Diagnostic, détection et épidémiologie de l`autisme et des TED

le Bulletin scientique de l’arapi - numéro 21 - printemps 2008 9
Résumés des conférences
Eric Fombonne fait le point sur les recherches sur
les Troubles Envahissants du Développement en
articulant son propos autour de trois axes : le dia-
gnostic, la détection et l’épidémiologie.
Evolution des conceptions en matière
de diagnostic de l’autisme et des TED
Dans les années quarante, deux médecins - le psychia-
tre américain Leo Kanner et le pédiatre autrichien Hans
Asperger - ont découvert indépendamment ce trouble
du développement. Aucun des deux chercheurs n’était
au courant des recherches de l’autre. Le terme autisme
qui signie « soi-même » renvoie à la caractéristique la
plus remarquable du trouble, à savoir le retrait et les dif-
cultés dans l’interaction sociale. Depuis que l’autisme a
été identié, les chercheurs ont cherché à déterminer les
causes de ce désordre. Bien que les signes principaux de
l’autisme soient l’isolement social, l’absence de contact
visuel, de faibles capacités linguistiques et une absence
d’empathie, d’autres symptômes moins connus sont tout
aussi importants. De nombreuses personnes avec autisme
ont des problèmes pour comprendre les métaphores, les
interprétant parfois littéralement. Elles ont aussi des dif-
cultés à imiter les actions des autres. Dans les années
soixante, on concevait l’autisme comme une psychose,
une schizophrénie de l’enfant. Les théories explicatives
de l’autisme renvoyaient déjà pour certains à l’organi-
cité, mais pour d’autres, il correspondait à un processus
psychologique. Notamment, on a parfois évoqué le rôle
de la mère « frigidaire » qui était responsable de l’autis-
me par son manque d’engagement social et d’investisse-
ment affectif de l’enfant. Ces théories ont beaucoup évo-
lué et ce type d’explication est complètement obsolète
aujourd’hui.
Les moyens d’évaluation et les critères diagnostiques
utilisés varient d’une étude à l’autre avec le passage pro-
gressif des critères de Lotter et de Rutter aux critères dia-
gnostiques du DSM-III, puis du DSM-IV et de la CIM-
Diagnostic, détection
et épidémiologie
de l’autisme et des TED
résumé de la conférence du Pr. Eric Fombonne1
1 Epidémiologiste, Montreal Child’s Hospital, 4018 Ste-Catherine West, Montreal, QC, H3Z 1P2, Canada
10. Dans le DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual
of Mental Disorders, 4ème édition) on distingue cinq caté-
gories des Troubles Envahissants du Développement :
1) Trouble autistique
2) Syndrome de Rett
3) Syndrome désintégratif de l’enfance
4) Syndrome d’Asperger
5) Troubles Envahissants du Développement
non spéciés
Il est difcile d’évaluer l’impact spécique des critères
de diagnostic sur les estimations des taux de prévalence
parce que la méthodologie des enquêtes varie considé-
rablement par d’autres aspects. Les taux de prévalence
varient de 0,7/10 000 à 72,6/10 000. Il existe une cor-
rélation positive entre l’année de publication et le taux
de prévalence (Spearman r = 71). Cette observation est
parfois utilisée pour afrmer que l’incidence de l’autisme
augmente. Cependant, de nombreux autres facteurs peu-
vent expliquer cette tendance, en particulier le fait que
l’autisme a été graduellement de mieux en mieux dé-
ni et reconnu dans les pays modernes, que les services
spécialisés pour les enfants se sont développés, que le
concept d’autisme a évolué pour s’élargir notamment aux
sujets n’ayant pas de retard intellectuel associé (autisme
de « haut niveau » et syndrome d’Asperger). Les recher-
ches évoluent sans cesse, ce qui nous apporte de plus en
plus d’informations sur les TED, aujourd’hui on prend
en compte plusieurs aspects : génétiques, biochimiques,
neurocognitifs...
Détection de l’autisme et des TED
On détecte l’autisme souvent avant l’âge de 3 ans et
même avant 2 ans. Le CHAT (Checklist for Autism in
Toddlers) aide les médecins à déceler l’autisme dans la
petite enfance, de sorte que les programmes éducatifs
peuvent être entrepris des mois, voire des années avant
que les symptômes les plus marqués n’apparaissent.
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Résumés des conférences
Il faut rappeler que les instruments de diagnostic actuels -
notamment l’ADI (Autistic Diagnostic Interview) qui est
l’un des instruments les mieux validés - ne sont utilisables
en toute rigueur qu’après l’âge de 4 ans. On parle aussi
du spectre autistique (Autism Spectrum Disorders), qui
comprend l’autisme classique ou Syndrome de Kanner,
le syndrome d’Asperger, le syndrome de Rett, les désor-
dres désintégratifs de l’enfance (ou Syndrome de Heller),
et les troubles envahissants du développement non spéci-
és, ou PDDnos. Même s’il s’agit de tableaux différents,
caractérisés séparément, ils ont aussi des points com-
muns, le plus important étant leur caractère envahissant,
plutôt que spécique.
Epidémiologie
de l’autisme et des TED
Les premières études épidémiologiques ont débuté dans
le milieu des années soixante en Angleterre et, depuis
lors, des études ont été conduites dans la plupart des pays
occidentaux (dont quatre en France). A cette époque, on a
estimé à 4 pour 10 000 la prévalence de l’autisme. Un to-
tal de 29 études publiées dans la littérature internationale
a été identié dans les bases de données (MEDLINE,
PsycINFO) et dans les revues de la littérature antérieure
(Fombonne, 1999 et 2000a).
Ces dernières années,
on a assisté à une
augmentation consi-
dérable de la préva-
lence de l’autisme,
et ce partout dans
le monde. Un taux
en augmentation du
nombre des person-
nes autistes a été
signalé en Amérique du Nord, en Europe de l’Est, en
Scandinavie, au Japon… Certains y voient le signe d’une
dégradation environnementale qui augmenterait la fré-
quence des Troubles Envahissants du Développement
et évoquent une « catastrophe sanitaire » et une « épi-
démie ». Tout ce qu’on sait est basé sur des études de
prévalence, qui ont effectivement présenté des chiffres
croissants au l du temps. Ainsi dans les années 1970,
on estimait le nombre de cas de 4 à 5 pour 10 000 per-
sonnes. Mais à cette époque, on ne tenait pas compte de
l’ensemble des troubles envahissants du développement
de type autistique, notamment des formes atypiques ou
des tableaux incomplets. Les années 1980 ont vu une
véritable révolution dans les concepts, dans la manière
d’envisager ces TED. Si bien qu’entre 1992 et 1994, on
a considérablement élargi la dénition des TED au syn-
drome d’Asperger, aux formes atypiques et aux TED non
spéciques. En partant d’une dénition restreinte, et en
l’élargissant au concept de spectre autistique (ou ASD),
on a repoussé les frontières du diagnostic, ce qui a abouti
à des chiffres de l’ordre de 20/10 000 dès 1994. Pour les
16 études restantes, le taux moyen de prévalence est de
9,6/10 000 (médiane : 8,0/10 000).
En fait, tout est parti des travaux réalisés au King’s
College de Londres. En 1998-1999, Suniti Chakrabarti et
Eric Fombonne ont conduit une enquête dans la province
du Staffordshire qui différait de tout ce qui avait été fait
auparavant en ce que la démarche était nettement plus
proactive. Avant cela, on se contentait d’études passives
où seulement les cas déjà diagnostiqués ou en traitement
étaient compilés. Cette fois-ci, on s’est adressé à tous les
professionnels en première ligne dans la détection de cas
suspects : inrmières, orthophonistes et même médecins
généralistes. Ils ont reçu une formation et des outils de
repérage des signes évocateurs de TED, et ont été invi-
tés à orienter les enfants, dès la présence d’un seul item
ayant une valeur diagnostique, vers un centre d’expertise
le diagnostic nal et la caractérisation du prol des pa-
tients étaient effectués par de vrais spécialistes de l’autis-
me. Cela a donné une prévalence globale des TED de
62-63/10 000, 16,8/10 000 pour l’autisme et 45,8/10 000
pour les autres TED.
De plus, Fombonne démontre par son étude faite aux
États-Unis que dans certains états, on note un nom-
bre plus important de personnes touchées par l’autisme
qu’ailleurs. Par exemple, dans le New Jersey environ
1%, plus précisément 6,6 autistes pour 1 000 ; 60 pour
10 000 ; 1 autiste pour 165 enfants. Les chiffres les plus
élevés concernent les états riches des Etats-Unis où il y a
beaucoup de services d’aide plus spécialisés pour détec-
ter les TED. Dans d’autres états, on trouve moins de per-
sonnes autistes puisqu’il existe peu de centres médicaux
qui s’occupent du diagnostic de l’autisme.
Deux hypothèses environnementales concernant une
éventuelle augmentation de l’incidence ont été propo-
sées. La première concerne l’immunisation ROR (rou-
geole-oreillons-rubéole), un vaccin vivant atténué, qui
ne contient pas de thimerosal, donc pas de mercure. Le
gastroentérologue londonien Andrew Wakeeld a semé
le trouble en afrmant avoir retrouvé une infection vi-
rale persistante par la souche vaccinale contre la rougeole
dans le tube digestif de jeunes patients (15-24 mois) pré-
sentant un tableau de symptômes gastro-intestinaux avec
syndrome neurologique régressif. Selon lui, les troubles
digestifs modieraient la perméabilité intestinale, per-
mettant à des substances neurotoxiques de passer de
l’intestin dans le sang, un passage sufsant pour provo-
quer des lésions neuronales et un arrêt du développement
neurologique des sujets. Avec sa théorie, la couverture
vaccinale contre la rougeole est passée de 94 % en 1998
à 82 % en 2004, un taux insufsant pour assurer la pro-
tection de la population. Or le danger de rougeole existe,
pas seulement dans les pays en voie de développement :
en 1999-2000, des épidémies en Hollande et en Irlande
ont tué cinq enfants, et plusieurs dizaines ont été hospita-
lisés dans un état grave. En 1990-1991, une épidémie de
rougeole a frappé les Etats-Unis et 150 personnes en sont
mortes. A chaque fois, le taux de couverture vaccinale
était tombé bien en-dessous du seuil critique de 90 %.
En partant d’une dénition
restreinte, et en l’élargissant
au concept de spectre
autistique (ou ASD),
on a repoussé les frontières
du diagnostic…
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L’autre hypothèse, celle du mercure sous forme d’éthyl-
mercure contenu dans le thimerosal des vaccins non
vivants un stabilisateur employé pour prévenir les in-
fections bactériennes semblait bien plus plausible bio-
logiquement. Le mercure est connu pour sa toxicité céré-
brale, et l’intoxication au mercure mime certains aspects
des troubles autistiques. L’alerte a été donnée par une
étude qui a tout simplement additionné les doses d’éthyl-
mercure reçues entre 0 et 2 ans si le calendrier vaccinal
est strictement respecté.
Mais tout d’abord, il faut savoir que ces normes sont fai-
tes pour protéger l’ensemble de la population, et qu’elles
correspondent non à un seuil de toxicité mais à un seuil
de protection maximale. Ensuite les auteurs n’ont pas
tenu compte de l’excrétion urinaire et fécale : la durée de
vie de l’éthylmercure chez le jeune enfant ne dépasse pas
14 jours. Leur calcul est donc absurde, car à coups de pe-
tites expositions épisodiques comme cela arrive avec les
vaccinations, le seuil n’est jamais dépassé. Enn, on n’a
constaté aucune corrélation entre l’apparition des TED et
la teneur en mercure mesurée dans les cheveux et le sang,
et aucune corrélation entre l’évolution de l’incidence des
TED et la variation d’exposition au mercure, lorsque le
thimerosal a été retiré des vaccins.
Conclusion
Il n’y a pas d’association entre l’autisme et la classe so-
ciale dans toutes les études conduites après 1980 ; de
la même façon, l’autisme est également répandu dans
toutes les races et cultures. Un taux de 8/10 000 pour la
prévalence de l’autisme peut être actuellement retenu.
En se fondant sur ce taux, on peut estimer que la préva-
lence du syndrome d’Asperger est voisine de 2/10 000 et
que la prévalence des autres troubles du développement
proches de l’autisme mais n’en remplissant pas formel-
lement tous les critères est de 13,6/10 000 (c’est à dire
1,7 x 8/10 000). Au total, on peut par conséquent retenir
que la prévalence de toutes les formes de troubles en-
vahissants du développement avoisine 24/10 000. Cette
estimation est basée sur les études les plus récentes et sur
une analyse des résultats publiés.
Compte tenu de la subtilité des signes les plus préco-
ces, l’intérêt se porte actuellement vers la mise au point
d’outils de dépistage sufsamment simples pour être
utilisés par des médecins et des personnels de santé non
spécialisés dans le cadre des examens systématiques
des nourrissons et des jeunes enfants. Ceci a pour but
de réduire, autant que possible, le délai entre l’apparition
des premiers troubles et la prise en charge de l’enfant.
Fombonne démontre par la suite l’importance de l’inté-
gration des parents dans le processus thérapeutique.
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…l’intérêt se porte
actuellement vers la mise au
point d’outils de dépistage
sufsamment simples pour
être utilisés par des médecins
et des personnels de santé
non spécialisés dans le cadre
des examens systématiques
des nourrissons
et des jeunes enfants.
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