Schizophrénie et stigmatisation: état de situation au Québec et pistes d'action dans une perspective internationale Avec une prévalence d'environ 1% de la population, la schizophrénie se retrouve en troisième rang de morbidité parmi les troubles neuropsychiatriques, après le trouble dépressif unipolaire et la dépendance à l'alcool. Comparativement, si tous les troubles endocriniens (incluant le diabète) sont responsables de 4% des années vécues avec un handicap dans le monde, la schizophrénie à elle seule en est responsable pour 2,8%. De plus, 5 à 10% des personnes souffrant de schizophrénie se suicident. Un certain nombre de faits troublants nous conduisent à nous poser des questions sur les soins psychiatriques contemporains. Ainsi, une méta-analyse de la littérature des cent dernières années conclut que le pronostic s'est détérioré après les années 1970. Une étude épidémiologique anglaise constate, chez les patients institutionnalisés, un taux de suicide 20 fois plus élevé à la fin du XXe siècle que cent ans auparavant. Plusieurs études internationales démontrent un meilleur pronostic de la schizophrénie dans les pays en développement par rapport aux pays développés. Finalement, au niveau de la thérapeutique, plusieurs groupes ont suggéré que des traitements alternatifs offrent de meilleurs résultats dans le traitement des patients souffrant de psychose. Il est troublant de pouvoir penser qu'une personne souffrant de schizophrénie et traitée dans les meilleures cliniques spécialisées du monde occidental ne se porte pas nécessairement mieux qu'une autre vivant dans un pays pauvre et sans accès aux traitements, ou qu'une personne vivant dans un asile du XIXe siècle. En lien avec ces constats, l'Organisation mondiale de la Santé considère que la stigmatisation est "le plus grand obstacle contre l'amélioration des vies des personnes souffrant de troubles mentaux et leurs familles", ceci étant particulièrement significatif dans le cas de la schizophrénie. La stigmatisation se manifeste dans des attitudes, des jugements et des comportements discriminants, mais elle se crée à travers les discours invalidants sur la personne souffrant d'un trouble psychotique. La stigmatisation est "un attribut profondément invalidant", une forme de sens profondément ancré dans un contexte culturel et psychosocial. Les cliniques de traitement des premiers épisodes de psychose (PEP) ont très tôt noté les effets délétères de la stigmatisation sur les délais dans les traitements, l'accès difficile aux services, les arrêts de traitement ainsi que l'absence d'adhérence, et ont essayé d'y remédier et d'offrir un discours optimiste sur la maladie et le pronostic. Ce discours optimiste est couplé à un recadrage du traitement vers un but de rétablissement. Patrick McGorry, pionnier du mouvement PEP, relie les résultats décevants du pronostic de la schizophrénie à "une stigmatisation généralisée dans la communauté, des croyances pessimistes quant au pronostic, un statut inférieur de la psychiatrie dans le système de santé - résultant en un sousfinancement et une pauvre qualité de soins, un échec de poursuivre les réformes nécessaires après la désinstitutionalisation, ainsi qu'à l'absence de transfert des avancées thérapeutiques vers les milieux cliniques." Le mouvement des cliniques spécialisées en premier épisode psychotique tente de répondre à ces lacunes dans le traitement des patients psychotiques. Pour lutter contre les stéréotypes, des interventions d'éducation et de sensibilisation dans la communauté sont proposées. Pour contrer le pessimisme du pronostic, on met l'emphase sur la variabilité et la plasticité des pronostics – évitant même le terme de schizophrénie, vu la charge stigmatisante se rattachant à cette étiquette. Il est postulé que non seulement il vaut mieux traiter plutôt tôt que plus tard, mais que la durée de psychose non traitée est corrélée au mauvais pronostic. Considérant que le début de la psychose est une "période critique" pendant laquelle les interventions thérapeutiques vont influencer le pronostic, des interventions précoces spécialisées sont proposées, incluant une expertise accrue du personnel et un financement adéquat des équipes, parfois avec des standards nationaux. Dans ce contexte, le mouvement du premier épisode psychotique est une nouvelle forme de soins psychiatriques qui a renouvelé l'espoir de diminuer la stigmatisation de la schizophrénie. Les stratégies de diminution de la stigmatisation en PEP sont donc proposées à trois niveaux: 1. Individuel: psychoéducation (encourager une attitude non culpabilisante, normalisant l'expérience, l'universalisant à travers des discussions en groupe, utilisant les comparaisons avec les maladies physiques ou les exemples de personnes célèbres souffrant de la même maladie [39]); alternativement, Graham Thornicroft propose d'accompagner les patients dans la meilleure stratégie de dévoilement de la maladie. Il propose des discussions et des jeux de rôle afin d'aider le patient à façonner un récit sur la maladie qui sera plausible et acceptable pour l'entourage, avec le but précis de l'aider à se trouver un emploi. 2. Entourage: éducation de la famille et du public, composantes presque universelles du traitement PEP. L'éducation implique surtout la promotion d'un modèle biogénétique, qui diminue le blâme, mais peut augmenter la perception de dangerosité et imprévisibilité et créer des réactions contraires (l'effet "ne me dis pas quoi penser"). Le fait que la stigmatisation se développe dans l'enfance, et que le contact avec une personne malade a plus d'impact que le contenu cognitif de l'éducation est une piste d'action prometteuse. 3. Structure: Les changements structurels dans les cliniques PEP sont des plus radicaux. Un suivi en communauté, avec évitement de l'hospitalisation, séparation des autres patients, l'emphase sur une approche volontaire et collaborative, et l'abolition des barrières aux soins sont autant de potentielles solutions pour lutter contre la stigmatisation. Cependant, il reste questionnable si cela ne fait qu'augmenter la stigmatisation des patients qui vivent plus d'un épisode psychotique ou qui ne récupèrent pas bien, déplaçant et concentrant la stigmatisation sur un sous-groupe de patients "chroniques". Malgré la mise en place de ces services PEP prometteurs, la stigmatisation continue d'interférer avec la recherche d'aide et l'adhérence aux traitements, probablement à travers des mécanismes de défense visant à prévenir les risques de stigmatisation publique et d'auto-stigmatisation. Non seulement les patients tardent à consulter – sans interventions spécifiques, la durée moyenne de psychose non traitée se compte en années (p. ex. de plus de deux ans dans une méta-analyse récente), mais l'adhérence au traitement est également sous-optimale, avec environ la moitié des patients PEP cessant le traitement dès la première année. De plus, une grande proportion des patients ont une autocritique partielle ou absente, refusant souvent de se considérer malades ou en besoin de traitement. Auteur: Constantin Tranulis, psychiatre et chercheur, Clinique des premiers épisodes psychotiques, Hôpital Louis-H. Lafontaine. Au Canada, la Société québécoise de la schizophrénie a participé à une vaste enquête nationale menée par la maison de sondage Léger Marketing, dont les résultats ont été publiés en mars 2009. Les six aspects du rapport de La Schizophrénie au Canada portent sur les éléments suivants: la perception de la population générale et son degré de sensibilisation, les services de santé offerts, l'accès aux médicaments, les dépenses publiques en santé mentale, les temps d'attente et la qualité de vie selon les personnes atteintes de schizophrénie et leur famille. Le constat général Les diverses formes de stigmatisation et de discrimination sont endémiques dans la population canadienne générale et dans le système canadien de soins de santé. Bien que 92% des Canadiens interrogés aient entendu parler de la schizophrénie, la plupart d'entre eux ne comprennent pas la maladie et ses symptômes. Le rapport révèle que les personnes souffrant de schizophrénie font également l'objet de discrimination au sein du système de santé canadien. Les lourdes répercussions se font sentir notamment sur les délais d'attente que doivent subir les personnes atteintes de schizophrénie pour recevoir divers traitements, sur les dépenses dans le domaine de la santé mentale et sur l'accessibilité aux soins. Les dépenses publiques du Canada pour la santé mentale sont inférieures à celles de la plupart des pays industrialisés. Le Québec se classe au 7e rang des provinces canadiennes pour les dépenses publiques par personne pour la santé mentale. Parmi toutes les données disponibles, c'est pour l'accès aux médicaments remboursés par les régimes publics que le Québec se classe au premier rang. Enfin, le sondage sur la qualité de vie auprès des personnes atteintes et des membres de leur famille nous révèle les principales notions de qualité qui viennent influencer leur vie. Parmi celles-ci, des relations positives avec les professionnels et le soutien par la famille comptent pour 89% et 87% des réponses. L'importance de médication (90%) est reconnue, mais ne peut à elle seule favoriser la qualité de vie en raison de leurs effets secondaires. Les personnes sondées réclament fermement le droit de partager les mêmes espoirs et les mêmes rêves d'une vie satisfaisante: emploi intéressant et contribution à la vie sociétale. Comme personne, elles reconnaissent devoir surmonter des défis supplémentaires liés aux symptômes, au rejet de la communauté qui les mène au chômage et aux prestations de sécurité du revenu. Autre constat: elles avouent avoir besoin du soutien de leur famille, mais reconnaissent le tort causé lorsque celles-ci sont exclues de l'équipe de soins. Plusieurs messages transmis convergent vers l'espoir, l'optimisme et le fait de croire au rétablissement. Les familles sondées avouent le fardeau qu'elles portent, confrontées à d'éventuelles rechutes de leur proche, leur adhésion au traitement, leur isolement social et leur pauvreté. En conséquence, leur santé mentale, émotionnelle et physique en souffre notablement. Un modèle de partenariat bénéfique est présenté pour améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec la schizophrénie et victimes de stigmatisation. Auteur: Francine Dubé, directrice générale, Société québécoise de la schizophrénie.