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Attention ! Les indications en couleur ne sont qu’une aide à la lecture et ne
doivent pas figurer dans votre rédaction.
Introduction
Curieusement, dans le théâtre grec, le mot qui désignait l’action d’une
pièce : agôn signifiait aussi le « jeu », le « concours », la « lutte », le
« combat » ; ce terme marquait clairement que le conflit, ainsi que sa
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concrétisation – l’affrontement – sont primordiaux au théâtre. Pascal, au
XVIIe siècle, va dans le même sens quand il affirme : « Les scènes
contentes » (c’est-à-dire les scènes où les personnages sont en harmonie)
« ne valent rien ».
Le texte théâtral exploite une gamme de conflits et d’affrontements très
large par la diversité des forces en présence, des enjeux, des champs
d’action ou des issues. Mais c’est à la représentation que ces antagonismes
donnent toute leur mesure, parce qu’elle permet de rendre ce type de situa-
tions concrètement visible, audible, et par là plus frappant que dans les
autres genres littéraires, comme le roman.
La représentation, création collective d’un auteur, d’une troupe, mais aussi
de « techniciens », offre un large éventail de moyens pour mettre en valeur
ces situations : dramaturgiques d’abord, ressources de mise en scène,
techniques enfin ou scénographiques.
I. Les moyens dramaturgiques : à la base, est le texte. Les
« ressources » de l’auteur
Le conflit est une « base » intéressante pour un dramaturge parce qu’il pré-
sente des cas de figures multiples : parfois il oppose plusieurs individus,
parfois il est intérieur et déchire un être ; parfois il dresse un être contre un
groupe ou une société, ou encore contre une puissance mystérieuse. Par
ailleurs, les sources du conflit offrent une variété presque inépuisable.
1. Le conflit entre individus : jouer sur le nombre
de personnages…
Le corpus présente des conflits qui mettent face à face plusieurs
personnages unis par des liens de différentes natures : lien familial (deux
sœurs chez Anouilh, un frère et une sœur chez Koltès), lien social (un maître
et son valet chez Marivaux), lien politique (un dirigeant politique et son
secrétaire chez Sartre)…
Le choix des personnages théâtraux, mais aussi leur nombre, permettent à
l’auteur de mettre en relief les conflits et affrontements. Le dramaturge peut
jouer, pour mettre en relief un conflit ou un affrontement, sur le nombre de
personnages qui s’opposent : à deux, à trois, en cascade ou… seul.
À deux… : le cas du conflit amoureux, le potentiel dramatique
du « couple » de personnages
Le corpus ne présente aucun exemple du conflit le plus courant au théâtre :
le conflit amoureux qui, en mettant en jeu deux amants, permet au drama-
turge d’explorer toute la gamme des sentiments et toutes les facettes du
comportement humain : de la jalousie à l’explosion de colère, de la duplicité
à la noirceur (d’un Néron, par exemple), de la ruse à l’euphorie de la
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victoire… Dans Le Misanthrope de Molière, Alceste, pourtant amoureux de
Célimène, se dresse contre elle, et sa jalousie le pousse à l’affronter pour la
quereller ; au cours de ces « scènes » (au sens sentimental du terme), Céli-
mène arrive à maîtriser Alceste en le réduisant à l’obéissance. Cette lutte
d’influence va d’une tension extrême à un apaisement final et fait passer le
spectateur par diverses émotions totalement opposées : qu’on en juge en
mettant en regard le début et la fin de la scène 3 de l’acte IV :
ALCESTE (à Célimène) : Que le sort, les démons et le Ciel en courroux
N’ont jamais produit de si méchant que vous […]
[…] Ah ! rien n’est comparable à mon amour
extrême…
Le conflit amoureux peut aussi prendre la forme de la rivalité et dresser l’un
contre l’autre deux prétendants à un même « objet » de leur amour. Beau-
marchais construit son Mariage de Figaro sur ce schéma : le comte
Almaviva a des visées sur la servante Suzanne, promise – elle doit se marier
quand le rideau s’ouvre – au valet Figaro qui se trouve obligé de défendre
sa fiancée contre celui qui avait juré de la lui donner : « Non, Monsieur le
Comte, vous ne l’aurez pas ! » L’affrontement ne se fait alors pas directe-
ment mais par ruses – de Figaro, de Suzanne et de la comtesse – et aboutit,
trois fois de suite, à la mise en échec du comte : cela permet à Beaumar-
chais de « jouer au yoyo » avec les nerfs du spectateur.
Ce type de rivalité sert de ressort tant à la comédie qu’à la tragédie et se
double parfois d’une lutte pour le pouvoir. Dans Britannicus de Racine, une
double rivalité oppose Néron et Britannicus. Néron enlève à son demi-frère
son amante Junie en même temps qu’il lui ravit l’empire, par usurpation ;
Britannicus, entré au palais, se fait arrêter ; le conflit explose alors et se
concrétise par un affrontement, masqué d’abord, puis ouvert, à rebondisse-
ments. Le conflit se résout tragiquement par un meurtre.
À trois… : les ressources d’une structure en chaîne
Le conflit peut aussi se jouer à trois, voire plus, compliquant ainsi la struc-
ture dramaturgique, et par cette multiplication rendre plus intense la
représentation de ce type de situations. Sartre, à propos de sa pièce Huis
clos, explique que lui est venue « l’idée de mettre (ses trois personnages)
en enfer et de les faire chacun le bourreau des deux autres » (texte dit par
l’auteur en préambule à l’enregistrement de la pièce en 1965). Garcin, le
journaliste fusillé pour son pacifisme ; Inès, l’employée des postes qui, sur
terre, a brisé le couple de sa meilleure amie ; Estelle, qui a commis le
meurtre d’un enfant, sont au centre d’un infernal nœud d’intérêts qui rend
toute combinaison unique entre deux « clans » définis (deux contre un)
impossible : la pièce repose sur des affrontements successifs, sur un
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schéma tournant sans fin « un contre deux » (Inès contre Garcin et Estelle,
Estelle contre Garcin et Inès, etc.), concentré dans la réplique d’Inès : « Le
bourreau, c’est chacun de nous pour les deux autres. »
En cascade… : les ressources d’une intrigue compliquée,
le « nœud » de l’action
La construction peut se complexifier et les conflits s’enchaîner en cascade,
créant ainsi un « nœud » (on parle bien du nœud dramatique) qui maintient
l’intérêt. La tragédie de Corneille Nicomède propose un modèle de lutte
complexe, où trois personnages s’affrontent : Nicomède, Prusias, Flaminius.
Prusias, roi de Bithynie, a peur de Nicomède (son fils d’un premier mariage)
trop puissant, qu’il a éloigné du trône ; il craint aussi Rome trop impérialiste,
représentée par l’ambassadeur Flaminius. Prusias a intérêt à susciter un
affrontement entre ses deux « ennemis », ce qui se produit quand il les
confronte : en effet tous deux sont venus chercher Laodice, la reine
d’Arménie, l’un pour en faire sa femme, l’autre pour la marier à Attale, élevé
à Rome dans les principes romains ; Nicomède insulte Flaminius ; Flami-
nius sape l’entente familiale jusqu’au point de rupture. Un conflit en entraîne
ainsi d’autres qui s’enchaînent.
Ou à un… : les ressources du monologue
Le conflit – notamment amoureux – peut même être intérieur, vécu par un
seul personnage, dans le secret, comme un déchirement, avant l’aveu.
Racine met en scène une femme, Phèdre, habitée de deux aspirations
contraires : la passion pour son jeune beau-fils Hippolyte («Vénus tout
entière à sa proie attachée ») et la volonté de pureté et de fidélité à son
époux Thésée. Le théâtre, avec sa convention du monologue très intense,
offre à Racine l’occasion d’analyser dans ses mouvements les plus com-
plexes ce déchirement intérieur et les ressorts de la passion ; les
monologues de délibération, de torture intime, qui pourraient ennuyer le
spectateur, en prennent une force et une intensité aussi poignantes qu’un
dialogue animé :
« Le voici. Vers mon cœur tout mon sang se retire.
J’oublie en le voyant, ce que je viens lui dire » (II, 5).
« Ô toi, qui vois la honte où je suis descendue,
Implacable Vénus, suis-je assez confondue ? » ( (III, 2)
L’affrontement prend alors une forme particulière, selon qu’à différents
moments l’une ou l’autre de ces aspirations opposées domine et que, l’une
prédominant, au moment de l’aveu, l’autre est écrasée, jusqu’à une conclusion
mortelle : le conflit a déchiré le personnage qui en est le champ de bataille.
À l’extrême, La Voix humaine de Jean Cocteau consiste en une longue
conversation téléphonique d’une jeune femme désespérée dont on n’entend
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qu’une partie : les répliques de son interlocuteur ne sont pas retranscrites,
mais suggérées par celles de la jeune femme. L’affrontement n’en devient
que plus poignant.
2. Le conflit entre l’individu et un groupe ou une société :
le jeu des contrastes et les oppositions d’identité
Le dramaturge, pour représenter les conflits ou les débats de façon frap-
pante, peut varier les cas de figures entre les personnages. Ainsi il peut
jouer sur l’opposition entre un individu et un groupe ou une société tout
entière, opposition dont les formes sont très variées.
Le conflit social, le conflit de classe : le jeu des contrastes
Le personnage dramatique se « bat » souvent contre ceux qui le briment
socialement. La rivalité amoureuse sur laquelle repose, comme nous l’avons
vu, Le Mariage de Figaro, s’élargit et se double d’un conflit de classe : c’est à
« Monsieur le Comte », au « grand seigneur » que s’adresse le valet dans son
long monologue, mais aussi, à travers lui, à « ces puissants […] si légers sur
le mal qu’ils ordonnent » et aux « gens en place ». Sa harangue – en solitaire
– à des ennemis qu’il défie… en leur absence ( !) le dresse – virtuellement –
seul face à ceux qui ne se sont donné que « la peine de naître et rien de
plus » : « noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! ». Ce
sont les valets contre les maîtres qui dynamisent l’intrigue dramatique, depuis
la comédie antique ou les farces de Molière jusqu’aux compagnons d’Arle-
quin – les ex-esclaves – contre ceux d’Iphicrate – les ex-maîtres –, en passant
par les nombreuses combinaisons maîtres-valets dans les comédies de Mari-
vaux. C’est surtout le théâtre de contestation du XVIIIe siècle qui tire parti de ce
cas de figure. Cependant le théâtre contemporain, par exemple Les Bonnes
de Jean Genet, réactualise ce type de conflit : Solange et Claire se révoltent
intérieurement contre Madame, au point de vouloir l’empoisonner. Leur dia-
logue sur scène, mais aussi leurs apartés – impossibles dans un roman par
exemple – rendent compte de cet antagonisme profond.
Mais ce peut être aussi le groupe des femmes qui revendiquent leurs droits
à participer à la vie sociale dans La Colonie de Marivaux :
ARTHÉNICE (aux hommes). – Nous voulons nous mêler de tout, être
associées à tout, exercer avec vous tous les emplois, ceux de finance,
de judicature et d’épée. […]
MADAME SORBIN. – De même qu’au palais à tenir l’audience, à être pré-
sidente, conseillère, intendante, capitaine ou avocate.
UN HOMME. – Des femmes avocates ?
Ces affrontements, « joués » devant un large public, mettent sous les yeux
de tous le débat d’idées et invitent à la réflexion sur les inégalités criantes
de la société.
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