INTERÊT DE LA TOMOGRAPHIE EN COHERENCE
OPTIQUE DANS LA SURVEILLANCE D’UN
MELANOCYTOME PAPILLAIRE
CHEOUR M*, MAZLOUT H*, BROUR J*
RESUME
Introduction: Le mélanocytome papillaire est une tu-
meur bénigne qui bien qu’étant exceptionnellement
susceptible de subir une transformation maligne, jus-
tifie un suivi régulier.
Cas clinique: Nous rapportons l’observation d’une
patiente de 42 ans qui présentait à l’œil gauche une
tumeur pigmentée brun foncé, occupant les 3/4 de
la surface de la papille optique et qui grâce à l’ima-
gerie par tomographie en cohérence optique (OCT),
a pu être différenciée d’un mélanocytome de la pa-
pille optique.
Conclusion: Les tumeurs pigmentées de la tête du
nerf optique sont rares et posent un fréquent pro-
blème diagnostique. Une surveillance ophtalmolo-
gique doit être préconisée afin de déterminer le ca-
ractère bénin ou malin de la lésion tumorale. La to-
mographie en cohérence optique représente une tech-
nique précieuse aussi bien pour le diagnostic que
pour le suivi de ce type de lésion.
ABSTRACT
Introduction: Melanocytoma of the optic disc is a
stable condition that unfrequently undergoes malig-
nant transformation.
Case report: We reported the case of a 42-year-old
woman who presented with a pigmented tumoral le-
sion of the optic disc in her left eye. We described
its characteristics in optical coherence tomography
(OCT).
Conclusion: Patients with pigmented tumors of the
optic disc should have a periodic monitoring. OCT
may be helpful in the difficult differential diagnosis
between malignant and benign tumor and the mon-
itoring of this lesion.
MOTS CLES
Melanocytome de la papille optique,
transformation maligne, tomographie en
cohérence optique
KEY WORDS
Optic disc melanocytoma, malignant
transformation, optic coherence tomography.
zzzzzz
Habib Thameur Hospital
Tunis, Montfleury, Tunisie
Soumis : 20-04-11
Accepté : 18-05-11
25
Bull. Soc. belge Ophtalmol., 318, 25-30, 2011.
INTRODUCTION
Les mélanocytomes papillaires sont des tumeurs
bénignes rares composées d’une variante de
cellules næviques fortement pigmentées et vo-
lumineuses se développant à partir des méla-
nocytes. Ils peuvent siéger au niveau de plu-
sieurs structures intraoculaires mais ont une
prédilection pour la papille optique (1).
Ce type de lésion tumorale pose un problème
de diagnostic différentiel avec les mélanomes
malins papillaires. Son évolution peut-être
émaillée par l’éclosion de diverses complica-
tions oculaires et d’une transformation mali-
gne, justifiant l’importance d’une surveillance
rigoureuse.
Le but de ce travail est de souligner à travers
un cas clinique, l’apport de la tomographie en
cohérence optique (OCT) dans la prise en char-
ge de cette affection.
CAS CLINIQUE
Notre observation concerne une patiente de 42
ans, mélanoderme, qui nous a consultés pour
une baisse de l’acuité visuelle (AV) de près en
rapport avec une presbytie. Lors de l’examen
réalisé à ce moment, son AV était de 10/10 de
loin (échelle de Snellen), Parinaud 2 de près
avec une addition de +1,00 D aux deux yeux.
Les réflexes photomoteurs étaient présents et
symétriques. L’examen du segment antérieur
était normal de même que la mesure de la pres-
sion intraoculaire.
L’examen du fond d’œil gauche a révélé la pré-
sence d’une tumeur pigmentée, de deux dia-
mètres papillaires environ, à contours irrégu-
liers, occupant les trois quarts de la surface du
disque optique et s’étendant à la région péri-
papillaire inférieure (Figure 1). Le fond d’œil
droit était quant à lui normal.
L’angiofluorographie rétinienne a permis d’ob-
jectiver une hypofluorescence, en rapport avec
un effet masquage de la tumeur ; cet aspect qui
persistait tout au long de la séquence angio-
graphique, était associé à une hyperfluorescen-
ce de la partie indemne de la papille. Un ré-
seau vasculaire intratumoral n’a pas pu être vi-
sualisé. Il n’existait en outre pas de modifica-
tion de la circulation rétinienne ou choroïdien-
ne péripapillaire (Figure 2).
L’échographie ultrasonographique en mode B
a révélé la présence d’une faible saillie papil-
laire hyperéchogène sans extension rétrobul-
baire (figure 3).
Le champ visuel automatisé réalisé à l’aide du
périmètre Octopusta objectivé la présence à
l’œil gauche d’un scotome annulaire sévère ne
laissant qu’une petite épargne centrale macu-
laire et temporale (figure 4).
L’OCT a mis en évidence une hyporéflectivité
tumorale surmontée d’une rétine amincie, irré-
gulière et hyperréflective et une limitante inter-
ne hyperréflective, décollée et épaissie. La ré-
tine et la choroïde adjacentes conservaient un
aspect tomographique normal et ne montraient
en particulier, pas de signes d’œdème rétinien,
ni la présence de liquide sous-rétinien (Figures
5aet5b).
Fig 1. Photo du fond d’œil gauche montrant la tumeur pa-
pillaire
Fig 2. Fluoangiographie rétinienne montrant un effet masque
de la tumeur associé à une hyperfluorescence de la partie
indemne de la papille.
26
L’imagerie par résonance
magnétique de la région or-
bito-cérébrale s’est révélée
normale. Une surveillance
clinique comprenant une
mesure de l’AV, des photo-
graphies du fond d’œil et
une imagerie OCT a été en-
treprise trimestriellement.
Avec un recul d’un an, l’AV,
l’aspect ophtalmoscopique
de la tumeur et l’imagerie
OCT sont restés inchangés.
DISCUSSION
Le mélanocytome papillai-
re est une affection qui sur-
vient préférentiellement
chez les mélanodermes et
montre une légère prédo-
minance féminine (62-
63%) (1, 2, 3, 4, 5, 6).
L’acuité visuelle des yeux
atteints de ce type de lé-
sion est souvent conservée.
Cependant, l’évolution peut
être émaillée de complica-
tions à type de neuropathie optique compres-
sive, d’œdème rétinien, d’exsudats, d’hémor-
ragies localisées, de pigments vitréens, d’oc-
clusions vasculaires rétiniennes et de nécrose
tumorale spontanée. Une transformation mali-
gne responsable de troubles visuels a été rap-
portée dans 2% des cas environ (6, 7, 8).
Le mélanocytome papillaire a pendant long-
temps, fait l’objet d’énucléations systémati-
ques. Ce n’est qu’en 1962, grâce aux travaux
de Zimmerman et Garon, que le caractère bé-
nin de cette tumeur a été démontré et que dès
lors, cette lésion ne justifiait plus d’énucléa-
tion (9). Néanmoins, il n’est pas toujours aisé
de faire une distinction nette entre un mélano-
cytome et un mélanome malin papillaire.
En effet, l’échographie en mode B et l’imagerie
par résonnance magnétique sont peu contribu-
tives à la surveillance ou au diagnostic diffé-
rentiel d’avec les mélanomes puisqu’elles ne
peuvent pas détecter les extensions microsco-
piques de la tumeur (8).
Fig 3. Echographie B montrant une faible saillie papillaire
hyperéchogène sans extension rétrobulbaire.
Fig 4: Champ visuel automatisé de l’œil gauche réalisé à l’aide du périmètre Octo-
pus de l’œil gauche et objectivant un large scotome annulaire absolu avec épargne
d’un ilot central et temporal.
27
Fig. 5 a (en haut) et b (en bas): où l’OCT montre une hyperréflectivité irrégulière de la surface tumorale surmontée par
une rétine désorganisée et hyperréflective et un ombrage des structures sous-jacentes.
28
De même, la fluoroangiographie rétinienne ne
permet pas de visualiser les détails de la struc-
ture tumorale puisque le pigment contenu dans
le mélanocytome peut bloquer la réflexion à la
surface de la tumeur (4). Certains auteurs lui
associent l’angiographie au vert d’indocyanine
qui montre également une hypofluorescence tu-
morale persistant tout au long de la séquence
angiographique (6). Une diffusion tardive peut
être observée en cas d’œdème papillaire ou
d’œdème sous-rétinien associé à la tumeur mais
elle ne doit pas être considérée à tort comme
un aspect en faveur d’une transformation ma-
ligne (6).
L’OCT présente un double intérêt, diagnosti-
que et pronostique : diagnostique en premier
lieu, en mettant en évidence un aspect carac-
téristique du mélanocytome sous la forme d’une
hyperréflectivité irrégulière de la surface tumo-
rale surmontée par une rétine désorganisée et
hyperréflective et un ombrage des structures
sous-jacentes (10, 11) et surtout en permet-
tant un dépistage précoce d’une éventuelle trans-
formation maligne ; pronostique, en second
lieu, car cette technique d’imagerie donne la
possibilité de détecter une extension de la tu-
meur au moyen de mesures précises de la taille
de la tumeur dans les plans horizontal et ver-
tical, de mettre en évidence la survenue de
complications. L’OCT permettra enfin d’éviter
les énucléations abusives dans les cas de faux
diagnostics de mélanome malin.
En cas de transformation maligne, l’OCT peut
visualiser une interruption de la membrane li-
mitante interne ou une désorganisation réti-
nienne en regard de la tumeur, ou encore une
compression et une infiltration du nerf opti-
que. Elle peut également objectiver une exten-
sion tumorale à la rétine, à l’épithélium pig-
mentaire rétinien. L’OCT n’a toutefois pas de
valeur pour l’évaluation du tissu choroïdien, et
ne permet donc pas d’analyser l’importance de
l’infiltration d’un mélanocytome à ce niveau
(11). Une étude rétrospective récente a mon-
tré que les données de l’OCT peuvent être di-
rectement corrélées aux caractéristiques histo-
pathologiques de la tumeur. L’atrophie opti-
que d’origine compressive et la dégénérescen-
ce axonale qui s’ensuivent sont mises en évi-
dence par l’OCT et confirmées par l’étude his-
tologique (11).
Enfin, les OCT de dernière génération de haute
résolution ont mis en évidence la présence d’une
hyperréflectivité et d’un épaississement locali-
sés de la couche de l’épithélium pigmentaire
rétinien qui pourraient être en rapport avec une
hyperplasie réactionnelle de l’épithélium pig-
mentaire ou une migration des mélanocytes
uvéaux vers l’épithélium pigmentaire de la ré-
tine (12).
CONCLUSION
Le mélanocytome de la papille optique est une
tumeur généralement bénigne qui peut entraî-
ner diverses complications et qui bien qu’étant
exceptionnellement susceptible de subir une
transformation maligne, justifie un suivi régu-
lier. L’OCT peut contribuer de manière très ef-
ficace au diagnostic et au suivi de ce type de
lésion.
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