CORRIGÉ
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LE THÉÂTRE : TEXTE ET REPRÉSENTATION • SUJET 15
schéma tournant sans fin « un contre deux » (Inès contre Garcin et Estelle,
Estelle contre Garcin et Inès, etc.), concentré dans la réplique d’Inès : « Le
bourreau, c’est chacun de nous pour les deux autres. »
En cascade… : les ressources d’une intrigue compliquée,
le « nœud » de l’action
La construction peut se complexifier et les conflits s’enchaîner en cascade,
créant ainsi un « nœud » (on parle bien du nœud dramatique) qui maintient
l’intérêt. La tragédie de Corneille Nicomède propose un modèle de lutte
complexe, où trois personnages s’affrontent : Nicomède, Prusias, Flaminius.
Prusias, roi de Bithynie, a peur de Nicomède (son fils d’un premier mariage)
trop puissant, qu’il a éloigné du trône ; il craint aussi Rome trop impérialiste,
représentée par l’ambassadeur Flaminius. Prusias a intérêt à susciter un
affrontement entre ses deux « ennemis », ce qui se produit quand il les
confronte : en effet tous deux sont venus chercher Laodice, la reine
d’Arménie, l’un pour en faire sa femme, l’autre pour la marier à Attale, élevé
à Rome dans les principes romains ; Nicomède insulte Flaminius ; Flami-
nius sape l’entente familiale jusqu’au point de rupture. Un conflit en entraîne
ainsi d’autres qui s’enchaînent.
Ou à un… : les ressources du monologue
Le conflit – notamment amoureux – peut même être intérieur, vécu par un
seul personnage, dans le secret, comme un déchirement, avant l’aveu.
Racine met en scène une femme, Phèdre, habitée de deux aspirations
contraires : la passion pour son jeune beau-fils Hippolyte («Vénus tout
entière à sa proie attachée ») et la volonté de pureté et de fidélité à son
époux Thésée. Le théâtre, avec sa convention du monologue très intense,
offre à Racine l’occasion d’analyser dans ses mouvements les plus com-
plexes ce déchirement intérieur et les ressorts de la passion ; les
monologues de délibération, de torture intime, qui pourraient ennuyer le
spectateur, en prennent une force et une intensité aussi poignantes qu’un
dialogue animé :
« Le voici. Vers mon cœur tout mon sang se retire.
J’oublie en le voyant, ce que je viens lui dire » (II, 5).
« Ô toi, qui vois la honte où je suis descendue,
Implacable Vénus, suis-je assez confondue ? » ( (III, 2)
L’affrontement prend alors une forme particulière, selon qu’à différents
moments l’une ou l’autre de ces aspirations opposées domine et que, l’une
prédominant, au moment de l’aveu, l’autre est écrasée, jusqu’à une conclusion
mortelle : le conflit a déchiré le personnage qui en est le champ de bataille.
À l’extrême, La Voix humaine de Jean Cocteau consiste en une longue
conversation téléphonique d’une jeune femme désespérée dont on n’entend
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