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Cela dit, les idées, les notions, les propositions, les discours ou
les savoirs viennent traverser tour à tour le corps des person-
nages : ceux-ci tendent à se redresser suivant les « prescrip-
tions » données par chacun des livres qu’ils lisent : « Pour suivre
les prescriptions du manuel, ils tachèrent de devenir ambi-
dextres » (p. 257). Il s’agit donc d’un dressage du corps, mais, il
faut le souligner, le dressage du corps va toujours de pair avec
celui de l’esprit (« redresser l’intelligence, dompter les
caractères » (p. 352), tel est le rêve qui occupe les deux péda-
gogues au chapitre X). Cela est particulièrement visible dans
l’épisode de la gymnastique, puisque celle-ci est une discipline
qui manipule l’esprit par l’intermédiaire de son emprise sur le
corps.
« Alliance de la gymnastique et de la morale » : cette
expression apparaît à plusieurs reprises dans des brouillons
concernant le plan détaillé de l’épisode de la gymnastique
10
. Les
« hymnes » mettent clairement en relief l’enjeu moralisateur de
la gymnastique « amorosienne ». N’oublions pas, d’ailleurs, que
le manuel consulté par Bouvard et Pécuchet, c’est-à-dire celui
annoté par leur auteur, s’intitule précisément le Nouveau manuel
complet d’éducation physique, gymnastique et morale
11
. Aussi
la gymnastique amorosienne se définit-elle d’abord et surtout
comme une éducation à la fois « physique » et « morale ». Il est
significatif que Flaubert appelle le manuel d’Amoros la
« gymnastique et moral » dans ses notes de lecture
12
.
Pour ce fondateur de la gymnastique en France, le chant est,
cite Flaubert dans le f° 308, « l’instrument de civilisation, de
moralisation & de régénération le plus puissant qui existe » : la
musique devient un instrument disciplinaire. C’est dans un but
moralisateur, rappelons-le, que Pécuchet apprend à Victor la
musique au chapitre X : « Mais sa brutalité les effrayait. La
musique adoucissant les mœurs, Pécuchet imagina de lui
apprendre le solfège ». Le pédagogue ne manque pas de saisir
cette occasion pour redresser le corps de son élève : « Il le fit se
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10. Ms. g 225 (2) f° 362 v° et f° 356 [Ms. g 225 (7) f° 773 v° et f° 767]. Les
brouillons de Bouvard, conservés à la Bibliothèque municipale de Rouen, ont connu,
il y a une dizaine d’années, une nouvelle reliure. Les brouillons du chapitre VIII sont
conservés sous les cotes Ms. g 225 (7) f° 766-940. Je les cite selon la nouvelle
disposition de la foliotation en indiquant également la précédente entre crochets.
11. Paris, Roret, 1848, 3 vol.
12. Ms. g 226 (5) f° 308, 308 v° et 309. Dans le f° 308, outre trois chants cité au-
dessus, on en trouve trois. Pour le « pas accéléré », Amoros indique ce chant : « Dans
les sables brûlants, dans les climats glacés... ». Pour la « Course sur place », il indique
celui-ci : « qui chérit la patrie est esclave des lois... ». Finalement, dans l’exercice
« élever les bras en avant », on doit chanter : « ne nous laissons jamais aller à la
paresse... ».