OCTOBRE 2006 _ PHARMACEUTIQUES
Unanimement, chercheurs,
industriels et institutions
déplorent « une excellence
dispersée dans les domaines de la
recherche et de l’innovation » en
Europe. Jean-François Dehecq,
pdg de Sanofi-Aventis, souligne à
la fois les dépenses limitées de
l’Europe en R&D comparées à
celles de ses concurrents, la fuite
des cerveaux et les
investissements des entreprises
françaises en recherche aux Etats-
Unis*. L’Union européenne
constate de son côté que 80 % de
la recherche publique est menée
au niveau national dans le cadre
de programmes de recherche
nationaux ou régionaux. C’est sur
constat qu’elle a décidé la création
d’un Espace européen de la
recherche (EER) en 2000, qui
s’appuie actuellement sur le
programme cadre de recherche
2002-2006. Il regroupe
l'ensemble des moyens dont
dispose la CE afin de mieux
coordonner les activités de
recherche et de faire converger
les politiques menées, tant au
niveau des États-membres que de
l'Union européenne. Une politique
de la recherche européenne est
donc en construction, de façon à
pouvoir établir de véritables
stratégies communes et relever
les défis de l’avenir. Selon la
brochure de l’UE sur l’EER, il s’agit
de « fédérer l’excellence »,
« étalonner les compétences »,
« accroître la visibilité »,
« renforcer les outils de la science
et le capital humain » et ainsi créer
une « ouverture significative sur le
monde ». Le but reste avant tout la
création d’un marché intérieur de
la recherche, vu comme un
véritable espace de libre
circulation de la connaissance, des
chercheurs et des technologies,
avec pour but de renforcer la
coopération, stimuler la
concurrence et atteindre une
meilleure allocation des
ressources.
Un nouvel élan pour la recherche
entrent tous dans une stratégie d’économie des dépenses
de santé, en hausse parce que les habitants vivent de plus
en plus longtemps, les maladies longue durée sont deve-
nues monnaie courante et les attentes des patients vont
vers les soins les plus récents et performants. Le défi est de
taille pour les systèmes de santé et entraîne des consé-
quences lourdes en termes d’attractivité et de compétiti-
vité. S’affrontent l’intérêt des Etats – des médicaments et
des soins à bas prix pour être dans la capacité de continuer
à assurer une couverture médicale performante tout en
évitant l’explosion des coûts – et des laboratoires – renta-
biliser les coûts de ces produits particulièrement coû-
teux. Résultat : l’industrie pharmaceutique a tendance à
construire une stratégie géographique où le Vieux conti-
nent n’a plus l’importance d’antan, s’attaquant en priorité
aux pays qui « rapportent », tels les Etats-Unis ou le Ja-
pon.
La « tragédie sanitaire » allemande. S’il ne semble pas
que ses initiatives soient suivies par les autres membres,
l’Allemagne symbolise ce que les laboratoires craignent
le plus. Fer de lance des stratégies de baisse des dépenses
de santé, le pays se retrouve aujourd’hui stigmatisé dans
ses procédés. La réforme lancée par Gerhard Schröder en
2003 est devenue le cauchemar des industriels avec la suite
que lui a donnée Angela Merkel. Au menu, maintien des
groupes jumbos, gel des prix jusqu’en 2008, hausse de la
TVA, instauration d’un bonus-malus ayant une influence
sur les honoraires des médecins selon leurs prescrip-
tions… Une véritable « tragédie sanitaire » selon le Verband
Forschender Arzneimittelhersteller (équivalent allemand
du Leem) qui mine toute harmonisation future des poli-
tiques européennes de santé. L’industrie pharmaceutique
allemande, déjà affaiblie par les prix de référence par
groupe thérapeutique qui mélangent allègrement prin-
ceps et génériques dans des gammes à forte consomma-
tion, prévoit des pertes importantes et menace de s’expa-
trier. Les laboratoires n’hésitent pas à déménager au
Royaume-Uni, tels Pfizer ou Merck&Co. D’autres choisis-
sent de profiter de la faiblesse relative du concurrent pour
l’absorber et atteindre la taille critique qui leur permet de
continuer les investissements en R&D. C’est ainsi que
Bayer a tout récemment avalé Schering, laissant son ad-
versaire Merck KGaA affamé et fragilisé. Résultat : les labo-
ratoires se voient contraints de rogner sur les dépenses
de R&D, de commercialisation et de marketing… misant
désormais sur les forces de vente à l’étran-
ger.
Mais comme ces mesures ne suffisaient
pas, Angela Merkel veut maintenant créer
un fonds de santé qui recevraient les coti-
sations des assurés et les redistribueraient
aux 300 caisses allemandes d’assurance-
maladie sous la forme d’une prime unique par assuré. Ce
plan strictement comptable qui devait être finalisé en sep-
tembre a été repoussé de trois mois, personne ne tombant
d’accord au sein de la coalition. La question reste donc
en suspens : le système sera-t-il toujours public ou de-
viendra-t-il privé ? Les mesures drastiques prises outre-
Rhin pourrait avoir des conséquences lourdes sur l’en-
semble du continent car « affaiblir le premier marché
européen c’est affaiblir toute l’Union européenne », sou-
ligne Bernard Lemoine, vice-président du Leem. ■
MÉLANIE MAZIÈRE
Le problème de
fixation des prix
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EUROPE DU MÉDICAMENT dossier
*pour une analyse sociologique, lire L’Europe du médicament, de Boris Hauray, Ed. Les
Presses Sciences Po, Coll. Gouvernances, (fév.2006).
* Réalités Industrielles (fév.2005), l’article de Jean-
François Dehecq « L’avenir de la recherche
européenne dans le domaine pharmaceutique »,
ed. Aska, série des Annales des Mines
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