10 aux deux yeux. L’examen du segment antérieur était normal. La pression intraoculaire était de 12 mm Hg aux deux yeux. L’ophtalmoscopie de l’œil droit montrait une tumeur papillaire, irrégulièrement pigmentée, recouvrant presque toute la papille (fig8). Le fond d’œil gauche était normal. Le cliché en lumière rouge montrait une tumeur pigmentée qui masquait toute la papille droite. Elle débordait de façon circonférentielle sur la choriorétine adjacente avec des limites peu précises. A la fluorescéine, la pigmentation recouvrait en partie les vaisseaux rétiniens avec un halo d’hyper fluorescence en nasal (fig9). L’angiographie de l’œil gauche était normale. Le champ visuel de Goldmann montrait un élargissement de la tache aveugle à droite. Au terme de ce bilan on a conclu à un mélanocytome de la papille de l’œil droit devant l’aspect clinique caractéristique. DISCUSSION Les 4 malades ont été suivis au Mali à l’Institut d’Ophtalmologie tropicale de l’Afrique. La population malienne est essentiellement de race noire. Bien que l’essentiel de la bibliographie ne soit constitué que d’observation clinique isolée, il apparaît cependant que le mélanocytome est plus fréquemment rencontré chez des patients de race noire7. La littérature Américaine montre une nette prédisposition chez les sujets afro-américains8. La série de Zimmermann et Garron en 1965 comprenait 18 cas dont 9 patients (50%) de race noire3. Joffe et al trouvèrent que 15 des 40 patients (37%) étaient de race noire9. En 29 ans (entre 1974 et 2003), au Wills Eye Hospital à Philadelphie, un tiers des patients (29%) étaient de races noires et 2/3 (65%) de race blanche parmi les 115 cas observés 10. En Europe, ces proportions différent de celles des Etats Unis ou sur 20 cas, un seul était d’origine nord africaine8 La prévalence du mélanocytomes reste inconnue. Malgré sa relative rareté par rapport au mélanome (70 mélanocytomes/3000 mélanomes au Wills eyes hospital et 20mélanocytomes/4000mélanomes de l’hôpital Jules Gaunin de Lausane), les données ne permettent pas un calcul par analogie de la prévalence des mélanocytomes. La prédisposition du mélanocytome et la relative rareté du mélanome sont des éléments épidémiologiques importants pour le diagnostic étiologique parfois difficile d’une tumeur noire de la rétine au sein de la population mélanoderme8. Les mélanocytomes de la papille sont un peu plus fréquents chez les femmes (62%)7 contrairement à nos 4 cas. L’âge moyen de leur diagnostic est situé entre la 4ème et 5ème décade de vie. Toutefois, trois cas de tumeurs bilatérales ont été rapportés chez des enfants, dont deux étaient associées à des anomalies du système nerveux central11. F. Sylla et al. 36 Revue SOAO - n° 02 - 2008, pp. 34-40 On ignore si les mélanocytomes sont des tumeurs congénitales. La découverte chez l’adulte et les exceptionnelles observations chez les enfants, ainsi que la description d’un mélanocytome apparu de façon spontanée chez un adulte, plaideraient en faveur de l’origine acquise et non pas congénitale de cette tumeur12,13 La plupart des mélanocytomes de la papille sont fortuite : 86 cas (76%) parmi les 115 de la série de Shields et all10. Certaines tumeurs peuvent être découvertes à la suite d’une diminution de l’acuité visuelle tel était le cas de notre second patient, de la perception de phosphènes, voire exceptionnellement lors de la survenue d’une oblitération de la veine centrale de la rétine14, d’une neuropathie de Leber15 ou d’un glaucome néo vasculaire16. Il s’agit en règle générale d’une tumeur unilatérale. Dans la plupart des cas, l’aspect clinique est suffisamment caractéristique pour poser le diagnostic. La tumeur est de coloration noire ou brune uniforme. Elle siège préférentiellement de manière excentrique par rapport à la papille. La lésion reste confinée à la papille dans 40% des cas et infiltre la choroïde dans 54%, la rétine dans 6% et les deux dans 24%. Mis à part la surface de la papille, les mélanocytomes peuvent également se développer dans tous les tissus uvéaux, en particulier l’iris et le corps ciliaire. Les bords de la tumeur apparaissent filamenteux en raison de l’infiltration de la lésion entre les fibres nerveuses rétiniennes7. En angiographie à la fluorescéine, le mélanocytome est hypo fluorescent et masque les structures sous-jacentes17. L’aspect fibrillaire du bord tumoral est particulièrement bien visible à l’angiographie fluorescéinique et constitue un des signes cliniques caractéristique. L’ultrasonographie B permet de mesurer l’épaisseur tumorale, l’imagerie Doppler couleur atteste de la quasi absence de vaisseaux intra tumoraux et l’IRM permet de détecter et d’évaluer l’étendue d’une éventuelle invasion tumorale rétrobulbaire8. Elle permet également de faire la différence entre un mélanome malin et un mélanocytome18. Sur le plan histologique, les mélanocytomes sont constitués de cellules très pigmentées, rondes, uniformes au cytoplasme abondant, et avec des petits noyaux centraux. L’activité mitotique est exceptionnelle7,19. Cependant, une croissance très lente de la tumeur est possible comme dans le 1er cas. Shields et all ont noté une augmentation de taille de 11% des mélanocytomes à 5 ans et de 32% à 10 ans10. Malgré un potentiel évolutif reconnu comme faible, quelques observations de transformation maligne ont été rapportées. Meyer et al6 ont décrit le cas d’une femme âgée de 65 ans d’origine caucasienne suivie pendant 6 ans, initialement caractéristique d’un mélanocytome, la tumeur papillaire avait progressivement augmentée de taille, change de couleur et à sa surface était apparue une hyper vascularisation. L’examen histologique avait mis en évidence conjointement un mélanome et un mélanocytome papillaire ainsi qu’un mélanocytome du corps ciliaire. Dans l’observation de Shields20, il s’agissait d’un patient, âgé de 61 ans, suivi pendant 9 ans. L’examen histologique avait mis en évidence un mélanome épi papillaire associé à un mélanocytome papillaire et choroïdien juxta papillaire. CONCLUSION Ces quatre cas de mélanocytomes ont été rapportes à l’Institut d’Ophtalmologie Tropicale de Afrique parmi les consultants. L’attitude thérapeutique à consistée à une surveillance régulière. Bien que les mélanocytomes papillaires soient plus fréquents chez les mélanodermes il faut savoir évoquer le diagnostic devant l’aspect clinique caractéristique de cette tumeur et effectuer une surveillance régulière, clinique et angiographique annuelle car la croissance et la transformation maligne sont possibles. Le mélanocytome papillaire... 37 Revue SOAO - n° 02 - 2008, pp. 34-40 REFERENCES 11.Walsh TJ, packers s. Bilateral melanocytoma of the optic nerve associated with intracranial meningioma. Ann. Ophtalmol, 1971;3:885-8 1.Hajji Z, charif chefchaouni m, Chaoui Z, Agnaou L, Berrahoa A. Difficultés diagnostiques face à une tumeur pappillaire pigmentée. A propos d’un cas, JFr Ophtalmol.2005;28(6):614-17 12. Shields JA, Shields CL, piccone m, snadymccoy lc. 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Sylla et al. 38 Revue SOAO - n° 02 - 2008, pp. 34-40 annexes cas 1 Fig1 : Au début od: tumeur pigmentée papillaire Fig 2 : Masquage à la fluo aspect angiographique Fig 3 : 3 ans plus tard aspect évolutif (3 ans plus tard) cas 2 Couleur : fig4 fond d’oeil droit : tumeur papillaire, irrégularité pigmentée, recouvrant les3/4 de la papille Fluo : fig5 discrète hyperfluorescence dans la limite nasale de l’infiltration tumorale Le mélanocytome papillaire... 39 Revue SOAO - n° 02 - 2008, pp. 34-40 cas 3 Couleur : Fig6 od tumeur pigmentée masquant la 1/2 de la papille ainsi que l’émergence des vaisseaux Fluo : Fig7 absence de diffusion au temps tardif cas 4 Fig. 9 A la fluo, la pigmentation recouvrait en partie les vaisseaux rétiniens avec un halo d’hyperfluorescence en nasal Couleur : Fig. 8 od : tumeur papillaire irrégulièrement pigmentée, recouvrant presque toute la papille F. Sylla et al. 40