les fractions continues

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UFR de Mathématique et d’Informatique
Magistère de Mathématique de Strasbourg
LES FRACTIONS CONTINUES
Mémoire de première année de Magistère
Présenté par Thomas Richez
Sous la direction de Christian Kassel, Directeur de recherche à l’IRMA
Année : 2010/2011
1
Les mathématiques ont des inventions très subtiles, et qui peuvent beaucoup servir
tant à contenter les curieux qu’à faciliter tous les arts
et diminuer le travail des hommes.
René descartes.
2
Table des matières
Introduction
5
Notations
7
1 Généralités
1.1 Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.2 Propriétés fondamentales des réduites .
1.2.1 Théorèmes fondamentaux . . . .
1.2.2 Corollaires . . . . . . . . . . . . .
1.3 Fractions continues à réduites positives .
1.3.1 Monotonie des suites des réduites
1.3.2 Monotonie des suites des réduites
1.3.3 Autres résultats utiles . . . . . .
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12
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15
2 Fractions continues simples et rationalité
2.1 Premiers résultats sur les fractions continues simples . . . . . .
2.2 Algorithme de décomposition en fraction continue simple . . . .
2.2.1 Présentation de l’algorithme . . . . . . . . . . . . . . . .
2.2.2 Exemple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.3 Développement en fraction continue simple finie d’un rationnel
2.4 Théorème d’approximation pour les rationnels . . . . . . . . . .
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3 Fractions continues simples et irrationalité
3.1 Convergence des fractions continues simples infinies . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.2 Développement en fraction continue simple infinie d’un irrationnel . . . . . . . .
3.3 Théorème d’approximation pour les irrationnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
26
26
27
29
4 Approximation d’un irrationnel par des rationnels
4.1 Nombres équivalents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4.2 Approximation par les réduites . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4.2.1 Théorème de meilleure approximation . . . . . . . . . .
4.2.2 Un autre théorème d’approximation . . . . . . . . . . .
4.2.3 Théorème de Hurwitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4.2.4 Compléments sur les approximations d’irrationnels . . .
4.3 Fractions continues à éléments bornés et vitesse de convergence
4.3.1 Rappels de théorie de la mesure . . . . . . . . . . . . . .
4.3.2 Théorème sur les fractions continues à éléments bornés .
31
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35
35
37
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41
41
42
42
3
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dans
dans
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le cas fini .
le cas infini
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5 Fractions continues périodiques et irrationnels quadratiques
5.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5.1.1 Premières définitions et premiers résultats . . . . . . . .
5.1.2 Théorème de Lagrange . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5.1.3 Théorème de Galois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5.2 Cas particulier des racines carrées . . . . . . . . . . . . . . . . .
5.3 Equations de Pell-Fermat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5.3.1 Recherche d’une solution particulière . . . . . . . . . . .
5.3.2 Expression des solutions positives . . . . . . . . . . . . .
5.3.3 Exemple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6 Compléments
6.1 Approche géométrique des fractions continues simples . . . . .
6.1.1 Quelques définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6.1.2 Fractions continues et diagramme de Klein . . . . . . . .
6.2 Ordre d’approximation, nombres algébriques et transcendants .
6.3 Critère de convergence des fractions continues infinies positives
6.4 Equations diophantiennes linéaires . . . . . . . . . . . . . . . .
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Remerciements
68
Bibliographie
69
4
Introduction
Qui n’a jamais entendu parler des fractions continues ? 1 Celles-ci ont été étudiées par les
plus grands mathématiciens de toute l’Histoire. On pourra citer notamment Lagrange, Galois,
Fermat, Euler, Liouville et bien d’autres encore. Aussi, la théorie des fractions continues est
déjà bien avancée et ses applications ne manquent pas. Pour vous en convaincre, il vous suffit
d’ouvrir un livre quelconque traitant de la théorie des nombres. Vous aurez alors toutes les
chances d’y découvrir une partie consacrée aux fractions continues. L’objectif de ce mémoire sera
alors d’étudier ces objets à première vue très simples mais qui recèlent bien des mystères.
La première partie constituera une introduction à cette théorie. Nous y présenterons plusieurs
résultats fondamentaux que nous utiliserons systématiquement dès la deuxième partie.
Celle-ci traitera plus particulièrement des liens existants entre les fractions continues et les
nombres rationnels. Nous verrons que tout rationnel peut être développé en une fraction continue
finie que l’on pourra qualifier de simple. Nous donnerons un algorithme permettant de développer
un rationnel en une telle fraction continue.
Puis, dans la troisième partie, nous rentrerons dans le cœur du sujet puisque nous généraliserons certains résultats aux nombres irrationnels. Dès lors, il nous sera possible d’étudier une
application fondamentale des fractions continues, à savoir l’approximation des irrationnels par
des rationnels.
La quatrième partie sera entièrement consacrée à l’étude de telles approximations et sera notamment l’occasion de répondre à la question « A quoi servent les fractions continues ? ». Nous
justifierons le fait que les fractions continues fournissent les meilleures approximations d’un irrationnel par des rationnels dans un sens que nous préciserons et avec toutes les conséquences que
cela implique. Nous serons même capable de contrôler l’erreur commise dans nos approximations.
La cinquième partie traitera quant à elle d’une classe plus particulière d’irrationnels puisqu’il s’agira d’étudier le développement en fraction continue des nombres quadratiques dont nous
démontrerons qu’il est périodique. Nous verrons dans cette même partie une autre application
plus arithmétique des fractions continues : la résolution des équations de Pell-Fermat. Il s’agit
là d’un certain type d’équations diophantiennes non linéaires. Cette partie aura une importance
historique majeure puisque l’approximation des racines carrées et la résolution d’équations diophantiennes ont été une motivation non négligeable en faveur du développement de la théorie
des fractions continues.
Enfin, l’ultime chapitre de ce mémoire apportera quelques précisions supplémentaires et notamment une approche géométrique des fractions continues. La théorie de celles-ci étant un bien
vaste sujet qui mériterait nettement plus qu’un mémoire pour le recouvrir, nous ne pourrons en
présenter tous les aspects. Les approximants de Padé, du nom du mathématicien français Henri
Padé, en sont d’ailleurs de très bons exemples. Ceux-ci permettent, à l’instar des fractions conti1. Cette question s’adresse plutôt à un public ayant quelque peu étudié les mathématiques !
5
nues simples, d’approcher une fonction analytique (holomorphe) par une fonction rationnelle
avec l’avantage notable d’avoir parfois un domaine de convergence plus large que le développement en série entière de la fonction. Il est alors possible de faire des prolongements analytiques
et d’étudier la nature de certains nombres (leur transcendance et irrationalité par exemple) en
utilisant les approximants de Padé. C’est ainsi qu’Euler démontra l’irrationalité de e en 1737.
6
Notations
Si x est un réel, on désignera par E(x) la partie entière de x.
On convient également de noter R>0 = {x ∈ R | x > 0} et R≥0 = {x ∈ R | x ≥ 0}.
De même, N∗ désignera l’ensemble des entiers naturels strictement positifs.
On notera aussi Ja, bK pour signifier {n ∈ N | a ≤ n ≤ b}.
Etant donné deux entiers p et q, on notera pgcd(p, q) leur plus grand diviseur commun.
7
Chapitre
1
Généralités
1.1
Définitions
Définition 1.1.1 (Fraction continue) : On appelle fraction continue toute expression de la
forme
1
a0 +
,
(1.1)
a1 + a + 1 1
2
a3 +...
où a0 , a1 , . . . sont des variables que l’on supposera indépendantes. Celles-ci pourront être réelles,
complexes ou plus généralement des fonctions d’une ou plusieurs variables. Les a0 , a1 , . . . sont
appelés les éléments (ou quotients) de la fraction continue.
Définition 1.1.2 (Fraction continue simple) : Une fraction continue telle que a0 ∈ Z et pour
tout n ≥ 1, an ∈ N∗ est dite simple.
Lorsqu’il n’y aura pas d’ambiguïté, une fraction continue simple sera appelée fraction continue.
Remarque 1.1.1 : Il faut savoir qu’il existe aussi des fractions continues dites généralisées. Ce
sont des expressions du même genre que les fractions continues évoquées ci-dessus en (1.1) à
la différence majeure près que les numérateurs des différentes fractions successives peuvent être
choisis quelconques et distincts les uns des autres. Toutefois, nous n’évoquerons pas ce type de
fractions continues.
Définition 1.1.3 (Fraction continue finie et infinie) : Une fraction continue dont les éléments
sont en nombre fini est dite finie. Une fraction continue qui n’est pas finie est dite infinie.
Notation 1.1.1 : Pour des questions pratiques, on notera plus simplement une fraction continue
finie
[a0 , a1 , a2 , . . . , aN ].
Tandis qu’une fraction continue infinie sera notée
[a0 , a1 , a2 , . . .].
Insistons sur le fait que nous n’avons pour l’instant défini les fractions continues que de
manière formelle. Par la suite nous donnerons des valeurs numériques aux éléments des fractions
continues. Il faudra alors s’assurer avant toute chose de la bonne définition de ces expressions et
s’interroger, en particulier, quant à la convergence ou divergence des fractions continues infinies.
Bien souvent, en cas de convergence, nous identifierons sans le préciser à chaque fois l’objet
mathématique « fraction continue » à sa valeur.
8
Définition 1.1.4 (Ordre d’une fraction continue finie) :
Une fraction continue finie [a0 , a1 , a2 , . . . , aN ] est dite d’ordre N . Elle comporte N + 1 éléments.
Définition 1.1.5 (Réduite et quotient complet d’une fraction continue finie) :
Soient [a0 , a1 , a2 , . . . , aN ] une fraction continue finie et k ∈ J0, N K un entier.
On appelle k e réduite ou encore k e quotient partiel (ou incomplet) de [a0 , a1 , a2 , . . . , aN ] la
fraction continue définie par [a0 , a1 , a2 , . . . , ak ].
On définit également le k e quotient complet de [a0 , a1 , a2 , . . . , aN ] comme étant la fraction
continue [ak , ak+1 , . . . , aN ].
Définition 1.1.6 (Réduite et quotient complet d’une fraction continue infinie) :
Soient [a0 , a1 , a2 , . . .] une fraction continue infinie et k ∈ N. Par analogie avec les fractions
continues finies, on définit la k e réduite de [a0 , a1 , a2 , . . .] par [a0 , a1 , a2 , . . . , ak ] et le k e quotient
complet de [a0 , a1 , a2 , . . .] par [ak , ak+1 , . . .].
Notation 1.1.2 : Notons le k e quotient complet de [a0 , a1 , a2 , . . . , aN ] par
rk = [ak , ak+1 , . . . , aN ].
(1.2)
De même pour les fractions continues infinies, on notera le k e quotient complet de [a0 , a1 , a2 , . . .]
par
rk = [ak , ak+1 , . . .].
(1.3)
Remarque 1.1.2 : La k e réduite d’une fraction continue (finie ou infinie) ne dépend que de ses
k + 1 premiers éléments a0 , a1 , . . . , ak .
Proposition 1.1.1 (Premiers résultats immédiats) : Toute réduite d’une fraction continue
finie ou infinie est une fraction continue finie. De même tout quotient complet d’une fraction
continue finie est une fraction continue finie alors que tout quotient complet d’une fraction continue infinie est une fraction continue infinie.
Démonstration. Ceci découle directement de la définition des réduites et des quotients complets.
Exemple 1.1.1 (Fraction continue finie simple) : Considérons la fraction continue finie notée
symboliquement a = [1, 2, 3, 4]. Comme les éléments de cette fraction continue sont tous des
rationnels strictement positifs (en particulier ils sont non nuls et de même signe), on peut en
caluler sa valeur exacte que l’on notera encore a. De plus a est rationnel, car a résulte d’un
nombre fini d’opérations élémentaires ne faisant intervenir que des rationnels.
a=1+
1
.
2 + 3+1 1
4
Un calcul direct montre que a = 43/30. La deuxième réduite de a est donnée par [1, 2, 3].
Celle-ci est encore bien définie et vaut 1 + 2+1 1 = 10
7 De même le troisième quotient complet de
3
a est donné par [4]. Il est donc égal à 4. On vérifie en particulier que
1
1
a = [1, 2, 3, 4] = [1, 2, 3 + ] = [1, 2, 3 + ].
4
[4]
Et puisque [2, 3, 4] = 2 +
1
3+ 14
=
30
13 ,
on constate que
a = [1, 2, 3, 4] = 1 +
1
1
43
= 1 + 30 = .
[2, 3, 4]
30
13
Ce type de relations sera généralisé dans la prochaine section. Regardons à présent un exemple
faisant intervenir une fraction continue infinie.
9
Exemple 1.1.2 (Fraction continue infinie simple) : Considérons la fraction continue ϕ = [1, 1, 1, . . .].
Admettons que celle-ci soit effectivement convergente 1 (vers le nombre d’or ϕ ≈ 1, 618033988).
ϕ=1+
1
1+
.
1
1+
1
1
1+ 1+...
La troisième réduite de ϕ est égale à
[1, 1, 1, 1] = 1 +
5
1
= ≈ 1, 66667.
3
1 + 1+1 1
1
La quinzième réduite de ϕ est quant à elle égale à 1597/987 ≈ 1, 618034448. Autrement dit
1597/987 nous donne une approximation du nombre d’or avec une erreur strictement inférieure à
5, 10−6 . On voit apparaître ici une application majeure des fractions continues : l’approximation
de nombres irrationnels !
Notation 1.1.3 : Lorsque les éléments d’une fraction continue se répètent cycliquement comme
c’était le cas dans notre précédent exemple, on convient de surmonter la partie qui se répète par
une barre. Ainsi [1, 1, 1, . . .] sera à présent noté [1]. Ou encore, la fraction continue représentée
par [1, 5, 7, 2, 3, 2, 3, 2, 3, . . .] sera notée [1, 5, 7, 2, 3].
Dans le même ordre d’idée, par exemple, le rationnel dont l’écriture décimale est 1, 434343 . . .
sera noté plus simplement 1, 43.
1.2
Propriétés fondamentales des réduites
On se propose dans cette partie de mettre en évidence quelques propriétés des réduites ainsi
qu’une méthode de calcul de celles-ci. Ces résultats seront exprimés de manière formelle, dans
le sens où, jusqu’à présent nous n’avons pas assigné de valeurs particulières aux éléments des
fractions continues.
1.2.1
Théorèmes fondamentaux
Le lemme que nous allons à présent énoncer n’est qu’un simple jeu d’écriture avec nos notations.
Lemme 1.2.1 : Soit [a0 , a1 , . . . , aN ] une fraction continue finie. Pour tout n ∈ J1, N K,
[a0 , a1 , . . . , an ] = [a0 , a1 , . . . , an−1 +
[a0 , a1 , . . . , an ] = a0 +
1
],
an
(1.4)
1
1
= a0 +
= [a0 , [a1 , . . . , an ]].
[a1 , a2 , . . . , an ]
r1
(1.5)
Plus généralement, pour tous m, n entiers tels que 1 ≤ m < n ≤ N ,
[a0 , a1 , . . . , an ] = [a0 , a1 , . . . , am−1 , [am , am+1 , . . . , an ]] = [a0 , a1 , . . . , am−1 +
1
].
rm
(1.6)
Autrement dit, quel que soit n ∈ J0, N − 1K,
rn = an +
1
rn+1
.
(1.7)
Démonstration. La démonstration est immédiate à partir des définitions.
1. La notion de convergence sera définie plus rigoureusement dans les prochains chapitres. On se contentera
ici d’une approche intuitive de la notion de convergence.
10
Notons que ce lemme peut être étendu aux fractions continues infinies étant donné que N
peut être choisi arbitrairement grand.
Le théorème suivant est fondamental dans la théorie des fractions continues.
Théorème 1.2.1 (Version fraction continue finie) : Soit [a0 , a1 , . . . , aN ] une fraction continue
finie. Alors pour tout n ∈ J0, N K,
pn
[a0 , a1 , . . . , an ] =
,
(1.8)
qn
où pn et qn sont des entiers définis par récurrence de la manière suivante :
p0 = a0 ,
q0 = 1,
p1 = a1 a0 + 1,
et
q1 = a1 ,
et
∀n ∈ J2, N K, pn = an pn−1 + pn−2 ,
∀n ∈ J2, N K, qn = an qn−1 + qn−2 .
(1.9)
(1.10)
Démonstration. Démontrons ce théorème par récurrence sur n.
Si n = 0, alors on [a0 ] = a0 qui est bien égal à
p0
a0
=
= a0 .
q0
1
De même si n = 1, en réduisant au même dénominateur on montre que
[a0 , a1 ] = a0 +
1
a1 a0 + 1
p1
=
= .
a1
a1
q1
Et si n = 2,
[a0 , a1 , a2 ] = a0 +
1
a1 +
1
a2
a2 a1 a0 + a2 + a0
p2
= .
a2 a1 + 1
q2
=
Ainsi la propriété est vraie pour n = 0, 1, 2. Ceci constitue l’initialisation de la démonstration.
Supposons que pour un certain m ∈ J2, N − 1K donné, on ait pour tout n ≤ m,
pn
[a0 , a1 , . . . , an ] =
.
qn
En particulier,
am pm−1 + pm−2
.
am qm−1 + qm−2
Or pm−1 , pm−2 , qm−1 et qm−2 ne dépendent que de a0 , a1 , . . . , am−1 et non de am ni am+1 . De
plus, d’après le lemme précédent, on a
[a0 , a1 , . . . , am−1 , am ] =
[a0 , a1 , . . . , am−1 , am , am+1 ] = [a0 , a1 , . . . , am−1 , am +
1
am+1
].
En combinant ces deux dernières expressions, on a alors
[a0 , a1 , . . . , am , am+1 ] =[a0 , a1 , . . . , am +
=
1
]
am+1
1
(am + am+1
)pm−1 + pm−2
(am +
1
am+1 )qm−1
+ qm−2
(am+1 am + 1)pm−1 + am+1 pm−2
(am+1 am + 1)qm−1 + am+1 qm−2
am+1 (am pm−1 + pm−2 ) + pm−1
=
am+1 (am qm−1 + qm−2 ) + qm−1
am+1 pm + pm−1
=
am+1 qm + qm−1
pm+1
=
.
qm+1
=
Ceci démontre l’hérédité de la propriété. Etant vraie pour n ∈ J0, 2K, elle est vraie pour tout
n ∈ N.
11
Une fois encore, ce théorème peut être étendu aux fractions continues infinies puisque N peut
être choisi arbitrairement grand. Il suffit alors de considérer quel que soit N fixé l’expression
[a0 , a1 , . . . , aN ] pour se retrouver sous les hypothèses des fractions continues finies imposées par
le théorème. Celui-ci peut donc être reformulé pour les fractions continues infinies de la sorte :
Théorème 1.2.2 (Version fraction continue infinie) : Soit [a0 , a1 , . . .] une fraction continue
infinie. Alors quel que soit n ∈ N,
[a0 , a1 , . . . , an ] =
pn
,
qn
(1.11)
où pn et qn sont définis par récurrence de la manière suivante :
p0 = a0 ,
q0 = 1,
1.2.2
p1 = a1 a0 + 1,
et
∀n ≥ 2, pn = an pn−1 + pn−2 ,
(1.12)
q1 = a1 ,
et
∀n ≥ 2, qn = an qn−1 + qn−2 .
(1.13)
Corollaires
Enonçons tout de suite deux conséquences à ces théorèmes.
Corollaire 1.2.1 : Avec les mêmes notations que dans les théorèmes 1.2.1 et 1.2.2, on a
pour tout n ≥ 1,
pn qn−1 − pn−1 qn = (−1)n−1 ,
ce qui peut se réécrire
pn pn−1
(−1)n−1
−
=
.
qn
qn−1
qn qn−1
Démonstration. Pour démontrer ce corollaire, il suffit de se rappeller les définitions de pn et qn :
Si n = 1, p1 q0 − p0 q1 = a1 a0 + 1 − a0 a1 = 1 qui est bien égal à (−1)1−1 . La formule est donc
vraie pour n = 1.
Pour n ≥ 2, on a
pn qn−1 − pn−1 qn = (an pn−1 + pn−2 )qn−1 − pn−1 (an qn−1 + qn−2 )
= an pn−1 qn−1 + pn−2 qn−1 − pn−1 an qn−1 − pn−1 qn−2
= pn−2 qn−1 − pn−1 qn−2
= −(pn−1 qn−2 − pn−2 qn−1 )
= (−1)2 (pn−2 qn−3 − pn−3 qn−2 )
..
.
= (−1)n−1 (p1 q0 − p0 q1 )
= (−1)n−1 .
Ceci montre que pour tout n ≥ 1,
pn qn−1 − pn−1 qn = (−1)n−1 ,
ce qui implique
(−1)n−1
pn pn−1
−
=
qn
qn−1
qn qn−1
si qn qn−1 6= 0. En effet, il suffit de diviser de part et d’autre de l’égalité par qn qn−1 .
12
Corollaire 1.2.2 : On a également pour tout n ≥ 2,
pn qn−2 − pn−2 qn = (−1)n an ,
ce qui peut se réécrire
pn pn−2
(−1)n an
−
=
.
qn
qn−2
qn qn−2
Démonstration. La démonstration est analogue à la précédente. Soit n ≥ 2 ; on a par définition
de pn et qn et en utilisant le corollaire précédent :
pn qn−2 − pn−2 qn = (an pn−1 + pn−2 )qn−2 − pn−2 (an qn−1 + qn−2 )
= an pn−1 qn−2 + pn−2 qn−2 − pn−2 an qn−1 − pn−2 qn−2
= an (pn−1 qn−2 − pn−2 qn−1 )
= (−1)n an .
En divisant par qn qn−2 , on obtient
(−1)n an
pn pn−2
−
=
.
qn
qn−2
qn qn−2
Remarque 1.2.1 : Ces deux corollaires peuvent se résumer par les formules déterminantales
p
p
n−1 pn n−2 pn n
=
(−1)
et
= (−1)n−1 an .
qn−1 qn qn−2 qn 1.3
Fractions continues à réduites positives
Dans tout ce qui suit, sauf mention du contraire, les éléments d’une fraction continue (finie
ou infinie) seront supposés être des réels positifs non nuls à l’exception près de a0 qui pourra être
négatif.
1.3.1
Monotonie des suites des réduites dans le cas fini
On se fixe une fois pour toute dans cette partie une fraction continue finie x = [a0 , a1 , . . . , aN ]
où N ∈ N∗ , a0 ∈ R et pour tout n ∈ J1, N K, an ∈ R>0 .
Remarque 1.3.1 : Il est clair que toute fraction continue finie de ce type est d’une part bien
définie et d’autre part on peut lui assigner une valeur réelle que l’on notera encore x. En effet, x
est la somme d’un nombre réel a0 (éventuellement nul) et d’un autre réel que l’on peut calculer
explicitement par un nombre fini d’opérations élémentaires. Le fait que la fraction continue est
bien définie découle quant à lui de la positivité de ses éléments an pour tout n ∈ J1, N K (on ne
divise à aucun moment par 0). En particulier, si a0 ∈ Z et pour tout n ∈ J1, N K, an ∈ N∗ , alors
x est rationnel.
Notation 1.3.1 : Pour alléger certaines démonstrations à venir, introduisons une nouvelle notation pour les réduites. On note pour tout n ∈ J0, N K, xn = pn /qn . En particulier, pour
n = N, xN = x où x est la valeur exacte de la fraction continue finie (que l’on peut calculer).
Nous adopterons la même notation pour les réduites des fractions continues infinies.
Proposition 1.3.1 (Monotonie des suites des réduites d’ordre pair et impair) : La suite (finie)
des réduites d’ordre pair de x est strictement croissante tandis que la suite (finie) des réduites
d’ordre impair de x est strictement décroissante.
13
Démonstration. D’après le corollaire 1.2.2, xn+2 − xn = (−1)n an+2 /(qn+2 qn ) est strictement
positif si n est pair et est strictement négatif sinon. La conclusion s’en déduit aussitôt.
Proposition 1.3.2 (Comparaison des réduites d’ordre pair et impair) : Toute réduite d’ordre
impair de x est plus grande que n’importe quelle réduite d’ordre pair de x.
Démonstration. Il s’agit là encore d’une conséquence du corollaire 1.2.1 puisque pour tout n ∈ J0, N K,
xn − xn−1 =
(−1)n−1
.
qn qn−1
Par conséquent, pour tout n impair, c’est-à-dire de la forme 2k + 1,
x2k+1 − x2k =
(−1)2k+1−1
= 1 > 0.
q2k+1 q2k+1−1
On en déduit que quel que soit k ∈ N, on a x2k+1 > x2k . Par stricte croissance de la suite des
réduites paires, on a alors
x2k+1 > x2k > x2k−2 > · · · > x0 .
Supposons par l’absurde qu’il existe une réduite paire x2p , telle que x2p ≥ x2k+1 . Alors nécessairement p > k d’après ce que l’on vient de démontrer. Si 2p + 1 ≤ N , alors on a x2p+1 > x2p .
Donc x2p+1 > x2k+1 avec p > k, ce qui est en contradiction avec la décroissance de la suite des
réduites impaires. Sinon 2p = N , on considère alors la fraction continue finie
x0 = [a0 , a1 , . . . , aN , 1] = [a0 , a1 , . . . , a2p , 1]
qui admet une (2p + 1)e réduite et on se retrouve dans le premier cas. On a en effet d’après la
remarque 1.1.2 [a0 , a1 , . . . , a2p , 1] = x02p+1 > x02p = x2p ≥ x2k+1 . D’où x02p+1 > x02k+1 = x2k+1 ,
avec p > k, ce qui est en contradiction avec la décroissance des réduites impaires de x0 . Donc
une telle réduite x2p telle que x2p ≥ x2k+1 n’existe pas et on a le résultat escompté.
Théorème 1.3.1 : La valeur de x est supérieure ou égale à n’importe quelle réduite paire de x
et est inférieure ou égale à n’importe quelle réduite impaire de x.
Démonstration. Les deux propositions démontrées, la justification de ce théorème devient évidente puisque la valeur de la fraction continue x = [a0 , a1 , . . . , aN ] est égale à xN . Si N est pair,
alors xN est la plus grande des réduites paires et toute réduite impaire est strictement supérieure
à xN . Sinon N est impair et dans ce cas xN est la plus petite des réduites impaires et majore
encore toutes les réduites paires.
1.3.2
Monotonie des suites des réduites dans le cas infini
On se fixe à présent dans cette partie une fraction continue infinie x = [a0 , a1 , . . .] où a0 ∈ R
et pour tout n ∈ N, an ∈ R>0 .
Nous avons des propriétés identiques pour les fractions continues infinies. Enonçons-les.
Proposition 1.3.3 (Monotonie des suites des réduites d’ordre pair et impair) : La suite des
réduites d’ordre pair de x est strictement croissante tandis que la suite des réduites d’ordre impair
de x est strictement décroissante.
Proposition 1.3.4 (Comparaison des réduites d’ordre pair et impair) : Toute réduite d’ordre
impair de x est plus grande que n’importe quelle réduite d’ordre pair de x.
14
Démonstration. Ces deux résultats sont des conséquences de la remarque 1.1.2 et du fait que l’on
peut choisir arbitrairement grand N pour se restreindre à l’étude des réduites paires et impaires
de la fraction continue finie x0 = [a0 , a1 , . . . , aN ] où les éléments de x0 sont bien évidemment les
N + 1 premiers éléments des x.
Corollaire 1.3.1 : La suite des réduites d’ordre pair de x est convergente. Il en est de même
de la suite des réduites d’ordre impair.
Démonstration. D’après la proposition 1.3.3, la suite des réduites paires est une suite réelle
croissante. Or celle-ci est majorée par n’importe quelle réduite impaire (proposition 1.3.4). On
en déduit que la suite des réduites paires est convergente. Il en va de même pour la suite des
réduites impaires.
Les propositions suivantes nous seront notamment utiles lorsqu’on abordera l’étude de la
convergence des fractions continues infinies simples dans un futur chapitre.
1.3.3
Autres résultats utiles
Proposition 1.3.5 : Soit x = [a0 , a1 , . . . , aN ] une fraction continue finie. On suppose toujours
que an ∈ R>0 pour tout n ∈ J1, N K. Alors pour tout k ∈ J2, N K,
x = [a0 , a1 , . . . , aN ] =
rk pk−1 + pk−2
.
rk qk−1 + qk−2
Démonstration. Soit k ∈ J2, N K. D’après (1.6),
x = [a0 , a1 , . . . , aN ] = [a0 , a1 , . . . , ak−1 , [ak , ak+1 , . . . , aN ]].
Or, en utilisant les notations de (1.2), [ak , ak+1 , . . . , aN ] = rk . D’où x = [a0 , a1 , . . . , ak−1 , rk ]. On
déduit alors du théorème 1.2.1 que
x=
rk pk−1 + pk−2
.
rk qk−1 + qk−2
Ce qu’il fallait démontrer.
Il est clair que cette proposition reste vraie pour toute fraction continue infinie à éléments
positifs. Les deux prochains résultats nous serviront au cours du chapitre 5, principalement pour
démontrer le théorème de Galois.
Proposition 1.3.6 : Soit x = [a0 , a1 , . . .] une fraction continue infinie. On suppose encore
que pour tout n ∈ N∗ , an ∈ R>0 . Alors pour tout k ≥ 1,
qk
qk−1
= [ak , ak−1 , . . . , a1 ].
Démonstration. Par récurrence sur k.
Si k = 1, q1 /q0 = a1 /1 = a1 = [a1 ] et la propriété est vraie.
Supposons que pour un certain m ≥ 1, on ait pour tout k ∈ J1, mK, qk /qk−1 = [ak , ak−1 , . . . , a1 ].
Alors
qm+1
am+1 qm + qm−1
qm−1
1
=
= am+1 +
= am+1 + qm .
qm
qm
qm
qm−1
On utilise alors l’hypothèse de récurrence, et on obtient
qm+1
= [am+1 , [am , am−1 , . . . , a1 ]] = [am+1 , am , am−1 , . . . , a1 ].
qm
La propriété est donc héréditaire. Etant vraie pour k = 1, elle est vraie quel que soit k ≥ 1.
15
On démontre de même le résultat suivant.
Proposition 1.3.7 : Soit x = [a0 , a1 , . . .] une fraction continue infinie telle que pour tout
n ∈ N∗ , an ∈ R>0 . Alors pour tout k ≥ 1,
pk
= [ak , ak−1 , . . . , a0 ].
pk−1
16
Chapitre
2
Fractions continues simples et rationalité
A partir de maintenant et ce jusqu’à la fin du mémoire, nous ne considérerons, sauf mention
explicite du contraire, que des fractions continues simples. Aussi, le terme de fraction continue
finie (respectivement infinie) désignera une fraction continue finie (respectivement infinie) simple.
Le but de ce chapitre est de caractériser la rationalité d’un réel à l’aide des fractions continues
simples finies. Nous savons déjà que la valeur d’une fraction continue simple finie est rationnelle.
On se propose notamment de montrer dans ce chapitre que tout rationnel peut être décomposé
en une fraction continue simple infinie et que cette décomposition est unique (ou presque).
2.1
Premiers résultats sur les fractions continues simples
Définition 2.1.1 (Représentation d’un réel par une fraction continue) : On dit qu’un nombre
réel x est représenté par une fraction continue finie [a0 , a1 , . . . , aN ] (resp. infinie [a0 , a1 , . . .]) si
x = [a0 , a1 , . . . , aN ] (resp. x = [a0 , a1 , . . .]).
Proposition 2.1.1 : Si x ∈ R est représentable par une fraction continue simple finie d’ordre
pair (resp. impair), alors x est également représentable par une fraction continue simple finie
d’ordre impair (resp. pair).
Démonstration. On suppose que x = [a0 , a1 , . . . , aN ]. Deux cas se présentent.
Si aN = 1, alors d’après (1.5)
1
x = [a0 , a1 , . . . , aN −2 , aN −1 , 1] = [a0 , a1 , . . . , aN −2 , aN −1 + ] = [a0 , a1 , . . . , aN −2 , aN −1 + 1].
1
Donc x peut être représenté par [a0 , a1 , . . . , aN −2 , aN −1 + 1] qui est une fraction continue simple
de parité inverse de [a0 , a1 , . . . , aN −2 , aN −1 , 1].
Sinon, aN ≥ 2, c’est-à-dire que aN − 1 ≥ 1. Il suffit alors de constater que
1
x = [a0 , a1 , . . . , aN −1 , aN ] = [a0 , a1 , . . . , aN −1 , aN , aN − 1 + ] = [a0 , a1 , . . . , aN −1 , aN − 1, 1].
1
Ici encore, x peut être représenté par une fraction continue simple de parité inverse. La proposition
est donc démontrée.
Théorème 2.1.1 : Soit x = [a0 , a1 , . . . , aN ] une fraction continue simple finie. Alors pour tout
n ∈ J0, N − 1K,
qn ≤ qn+1 ,
avec inégalité stricte si n ≥ 1.
17
Démonstration. Si n = 0, q0 = a0 = 1 ≤ a1 = q1 par définition. Donc on a bien q0 ≤ q1 . Pour
n ≥ 2, qn = an qn−1 + qn−2 . Or quel que soit k ∈ J1, N K, ak ≥ 1 par hypothèse. De plus, qn−2 est
également un entier supérieur ou égal à 1 puisqu’on travail avec des fractions continues simples.
Ainsi pour n ≥ 2,
qn = an qn−1 + qn−2 ≥ qn−1 + qn−2 > qn−1 .
D’où le théorème.
Théorème 2.1.2 : Soit x = [a0 , a1 , . . . , aN ] une fraction continue simple finie. Alors pour tout
n ∈ J0, N K,
qn ≥ n,
avec inégalité stricte si n ≥ 4.
Démonstration. D’après le théorème précédent, pour tout n ∈ J2, N K,
qn > qn−1 .
Donc q2 > q1 ≥ 1. Donc q2 ≥ 2. Par une récurrence immédiate, on a ∀n ∈ J2, N K, qn ≥ n.
Or pour n = 0 et n = 1, la propriété est aussi vraie car q0 = 1 ≥ 0 et q1 = a1 ≥ 1. Donc
∀n ∈ J0, N K, qn ≥ n et en particulier, comme q0 = 1, qn ≥ 1. Il reste donc à montrer que
l’inégalité est stricte dès que n ≥ 4. Soit n ≥ 4, alors n − 2 ≥ 2. D’où l’on tire que qn−2 ≥ q2 ≥ 2.
Ainsi
qn = an qn−1 + qn−2 ≥ qn−1 + qn−2 ≥ qn−1 + 2 ≥ n − 1 + 2 = n + 1 > n.
Le théorème est donc démontré.
Ces deux théorèmes restent vrais dans le cas des fractions continues simples infinies. L’hypothèse forte utilisée dans la démonstration de ces énoncés réside dans la simplicité des fractions
continues considérées. On en déduit un théorème analogue pour les fractions continues simples
infinies.
Théorème 2.1.3 (Version infinie) : Soit x = [a0 , a1 , . . .] une fraction continue simple infinie.
Alors
∀n ∈ N, qn ≤ qn+1 ,
avec inégalité stricte si n ≥ 1 et
∀n ∈ N,
qn ≥ n,
avec inégalité stricte si n ≥ 4.
Démonstration. Analogue à la démonstration dans le cas fini.
Présentons maintenant un autre théorème important dans la théorie des fractions continues
simples.
Théorème 2.1.4 : Chaque réduite d’une fraction continue simple est une fraction irréductible.
Démonstration. Soit pn /qn une réduite d’une fraction continue simple finie. Il nous suffit de
montrer que pgcd(pn , qn ) = 1.
Soit d un diviseur commun de pn et qn . Alors d divise pn et d divise qn . Si n = 0, le résultat
est immédiat puisque q0 = 1. Donc pgcd(p0 , q0 ) = 1. Sinon, n ∈ J1, N K. Le corollaire 1.2.1
affirme alors que pn qn−1 − pn−1 qn = (−1)n−1 . Le théorème de Bézout implique que pn et qn sont
premiers entre eux. Ainsi quelle que soit la réduite d’une fraction continue simple finie, la réduite
est irréductible.
Le cas où la fraction continue est infinie se traite exactement de la même manière.
18
Lemme 2.1.1 : Etant donnée une fraction continue simple finie x = [a0 , a1 , . . . , aN ], on a pour
tout n ∈ J0, N K,
an = E(rn ),
sauf éventuellement si aN = 1, auquel cas on a aN −1 = E(rN −1 ) − 1.
Démonstration. Tout d’abord dans le cas où N = 0, on a x = [a0 ] = a0 ∈ Z. Et ainsi la propriété
est triviale puisque aN = a0 = r0 = E(r0 ) = E(rN ).
Interessons-nous à présent au cas N > 0. On a déjà clairement rN = aN ∈ N∗ . Donc
rN = E(rN ) et aN = E(rN ). Ensuite, en utilisant (1.7), on a ∀n ∈ J0, N − 1K :
rn = an +
1
1
= an +
.
rn+1
[an+1 , an+2 , . . . , aN ]
Par conséquent, si n < N − 1, alors n + 1 < N . Donc la simplicité de x assure que rn+1 ∈ R≥1
et alors
1
= rn < an + 1,
(2.1)
∀n ∈ J0, N − 2K, an < an +
rn+1
c’est-à-dire an = E(rn ).
Reste à traiter le cas n = N − 1. Si aN > 1, alors 0 <
aN −1 < rN −1 = aN −1 +
1
aN
< 1 de sorte que
1
< aN −1 + 1,
aN
c’est-à-dire aN −1 = E(rN −1 ). Sinon aN = 1, ce qui signifie simplement que
rN −1 = [aN −1 , 1] = aN −1 +
1
= aN −1 + 1 ∈ N∗ ,
1
de sorte que E(rN −1 ) = aN −1 + 1. Donc on a encore le résultat annoncé, à savoir : si aN = 1,
alors aN −1 = E(rN −1 ) − 1.
Le théorème suivant est un théorème d’unicité. Il tient donc une place importante dans cette
section.
Théorème 2.1.5 : Si deux fractions continues simples a = [a0 , a1 , . . . , aN ] et b = [b0 , b1 , . . . , bM ]
représentent le même réel x et sont telles que aN > 1 et bM > 1, alors d’une part M = N et
d’autre part ai = bi pour tout i ∈ J0, N K.
Démonstration. Par récurrence sur N .
Remarquons immédiatement que a0 = E(x) = b0 . Ainsi, dans le cas où N = 0, x est entier et
on a directement x = [a0 ] = [b0 ] et le théorème est vérifié. Supposons à présent sans restreindre la
généralité que 1 ≤ N ≤ M (un raisonnement analogue permet de résoudre le cas où l’on suppose
1 ≤ M ≤ N ).
Supposons alors qu’il existe k ∈ J0, N − 1K tel que les k premiers éléments de a et b soient
égaux : ∀i ∈ J0, k − 1K, ai = bi . Notons rn le ne quotient complet de a et sn le ne quotient complet
de b.
Alors, si k = 1, x = [a0 , r1 ] = [a0 , s1 ]. Autrement dit a0 + 1/r1 = a0 + 1/s1 . D’où s1 = r1 .
Les réels s1 et r1 ont donc la même partie entière. En particulier le théorème précédent affirme
que a1 = b1 . Sinon k ≥ 2 et x = [a0 , a1 , . . . , ak−1 , rk ] = [a0 , a1 , . . . , ak−1 , sk ]. En utilisant la
proposition 1.3.5, il vient
x=
rk pk−1 + pk−2
sk pk−1 + pk−2
=
.
rk qk−1 + qk−2
sk qk−1 + qk−2
19
En multipliant à droite et à gauche par (rk qk−1 + qk−2 )(sk qk−1 + qk−2 ) 6= 0 car les fractions sont
simples (donc bien définies) puis en simplifiant, on obtient les égalités suivantes :
(sk qk−1 + qk−2 )(rk pk−1 + pk−2 ) = (rk qk−1 + qk−2 )(sk pk−1 + pk−2 )
⇐⇒ rk (pk−1 qk−2 − pk−2 qk−1 ) = sk (pk−1 qk−2 − pk−2 qk−1 )
⇐⇒ (rk − sk )(pk−1 qk−2 − pk−2 qk−1 ) = 0
⇐⇒ (rk − sk )(−1)n−2 = 0
⇐⇒ rk = sk .
Ainsi E(rk ) = E(sk ), ce qui implique que ak = bk d’après le théorème précédent. Ainsi, par
récurrence,
∀i ∈ J0, N K, ai = bi .
Autrement dit, b = [a0 , a1 , . . . , aN , bN +1 , . . . , bM ]. Il reste à montrer que M = N et le théorème
en découlera.
Comme N ≤ M , supposons par l’absurde que N < M . Dans ce cas, toujours d’après la
proposition 1.3.5,
x=
pN
sN +1 pN + pN −1
= [a0 , a1 , . . . , aN ] = [a0 , a1 , . . . , aN , bN +1 , . . . , bM ] =
.
qN
sN +1 qN + qN −1
Donc
sN +1 pN + pN −1
pN
=
qN
sN +1 qN + qN −1
⇐⇒ pN sN +1 qN + pN qN −1 = qN sN +1 pN + qN pN −1
⇐⇒ pN qN −1 = qN pN −1
⇐⇒ pN qN −1 − qN pN −1 = 0.
Ce qui contredit le corollaire 1.2.1. Il en résulte que N = M .
2.2
2.2.1
Algorithme de décomposition en fraction continue simple
Présentation de l’algorithme
Dans cette section nous présentons un algorithme permettant de développer un nombre réel
quelconque x en fraction continue. Mais avant cela, rappelons que pour tout réel x, la partie
entière de x, notée E(x), vérifie les inégalités suivantes :
E(x) ≤ x < E(x) + 1
Si de plus, x − E(x) 6= 0, alors
1
x−E(x)
0 ≤ x − E(x) < 1.
et
> 1.
Algorithme de décomposition en fraction continue simple
Soit x ∈ R. Posons a0 = E(x) et ξ0 = x − a0 . Par caractérisation de la partie entière, on a
0 ≤ ξ0 < 1.
Si ξ0 = 0, l’algorithme s’arrête (x est entier) et on a x = [a0 ].
Sinon ξ0 > 0. On peut donc poser r1 = 1/ξ0 . Alors on a
x = a0 +
1
= [a0 , r1 ]
r1
20
et
1
= r1 > 1,
ξ0
de sorte que E(r1 ) ≥ 1. On peut donc réitérer ce processus en prenant pour valeur de x le réel r1 .
On pose alors
a1 = E(r1 )
et
ξ1 = r1 − a1 .
Si ξ1 = 0, l’algorithme s’arrête et on a
x = a0 +
1
1
= a0 +
= [a0 , a1 ].
r1
a1
Sinon ξ1 6= 0. On peut donc poser r2 = 1/ξ1 et reprendre le processus précedent. On construit
ainsi de proche en proche une suite d’entiers a0 , a1 , a2 , . . . avec a0 ∈ Z et ∀i ≥ 1, ai ∈ N∗ .
D’une manière générale, en suppososant construits a0 , a1 , . . . , an et r1 , r2 , . . . , rn+1 de la manière décrite ci-dessus, on pose
an+1 = E(rn+1 ) ≥ 1
0 ≤ ξn+1 = rn+1 − an+1 < 1.
et
Si ξn+1 = 0, l’algorithme s’arrête ; sinon, on pose rn+2 = 1/ξn+1 et le processus peut recommencer.
Il est clair que les suites (an )n≥0 et (rn )n≥1 ainsi construites vérifient
∀n ≥ 0,
x = [a0 , a1 , . . . , an , rn+1 ],
ainsi que a0 ∈ Z et pour tout i ≥ 1, ai ∈ N∗ .
Il est tout aussi clair que si la suite d’entiers (an )n∈J0,N K est finie, alors x = [a0 , a1 , . . . , aN ]
est rationnel (remarque 1.3.1). De même aN ≥ 2. En effet, comme ξN = 0,
1<
1
ξN −1
= rN = aN + ξN = aN ∈ N,
et donc aN ≥ 2. Dès lors, si l’algorithme appliqué à un nombre réel x est fini, alors cet algorithme
nous fournit l’unique fraction continue simple finie représentant x dont le dernier élément est
différent de 1.
2.2.2
Exemple
Afin de mettre en pratique cet algorithme et bien comprendre de quoi il en retourne, choisissons de développer le rationnel 27/7 = 3, 857142.
On commence par calculer E(27/7) = 3. On pose donc
a0 = 3
et
ξ0 =
6
27
− 3 = = 0, 857142.
7
7
On en déduit que 27/7 = 3 + ξ0 = 3 + 1/r1 avec r1 = 1/ξ0 = 7/6 ou encore
27
1
=3+ 7.
7
6
Par suite, on pose a1 = E(7/6) = 1 et ξ1 = r1 − a1 = 7/6 − 1 = 1/6 = 0, 16 6= 0. D’où r2 = 6.
On pose alors a2 = E(r2 ) = 6 et ξ2 = r2 − E(r2 ) = 6 − 6 = 0. Comme ξ2 est nul, l’algorithme
s’arrête et on a
27
27
1
= [a0 , a1 , a2 ] = [3, 1, 6] =
=3+
.
7
7
1 + 16
Il est alors légitime de se demander si cet algorithme s’arrête toujours à un moment donné ?
Sinon, peut-on trouver une condition suffisante pour que l’algorithme appliqué à un certain réel
x se finisse ? Voire mieux, peut-on trouver une condition nécessaire et suffisante ?
L’objet de la prochaine section est de montrer qu’il faut et qu’il suffit que x ∈ Q pour que
cet algorithme s’arrête à partir d’un certain rang. Autrement dit qu’un nombre est rationnel si
et seulement s’il peut être représenté par une fraction continue simple finie.
21
2.3
Développement en fraction continue simple finie d’un rationnel
Théorème 2.3.1 (Développement en fraction continue simple finie d’un rationnel) : Tout
nombre rationnel peut être représenté par une fraction continue simple finie.
Remarque 2.3.1 : La preuve suivante est constructive. Il s’agit d’une application de l’algorithme précédent lorsque x ∈ Q. Cette algorithme apparaît alors comme une généralisation de
l’algorithme d’Euclide, plus connu notamment pour son application dans le calcul du plus grand
diviseur commum de deux nombres entiers.
Démonstration. Soit x ∈ Q. En gardant les mêmes notations que dans la présentation de l’algorithme pour un réel quelconque, on a si x est entier a0 = E(x) = x et alors ξ0 = 0. Ainsi
x = [a0 ] avec a0 ∈ Z et le théorème est vérifié. Sinon x ∈ Q\Z. Donc il existe un couple
(h, k) ∈ Z × N∗ : x = h/k. Posons encore
h
h
h
a0 = E(x) = E
∈Z
et
ξ0 = − E
.
k
k
k
En particulier, 0 < ξ0 < 1, donc 1/ξ0 > 1. On a ainsi h/k = a0 + ξ0 ou encore h = a0 k + ξ0 k.
Pour simplifier les notations, posons k1 = ξ0 k ∈ N∗ . En effet k1 = h − kE(h/k), donc k1 ∈ N
mais comme ξ0 > 0 et k > 0, alors k1 6= 0 et on a bien k1 ∈ N∗ . De plus k1 vérifie 0 < k1 < k car
0 < ξ0 < 1. D’où ξ0 = k1 /k, ce qui implique 1/ξ0 = k/k1 , et on peut réécrire h/k de la manière
suivante :
1
h
1
= a0 + 1 = a0 + k .
k
ξ
k
0
1
On peut alors réitérer ce processus avec le rationnel positif et strictement plus grand que 1 :
k
.
k1
Par suite, a1 sera égal à E(k/k1 ) ≥ 1 et ξ1 = k/k1 − E(k/k1 ). Si ξ1 = 0 l’algorithme est fini et
h
1
= a0 + .
k
a1
Sinon 0 < ξ1 < 1 et alors k2 = ξ1 k1 est un entier vérifiant 0 < k2 < k1 . D’où,
h
1
= a0 +
k
a1 +
1
.
k1
k2
De proche en proche et tant que la suite (ξn )n≥0 ne s’annule pas, on forme une suite d’entiers
relatifs (strictement positifs dès que n ≥ 1) (an )n≥0 telle que
∀n ≥ 0,
x = [a0 , a1 , . . . , an ,
1
].
ξn
Pour terminer la démonstration il suffit de montrer que la suite (an )n≥0 est finie, c’est-à-dire
qu’il existe un rang N tel que ξN = 0 de sorte que
x = [a0 , a1 , . . . , aN ].
Or en construisant les suites (an )n≥0 et (ξn )n≥0 , on a aussi construit une suite d’entiers naturels
(kn )n≥0 strictement décroissante (en convenant que k0 = k). On en déduit qu’il existe un plus
petit entier N tel que kN +1 = 0 = ξN kN . Autrement dit,
∀i ∈ J0, N − 1K,
ξi 6= 0 et ξN = 0.
Ce qu’il fallait démontrer.
22
Corollaire 2.3.1 : Tout nombre rationnel peut être représenté par une fraction continue
simple de deux façons exactement, avec un nombre de réduites pair pour l’une et impair pour
l’autre. Dans l’une des formes, le dernier élément est 1 ; dans l’autre, il est strictement plus
grand que 1.
Démonstration. Nous venons de montrer que tout nombre rationnel peut être représenté par
une fraction continue simple finie de la forme [a0 , a1 , . . . , aN ] pour un certain entier N et avec
aN > 1. Ainsi, d’après la proposition 2.1.1, ce rationnel peut également être représenté par
[a0 , a1 , . . . , aN − 1, 1]. En utilisant le théorème 2.1.5, on montre que ces deux formes sont les
seules possibles.
2.4
Théorème d’approximation pour les rationnels
Fixons-nous tout au long de cette section un nombre rationnel x dont on sait à présent qu’il
peut être représenté par une fraction continue simple finie dont les éléments ai peuvent être
construits à l’aide de l’algorithme d’Euclide étudié précédemment. Notons-la [a0 , a1 , . . . , aN ].
Supposons aussi que N ≥ 2. Le but de cette partie est d’estimer le terme d’erreur entre x et ses
réduites pn /qn dès que n ≥ 1.
Lemme 2.4.1 : Quel que soit n ∈ J0, N − 1K, on a
x−
(−1)n
pn
=
,
0
qn
qn qn+1
(2.2)
(−1)n
,
0
qn+1
(2.3)
ou encore
qn x − pn =
où la suite (qn0 )n∈J1,N K est définie de la manière suivante :
q10 = r1 ,
et pour n ∈ J2, N K,
qn0 = rn qn−1 + qn−2 .
0 =r q
En particulier, qN
N N −1 + qN −2 = aN qN −1 + qN −2 = qN .
Démonstration. Pour n = 0, le résultat est immédiat puisque
x−
p0
a0
1
1
=x−
=
=
,
q0
1
q0 r1
q0 q10
car N > 1 donc r1 6= 0.
Soit n ∈ J1, N − 1K. Comme n + 1 ∈ J2, N K, la proposition 1.3.5 implique
x=
rn+1 pn + pn−1
.
rn+1 qn + qn−1
Ainsi
x−
pn
rn+1 pn + pn−1 pn
=
−
qn
rn+1 qn + qn−1
qn
qn (rn+1 pn + pn−1 ) − pn (rn+1 qn + qn−1 )
=
0
qn qn+1
qn pn−1 − pn qn−1
=
0
qn qn+1
−(−1)n−1
0
qn qn+1
(−1)n
=
.
0
qn qn+1
=
D’où le lemme.
23
(2.4)
Nous pouvons maintenant énoncer le théorème central de ce chapitre.
Théorème 2.4.1 (Différence entre un rationnel et ses réduites) : Soit x un rationnel représenté
par la fraction continue simple finie [a0 , a1 , . . . , aN ]. Si N ≥ 2 et n ≥ 1, alors
p
p
n
n−1
et |qn x − pn | < |qn−1 x − pn−1 |.
x − < x −
qn
qn−1 De plus,
qn x − p n =
(−1)n δn
,
qn+1
(2.5)
où pour tout n ∈ J1, N − 2K, 0 < δn < 1 et δN −1 = 1.
Si n ≤ N − 1, alors
1
1
1
x − pn =
≤
< 2,
0
qn
qn qn+1
qn qn+1
qn
(2.6)
la première inégalité étant stricte sauf lorsque n = N − 1.
Démonstration. Supposons dans un premier temps que aN > 1. D’après (2.1),
∀n ∈ J0, N − 2K,
an+1 < rn+1 < an+1 + 1.
0
Encadrons alors qn+1
, pour tout n ∈ J1, N − 2K. On a la minoration suivante
0
qn+1
= rn+1 qn + qn−1 > an+1 qn + qn−1 = qn+1 ,
ainsi que la majoration
0
qn+1
= rn+1 qn + qn−1 < (an+1 + 1)qn + qn−1 < an+1 qn + qn−1 + qn = qn+1 + qn .
Or
qn+1 + qn ≤ (an+2 − 1)qn+1 + qn+1 + qn = qn+2 ,
car an+2 ≥ 1 par hypothèse.
De même pour n = 0, q1 = a1 < q10 = r1 < a1 + 1 ≤ a2 a1 + 1 = q2 . Finalement,
∀n ∈ J0, N − 2K,
0
qn+1 < qn+1
< qn+2 .
(2.7)
En utilisant le lemme précédent, il vient alors
1
qn+2
< |qn x − pn | =
1
0
qn+1
<
1
qn+1
.
En ce qui concerne le cas n = N − 1,
|qN −1 x − pN −1 | =
1
1
=
,
0
qN
qN
N
et comme x = pqN
, on a pN − qN x = 0.
Dans le cas où aN = 1, c’est-à-dire si rN −1 = aN −1 + 1, nous n’avons que peu de rectifications
à effectuer. En effet, pour n ∈ J0, N −3K les résultats restent les mêmes. De même pour n = N −1.
0
0
En ce qui concernce n = N − 2, qn+1
= qN
−1 et on a encore
0
qN
−1 = rN −1 qN −2 + qN −3 > aN −1 qN −2 + qN −3 = qN −1 ,
et
0
qN
−1 = rN −1 qN −2 + qN −3 = aN −1 qN −2 + qN −3 + qN −2 = qN −1 + qN −2 = aN qN −1 + qN −2 = qN ,
24
de sorte que
0
qN −1 < qN
−1 = qN .
D’où
1
1
1
1
≤
= |qN −2 x − pN −2 | = 0
.
<
qN
qN
qN −1
qN −1
Dans tous les cas, comme la suite (qn )n∈J0,N K est strictement croissante à partir du rang n = 1,
la suite |qn x − pn | décroît strictement quand n (qui est supposé être plus grand que 1) croît et,
toujours par croissance de (qn )n∈J0,N K , on a également que la suite |x − pn /qn | décroît strictement
pour n ≥ 1.
On a ainsi, comme n ≥ 1 ⇒ qn < qn+1 ,
1
1
pn < 2,
∀n ∈ J1, N − 2K, x − <
qn
qn qn+1
qn
et pour n = N − 1,
1
1
1
x − pn =
≤
< 2.
qn
qn qn+1
qn qn+1
qn
Ces deux dernières égalités et le lemme précédent justifient l’existence de δn tels qu’énoncés dans
le théorème et ce, quel que soit n ∈ J1, N − 1K.
Nous verrons au prochain chapitre que ce théorème peut être étendu aux fractions continues
simples infinies. En effet, nous n’avons utilisé ici que des résultats qui eux aussi peuvent être
étendus aux fractions continues simples infinies. Cependant nous devrons d’abord discuter de la
convergence de telles fractions continues.
25
Chapitre
3
Fractions continues simples et irrationalité
3.1
Convergence des fractions continues simples infinies
Nous considérons dans toute cette partie une fraction continue infinie x = [a0 , a1 , . . .] où
a0 ∈ R, et pour tout n ≥ 1, an ∈ R>0 . L’objectif de ce court paragraphe est de préciser la notion
de convergence pour de telles fractions.
Définition 3.1.1 (Convergence) : On dit que qu’une fraction continue infinie est convergente
si sa suite des réduites (xn )n∈N est convergente. Cette limite lorsqu’elle existe est la valeur de la
fraction continue infinie.
Lemme 3.1.1 : Soit x une fraction continue simple infinie. La suite (un )n∈N∗ de terme général
un = x2n − x2n−1 tend vers 0 quand n tend vers l’infini.
Démonstration. D’après le corollaire 1.2.1 et en utilisant le théorème 2.1.3, il vient
p2n p2n−1 1
1
=
∀n ≥ 1, −→ 0.
−
≤
q2n
q2n−1
q2n q2n−1
2n(2n − 1) n→∞
Lemme 3.1.2 : Une fraction continue infinie x = [a0 , a1 , . . .] telle que a0 ∈ R et quel que
soit n ≥ 1, an ∈ R>0 est convergente si et seulement si la série numérique de terme général
(−1)n /qn qn−1 est convergente et dans ce cas,
x = a0 +
+∞
X
(−1)n−1
n=1
qn qn−1
+∞
X
(−1)n
= a0 +
.
qn+1 qn
n=0
Démonstration. Le fait que pour tout n ≥ 1, an ∈ R>0 assure que pour tout n ≥ 1, qn > 0 donc
cette somme a bien un sens. D’autre part, nous avons vu dans le corollaire 1.2.1 que
∀n ≥ 1,
pn pn−1
(−1)n−1
−
=
,
qn
qn−1
qn qn−1
de sorte que
n
∀n ≥ 1,
X
pn p0
pn
−
=
− a0 =
qn
q0
qn
k=1
pk
pk−1
−
qk
qk−1
=
n
X
(−1)k−1
k=1
On en déduit que si la fraction continue est convergente, c’est-à-dire
lim
n→+∞
pn
= x < ∞,
qn
26
qk qk−1
.
alors la somme est finie (car a0 < ∞). Nous obtenons finalement le résultat.
Réciproquement, si la série est convergente, alors limn→+∞ (pn /qn − a0 ) existe et est finie.
Comme a0 est un réel fixé, limn→+∞ pn /qn existe et est finie. Cette limite est par définition la
valeur de la fraction continue x et on la note encore x.
Théorème 3.1.1 (Convergence des fractions continues simples infinies) : Toute fraction continue simple infinie est convergente.
Démonstration du théorème (Première version). Le lemme 3.1.1 ainsi que la proposition 1.3.3
exprime le fait que les suites rationnelles des réduites paires et impaires sont adjacentes. Ainsi
elles sont convergentes et convergent vers la même limite qui est, par définition, la valeur de la
fraction continue simple infinie.
Démonstration du théorème (Seconde version). Cette autre démonstration s’appuie sur le lemme
3.1.2. Toute fraction continue simple infinie vérifie les conditions du lemme 3.1.2 puisque N∗
P
(−1)n
s’injecte dans R>0 . Il suffit donc de montrer que la série +∞
n=1 qn qn−1 est convergente pour clore la
démonstration. Or cette série est une série numérique réelle alternée. En effet la fraction continue
est simple, donc pour tout n ≥ 0, qn > 0. En particulier, quel que soit n ≥ 1, qn qn−1 > 0. De
plus, nous avons déjà vu que limn→+∞ qn = +∞ de sorte que limn→+∞ qn q1n−1 = 0. Le théorème
sur les séries alternées permet alors de conclure que cette série est convergente et le théorème est
démontré.
Corollaire 3.1.1 : La valeur d’une fraction continue simple infinie x est strictement inférieure à n’importe laquelle de ses réduites impaires et est strictement supérieure à n’importe
laquelle de ses réduites paires.
Démonstration. Etant donné que x est une fraction continue simple infinie, x est convergente
et sa valeur est la limite commune des deux suites des réduites paires et impaires. Or d’après
la proposition 1.3.3, la suite des réduites paires est strictement croissante tandis que celle des
réduites impaires décroît strictement, ce qui permet de conclure.
3.2
Développement en fraction continue simple infinie d’un irrationnel
Dans cette partie nous souhaitons étendre quelques résultats que nous avons vus précédemment pour les fractions continues simples finies. Comme nous venons de le voir, les fractions
continues simples sont convergentes, ce qui donne un sens aux quotients complets. En effet nous
avons le théorème suivant :
Théorème 3.2.1 : Si une fraction continue infinie (simple) est convergente, alors tous ses
quotients complets le sont aussi. Inversement, si une fraction continue a un quotient complet
convergent, alors la fraction continue en question est convergente.
Démonstration. Soit x = [a0 , a1 , . . .] une fraction continue simple infinie. Supposons qu’il existe
un quotient complet rn convergeant pour un certain n entier. Si n = 0 ou n = 1, le résultat est
immédiat puisque x = r0 et x = a0 + 1/r1 . Supposons alors n ≥ 2. En utilisant la proposition
1.3.5, on obtient
rn pn−1 + pn−2
x=
.
rn qn−1 + qn−2
27
Aussi, x est un réel bien déterminé car rn est fini et est clairement positif (de sorte que le
dénominateur est non nul). Réciproquement, si x est convergente, alors r0 et r1 sont convergents
pour les mêmes raisons qu’avant et pour tout n ≥ 2, on a
x=
rn pn−1 + pn−2
rn qn−1 + qn−2
⇐⇒ x(rn qn−1 + qn−2 ) = rn pn−1 + pn−2
⇐⇒ xrn qn−1 − rn pn−1 = pn−2 − xqn−2
pn−2 − xqn−2
⇐⇒ rn =
< ∞.
xqn−1 − pn−1
En effet, supposons que pour un certain n ≥ 2, xqn−1 − pn−1 = 0, alors cela implique que
x = pn−1 /qn−1 , ce qui est en contraction avec le fait que x soit une fraction continue simple
infinie. D’où le résultat.
Démontrons maintenant un analogue du lemme 2.1.1.
Lemme 3.2.1 : Soit x = [a0 , a1 , . . .] une fraction continue simple infinie. Alors an = E(rn )
pour tout n ≥ 0.
Démonstration. Comme x est convergente, tous ses quotients complets qui sont encore des fractions continues simples infinies le sont aussi. Dès lors, parler de la valeur de rn et rn+1 a un sens
et on a donc
1
1
= an +
rn = lim [an , an+1 , . . . , aN ] = lim an +
.
N →∞
N →∞
[an+1 , . . . , aN ]
rn+1
Or chaque quotient complet est strictement positif car x est une fraction continue infinie et donc
en particulier x est un réel non nul. Ainsi an < rn . Or la fraction continue est simple, c’est-à-dire
∀k ≥ 1, ak ≥ 1, alors ∀k ≥ 1, rk > 1. De sorte que ∀k ≥ 1, 0 < 1/rk < 1. Ainsi pour n ≥ 1, on
a
an < rn < an + 1.
D’où le résultat pour n ≥ 1, an = E(rn ). Pour n = 0, on a r0 = x = a0 + 1/r1 avec 1 < r1 . Donc
a0 = E(r0 ) et le lemme est encore vérifié.
On en déduit un théorème d’unicité similiaire au théorème 2.1.5.
Théorème 3.2.2 : Si deux fractions continues simples infinies a = [a0 , a1 , . . .] et b = [b0 , b1 , . . .]
représentent le même nombre réel x, alors an = bn quel que soit n ≥ 0.
Démonstration. La démonstration est analogue à celle dans le cas fini.
Continuons à généraliser les résultats du chapitre précédent.
Théorème 3.2.3 : Tout nombre irrationnel x peut être représenté de manière unique par une
fraction continue simple infinie.
Démonstration. L’algorithme de décomposition en fraction continue simple étudié au chapitre
précédent nous donne un moyen de construire une telle fraction continue simple représentant x.
Supposons que cette fraction continue simple soit finie, alors x serait rationnel d’après le chapitre
précédent. Ce qui est absurde. Autrement dit, l’algorithme de décomposition nous permet de
construire deux suites infinies (an )n≥0 et (rn )n≥1 vérifiant
∀n ≥ 0,
x = [a0 , a1 , . . . , an , rn+1 ] et rn+1 = an+1 +
28
1
rn+2
> an+1 ≥ 1.
Autrement dit, tout comme nous l’avions fait dans le lemme 2.4.1 en utilisant la proposition
1.3.5 ainsi que le théorème 2.1.3, on a pour tout n ≥ 1
1
p
1
1
1
n
x − =
< 2 −→ 0.
<
=
qn qn (rn+1 qn + qn−1 )
qn (an+1 qn + qn−1 )
qn qn+1
qn n→∞
Ceci prouve que la fraction continue simple infinie construite converge bien vers le nombre irrationnel x.
L’unicité de cette décomposition découle du théorème précédent. Nous démontrons au passage
le théorème d’approximation pour les fractions continues simples infinies qui sera énoncé plus
bas.
3.3
Théorème d’approximation pour les irrationnels
Théorème 3.3.1 (Différence entre un irrationnel et ses réduites) : Soit x un irrationnel représenté par la fraction continue simple infinie [a0 , a1 , . . .]. Si n ≥ 1, alors on a les relations
suivantes :
x − pn < x − pn−1 ,
|qn x − pn | < |qn−1 x − pn−1 |,
qn
qn−1 1
1
1
x − pn =
<
< 2.
0
qn
qn qn+1
qn qn+1
qn
De plus, quel que soit n ≥ 1, il existe δn ∈]0, 1[ tel que
qn x − p n =
(−1)n δn
.
qn+1
(3.1)
Remarque 3.3.1 (Intérêt des fractions continues par rapport aux approximations décimales)
:
E(x·10n )
Une autre manière d’approcher un irrationnel x est de considérer la suite rationnelle
.
10n
n≥0
Dans ce cas, le terme d’erreur entre x et un élément de cette suite est donné par
n x − E(x · 10 ) < 1 .
10n
10n
C’est-à-dire qu’un élément de cette suite dont le dénominateur vaut q approche x avec une précision de l’ordre de 1/q. L’intérêt des réduites est alors indéniable par rapport à l’approximation
décimale puisque celles-ci nous donnent des approximations de l’ordre de 1/q 2 .
Exemple 3.3.1 (L’exemple de π) : Des méthodes analytiques notamment nous donnent l’approximation suivante de π :
π ≈ 3, 14159265358979.
On se propose alors de trouver un rationnel qui approche π avec une précision au moins égale
à 10−9 . Il nous suffit donc d’appliquer l’algorithme de décomposition en fraction continue à π et
de calculer les réduites successives pn /qn jusqu’à ce que 1/qn2 < 10−9 pour pouvoir affirmer que
la dernière réduite calculée répond à nos attentes.
D’après [10], les premiers éléments du développement en fraction continue simple de π sont
dans l’ordre :
3, 7, 15, 1, 292, 1, 1, 1, 2, 1, 3, 1, 14, 2, . . .
La table 3.1 présente le résultat du calcul des premières réduites de π avec, pour chacune d’elles,
une estimation de l’erreur commise. On obtient finalement
π ≈3+
1
7+
1
15+
= [3, 7, 15, 1, 292] =
1
1
1+ 292
29
103993
≈ 3, 14159265301.
33102
n
0
1
2
3
4
pn
qn
3
1
22
7
333
106
355
113
103993
33102
Approximation de
3
3, 14285714286
3, 14150943396
3, 14159292035
3, 14159265301
pn
qn
Approximation de π −
0, 1415926536
−0, 00126448927
0, 00008321963
−0, 00000026676
0, 00000000058
pn
qn
Table 3.1 – Premières approximations de π.
Or
1
1
=
≈ 9, 1 · 10−10 < 10−9 .
331022
1095742404
Ainsi la réduite 103993/33102 nous donne une approximation de π avec une précision au moins
égale à 10−9 . On a effectivement
0<π−
103993
≈ 5, 8 · 10−10 < 9, 1 · 10−10 < 10−9 .
33102
On vérifie aussi sur cet exemple que les réduites paires minorent π tandis que les réduites
impaires le majorent.
Bien évidemment, il faut prendre suffisamment de décimales dans l’approximation initiale de
π pour ne pas fausser les calculs. Ceux-ci ont été réalisés ici avec une précision de 12 chiffres
significatifs. Nous démontrerons en fait au cours du prochain chapitre qu’il n’existe pas d’autres
rationnels avec un dénominateur strictement inférieur à 33102 qui approchent mieux π. En ce
sens, les réduites nous donnent les meilleures approximations possibles d’un nombre irrationnel.
Le chapitre suivant sera également l’occasion de démontrer d’autres théorèmes d’approximation
et notamment d’introduire la notion de nombres équivalents.
30
Chapitre
4
Approximation d’un irrationnel par des
rationnels
4.1
Nombres équivalents
Définition 4.1.1 (Nombres équivalents) : Soit ξ et η deux nombres réels. On dit que ξ et η
sont équivalents et on note ξ ∼ η si
aη + b
,
ξ=
cη + d
où a, b, c et d sont des entiers vérifiant ad − bc = ±1.
Proposition 4.1.1 : La relation ∼ est une relation d’équivalence.
Démonstration. Une relation d’équivalence est une relation réflexive, symétrique et transitive.
Vérifions donc ces trois propriétés. Soit (x, y, z) ∈ R3 .
1·x+0
Réflexivité : comme x = 0·x+1
et que 1 · 1 − 0 · 0 = 1, on a bien x ∼ x. D’où la réflexivité.
Symétrie : supposons x ∼ y, alors il existe des entiers a, b, c et d vérifiant ad − bc = ±1 tels
dx−b
que x = ay+b
cy+d . Mais ceci implique que (cy + d)x = ay + b, d’où y = −cx+a avec da − (−b)(−c) =
da − bc = ±1. D’où y ∼ x et la symétrie.
Transitivité : supposons à présent que l’on ait x ∼ y et y ∼ z et montrons x ∼ z. Par
hypothèse, on a l’existence d’entiers a, b, c, d, a0 , b0 , c0 et d0 tels que
x=
ay + b
,
cy + d
avec ad − bc = ±1,
et
a0 z + b0
,
avec a0 d0 − b0 c0 = ±1.
c0 z + d0
En combinant alors ces deux relations, il vient
y=
0
x=
0
z+b
a ac0 z+d
0 + b
c
a0 z+b0
c0 z+d0
+d
=
a(a0 z + b0 ) + b(c0 z + d0 )
(aa0 + bc0 )z + ab0 + bd0
=
.
c(a0 z + b0 ) + d(c0 z + d0 )
(ca0 + dc0 )z + cb0 + dd0
De plus, on vérifie que
(aa0 + bc0 )(cb0 + dd0 ) − (ab0 + bd0 )(ca0 + dc0 ) = (ad − bc)(a0 d0 − b0 c0 ) = ±1.
D’où la transitivité et la proposition est démontrée.
31
Remarque 4.1.1 : Cette démonstration peut être reprise
d’un point de vue matriciel. Convenons
!
p
d’identifier un rationnel p/q au vecteur colonne
. Dans ce cas, la réflexivité découle du fait
q
que
!
!
!
x
1 0
x
=
.
1
0 1
1
La symétrie provient quant à elle du fait que
!
! !
x
a b
y
=
=⇒
1
c d
1
y
1
!
=
a b
c d
!−1
!
x
.
1
Et enfin la transitivité se traduit par un produit matriciel :
!
! !


x
a
b
y


=


!
!
! !
1
c
d
1


x
a b
a0 b0
z
=
.
et ! ! =⇒
0 d0
!

1
c
d
c
1


y
a0 b0
z



 1 = c0 d0
1
On peut alors partitionner l’ensemble des nombres réels en classes d’équivalences selon ∼.
Caractérisons-les.
Théorème 4.1.1 : Tous les nombres rationnels sont équivalents entre eux.
Démonstration. Par transitivité, il suffit de montrer qu’un rationnel quelconque est toujours
équivalent à 0. Soit p/q ∈ Q. Quitte à diviser par le plus grand diviseur commum de p et q, on
peut supposer que p et q sont premiers entre eux. Ainsi, d’après le théorème de Bézout, il existe
deux entiers p0 et q 0 tels que pp0 − qq 0 = 1 ou encore q 0 q − pp0 = −1. Par conséquent,
q0 · 0 + p
p
= 0
.
q
p ·0+q
Autrement dit, tout rationnel est équivalent à 0 ∈ Q. Ainsi, par transitivité, la relation ∼
détermine une unique classe d’équivalence sur Q.
Le lemme suivant nous aidera à caractériser les classes d’équivalences sur R\Q.
Lemme 4.1.1 : Si
x=
Pζ + R
,
Qζ + S
avec ζ > 1 et P, Q, R et S des entiers tels que
Q≥S>0
P S − QR = ±1,
et
alors R/S et P/Q sont deux réduites consécutives de la fraction continue simple dont la valeur
est x. Et si R/S est la (n − 1)e réduite, P/Q la ne, alors ζ est le (n + 1)e quotient complet.
Démonstration. P/Q est rationnel, il peut donc être développé en une fraction continue simple
finie. Notons là [a0 , a1 , . . . , an ] de sorte que P/Q = pn /qn .
Quitte à transformer [a0 , a1 , . . . , an ] en [a0 , a1 , . . . , an − 1, 1], on peut supposer que n vérifie
P S − QR = ±1 = (−1)n−1 . De cette égalité, on en déduit que pgcd(P, Q) divise (−1)n−1 . Donc
P et Q sont premiers entre eux. De même pn /qn est une réduite. En particulier pn /qn est une
fraction irréductible d’après le théorème 2.1.4.
Comme P/Q = pn /qn , on déduit que
32
– soit P = pn et Q = qn ,
– soit P = −pn et Q = −qn .
Or Q > 0, tout comme qn . Ainsi Q et qn sont de même signe. Donc P = pn et Q = qn . Dès lors,
on a
P S − QR = pn S − qn R = (−1)n−1 = pn qn−1 − pn−1 qn ,
c’est-à-dire
pn (S − qn−1 ) = (R − pn−1 )qn .
(4.1)
D’où qn divise pn (S − qn−1 ) et qn est premier avec pn . Le lemme de Gauss implique donc que qn
divise (S − qn−1 ).
Or, par hypothèse et d’après le théorème 2.1.1,
0 < S ≤ qn
0 < qn−1 ≤ qn .
et
Par conséquent |S − qn−1 | < qn . On en déduit que nécessairement S − qn−1 = 0. Autrement dit
S = qn−1 et l’égalité (4.1) implique alors que R = pn−1 .
Finalement
pn ζ + pn−1
.
x=
qn ζ + qn−1
ζ étant un réel, il peut aussi étre développé en une fraction continue simple (éventuellement
infinie)
ζ = [an+1 , an+2 , . . .],
avec an+1 = E(ζ) ≥ 1 car ζ > 1. En particulier an+1 est un entier non nul (tout comme les
autres éléments de [an+1 , an+2 , . . .]).
Par conséquent,
x = [a0 , a1 , . . . , an , an+1 , an+2 , . . .]
est encore une fraction continue simple.
En conclusion, P/Q = pn−1 /qn−1 est la (n − 1)e réduite de x pour un certain n, R/S = pn /qn
est la ne et ζ = rn+1 est le (n + 1)e quotient complet de x, ce qui démontre le lemme.
Nous avons à présent tous les outils nécessaires pour démontrer le théorème suivant.
Théorème 4.1.2 : Deux nombres irrationnels ξ et η sont équivalents si et seulement s’il existe
des entiers m et n tels que la suite des éléments de ξ, après le me élément, coïncide avec la suite
des éléments de η après le ne. Autrement dit,
ξ = [a0 , a1 , . . . , am , c0 , c1 , c2 , . . .]
et
η = [b0 , b1 , . . . , bn , c0 , c1 , c2 , . . .].
(4.2)
Démonstration. Il est clair que si ξ et η vérifient (4.2), alors en notant ω = [c0 , c1 , . . .], on a
ξ=
pm ω + pm−1
qm ω + qm−1
et
η=
pn ω + pn−1
,
qn ω + qn−1
avec
pm qm−1 − pm−1 qm = (−1)m−1 = ±1
et
pn qn−1 − pn−1 qn = (−1)n−1 = ±1.
Ainsi ξ ∼ ω et η ∼ ω, d’où, par transitivité, ξ ∼ η.
Réciproquement, supposons que ξ et η soient deux nombres irrationnels équivalents, alors il
existe des entiers relatifs a, b, c, d tels que ad − bc = ±1 et
η=
aξ + b
.
cξ + d
33
Quitte à écrire η = −aξ−b
−cξ−d , on peut supposer que cξ +d > 0. En développant ξ en fraction continue
simple infinie, on a quel que soit k ≥ 2,
ξ = [a0 , a1 , . . .] =
pk−1 rk + pk−2
.
qk−1 rk + qk−2
Ainsi, pour tout k ≥ 2,
p
η=
r +p
k−1 k
k−2
a qk−1
rk +qk−2 + b
p
rk +pk−2
c qk−1
k−1 rk +qk−2
=
+d
a(pk−1 rk + pk−2 ) + b(qk−1 rk + qk−2 )
P rk + R
=
,
c(pk−1 rk + pk−2 ) + d(qk−1 rk + qk−2 )
Qrk + S
avec
P = apk−1 + bqk−1 ,
R = apk−2 + bqk−2 ,
Q = cpk−1 + dqk−1 ,
S = cpk−2 + dqk−2 .
Il est tout aussi clair que P, Q, R et S sont des entiers puisque pour tout k entier positif, pk et
qk sont des entiers. De plus on vérifie que
P S − QR = (ad − bc)(pk−1 qk−2 − pk−2 qk−1 ) = ±1.
Or d’après le théorème 3.3.1, il existe δ ∈]0, 1[ et δ 0 ∈]0, 1[ tels que
qk−1 ξ − pk−1 =
(−1)k−1 δ
qk
et
qk−2 ξ − pk−2 =
(−1)k−2 δ 0
,
qk−1
c’est-à-dire qu’il existe δ ∈]0, 1[ et δ 0 ∈]0, 1[ tels que
pk−1 = qk−1 ξ +
(−1)k δ
qk
et
pk−2 = qk−2 ξ +
(−1)k−1 δ 0
,
qk−1
ce qui revient à dire qu’il existe α = (−1)k−1 δ ∈ R tel que |α| < 1 et β = (−1)k−2 δ 0 ∈ R tel que
|β| < 1 vérifiant
β
α
et
pk−2 = qk−2 ξ +
.
pk−1 = qk−1 ξ +
qk
qk−1
Ainsi
Q = c(qk−1 ξ +
α
cα
,
) + dqk−1 = (cξ + d)qk−1 +
|
{z
}
qk
qk
|{z}
>0
−→ 0
k→∞
et
S = c(qk−2 ξ +
β
cβ
) + dqk−2 = (cξ + d)qk−2 +
.
|
{z
} qk−1
qk−1
| {z }
>0
−→ 0
k→∞
Ainsi, comme pour tout k ≥ 3, 0 < qk−2 < qk−1 d’après le théorème 2.1.3 et que 0 < cξ + d, il
existe m ≥ 3 à partir duquel 0 < S < Q.
En résumé, pour k = m, on a
Pζ + R
,
η=
Qζ + S
avec ζ = rm = [am , am+1 , . . .] > 1 car m > 0 et rm est un quotient complet d’une fraction
continue simple avec également
Q > S > 0,
P S − QR = ±1.
34
Le lemme 4.1.1 permet alors de conclure que ζ est un (n + 1)e quotient complet pour un certain
n de sorte que η est de la forme
η = [b0 , b1 , . . . , bn , ζ] = [b0 , b1 , . . . , bn , am , am+1 , . . .]
et, par définition, on avait
ξ = [a0 , a1 , . . . , am−1 , ζ] = [a0 , a1 , . . . , am−1 , am , am+1 , . . .].
Ceci achève la démonstration du théorème.
Après cette courte parenthèse sur les nombres équivalents, le prochain paragraphe sera consacré à divers théorèmes d’approximation. L’un d’entre eux étant même qualifié de théorème de
meilleure approximation, ce qui explique aussi que la prochaine section tienne une place centrale
dans notre étude aussi bien dans son volume que pour son importance théorique.
4.2
Approximation par les réduites
Dans ce paragraphe, nous allons démontrer plusieurs théorèmes d’approximation. Aussi, nous
considérerons tout au long de cette partie une fraction continue simple infinie représentant un
irrationnel x = [a0 , a1 , . . .]. Soit pn /qn la ne réduite de x.
Dans toute cette partie, p et q représentent des entiers premiers entre eux. On suppose
également q > 0.
4.2.1
Théorème de meilleure approximation
Proposition 4.2.1 : Si n > 1, 0 < q ≤ qn et p/q 6= pn /qn , alors
|qn x − pn | < |qx − p|.
(4.3)
Démonstration. D’après le théorème 3.3.1, la suite (qn x − pn )n≥1 est strictement décroissante en
valeur absolue. On a alors ∀n > 1,
|qn x − pn | < |qn−1 x − pn−1 |.
De sorte qu’il suffit de démontrer le théorème pour q vérifiant qn−1 < q ≤ qn . En effet, si l’on
arrive à démontrer le théorème pour un tel q, alors pour tout autre q vérifiant qn−k−1 < q ≤ qn−k
pour un certain k, on aura encore
|qn x − pn | < |qn−1 x − pn−1 | < · · · < |qn−k x − pn−k | < |qx − p|.
Supposons donc qn−1 < q ≤ qn et commençons par traiter le cas q = qn . Mais alors pn et p sont
des entiers distincts et |pn − p| ≥ 1. D’où
pn p pn
− = − p≥ 1.
qn
q
qn
qn qn
En utilisant les théorèmes 3.3.1 et 2.1.3, il vient alors
1
1
1
x − pn <
≤
<
.
qn
qn qn+1
qn (n + 1)
2qn
D’où
x − pn < x − p ,
qn qn 35
(4.4)
car dans le cas contraire on aboutirait à une contradiction puisqu’on aurait
x − p ≤ x − pn < 1 .
qn
qn 2qn
et donc
pn
p pn
p 1
1
1
1
≤
− ≤ − x + x − <
+
= .
qn qn
qn
qn
qn
2qn 2qn
qn
En utilisant que qn > 0, on déduit alors de (4.4)
pn p |qn x − pn | = qn x − < qn x − = |qn x − p| = |qx − p|.
qn
qn
Regardons à présent le cas où qn−1 < q < qn . En particulier, pn−1 /qn−1 6= p/q 6= pn /qn .
Comme pn qn−1 − pn−1 qn = ±1 6= 0, le système linéaire suivant admet un unique couple solution
(µ, ν) ∈ N2 :
(
pn µ + pn−1 ν = p,
qn µ + qn−1 ν = q.
Un calcul rapide montre que l’unique solution 1 de ce système est donnée par
µ = ±(pqn−1 − qpn−1 )
et
ν = ±(pqn − qpn ).
Par conséquent µ et ν sont des entiers relatifs non nuls car pn−1 /qn−1 6= p/q 6= pn /qn . Or,
0 < qn µ + qn−1 ν = q < qn .
Ainsi qn µ et qn−1 ν sont de signes contraires. Mais qn et qn−1 sont tous deux positifs (strictement).
Donc µ et ν sont de signes contraires, tout comme pn − qn x et pn−1 − qn−1 x d’après le théorème
3.3.1. De sorte que µ(qn x−pn ) et ν(qn−1 x−pn−1 ) sont de même signe. D’autre part, on a l’égalité
qx − p = (qn µ + qn−1 ν)x − (pn µ + pn−1 ν) = µ(qn x − pn ) + ν(qn−1 x − pn−1 ).
Ainsi, comme µ(qn x − pn ) et ν(qn−1 x − pn−1 ) sont de même signe, on a
|qx − p| = |µ(qn x − pn ) + ν(qn−1 x − pn−1 )| = |µ(qn x − pn )| + |ν(qn−1 x − pn−1 )|.
Or µ 6= 0 et qn x − pn 6= 0 également car x est irrationnel. Donc
|qx − p| > |ν(qn−1 x − pn−1 )| ≥ |qn−1 x − pn−1 | > |qn x − pn |.
Ce qui démontre la proposition.
Remarque 4.2.1 : Pour n = 1, la proposition reste vraie à condition de changer l’inégalité
stricte en une inégalité large.
Le théorème suivant est une conséquence directe de celui-ci et porte parfois le nom de théorème
de meilleure approximation. Enonçons-le et faisons immédiatement quelques commentaires à son
propos.
Théorème 4.2.1 (Théorème de meilleure approximation) : Si n > 1, 0 < q ≤ qn et
alors
x − pn < x − p .
qn q
1. le signe de µ et ν étant bien entendu déterminé par le signe de pn qn−1 − pn−1 qn .
36
p
q
6=
pn
qn ,
(4.5)
Démonstration. D’après la proposition précédente, on a |qn x − pn | < |qx − p|. Or qn ≥ q ≥ 1 > 0,
ainsi
p
1
1
1
p
n
x − = |qn x − pn | < |qx − p| ≤ |qx − p| = x − .
qn
qn
qn
q
q
En d’autres termes, étant donnée une réduite pn /qn , n > 1 d’une fraction continue simple
d’un nombre irrationnel x, il n’existe aucun autre rationnel p/q où 0 < q < qn qui approche
mieux x que pn /qn . En ce sens, les réduites fournissent les meilleures approximations possibles
d’un réel, ce qui justifie le nom du théorème et le commentaire que nous avions fait en toute fin
de chapitre 3 concernant l’approximation de π ≈ 103993/33102.
4.2.2
Un autre théorème d’approximation
Théorème 4.2.2 : Parmi deux réduites consécutives quelconques de x, l’une au moins vérifie
l’inégalité
x − p < 1 .
(4.6)
q 2q 2
Démonstration. Montrons que pour tout n ≥ 0, au moins une de ces deux inégalités est vérifiée
x − pn < 1 ,
x − pn+1 < 1 .
2
qn
2qn2
qn+1 2qn+1
Supposons alors par l’absurde que ce ne soit pas le cas pour un certain n ≥ 0. Dans ce cas,
pn+1 1
x − pn ≥ 1
et
x−
≥ 2 .
2
qn
2qn
qn+1
2qn+1
Or d’après le théorème 3.3.1, x − pn /qn et x − pn+1 /qn+1 sont de signes contraires, de sorte que
pn /qn − x et x − pn+1 /qn+1 sont de même signe. Ainsi
pn pn+1 pn
pn+1 pn
pn+1 1
1
−
=
−x + x−
= − x + x −
≥ 2 + 2 .
qn
qn+1
qn
qn+1
qn
qn+1
2qn 2qn+1
Or,
pn pn+1 pn qn+1 − qn pn+1 −(−1)n 1
=
=
−
qn qn+1 = qn qn+1 .
qn
qn+1 qn qn+1
Par conséquent, on a
⇐⇒
1
1
1
+ 2 ≤
2
2qn 2qn+1
qn qn+1
qn+1
qn
+
≤2
qn
qn+1
2
⇐⇒ qn+1
+ qn2 − 2qn qn+1 ≤ 0
⇐⇒ (qn+1 − qn )2 ≤ 0,
ce qui n’est possible que si qn+1 −qn = 0. Or d’après le théorème 2.1.3, pour tout n ≥ 1, qn < qn+1 .
Ainsi on obtient une contradiction pour n ≥ 1. Le théorème est donc démontré pour tout n ≥ 1.
Dans le cas où n = 0, on a q1 = q0 si et seulement si a1 = q1 = q0 = 1. En particulier si
a1 6= 1, on obtient une fois de plus une absurdité et le théorème est encore vrai. Analysons alors
de plus prés le cas n = 0 et a1 = 1. Dans ce cas, x est de la forme [a0 , 1, a2 , a3 , . . .] et
p0
= a0 ,
q0
p1
= a0 + 1
q1
et
37
x = a0 +
1
1+
1
a2 +...
.
Mais alors, toujours d’après le théorème 3.3.1,
p1
1
1
1
1
− x < p2 − x < 1 =
≤ <
= 2.
q1
q2
q2
2
2
(a2 + 1)
4
2·1
2q1
2
Ainsi, même pour n = 0, pn+1 /qn+1 = p1 /q1 vérifie l’inégalité donnée dans l’énoncé et le théorème
est encore vrai.
Le prochain théorème a pour but lui de montrer que, réciproquement, si un rationnel p/q
vérifie cette inégalité, alors p/q est une réduite de x.
Théorème 4.2.3 : Si un rationnel p/q vérifie
p
x − < 1 ,
q 2q 2
(4.7)
alors p/q est une réduite de x.
Démonstration. Soit p/q un rationnel tel que |x − p/q| < 1/2q 2 ou encore
Aussi, il existe deux réels θ et ε tels que
1
0<θ< ,
2
ε = ±1
et
x−
−1
2q 2
< x−
p
q
<
1
.
2q 2
p
εθ
= 2.
q
q
Comme p/q est un rationnel, il peut être développé en une fraction continue simple finie p/q =
[a0 , a1 , . . . , an ] telle que ε = (−1)n .
Notons encore pn /qn la ne réduite de p/q (de sorte que p/q = pn /qn ) et pn−1 /qn−1 sa (n − 1)e
réduite.
−qn−1 x
Posons également ω = pn−1
xqn −pn . Le réel ω est bien défini puisque x est irrationnel et on a
x=
pn ω + pn−1
.
qn ω + qn−1
Ainsi,
(−1)n θ
εθ
p
pn ω + pn−1 pn
= 2 =x− =
−
2
qn
q
q
qn ω + qn−1
qn
qn (pn ω + pn−1 ) − pn (qn ω + qn−1 )
=
qn (qn ω + qn−1 )
−(pn qn−1 − qn pn−1 )
=
.
qn (qn ω + qn−1 )
Mais pn qn−1 − qn pn−1 = (−1)n−1 . On en déduit que
θ
1
=
,
qn
qn ω + qn−1
ou encore
ω=
1 qn−1
−
.
θ
qn
Comme 1/θ > 2 et que qn ≥ qn−1 > 0, on a ω > 1. Ainsi le lemme 4.1.1 permet d’affirmer, en
particulier, que pn−1 /qn−1 et pn /qn = p/q sont des réduites de x. Ce qui démontre le théorème.
38
4.2.3
Théorème de Hurwitz
√
Lemme 4.2.1 : Pour tout réel A > 5, il existe un irrationnel x pour lequel il n’existe qu’un
nombre fini de fractions irréductibles p/q vérifiant
x − p < 1 .
(4.8)
q Aq 2
√
√
Démonstration. Soit A > 5. Considérons l’irrationnel x = ϕ = 5−1
et supposons par l’absurde
2
qu’il existe une infinité de fractions irréductibles p/q vérifiant l’inégalité (4.8). Pour chacune
d’entre elles, il existe δ ∈ R tel que
0 < |δ| <
1
1
<√
A
5
et
ϕ=
p
δ
+ .
q q2
(4.9)
Dans ce cas,
δ
= qϕ − p
q
√
δ
q( 5 − 1)
=
−p
q
2
√
δ q 5
q
−
=− −p
q
2
2
√ !2 2
δ q 5
q
−
=
+p
q
2
2
q
2
√
δ 2 5q 2
+
−
δ
5
=
+
p
q2
4
2
2
√
2
δ
q
5q 2
−
δ
5
=
+
p
.
−
q2
2
4
⇐⇒
⇐⇒
=⇒
⇐⇒
⇐⇒
Or,
5q 2
= p2 + pq − q 2 ∈ Z.
2
4
√
√
√
Donc δ 2 /q 2 − δ 5 ∈ Z. De plus, 0 < |δ| < 1/ 5, de sorte que 0 < |δ| 5 < 1 et comme il
existe une infinité de fractions irréductibles p/q vérifiant (4.9), q peut être choisi arbitrairement
√
grand afin que δ 2 /q 2 < 1 − |δ| 5. Pour un tel rationnel p/q, p2 + pq − q 2 est un entier inférieur
strictement à 1 en valeur absolue. Donc p2 + pq − q 2 = 0, mais cette équation n’a pas de solutions
√
dans Z2 : contradiction. Donc pour tout A > 5, il n’existe qu’un nombre fini de rationnels
vérifiant l’inégalité proposée pour x = ϕ, ce qu’il fallait démontrer.
q
+p
2
−
Théorème 4.2.4 : Soit x un nombre irrationnel. Pour tout n ≥ 3, l’une au moins des inégalités
suivantes est vérifiée :
1
pn 1
pn+1 1
x − pn−1 <
√
√
,
x− <
,
x−
< 2 √ .
2
2
qn−1 qn−1
q
q
5
qn 5
qn+1 5
n
n+1
Démonstration. Supposons le résultat faux, c’est-à-dire qu’il existe un certain n ≥ 3 tel que pour
i ∈ Jn − 1, n + 1K on ait
x − pi ≥ 1√ .
qi qi2 5
Or,
1
1
x − pi = 1 =
= 2
0
qi
qi qi+1
qi (ri+1 qi + qi−1 )
qi (ri+1 +
qi−1 ,
qi )
de sorte que si l’on note pour n ≥ 1, bn+1 = qn−1 /qn , on a pour tout i ∈ Jn − 1, n + 1K,
1
1
≥ 2√ ,
+ bi+1 )
qi 5
qi2 (ri+1
39
ou encore ∀i ∈ Jn − 1, n + 1K,
Montrons alors que
ri+1 + bi+1 ≤
√
5.
√
√
5−1
5−1
bn >
et bn+1 >
.
2
2
La démonstration
pour bn+1 étant la même à un changement d’indice près, montrons simplement
√
5−1
que bn > 2 . On a d’une part
1
rn−1 = an−1 + ,
rn
et d’autre part pour n ≥ 3,
1
qn−1
an−1 qn−2 + qn−3
=
=
= an−1 + bn−1 .
bn
qn−2
qn−2
De cette manière, on a
√
1
1
+
= rn−1 + bn−1 ≤ 5,
rn bn
√
ce qui revient à dire que 1/rn ≤ 5 − 1/bn . Ainsi on en déduit que
√
√
√
√
√
√
1
1
5
5
1 = rn
≤ ( 5 − bn )( 5 − ) = 5 −
− bn 5 + 1 = 6 −
− bn 5.
rn
bn
bn
bn
D’où
√
5
bn
c’est-à-dire
√
+ bn 5 ≤ 5,
√
1
+ bn ≤ 5.
bn
Comme bn = qn−1 /qn ∈ Q∗ et
√
5 ∈ R\Q, on a même
√
1
+ bn < 5,
bn
de sorte que
√
b2n − bn 5 + 1 < 0
√
1
bn+1
⇐⇒
bn ∈
5−1
,
2
√
"
5+1
.
2
√
On montre de la même manière que bn+1 > 5−1
2 . En conclusion,
√
√
√
√
1
5−1
2
5−1
2 5+4−6
5−1
√
− bn < √
−
=√
−
=
=√
= 1.
5−1
2
2
5−1
2( 5 − 1)
5−1
En particulier, bn >
an =
#√
5−1
2 .
2
D’où an < 1, ce qui est absurde car n ≥ 3 et la fraction est simple. L’hypothèse initiale était
donc erronée et le théorème est démontré.
Théorème 4.2.5 (Théorème de Hurwitz) : Tout irrationnel x admet une infinité d’approximations par des fractions irréductibles p/q qui vérifient
x − p < 1√ .
q q2 5
Démonstration. Un nombre irrationnel admet une infinité de réduites distinctes. Le théorème du
Hurwitz est alors une conséquence du théorème précédent.
Corollaire 4.2.1 : Si une fraction irréductible p/q vérifie l’inégalité donnée dans le théorème
de Hurwitz, alors p/q est une réduite de x.
40
Démonstration. Soit p/q vérifiant x − pq <
x −
1√
.
q2 5
Alors en particulier, comme 2 =
√
√
4 < 5,
1
1
p < √ < 2.
q q2 5
2q
Le théorème 4.2.3 permet alors de conclure que p/q est une réduite de x.
4.2.4
Compléments sur les approximations d’irrationnels
√
√
Nous venons de voir que si l’on remplace 5 par un nombre A > 5 alors il existe des
irrationnels x pour lesquels il n’existe qu’un nombre fini de rationnels pq vérifiant
x −
1
p <
.
q Aq 2
Toutefois, que se passe-t-il si nous nous restreignons à certaines classes d’irrationnels 2 ? Les trois
théorèmes suivants, dont nous ne donnerons pas la démonstration 3 , répondent en partie à cette
question.
√
Théorème 4.2.6 : Si un nombre irrationnel x n’est pas équivalent à ϕ =
une infinité de fractions irréductibles p/q telles que
1
x − p <
√ .
2
q
2q 2
5−1
2 ,
alors il existe
On a également le théorème suivant.
√
√
, ni à 2, alors
Théorème 4.2.7 : Si un nombre irrationnel x n’est équivalent ni à ϕ = 5−1
2
√
pour tout réel A tel que 0 < A ≤ 221/5, il existe une infinité de fractions irréductibles p/q telles
que
p
x − < 1 .
q Aq 2
D’une manière un peu plus générale, on a le résultat suivant.
Théorème 4.2.8 : Quel que soit r ∈ R≥0 , tout nombre irrationnel x peut être approché par
une infinité de fractions irréductibles p/q telles que
1
p
r
−√
< −x< √
.
2
q
1 + 4rq
1 + 4rq 2
Remarque 4.2.2 : On retrouve le théorème de Hurwitz en posant r = 1.
4.3
Fractions continues à éléments bornés et vitesse de convergence
Nous avions vu dans le théorème 3.3.1 que pour tout irrationnel x, on avait
1
pn 1
1
∀n ≥ 1, x − =
=
<
.
0
qn
qn qn+1
qn (an+1 qn + qn−1 )
an+1 qn2
(4.10)
2. On fait référence ici aux classes d’équivalences pour la relation ∼ définie en début de chapitre.
3. La démonstration des théorèmes 4.2.6 et 4.2.8 peut être trouvée au chapitre 4 de [7], tandis que la démonstration du théorème 4.2.7 y est laissée en exercice. Celle-ci utilise le même genre d’arguments que la preuve du
théorème 4.2.6.
41
On comprend alors, intuitivement, que plus les an sont petits, moins bonne sera l’approximation
par les réduites dans le sens où il faudra pousser le calcul de celles-ci beaucoup plus loin pour
avoir un résultat que l’on juge satisfaisant. En ce sens, la fraction continue simple infinie
√
5−1
ϕ = [1] =
2
ne converge pas très rapidement. Il en va de même pour tout nombre équivalent à ϕ.
Inversement, plus la suite (an )n≥0 est croissante et prend des grandes valeurs, plus la croissance de la suite (qn )n≥0 est importante et plus rapide est la convergence de la suite des réduites.
Ainsi dans le cas où la suite positive (an )n≥0 n’est pas bornée, c’est-à-dire si
lim sup an = +∞,
n→+∞
alors pour tout ε > 0 il existe une infinité d’entiers n tels que 1/an+1 < ε. On déduit alors de
l’équation (4.10) que pour tout ε > 0, il existe une infinité de fractions irréductibles p/q tels que
x − p < ε .
q q2
Notons tout de même que ceci n’est pas en contradiction avec nos précédents énoncés puisque
√
si la suite (an )n≥0 n’est pas bornée, en particulier, x n’est équivalent ni à ϕ, ni à 2.
On montre en fait que pour presque tout irrationnel, la suite (an )n≥0 n’est pas bornée. Ceci
fera l’objet d’un théorème que l’on énoncera et démontrera juste après avoir fait quelques rappels
nécessaires de théorie de la mesure.
4.3.1
Rappels de théorie de la mesure
Proposition 4.3.1 : Le triplet (R, L(R), λ), où L(R) est la tribu de Lebesgue sur R et λ la
mesure de Lebesgue sur R, est un espace mesuré.
Définition 4.3.1 (Ensemble négligeable) : Soit (X, A, µ) un espace mesuré. Une partie N de
X est dite négligeable s’il existe Y ∈ A contenant N de mesure nulle.
Proposition 4.3.2 : Dans un espace mesuré (X, A, µ), toute réunion dénombrable d’ensembles
négligeables est négligeable.
Proposition 4.3.3 : La mesure de Lebesgue sur R est complète dans (R, L(R), λ). Autrement
dit, tout sous-ensemble d’une partie négligeable de (R, L(R), λ) est négligeable.
Proposition 4.3.4 : Le sous-ensemble Q est négligeable dans (R, L(R), λ).
Nous pouvons à présent passer au théorème majeur de ce paragraphe.
4.3.2
Théorème sur les fractions continues à éléments bornés
Théorème 4.3.1 : L’ensemble des réels x pour lesquels la suite (an )n≥0 est bornée est négligeable.
Démonstration. Puisque l’ensemble des rationnels est négligeable (proposition 4.3.4), il suffit de
démontrer le théorème pour les irrationnels x tels que la suite (an )n≥0 est bornée. D’après la
proposition 4.3.2, nous pouvons également nous restreindre à l’ensemble des irrationnels de ]0, 1[
puisque tout irrationnel peut s’écrire comme somme d’un irrationnel appartenant à ]0, 1[ et d’un
entier relatif (sa partie entière). De sorte que pour de tels x, a0 = 0. De plus, toujours d’après
cette même proposition, il suffit de montrer que l’ensemble Fk des irrationnels x ∈]0, 1[ tels que
42
pour tout n ≥ 1, an ≤ k est négligeable. L’ensemble des irrationnels pour lesquels an est borné
sera alors réunion dénombrable des ensembles Fk et on aura le résultat.
Notons
Ea1 ,a2 ,...,an
l’ensemble des irrationnels x ∈ ]0, 1[ tels que les n premiers éléments prennent respectivement
les valeurs a1 , a2 , . . . , an .
En particulier, l’ensemble Ea1 est l’ensemble des irrationnels de la forme a + 1 1 où a1 est
1
a2 +...
fixé. De sorte que Ea1 ⊂ [ a11+1 , a11 ]. Notons Ia1 cet intervalle et notons encore Ia1 la longueur de
l’intervalle Ia1 . Ainsi,
1
1
1
Ia1 =
=
.
−
a1 + 1 a1
(a1 + 1)a1
Plus généralement, l’ensemble Ea1 ,a2 ,...,an ⊂ Ia1 ,a2 ,...,an où Ia1 ,a2 ,...,an est l’intervalle d’extrémités
[a1 , a2 , . . . , an−1 , an + 1]
et
[a1 , a2 , . . . , an−1 , an ],
de sorte que Ia1 ,a2 ,...,an est la réunion (disjointe à l’exception éventuelle des bornes des intervalles)
dénombrable des intervalles
Ia1 ,a2 ,...,an ,1 ,
Ia1 ,a2 ,...,an ,2 ,
Ia1 ,a2 ,...,an ,3 ,
...
Remarquons également que pour n ≥ 2, les extrémités de l’intervalle Ia1 ,a2 ,...,an sont égales
respectivement à
(an + 1)pn−1 + pn−2
pn + pn−1
pn
=
et
.
(an + 1)qn−1 + qn−2
qn + qn−1
qn
Alors, pour n ≥ 2, la longueur de l’intervalle Ia1 ,a2 ,...,an , encore notée Ia1 ,a2 ,...,an pour ne pas
alourdir les notations inutilement, est égale à
pn + pn−1 pn |qn (pn + pn−1 ) − pn (qn + qn−1 )|
− =
Ia1 ,a2 ,...,an = qn + qn−1
qn
qn (qn + qn−1 )
n
1
|(−1) |
=
.
=
qn (qn + qn−1 )
qn (qn + qn−1 )
Considérons également pour k ≥ 1 entier le sous-ensemble Ea1 ,a2 ,...,an ;k de Ea1 ,a2 ,...,an pour lequel
an+1 ≤ k. Ainsi Ea1 ,a2 ,...,an ;k est réunion (finie) des ensembles
Ea1 ,a2 ,...,an ,an+1 ⊂ Ia1 ,a2 ,...,an ,an+1
avec an+1 ∈ J1, kK.
On en déduit l’inclusion
Ea1 ,a2 ,...,an ;k ⊂
k
[
Ia1 ,a2 ,...,an ,i ⊂ Ia1 ,a2 ,...,an ;k ,
i=1
où Ia1 ,a2 ,...,an ;k est l’intervalle dont les bornes sont données par
[a1 , a2 , . . . , an−1 , an , k + 1]
et
[a1 , a2 , . . . , an−1 , an , 1].
Or la longueur de Ia1 ,a2 ,...,an ;k est égale à
(k + 1)pn + pn−1 1 · pn + pn−1 k
=
Ia1 ,a2 ,...,an ;k = −
.
(k + 1)qn + qn−1
1 · qn + qn−1 ((k + 1)qn + qn−1 )(qn + qn−1 )
Comme qn−1 /qn > 0, on a alors quels que soient les entiers a1 , a2 , . . . , an ,
Ia1 ,a2 ,...,an ;k
kqn (qn + qn−1 )
kqn
k
=
=
=
Ia1 ,a2 ,...,an
((k + 1)qn + qn−1 )(qn + qn−1 )
(k + 1)qn + qn−1
k+1+
43
qn−1
qn
<
k
.
k+1
Notons enfin
(n)
Ik
[
=
Ia1 ,a2 ,...,an
a1 ≤k,...,an ≤k
(n)
la réunion des Ia1 ,a2 ,...,an pour lesquels a1 ≤ k, . . . , an ≤ k et notons aussi Fk l’ensemble des
(n)
irrationnels x tels que a1 ≤ k, . . . , an ≤ k. Comme tout élément de Fk est un élément de
Ea1 ,a2 ,...,an ⊂ Ia1 ,a2 ,...,an pour certains ai ≤ k, on a clairement
(n)
(n)
Fk ⊂ Fk
⊂ Ik .
(1)
Ensuite, Ik est par définition la réunion des Ia1 où a1 prend ses valeurs dans J1, kK, de sorte
(1)
que la longueur de Ik est donnée par
(1)
Ik
=
k
X
a1 =1
k X
1
1
1
1
k
=
−
=1−
=
.
(a1 + 1)a1
a1 a1 + 1
k+1
k+1
a1 =1
(n+1)
Plus généralement, pour n ≥ 1, Ik
est réunion (finie) des intervalles Ia1 ,a2 ,...,an ,an+1 pour
lesquels a1 ≤ k, . . . , an ≤ k et an+1 ≤ k. Autrement dit,
[
(n+1)
Ia1 ,a2 ,...,an ;k ,
Ik
=
a1 ≤k,...,an ≤k
(n+1)
de sorte que la longueur de Ik
(n+1)
Ik
=
X
est donnée par
X
Ia1 ,a2 ,...,an ;k <
a1 ≤k,...,an ≤k
a1 ≤k,...,an ≤k
k
k
(n)
Ia1 ,a2 ,...,an =
I .
k+1
k+1 k
Par récurrence, on a alors
0≤
(n+1)
Ik
<
k
k+1
n
(1)
Ik
=
k
k+1
n+1
.
k
k n+1
)
= 0 car | k+1
| < 1.
Or pour tout k ≥ 1, limn→∞ ( k+1
(n)
Finalement, quel que soit k ≥ 1, Fk peut être inclus dans un intervalle de mesure aussi
(n)
petite qu’on le désire. Comme tout Fk est inclus dans Fk quel que soit n, il résulte de la
proposition 4.3.3 que chaque Fk est négligeable. Donc l’ensemble des irrationnels de ]0, 1[ à
éléments bornés est négligeable et, par suite, l’ensemble des réels de [0, 1] à éléments bornés
est négligeable. De sorte que l’ensemble des réels pour lesquels la suite (an )n≥0 est bornée est
négligeable. Ce qui achève la démonstration.
Corollaire 4.3.1 : Presque tout réel x peut, quel que soit ε > 0, être approché par une infinité
de fractions irréductibles p/q telles que
x − p < ε .
q q2
Démonstration. Ceci est une conséquence du théorème précédent puisque presque tout réel a une
suite positive d’éléments (an )n≥1 non bornée. Donc pour presque tout réel x et tout ε > 0, il
existe une infinité d’entiers n ≥ 1 tels que 1/an+1 < ε. L’inégalité (4.10) permet de conclure.
Nous savions déjà que tout réel peut être approché d’aussi près que l’on veut par des rationnels. Mais ce théorème est bien plus fort. Il assure que pour presque tout réel x, quelle que
soit la précision avec laquelle vous souhaitez approcher x, vous pouvez le faire d’une infinité de
manières différentes.
44
Définition 4.3.2 (Constante de Lagrange) : Soit x un irrationnel. La constante de Lagrange
de x est la borne supérieure des réels A tels que l’inégalité
x − p < 1
q Aq 2
soit vérifiée par une infinité de fractions irréductibles p/q.
Cette constante peut être égale à +∞.
Remarque 4.3.1 : Une autre manière d’exprimer le théorème 4.3.1 est de dire que presque tout
réel x a une constante de Lagrange infinie. Le théorème de Hurwitz montre en particulier que
√
√
toute constante de Lagrange est au moins égale à 5. La constante de Lagrange pour ϕ = 1+2 5
√
est alors égale à 5. On pourra trouver plus d’informations à ce sujet dans [1].
Dans le prochain chapitre nous nous intéresserons plus particulièrement à ce qu’on appelle
les irrationnels quadratiques. Nous donnerons notamment une application de cette théorie aux
équations de Pell-Fermat.
45
Chapitre
5
Fractions continues périodiques et
irrationnels quadratiques
5.1
5.1.1
Généralités
Premières définitions et premiers résultats
Définition 5.1.1 (Fraction continue périodique) : Une fraction continue x est dite périodique
si elle est infinie et s’il existe un entier L ≥ 0 et un entier k ≥ 1 tels que pour tout l ≥ L,
al+k = al .
Une fraction continue périodique est alors de la forme x = [a0 , a1 , . . . , aL−1 , aL , aL+1 , . . . , aL+k−1 ].
Dans ce chapitre, nous continuons à ne considérer que des fractions continues simples. Ainsi
le terme fraction continue périodique désignera par la suite fraction continue simple périodique.
En particulier, toute fraction continue simple périodique est infinie, convergente et représente un
nombre irrationnel.
Définition 5.1.2 (Irrationnel quadratique) : On appelle irrationnel quadratique toute racine
irrationnelle d’une équation quadratique à coefficients entiers.
Définition 5.1.3 (Nombre purement périodique) : Un nombre x est dit purement périodique
si son développement en fraction continue est une fraction continue périodique où L = 0.
√
Proposition 5.1.1 : Soit un nombre réel x = A + B D tel que A ∈ Q, B ∈ Q∗ et D est
un entier naturel qui n’est pas un carré parfait. Alors x est racine d’une équation quadratique à
coefficients entiers ax2 + bx + c = 0 avec a > 0 et b2 − 4ac > 0.
Démonstration. On vérifie que x est solution de l’équation x2 − 2Ax + (A2 − B 2 D) = 0.
√
Le réel x0 = A − B D est l’autre racine de cette équation ; il est appelé conjugué de x. Nous
aurons besoin par la suite du lemme suivant.
Lemme 5.1.1 : Le conjugué d’une somme, d’une différence, d’un produit ou d’un quotient est
égal, respectivement, à la somme, à la différence, au produit ou au quotient des conjugués.
Démonstration. La démonstration est immédiate.
Passons maintenant à un premier théorème sur les irrationnels quadratiques. Celui-ci a pour
but de démontrer qu’un nombre est un irrationnel quadratique si et seulement si son développement en fraction continue est périodique.
46
5.1.2
Théorème de Lagrange
Théorème 5.1.1 (Théorème de Lagrange) : Une fraction continue est périodique si et seulement si elle représente un irrationnel quadratique.
Démonstration de l’implication du théorème de Lagrange (⇒).
Soit x = [a0 , a1 , . . . , aL−1 , aL , aL+1 , . . . , aL+k−1 ] une fraction continue périodique. Observons que
rL = [aL , aL+1 , . . . , aL+k−1 , rL ],
de sorte que
rL =
p0 rL + p00
,
q 0 rL + q 00
où p0 /q 0 est la dernière réduite de [aL , aL+1 , . . . , aL+k−1 ] et p00 /q 00 est l’avant dernière. Ainsi rL
vérifie
2
rL (q 0 rL + q 00 ) = p0 rL + p00 ⇐⇒ q 0 rL
+ (q 00 − p0 )rL − p00 = 0.
(5.1)
D’autre part, on a
x=
rL pL−1 + pL−2
,
rL qL−1 + qL−2
ou encore
rL =
pL−2 − qL−2 x
.
qL−1 x − pL−1
Finalement en réinjectant cette dernière expression dans l’équation (5.1), puis en multipliant par
(qL−1 x − pL−1 )2 6= 0, on déduit que x est solution de l’équation
ax2 + bx + c = 0
pour certains entiers a, b, c fonctions des entiers pL−1 , pL−2 , qL−1 et qL−2 . Donc x est bien un
nombre irrationnel solution d’une équation quadratique à coefficients entiers.
Démonstration de la réciproque du théorème de Lagrange (⇐).
Soit x = [a0 , a1 , . . .] un irrationnel quadratique qui est solution d’une équation quadratique à
coefficients entiers (pour certains a, b et c) suivante :
ax2 + bx + c = 0 avec b2 − 4ac > 0.
(5.2)
Nous souhaitons montrer que [a0 , a1 , . . .] est périodique. Soit n ≥ 2, on a
x=
rn pn−1 + pn−2
.
rn qn−1 + qn−2
On en déduit l’équation
a
rn pn−1 + pn−2
rn qn−1 + qn−2
2
+b
rn pn−1 + pn−2
rn qn−1 + qn−2
+ c = 0,
ce qui est équivalent à
a(rn pn−1 + pn−2 )2 + b(rn pn−1 + pn−2 )(rn qn−1 + qn−2 ) + c(rn qn−1 + qn−2 )2 = 0.
Tous calculs faits, on trouve l’équation à coefficients entiers An , Bn et Cn suivante :
An rn2 + Bn rn + Cn = 0,
47
(5.3)
où
2
An = ap2n−1 + bpn−1 qn−1 + cqn−1
,
Bn = 2apn−1 pn−2 + b(pn−1 qn−2 + pn−2 qn−1 ) + 2cqn−1 qn−2 ,
2
Cn = ap2n−2 + bpn−2 qn−2 + cqn−2
= An−1 .
Or An 6= 0 car dans le cas contraire pn−1 /qn−1 serait une racine rationnel de (5.2), ce qui
ne peut se produire que dans deux cas. Le premier étant si b2 − 4ac = 0, auquel cas l’équation
n’admet pas de racines irrationnelles, ce qui est contradictoire avec l’existence de x. Le second
cas étant si b2 − 4ac est un carré parfait, mais là encore cela contredit l’irrationalité de x.
En résumé, l’équation
An y 2 + B n y + C n = 0
est bien une équation quadratique à coefficients entiers, et l’on en connaît une racine irrationnelle
rn de sorte que Bn2 − 4An Cn > 0 et n’est pas un carré parfait. On vérifie en effet que l’on a
Bn2 − 4An Cn = b2 − 4ac.
De plus en utilisant le théorème 3.3.1, il vient
pn−1 = xqn−1 +
δn−1
qn−1
avec |δn−1 | < 1.
Or x est solution de l’équation (5.2). On en déduit que
δn−1 2
δn−1
2
) + bqn−1 (xqn−1 +
) + cqn−1
qn−1
qn−1
δ2
2
+ 2axδn−1 + a n−1
+ bδn−1
= (ax2 + bx + c) qn−1
2
{z
}
|
qn−1
An = a(xqn−1 +
= 0
= 2axδn−1 + a
2
δn−1
+ bδn−1 .
2
qn−1
D’où,
2 δ
+ |bδn−1 | < 2|ax| + |a| + |b|.
|An | ≤ |2axδn−1 | + a n−1
q2 n−1
De même, on a
pn−2 = xqn−2 +
δn−2
qn−2
avec |δn−2 | < 1.
Par le même raisonnement, on en conclut que |Cn | = |An−1 | < 2|ax| + |a| + |b|.
D’autre part, Bn2 = 4An Cn + b2 − 4ac. D’où,
Bn2 ≤ 4|An | · |Cn | + |b2 − 4ac| < 4(2|ax| + |a| + |b|)2 + |b2 − 4ac|.
En particulier,
|Bn | ≤ Bn2 < 4(2|ax| + |a| + |b|)2 + |b2 − 4ac|.
Finalement, on peut majorer les valeurs absolues de An , Bn et Cn par un nombre fixé qui ne
dépend pas de n. De sorte que les valeurs absolues de An , Bn et Cn (qui sont des entiers) ne
peuvent prendre qu’un nombre fini de valeurs. A fortiori, An , Bn et Cn ne peuvent prendre
qu’un nombre fini de valeurs. Mais les nombres An , Bn et Cn sont définis pour chaque n ≥ 2.
Dès lors, il existe au moins un triplet (A, B, C) qui apparaît au moins trois fois dans la suite
((An , Bn , Cn ))n≥2 (sinon la fraction continue x serait finie). Soit alors un tel triplet
(A, B, C) = (Ai , Bi , Ci ) = (Aj , Bj , Cj ) = (Ak , Bk , Ck )
48
pour certains entiers i, j, k distincts que l’on peut supposer vérifier i < j < k (quitte à réindexer).
On déduit de (5.3) que ri , rj et rk sont trois solutions de l’équation quadratique Ay 2 +By +C = 0
dont on sait qu’elle admet au plus deux solutions. Ainsi parmi les nombres ri , rj et rk , deux au
moins sont égaux. Supposons pour fixer les idées que ce soit ri et rj . Dans ce cas,
ri = [ai , ai+1 , . . .]
et
rj = [aj , aj+1 , . . .]
sont deux fractions continues simples infinies représentant le même irrationnel. Le théorème 3.2.2
permet alors d’affirmer que
ai = aj ,
ai+1 = aj+1 ,
ai+2 = aj+2 ,
...
Finalement x est de la forme
x = [a1 , a2 , . . . , ai−1 , ai , ai+1 , . . . , aj−1 , ai , ai+1 , . . .] = [a1 , a2 , . . . , ai−1 , ai , ai+1 , . . . , aj−1 ],
et x est périodique, ce qui achève la démonstration de la réciproque du théorème de Lagrange.
Le prochain théorème est lui aussi très important. Nous nous en servirons dans la prochaine
section.
5.1.3
Théorème de Galois
Définition 5.1.4 (Irrationnel quadratique réduit) : On dit qu’un irrationnel quadratique α
est réduit si α > 1 et si son conjugué α0 vérifie −1 < α0 < 0.
Pour démontrer le théorème de Galois ci-dessous, nous aurons besoin des deux lemmes suivants.
Lemme 5.1.2 : Etant donné un entier N qui n’est pas un carré parfait, il n’existe qu’un nombre
fini d’irrationnels quadratiques réduits α de la forme
√
P+ N
α=
,
(5.4)
Q
où P ∈ Z et Q ∈ N∗ . De plus, pour de tels irrationnels quadratiques réduits, P est nécessairement
strictement positif.
Démonstration. Soient N un entier qui n’est pas un carré parfait, α un irrationnel quadratique
réduit de la forme (5.4) et α0 son conjugué. Ainsi,
√
√
P+ N
P− N
0
α=
>1
et
−1<α =
< 0.
Q
Q
En particulier,
√
√
P− N
2P
P+ N
0<α+α =
+
=
.
Q
Q
Q
Or Q > 0, de sorte que P > 0. Pour la même raison,
√
√
P− N
0
α =
< 0 =⇒ P < N .
Q
0
Par ailleurs, toujours en utilisant la positivité de Q, on a
√
√
P+ N
α=
> 1 =⇒ P + N > Q.
Q
Finalement, nous avons les inégalités suivantes :
√
√
√
√
√
0<P < N
et
0 < Q < N + P < N + N = 2 N.
Ainsi, N étant fixé et Q étant supposé positif, P et Q ne peuvent prendre qu’un nombre fini de
valeurs entières, ce que nous voulions démontrer.
49
Lemme 5.1.3 : Si α est un irrationnel quadratique réduit, alors il peut être exprimé sous la
forme
1
α = a0 +
,
α1
où a0 = E(α) et α1 est encore un irrationnel quadratique réduit.
Démonstration. Soit α un irrationnel quadratique réduit. Alors α est solution d’une équation
quadratique de la forme ax2 + bx + c = 0, où a, b, c sont des entiers vérifiant a > 0 et b2 − 4ac > 0
avec b2 − 4ac qui n’est pas un carré parfait. En particulier, comme α est réduit, on connaît son
expression en fonction de a, b et c. Celle-ci est donnée par
√
−b + b2 − 4ac
α=
.
2a
Posons
1
,
α1 =
α − a0
de sorte que
1
α = a0 +
,
α1
et montrons que α1 est un irrationnel quadratique réduit.
Comme α est solution de l’équation ax2 + bx + c = 0, on en déduit que
1 2
1
a a0 +
+ b a0 +
+ c = 0.
α1
α1
Cette égalité est équivalente à
(aa20 + ba0 + c)α12 + (2aa0 + b)α1 + a = 0.
Ainsi, α1 est solution de l’équation quadratique à coefficients entiers a0 x2 + b0 x + c0 = 0 où
a0 = aa20 + ba0 + c,
b0 = 2aa0 + b
et
c0 = a.
De plus,
b02 − 4a0 c0 = (2aa0 + b)2 − 4(aa20 + ba0 + c)a = b2 − 4ac.
(5.5)
Comme b2 − 4ac n’est pas un carré parfait, il en est de même de b02 − 4a0 c0 . Par conséquent, α1
est un irrationel quadratique.
D’autre part, a0 = E(α). Donc 0 < α − a0 = 1/α1 < 1, de sorte que α1 > 1. Pour achever
la démonstration, il suffit de montrer que le conjugué de α1 , que l’on notera α10 , appartient à
l’intervalle ] − 1, 0[. Notons également α0 le conjugué de α. En utilisant le lemme 5.1.1, on montre
que
1
α10 = 0
.
α − a0
Comme α est réduit, a0 ≥ 1 et −1 < α0 < 0. Ainsi, α0 − a0 < −1, ce qui implique
−1 < α10 < 0.
Autrement dit, α1 est réduit. Le lemme est démontré.
√
On notera en particulier que si α = (P + N )/Q où P, Q et N sont tels qu’énoncés dans le
lemme 5.1.2, alors la relation (5.5) implique que α1 est lui aussi de la forme
√
P1 + N
α1 =
Q1
pour certains entiers P1 et Q1 entièrement déterminés par α.
Nous avons à présent tous les outils nécessaires pour énoncer et démontrer le théorème de
Galois.
50
Théorème 5.1.2 (Théorème de Galois) : Un irrationnel quadratique α est purement périodique
si et seulement s’il est réduit.
Démonstration de l’implication du théorème de Galois (⇒).
Soit α = [a0 , a1 , . . . , an ] un irrationnel purement périodique. Notons pk /qk les réduites de α.
Posons β = [an , an−1 , . . . , a0 ] et notons uk /vk les réduites de β. D’après les propositions 1.3.6 et
1.3.7, nous avons
pn
un
= [an , an−1 , . . . , a0 ] =
,
pn−1
vn
qn
un−1
= [an , an−1 , . . . , a1 ] =
.
qn−1
vn−1
Or ces fractions sont irréductibles car ce sont des réduites. De plus, pn et un sont clairement de
même signe. Il en va de même pour qn et un−1 . Ainsi, on a
pn = un ,
pn−1 = vn ,
qn = un−1 ,
qn−1 = vn−1 .
De plus, α est purement périodique. Donc tout comme nous l’avions fait dans la précédente
démonstration, nous avons
pn α + pn−1
α=
,
qn α + qn−1
de sorte que l’on a qn α2 +(qn−1 −pn )α−pn−1 = 0. Mais nous avons aussi pour les mêmes raisons,
β=
un β + un−1
pn β + qn
=
.
vn β + vn−1
pn−1 β + qn−1
Ainsi β vérifie : pn−1 β 2 − (pn − qn−1 )β − qn = 0. β étant clairement non nul, cette équation est
équivalente à
1
1
pn−1 − (pn − qn−1 ) − qn 2 = 0,
β
β
qui est équivalent à
qn
−1
β
2
+ (qn−1 − pn )
−1
β
− pn−1 = 0.
Ainsi α et −1/β sont les deux racines irrationnelles conjuguées l’une de l’autre de l’équation
quadratique à coefficients entiers
qn x2 + (qn−1 − pn )x − pn−1 = 0.
De plus, il est clair que α > 1 puisque les éléments ai sont des entiers naturels non nuls. Dans
ce cas, il est tout aussi clair que 0 < 1/β < 1. De sorte que −1 < −1/β < 0 et α est réduit.
Démonstration de la réciproque du théorème de Galois (⇐).
Soit α un irrationnel quadratique réduit. D’après le lemme 5.1.3, on a l’existence d’un irrationnel
quadratique réduit α1 tel que
1
α = a0 +
,
α1
où a0 = E(α) > 1. Comme α1 est encore un irrationnel quadratique réduit, on peut appliquer
une fois de plus le lemme 5.1.3 à α1 . On a alors l’existence d’un irrationnel quadratique réduit
α2 tel que
1
α1 = a1 +
,
α2
51
où a1 = E(α1 ) > 1. De proche en proche et avec la convention α0 = α, on construit une suite
(an )n≥0 d’entiers strictement positifs et une suite (αn )n≥0 d’irrationnels quadratiques réduits
vérifiant pour tout n ≥ 0,
1
α = a0 +
.
a1 + ...+ 1 1
an + α 1
n+1
L’irrationalité de α assure que les suites (an )n≥0 et (αn )n≥0 sont infinies. Par ailleurs, si
√
α = (P + N )/Q pour certains P, Q et N tels qu’énoncés dans le lemme 5.1.2, alors chaque
√
αn est aussi de la forme (Pn + N )/Qn pour certains Pn et Qn entiers strictement positifs.
Mais d’après le lemme 5.1.2, il n’existe qu’un nombre fini d’irrationnels quadratiques réduits se
décomposant sous cette forme. Par conséquent, il existe au moins un αi qui se répète dans la
suite (αn )n≥0 . Considérons alors le plus petit indice l dont la valeur αl soit déjà apparue dans les
l premiers termes de la suite. C’est-à-dire que les irrationnels α0 , α1 , . . . , αl−1 sont tous distincts
et qu’il existe k ∈ J0, l − 1K tel que αk = αl .
Montrons alors que la suite (αn )n≥0 est périodique à partir du rang k. Il nous suffira ensuite
de montrer que k = 0 pour pouvoir en déduire le résultat. Comme
ak +
1
1
= αk = αl = al +
,
αk+1
αl+1
et que
ak = E(αk ) = E(αl ) = al ,
on en déduit que αk+1 = αl+1 . Par une récurrence immédiate, on obtient que pour tout i ≥ 0,
αk+i = αl+i ,
de sorte que la suite (αn )n≥0 est périodique à partir du rang k.
Montrons maintenant que k = 0. Si l = 1, comme k ∈ J0, l − 1K, on a directement k = 0.
Sinon, supposons par l’absurde que k ∈ J1, l − 1K et convenons de noter αn0 , pour tout entier n,
le conjugué de αn . Puisque
αk−1 = ak−1 +
1
αk
et
αl−1 = al−1 +
1
,
αl
1
αk0
et
0
αl−1
= al−1 +
1
.
αl0
(5.6)
on obtient en utilisant le lemme 5.1.1,
0
αk−1
= ak−1 +
Par ailleurs, αk−1 et αl−1 sont réduits, de sorte que
1
1
0
0
0 < −αk−1 = − 0 − ak−1 < 1
et
0 < −αl−1 = − 0 − al−1 < 1.
αk
αl
Ainsi,
1
ak−1 = E − 0
αk
1
al−1 = E − 0 .
αl
et
Or,
αk = αl
=⇒
−
1
1
= − 0.
0
αk
αl
Donc ak−1 = al−1 . On déduit alors de (5.6) que αk−1 = αl−1 , ce qui est en contradiction avec la
minimalité de l. Ainsi k = 0 et pour tout i ≥ 0, αi = αl+i . Donc quel que soit i ≥ 0,
ai +
1
αi+1
= αi = αl+i = al+i +
52
1
αl+i+1
= al+i +
1
αi+1
.
D’où, pour tout i ≥ 0,
ai = al+i .
Finalement,
α = [a0 , a1 , . . . , al−1 ],
et α est purement périodique, ce qu’il fallait démontrer.
5.2
Cas particulier des racines carrées
√
Dans cette section, nous allons nous intéresser aux irrationnels de la forme N où N n’est
√
pas un carré parfait. Puisque N est un irrationnel quadratique, le théorème de Lagrange assure
que son développement en fraction continue est infini et périodique. Aussi, donnons-en quelques
propriétés supplémentaires.
Proposition 5.2.1 : Soit N un entier positif qui n’est pas un carré parfait, alors le dévelop√
pement en fraction continue de N est de la forme
√
N = [a0 , a1 , a2 , . . . , an , 2a0 ]
pour un certain n ≥ 1 et avec ai ∈ N∗ pour tout i ≥ 0.
Démonstration. Notons [a0 , a1 , a2 , . . .] le développement en fraction continue simple infinie de
√
√
√
N et considérons l’irrationnel quadratique a0 + N , où a0 = E( N ) ≥ 1. On a dans ce cas
√
√
a0 + N > 1
et
0 ≤ N − a0 < 1.
√
√
√
Puisque N n’est pas un entier, on a même 0 < N . D’où −1 < a0 − N < 0. C’est-à-dire
√
√
que le conjugué de a0 + N ∈ ] − 1, 0[. Ainsi a0 + N est réduit, donc est purement périodique
d’après le théorème de Galois. Son développement en fraction continue simple infinie est alors
de la forme
√
a0 + N = [2a0 , a1 , a2 , . . . , an ]
pour un certain n ≥ 0. On en déduit que
√
N =[2a0 , a1 , a2 , . . . , an ] − a0
=[2a0 , a1 , a2 , . . . , an , 2a0 , a1 , a2 , . . . , an ] − a0
=[a0 , a1 , a2 , . . . , an , 2a0 , a1 , a2 , . . . , an ]
=[a0 , a1 , a2 , . . . , an , 2a0 ].
Exemple 5.2.1 : En utilisant l’algorithme de développement en fraction continue simple décrit
dans les précédents chapitres, on prouve par exemple que
√
6 = [2, 2, 4],
√
14 = [3, 1, 2, 1, 6],
√
19 = [4, 2, 1, 3, 1, 2, 8],
√
29 = [5, 2, 1, 1, 2, 10],
√
37 = [6, 12].
On constate de manière empirique que la période est symétrique exception faite du dernier
terme 2a0 . Ceci n’est pas le fruit du hasard comme nous allons le démontrer maintenant.
53
Théorème 5.2.1 : Soit N un entier positif qui n’est pas un carré parfait, alors le développement
√
en fraction continue de N est de la forme
√
N = [a0 , a1 , a2 , a3 , . . . , a3 , a2 , a1 , 2a0 ],
avec ai ∈ N∗ pour tout i ≥ 0.
Démonstration. Nous avons déjà démontré
√
a0 + N = [2a0 , a1 , a2 , . . . , an ].
√
√
Comme a0 − N est la racine conjuguée à a0 + N qui est réduit, le théorème de Galois implique
que
1
1
√ =√
= [an , an−1 , an−2 , . . . , a1 , 2a0 ].
−
a0 − N
N − a0
Or,
√
N − a0 = [0, a1 , a2 , . . . , an , 2a0 ],
de sorte que
1
√
= [a1 , a2 , . . . , an , 2a0 ].
N − a0
On en déduit que
[an , an−1 , an−2 , . . . , a1 , 2a0 ] = √
1
= [a1 , a2 , . . . , an , 2a0 ].
N − a0
Or deux fractions continues simples infinies réprésentent le même irrationnel si et seulement si
leurs éléments coïncident deux à deux (théorème 3.2.2). Ainsi,
an = a1 ,
et
√
an−1 = a2 ,
...
N est bien de la forme souhaitée [a0 , a1 , a2 , a3 , . . . , a3 , a2 , a1 , 2a0 ].
Remarque 5.2.1 : Il n’y a pas nécessairement de terme central dans la période. L’existence
d’un tel terme dépend bien évidemment de la parité de la taille de la période. Pour illustrer ce
√
√
fait, on peut considérer les exemples 19 = [4, 2, 1, 3, 1, 2, 8] et 29 = [5, 2, 1, 1, 2, 10].
Comme nous allons le voir maintenant, l’utilité des fractions continues ne s’arrête pas à
l’approximation des réels. Les fractions continues ont aussi un rôle à jouer dans la résolution
d’équations diophantiennes et plus particulièrement ici, nous traiterons le cas des équations de
Pell-Fermat.
5.3
Equations de Pell-Fermat
Définition 5.3.1 (Equation de Pell-Fermat) : On appelle équation de Pell-Fermat toute équation de la forme
x2 − N y 2 = m,
(5.7)
où x et y sont des inconnues, m ∈ Z et N est un entier positif qui n’est pas un carré parfait.
Nous nous restreignons dans cette étude au cas m = ±1. Aussi, dès à présent, le terme
d’équation de Pell-Fermat désignera pour nous une équation d’un des deux types suivant :
x2 − N y 2 = 1,
(5.8)
x2 − N y 2 = −1.
(5.9)
On dira qu’une solution (x, y) de l’équation de Pell-Fermat est entière si (x, y) ∈ Z2 et est positive
si (x, y) ∈ (N∗ )2 .
54
Remarque 5.3.1 : Il est clair que (x, y) ∈ Z2 est une solution de (5.7) si et seulement si
(−x, y) ∈ Z2 est une solution de (5.7), si et seulement si (−x, −y) ∈ Z2 est une solution de (5.7),
si et seulement si (x, −y) ∈ Z2 est une solution de (5.7). Dès lors, si nous connaissons toutes
les solutions (x, y) ∈ N2 , nous connaîtrons également toutes les solutions sur Z2 . Aussi, nous ne
nous intéresserons qu’aux solutions positives.
Proposition 5.3.1 : Si (x, y) est une solution positive de (5.8), alors x/y est une réduite de
√
N.
Démonstration. Soit (x, y) une telle solution. Alors on a x2 − N y 2 = 1. D’où
2
x
1
= 2 + N.
y
y
Comme x/y > 0, cette équation est équivalente à
r
1
x
=
+ N.
y
y2
Par ailleurs, une simple étude de fonction montre que pour tout x > 0,
x √
0< = N
y
On en déduit que
Or N ≥ 2. Ainsi,
r
1+
√
1
< N
2
y N
1
1+ 2
2y N
q
1+
1
x
1
< 1 + 2x
. Ainsi,
.
√
√
x
N
1
N− <
√ .
=
2
2
y
2y N
2y N
√
N≥
√
2 > 1 et on a
√
x
1
1
N− <
√ < 2.
y
2y
2y 2 N
Le théorème 4.2.3 permet de conclure.
Comme nous allons le voir à présent, les fractions continues vont nous permettre assez facilement de calculer une solution particulière (lorsqu’elle existe) des équations (5.8) et (5.9).
5.3.1
Recherche d’une solution particulière
Théorème 5.3.1 : Soit N un entier positif qui n’est pas un carré parfait. Notons
√
N = [a0 , a1 , a2 , . . . , an , 2a0 ]
√
le développement en fraction continue périodique de N et pour k ∈ N, notons pk /qk la k e
√
réduite de N . Si n est impair, alors (pn , qn ) est une solution positive de (5.8). Si n est pair,
alors (pn , qn ) est une solution positive de (5.9) et (p2n+1 , q2n+1 ) est une solution positive de (5.8).
√
Démonstration. Nous savons que N = [a0 , a1 , a2 , . . . , an , 2a0 ] = [a0 , a1 , a2 , . . . , an , rn+1 ] pour
√
un certain n ≥ 0 où rn+1 est le (n + 1)e quotient complet de N . En particulier, nous avons vu
que
√
rn+1 = [2a0 , a1 , a2 , . . . , an ] = a0 + N .
Ainsi,
√
√
(a0 + N )pn + pn−1
√
N=
,
(a0 + N )qn + qn−1
55
ce qui est équivalent à
√
N ((a0 +
√
√
N )qn + qn−1 ) = (a0 + N )pn + pn−1 ,
c’est-à-dire
√
√
(5.10)
qn N + (a0 qn + qn−1 ) N = (a0 pn + pn−1 ) + pn N .
√
Or qn , a0 qn + qn−1 , a0 pn + pn−1 et pn sont des entiers, alors que N est irrationnel. Il est alors
clair que l’équation (5.10) implique
qn N = a0 pn + pn−1
et
a0 qn + qn−1 = pn .
pn−1 = qn N − a0 pn
et
qn−1 = pn − a0 qn .
D’où,
Mais d’autre part, nous avons pn qn−1 − pn−1 qn = (−1)n−1 . Ainsi
pn (pn − a0 qn ) − (qn N − a0 pn )qn = (−1)n−1 .
Donc
p2n − N qn2 = (−1)n−1 .
Il en résulte que si n est impair, (−1)n−1 = 1 et (pn , qn ) est une solution positive de (5.8). Dans
le cas contraire, (−1)n−1 = −1 et alors (pn , qn ) est une solution positive de (5.9), mais il est
encore possible de donner une solution particulière pour (5.8). Il suffit pour cela de reprendre la
démonstration en remarquant que l’on a aussi
√
N = [a0 , a1 , a2 , . . . , an , an+1 , an+2 , . . . , a2n+1 , r2n+2 ]
= [a0 , a1 , a2 , . . . , an , 2a0 , a1 , a2 , . . . , an , r2n+2 ],
et ainsi pouvoir en conclure que
2
p22n+1 − N q2n+1
= (−1)2n+1−1 = 1,
auquel cas (p2n+1 , q2n+1 ) est une solution positive de (5.8).
Remarque 5.3.2 : L’équation (5.8) admet toujours des solutions entières, mais il n’en est pas
de même de l’équation (5.9). Par exemple, l’équation x2 − 3y 2 = −1 n’a pas de solutions entières.
En effet, si un couple (x, y) ∈ Z2 était solution de cette équation, en passant au quotient dans
Z/3Z, on aurait
x2 = x2 − 3y 2 = −1 = 2.
Or 2 n’est pas un carré dans Z/3Z. Ainsi, l’équation x2 − 3y 2 = −1 n’admet pas de solutions
dans (Z/3Z)2 . A fortiori, elle n’en admet pas non plus dans Z2 .
Remarque 5.3.3 : En utilisant la proposition 5.3.1, on montre que si n est impair, alors (pn , qn )
est la solution positive minimale de l’équation (5.8), dans le sens où il n’existe pas d’autres couples
d’entiers solutions (x, y) où 0 < x < pn . De même si n est pair, alors (p2n+1 , q2n+1 ) est la solution
positive minimale de l’équation (5.8).
56
5.3.2
Expression des solutions positives
Théorème 5.3.2 : Soit (x1 , y1 ) est la solution positive minimale de x2 − N y 2 = 1. Si (xn , yn )
est donné par
√
√
xn + yn N = (x1 + y1 N )n
pour n ≥ 1, alors (xn , yn ) est une solution positive de l’équation de Pell-Fermat x2 − N y 2 = 1.
Démonstration. Soit n ≥ 1. On a
√
√
xn + yn N = (x1 + y1 N )n .
Or le conjugué d’un produit est le produit des conjugués (lemme 5.1.1). Donc
√
√
xn − yn N = (x1 − y1 N )n .
Ainsi
√
√
x2n − N yn2 = (xn + yn N )(xn − yn N )
√
√
= (x1 + y1 N )n (x1 − y1 N )n
= (x21 − N y12 )n = 1.
Donc tous les couples (xn , yn ) tels que nous les avons définis sont bien des solutions entières.
Elles sont clairement positives car x1 > 0 et y1 > 0.
On montre en fait que ce sont les seules solutions positives. Nous avons un résultat analogue,
que nous admettrons, pour les équations de Pell-Fermat de la forme x2 − N y 2 = −1.
Théorème 5.3.3 : Si l’équation x2 −N y 2 = −1 admet des solutions entières, en notant (x1 , y1 )
sa solution positive minimale, alors toute solution positive de x2 − N y 2 = −1 est de la forme
(xn , yn ) où n est un entier impair supérieur ou égal à 1 et
√
√
xn + yn N = (x1 + y1 N )n .
De plus, toutes les solutions positives de x2 − N y 2 = 1 sont de la forme (xn , yn ) où n est un
entier pair supérieur ou égal à 2 et
√
√
xn + yn N = (x1 + y1 N )n .
5.3.3
Exemple
Par exemple, étudions l’équation de Pell-Fermat x2 −19y 2 = 1 dont nous savons qu’elle admet
des solutions. On se propose d’en donner quelques-unes pour illustrer les précédents résultats.
On a
√
19 = [4, 2, 1, 3, 1, 2, 8].
D’après ce que nous avons vu, trouver une solution particulière peut se résumer au simple calcul
√
des réduites de 19. Les premières réduites sont données par :
p0
4
= ,
q0
1
p1
9
= ,
q1
2
p2
13
= ,
q2
3
p3
48
= ,
q3
11
p4
61
= ,
q4
14
p5
170
=
q5
39
et
On vérifie que l’on a bien
1702 − 19 · 392 = 28900 − 19 · 1521 = 28900 − 28899 = 1.
57
p6
1421
=
.
q6
326
Donc (170, 39) = (p5 , q5 ) est bien solution de l’équation. D’après la remarque 5.3.3, il s’agit de
la solution minimale positive. Nous obtenons au passage l’approximation
√
19 ≈
1421
≈ 4, 358895.
326
L’erreur effectuée ici est strictement inférieure en valeur absolue à
1
1
=
≈ 0, 0000094 < 10−5 .
3262
106276
√
On est donc certain qu’au moins les quatres premières décimales de 19 sont 3, 5, 8 et 8. Donnons
quelques autres solutions. On a
√
√
(170 + 39 19)2 = 57799 + 13260 19,
de sorte que (57799, 13260) = (p11 , q11 ) est encore solution de l’équation. Par suite, on a
√
√
√
√
(170 + 39 19)3 = (57799 + 13260 19)(170 + 39 19) = 19651490 + 4508361 19.
D’où (19651490, 4508361) = (p17 , q17 ) vérifie encore
196514902 − 19 · 45083612 = 386181059220100 − 19 · 20325318906321 = 1.
Et ainsi de suite. En notera en particulier que 386181059220100 et 20325318906321 sont premiers
entre eux. Leur décomposition en produit de facteurs premiers est en effet donnée par
386181059220100 = 22 · 52 · 172 · 1155972 ,
et
20325318906321 = 34 · 112 · 132 · 312 · 1132 .
58
Chapitre
6
Compléments
6.1
Approche géométrique des fractions continues simples
Nous souhaitons donner ici une idée visuelle des fractions continues et notamment pouvoir
donner une interprétation géométrique du théorème de meilleure approximation étudié au chapitre 4. Nous ne redévelopperons pas toute la théorie des fractions continues d’un point de vue
géométrique, ceci étant fait dans [8].
On se place dans cette partie dans le plan euclidien.
6.1.1
Quelques définitions
Définition 6.1.1 (Position d’un point par rapport à une droite) : Soit P un point de coordonnées (b, a) et soit L une droite affine. Notons (b, c) l’intersection de L avec la droite d’équation
x = b. On dit que P est
– en-dessous de L si a < c,
– sur L si a = c,
– au-dessus de L si a > c.
Définition 6.1.2 (Distance verticale d’un point à une droite) : Soient α ∈ R>0 , L la droite
d’équation y = αx et P un point de coordonnées (b, a). On appelle distance verticale du point
P à la droite L, et on note d(P, L), le réel
d(P, L) = |αb − a|.
En particulier, avec les notations de la définition 6.1.1, d(P, L) = |c − a|. La figure 6.1 donne
une illustration de ces deux précédentes définitions pour L : y = 3x et P = (3, 4).
Définition 6.1.3 (Pente associée à un point) : Soit P un point de coordonnées (b, a) où b 6= 0.
On appelle pente associée au point P le réel a/b qui n’est autre que la pente de la droite affine
passant par P et l’origine (0, 0).
Définition 6.1.4 : On appelle premier quadrant l’ensemble des points du plan euclidien de
coordonnées positives
(x, y) ∈ R>0 × R>0 .
6.1.2
Fractions continues et diagramme de Klein
Proposition 6.1.1 : Soit L la droite affine d’équation cartésienne y = αx, α ∈ R. Alors α
est rationnel si et seulement si la droite L passe par un point de coordonnées entières autre que
l’origine (0, 0).
59
Figure 6.1 – Position du point P = (3, 4) par rapport à la droite L d’équation y = 3x
Démonstration. La démonstration est immédiate. Supposons α = p/q ∈ Q, alors L passe par le
point de coordonnées entières (q, p). Réciproquement si L passe par le point (q, p), q 6= 0, alors
L est la droite d’équation y = px/q et α = p/q ∈ Q.
Autrement dit, si α ∈ R\Q, alors L ne passe par aucun point de coordonnées entières autre
que (0, 0). C’est pourquoi nous nous intéresserons plus particulièrement au cas α irrationnel.
Proposition 6.1.2 : Soit L la droite affine d’équation y = αx, α ∈ R>0 . Soit P un point du
premier quadrant de pente associée égale à p > 0, alors P est
– en-dessous de L si et seulement si p < α,
– sur L si et seulement si p = α,
– au-dessus de L si et seulement si p > α.
Démonstration. La démonstration découle directement de la définition de la position du point P
par rapport à L. En notant (b, a) ∈ R>0 × R>0 les coordonnées de P , la seule chose à remarquer
est que le point d’intersection entre la droite L : y = αx et la droite d’équation x = b a pour
coordonnées (b, αb).
Appliquons maintenant ces résultats aux fractions continues.
Proposition 6.1.3 : Soient α un irrationnel strictement positif et (pn /qn )n≥0 sa suite des
réduites que l’on identifie à la suite des points de coordonnées ((qn , pn ))n≥0 . Considérons également la droite L : y = αx. Alors les réduites paires de α se situent en-dessous de L, tandis que
les réduites impaires de α se situent au-dessus de L.
Démonstration. D’après le corollaire 3.1.1, nous savons que la suite des réduites paires est majorée
par α tandis que celle des réduites impaires est minorée par α. Ainsi, en utilisant la proposition
précédente, pour tout n ≥ 0, les points de coordonnées (q2n , p2n ) se situent en-dessous de L alors
que les points de coordonnées de la forme (q2n+1 , p2n+1 ) se situent au-dessus.
Il est clair, intuitivement, que plus les réduites pn /qn se rapprochent de α, plus les points
(qn , pn ) se rapprochent de la droite L. Réciproquement, plus un point (q, p) se rapproche de L,
√
meilleure sera l’approximation de α par p/q. Voyons ceci sur un exemple pour α = (1 + 5)/2
dont les réduites sont données par
p0
1
= ,
q0
1
p1
2
= ,
q1
1
p2
3
= ,
q2
2
60
p3
5
=
q3
3
et
p4
8
= .
q4
5
Figure 6.2 – Diagramme de Klein pour α =
√
1+ 5
2
La figure 6.2 représente ce qu’on appelle le diagramme de Klein 1 pour α. En particulier, avec ce
genre de graphiques, on peut visualiser le théorème de meilleure approximation. Ceci fait l’objet
du prochain théorème.
Théorème 6.1.1 : Soient α un irrationnel strictement positif et pn /qn une réduite de α d’ordre
n ≥ 2. Considérons la droite L d’équation cartésienne y = αx. Alors pour tout point (q, p) du
premier quadrant tel que 0 < q < qn , on a
d((qn , pn ), L) < d((q, p), L),
c’est-à-dire,
|αqn − pn | < |αq − p|.
Démonstration. Pour une démonstration géométrique de ce résultat, on pourra se référer au
théorème 7.17 de [8].
Illustrons ce résultat par la figure 6.3 : aucun point de coordonnées entières ne se situe dans
la zone coloriée, ce qui se traduit par le fait qu’aucun point de coordonnées entières (ayant une
abscisse inférieure à 2) n’est plus proche de L que ne l’est le point (2, 3). Autrement dit, aucun
√
rationnel p/q avec 0 < q ≤ 2 n’approche mieux (1 + 5)/2 que la réduite 3/2.
1. du nom du mathématicien allemand Felix Klein.
61
Figure 6.3 – Théorème de meilleure approximation – α =
6.2
√
1+ 5
2
et
p2
q2
=
3
2
Ordre d’approximation, nombres algébriques et transcendants
Définition 6.2.1 (Ordre d’approximation) : On dit qu’un réel x admet une approximation à
l’ordre n par des rationnels s’il existe une constante réelle K(x) dépendant de x pour laquelle il
existe une infinité de fractions irréductibles p/q vérifiant
p
x − < K(x) .
(6.1)
q
qn
Proposition 6.2.1 : Tout nombre rationnel admet une approximation à l’ordre 1, mais n’en
admet à aucun ordre supérieur.
Démonstration. Soit x = a/b un rationnel. On peut supposer b > 0 et pgcd(a, b) = 1. Commençons par montrer que x admet une approximation à l’ordre 1. Comme a et b sont premiers
entre eux, l’équation pb − qa = 1 d’inconnues p et q admet une infinité de solutions dans Z × N∗
(théorème de Bézout). Ainsi il existe une infinité de rationnels p/q distincts tels que
p a
1
1
− =
≤ ,
q
b
bq
q
de sorte qu’il existe une infinité de rationnels p/q tels que
a p 1
− ≤ < 2.
b
q q
q
Donc x admet une approximation à l’ordre 1. Supposons maintenant que x admette une approximation à l’ordre n ≥ 2. Alors il existe une infinité de rationnels p/q 6= x vérifiant (6.1). On peut
supposer sans restreindre la généralité que q > 0 et pgcd(p, q) = 1 de sorte que |pb − qa| =
6 0 est
un entier strictement positif. Pour de tels rationnels, on a donc
1
|pb − qa| a p K(x)
≤
= − <
.
bq
bq
b
q
qn
62
D’où 1/b < K(x)/q n−1 . Ainsi 0 < q n−1 < bK(x). Donc q ne peut prendre qu’un nombre fini de
valeurs. Ce qui contredit l’hypothèse d’existence d’une infinité de tels rationnels p/q et achève
la démonstration.
Proposition 6.2.2 : Tout nombre irrationnel admet une approximation à l’ordre 2.
Démonstration. Il s’agit d’une conséquence du théorème 3.3.1 qui affirme que toutes les réduites
d’un nombre irrationnel vérifient l’inégalité (6.1) avec K(x) = 1. Etant donné qu’un nombre
irrationnel admet une infinité de réduites (car il est développable en une fraction continue simple
infinie), la proposition est démontrée.
Définition 6.2.2 (Nombres algébriques et transcendants) : On appelle nombre algébrique
tout nombre réel x vérifiant une équation de la forme
a0 xn + a1 xn−1 + · · · + an = 0,
où a0 , a1 , . . . sont des entiers. Si a0 6= 0, x est dit de degré n. On appelle nombre transcendant
tout nombre réel qui n’est pas algébrique.
Théorème 6.2.1 (Théorème de Liouville) : Un nombre algébrique de degré n n’admet aucune
approximation à un ordre strictement supérieur à n.
Démonstration. Soient n ∈ N∗ et ξ un nombre algébrique de degré n. Par définition, ξ est solution
d’une équation à coefficients entiers de la forme
a0 xn + a1 xn−1 + · · · + an = 0,
où a0 6= 0. Considérons l’application f de classe C ∞ sur R définie par
f : R −→ R
,
x 7−→ f (x) = a0 xn + a1 xn−1 + · · · + an
de sorte que f (ξ) = 0. Comme f 0 est continue et non identiquement nulle sur R (car a0 6= 0
et n ≥ 1), en particulier f 0 est bornée sur le compact [ξ − 1, ξ + 1] de sorte qu’il existe un réel
M > 0 tel que pour tout x ∈ ]ξ − 1, ξ + 1[,
|f 0 (x)| < M.
Supposons à présent que ξ admette une approximation à l’ordre n + k pour un certain k ∈ N∗ .
Il existe alors une constante réelle positive C et une infinité de fractions irréductibles p/q (avec
q > 0) telles que
ξ − p < C .
(6.2)
q q n+k
Soit p/q un tel rationnel dont on peut supposer qu’il vérifie
q k > M C,
ce qui est équivalent à
C
q n+k
<
1
.
M qn
(6.3)
Ceci est possible puisque q peut être choisi arbitrairement grand. Quitte à choisir q encore plus
grand, on peut également supposer que p/q ∈ ]ξ − 1, ξ + 1[ (il suffit pour cela que q n+k ≥ C)
63
et puisque f admet au plus n zéros, on peut supposer que p/q n’en est pas un. Ceci implique
notamment que p/q est différent de ξ. On a alors
p
n
q f
= a0 pn + a1 pn−1 q + a2 pn−2 q 2 + · · · + an q n ∈ Z∗ .
q
D’où,
n
n−1 q + a pn−2 q 2 + · · · + a q n |
1
2
n
f p = |a0 p + a1 p
≥ n.
n
q
q
q
D’après l’inégalité des accroissements finis, on a aussi
f p = f p − f (ξ) < M p − ξ .
q
q
q
Autrement dit,
ξ −
1 p 1
p >
f
≥
.
q
M
q
M qn
En utilisant les inégalités (6.2) et (6.3), on obtient alors
p
C
C
1
< ξ − < n+k ,
<
n
n+k
Mq
q
q
q
ce qui est absurde. Le théorème de Liouville est donc démontré.
En particulier, on a le corollaire suivant.
Corollaire 6.2.1 : Tout irrationnel quadratique admet une approximation à l’ordre 2, mais
n’en admet aucune à un ordre strictement supérieur.
Démonstration. Un irrationnel quadratique est en particulier un irrationnel. Donc tout irrationnel quadratique admet bien une approximation à l’ordre 2. De plus tout irrationnel quadratique
est, par définition, un nombre algébrique de degré 2. Donc tout irrationnel quadratique n’admet
aucune approximation à un ordre strictement supérieur à 2 d’après le théorème de Liouville.
Remarque 6.2.1 : La proposition 6.2.1 sur l’ordre d’approximation des rationnels est aussi un
corollaire du théorème de Liouville car il est clair que tout rationnel est un nombre algébrique
de degré 1.
6.3
Critère de convergence des fractions continues infinies positives
On considère dans cette partie une fraction continue infinie x = [a0 , a1 , a2 , . . .] telle que
a0 ∈ R et pour tout n ≥ 1, an ∈ R>0 . On se propose ici de donner une condition nécessaire et
suffisante de convergence pour de telles fractions continues.
Théorème 6.3.1 (Condition nécessaire et suffisante de convergence) : Soit x = [a0 , a1 , a2 , . . .]
une fraction continue infinie telle que a0 ∈ R et pour tout n ≥ 1, an ∈ R>0 . Pour que x converge,
P
il est nécessaire et suffisant que la série n≥1 an diverge.
Démonstration. Nous savons déjà, d’après le corollaire 1.3.1, que les suites des réduites paires
et impaires sont convergentes. Aussi, x est convergente si et seulement si ces deux suites ont la
même limite. Mais d’après le corollaire 1.2.1, ceci est équivalent à
lim qn qn+1 = +∞.
n→+∞
64
P
Il nous suffit donc de montrer que limn−→+∞ qn qn+1 = +∞ si et seulement si n≥1 an diverge.
Remarquons avant toute chose que an > 0 pour n ≥ 1 implique qn > 0 pour n ≥ 0 et comP
mençons par montrer l’implication par contraposée, c’est-à-dire que si n≥1 an converge, alors
qn qn+1 ne tend pas vers +∞. Supposons donc la convergence de la série. Ainsi, nécessairement
lim an = 0.
n→+∞
En particulier,
∃k0 ≥ 2, ∀k ∈ N,
k ≥ k0 ⇒ 0 < ak < 1.
De plus, étant donné que pour tout k ≥ 2,
qk = ak qk−1 + qk−2 ,
ak > 0
et
qk−1 > 0,
on a quel que soit k ≥ 2, qk > qk−2 . Ainsi pour k ≥ k0 ≥ 2, l’une au moins des deux inégalités
suivantes est vérifiée :
qk > qk−1 ,
qk−1 > qk−2 ,
car dans le cas contraire, on aurait qk−2 < qk ≤ qk−1 ≤ qk−2 pour un certain k ≥ 2, ce qui est
impossible.
Si la première inégalité est vérifiée, comme pour k ≥ k0 , 0 < ak < 1, on a
⇐⇒
qk < ak qk + qk−2
qk <
qk−2
.
1 − ak
Sinon, la seconde inégalité est vérifiée et dans ce cas, comme pour k ≥ k0 , 0 < 1 − a2k < 1,
on a
qk−1
.
qk < ak qk−1 + qk−1 ⇐⇒ qk < (1 + ak )qk−1 <
1 − ak
Ainsi quel que soit k ≥ k0 , il existe l égal à k − 1 ou k − 2 tel que
ql
.
1 − ak
0 < qk <
En réitérant ce raisonnement tant que l ≥ k0 , il vient
0 < qk <
qs
,
(1 − ak )(1 − al ) · · · (1 − ar )
où k > l > · · · > r ≥ k0 et s < k0 (s étant égal soit à k0 − 1, soit à k0 − 2).
P
Mais pour tout n ≥ k0 , 0 < an < 1 et n≥k0 an converge de sorte que le produit infini
Y
(1 − an )
n≥k0
converge, et ce, vers une limite λ ∈ R>0 . Par conséquent, on a
(1 − ak )(1 − al ) · · · (1 − ar ) ≥
k
Y
(1 − an ) >
n=k0
+∞
Y
(1 − an ) = λ > 0.
n=k0
Ces inégalités successives sont justifiées par l’ajout (éventuel) de facteurs positifs strictement
inférieurs à 1.
Finalement, en notant M = max(qk0 −1 , qk0 −2 ), on a pour tout k ≥ k0 ,
0 < qk <
M
.
λ
D’où, pour tout k ≥ k0 ,
0 < qk qk+1 <
65
M2
.
λ2
Donc qk qk+1 ne tend pas vers +∞, c’est-à-dire que x ne converge pas. Nous venons donc de
P
montrer que si x converge, alors la série n≥1 an diverge.
P
Réciproquement, supposons que la série n≥1 an diverge. Alors en notant m = min(q0 , q1 ),
on a clairement
∀k ≥ 0,
qk ≥ m.
(6.4)
Ceci découle du fait que pour tout k ≥ 2, qk ≥ qk−2 . Ainsi,
∀k ≥ 2,
qk = ak qk−1 + qk−2 ≥ qk−2 + m · ak .
Tant que k − 2 ≥ 2, il est possible de réitérer cette minoration avec qk−2 . Il vient alors quel que
soit k ≥ 1,
k
X
q2k ≥ q0 + m
a2n ,
n=1
et
q2k+1 ≥ q1 + m
k
X
a2n+1 .
n=1
De sorte que pour tout k ≥ 1,
q2k + q2k+1 ≥ q0 + q1 + m
2k+1
X
an > m
n=2
2k+1
X
an .
n=2
Finalement pour tout k ≥ 2,
qk + qk+1 > m
k+1
X
an .
n=2
Ainsi pour tout k ≥ 2 l’une au moins des deux inégalités suivantes est vérifiée :
k+1
qk >
k+1
mX
an ,
2
qk+1 >
n=2
mX
an .
2
n=2
Par suite, en utilisant (6.4), il vient
∀k ≥ 2,
qk qk+1
k+1
m2 X
>
an .
2
n=2
Mais cette dernière série diverge vers +∞, donc limk→+∞ qk qk+1 = +∞ et x est convergente. Ce
qui démontre la réciproque du théorème.
Remarque 6.3.1 : En particulier, on redémontre le théorème 3.1.1 de convergence des fractions
P
P
continues simples infinies puisque pour de telles fractions continues, n≥1 an ≥ n≥1 1 qui est
une série numérique divergente.
6.4
Equations diophantiennes linéaires
Cette section est plutôt anecdotique puisqu’elle n’apporte que peu de nouveaux éléments
théoriques ni même ne présente aucune avancée d’un point de vue calculatoire. Elle présente
simplement la résolution d’équations diophantiennes linéaires en utilisant la théorie des fractions
continues.
66
Définition 6.4.1 (Equation diophantienne linéaire) : On appelle équation diophantienne linéaire toute équation de la forme
ax + by = c,
(6.5)
d’inconnues x et y où (a, b, c) ∈ N∗ ×N∗ ×N. On recherche les solutions entières de telles équations.
D’après le théorème de Bézout une équation diophantienne linéaire admet des solutions entières si et seulement si pgcd(a, b) divise c. On peut donc se ramener à résoudre l’équation (6.5)
avec a, b premiers entre eux et c = 1.
Théorème 6.4.1 : Notons a/b = [a0 , a1 , . . . , aN ] le développement en fraction continue simple
finie du rationnel a/b. Alors une solution entière de l’équation ax + by = 1 est donnée par
(qN −1 , −pN −1 )
si N est impair,
(−qN −1 , pN −1 )
sinon.
Démonstration. Nous savons que a/b = pN /qN . Or pgcd(a, b) = 1 = pgcd(pN , qN ), a > 0 et
pN > 0. On en déduit que
a = pN
et
b = qN .
Ainsi,
pN qN −1 − pN −1 qN = (−1)N −1 = aqN −1 − bpN −1 .
Mais alors si N est impair, (−1)N −1 = 1, de sorte que (qN −1 , −pN −1 ) est une solution entière
de l’équation ax + by = 1. Sinon, on constate que
−(aqN −1 + b(−pN −1 )) = a(−qN −1 ) + bpN −1 = −(−1)N −1 = 1,
ce qui signifie que dans le cas où N est pair, une solution entière de l’équation ax + by = 1 est
donnée par le couple (−qN −1 , pN −1 ).
Exemple 6.4.1 : Considérons l’équation diophantienne linéaire
43x + 30y = 2.
Nous avions vu dans l’exemple 1.1.1 que 43/30 = [1, 2, 3, 4] = [a0 , a1 , a2 , a3 ] et que l’on avait
pN −1
p2
10
=
=
qN −1
q2
7
et
pN
p3
43
=
= ,
qN
q3
30
de sorte que pgcd(43, 30) = 1 et (−1)N −1 = (−1)2 = 1. Ainsi une solution particulière de
l’équation 43x + 30y = 2 = 2 · pgcd(43, 30) est donnée par le couple
(2 · qN −1 , −2 · pN −1 ) = (14, −20).
On vérifie en effet que l’on a
43 · 14 + 30 · (−20) = 602 − 600 = 2.
67
Remerciements
Je voudrais remercier Christian Kassel pour avoir très gentiment accepté de me diriger dans
ce mémoire et m’avoir consacré une partie de son temps. Les références qu’il m’a fournies et les
nombreux conseils, aussi bien sur le fond que sur la forme, m’ont été précieux et m’ont permis
de découvrir bon nombre de résultats que l’on n’a finalement pas (ou très peu) l’occasion de
rencontrer durant les premières années d’études universitaires.
68
Bibliographie
[1] T. W. Cusick and M. E. Flahive. The Markoff and Lagrange spectra. American Mathematical
Society, 1992.
[2] D. Duverney. Théorie des nombres. Dunod, seconde edition, 2007.
[3] G. H. Hardy and E. M. Wright (traduction : F. Sauvageot). Introduction à la théorie des
nombres. Vuibert, 2006.
[4] G. H. Hardy and E. M. Wright. An introduction to the theory of numbers. Oxford University
Press, 1965.
[5] A. Y. Khinchin. Continued fractions. University of Chicago Press, Chicago, 1964.
[6] C. D. Olds. Continued fractions. Random House, New York, 1963.
[7] D. Redmond. Number theory : an introduction. Monographs and Textbooks in Pure and
Applied Mathematics. CRC Press, 1996.
[8] H. M. Stark. An introduction to number theory. Markham Publishing Co., 10e edition, 1998.
[9] W. J. Thron and W. B. Jones. Continued fractions : analytic theory and applications.
Cambridge University Press, 1984.
[10] G. Xiao. Www interactive multipurpose server. http://wims.unice.fr/wims/.
69
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