Nanostructures photoniques pour la détection

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DOSSIER IMAGERIE
TECHNOLOGIE APPLIQUÉE
JÉRÔME WENGER1,* ET HERVÉ RIGNEAULT1
Nanophotonique
nop
op
iqu
qu
Nanostructures photoniques
pour la détection exaltée de la fluorescence
de molécules individuelles
RÉSUMÉ
Le contraste de fluorescence est largement utilisé dans différents domaines de l’analyse biochimique. Améliorer
la détection optique de molécules uniques permet de fortement étendre le champ d’application de la
fluorescence. Nous détaillerons dans cet article différentes avancées récentes en nanophotonique, qui ouvrent la
voie au contrôle de l’interaction entre une molécule et le champ lumineux.
MOTS-CLÉS
Nanophotonique, biophotonique, fluorescence, plasmonique
Nanophotonics for enhanced single-molecule fluorescence detection
SUMMARY
Fluorescence is widely used in various fields relevant to analytical biochemistry. Enhancing the optical detection of single
molecules largely extends the effectiveness of fluorescence-based techniques. In this article, we will review some recent
breakthroughs in nanophotonics to enable the control of the interaction between light and a single emitter.
KEYWORDS
Nanophotonics, biophotonics, fluorescence, plasmonics
I - Introduction
La capacité de suivre des réactions chimiques à l’échelle d’une molécule individuelle ouvre des perspectives
prometteuses pour l’analyse biochimique. En effet,
isoler une molécule unique permet de révéler des informations supplémentaires cachées dans des moyennes d’ensemble opérées sur des milliers de molécules.
Parmi ces informations, on peut ainsi isoler des mutations rares, accéder à la variétés des dynamiques temporelles, ou révéler des états transitoires.
Parmi les différentes techniques permettant de détecter des molécules unes par unes, la microscopie
de fluorescence est largement la plus répandue et la
plus utilisée, grâce notamment à sa forte efficacité de
collecte du signal optique, la vaste variété d’informations dynamiques qu’elle peut apporter et la sélectivité dans le marquage chimique. Il faut cependant
garder à l’esprit qu’une molécule fluorescente (même
très efficace optiquement) émet un nombre de photons relativement faible, typiquement de l’ordre de
107 photons par seconde, ce qui équivaut à une puissance moyenne d’environ 4 picowatts répartie dans
toutes les directions de l’espace. Avec un signal aussi
faible, il est essentiel de maîtriser l’interaction entre la
molécule et le champ lumineux, et de mettre en œuvre
des techniques innovantes pour la détection exaltée de
l’émission. C’est à ce niveau qu’interviennent des innovations récentes en nanophotonique (1-3), que nous
détaillerons dans la suite de cet article.
II - Les limites de l’état de l’art
Commençons par définir les problèmes de la technique actuelle. Dans toute détection de molécule individuelle, isoler le signal utile du bruit est crucial. Ceci
s’effectue principalement par microscopie confocale,
où un faisceau laser d’excitation est fortement focalisé
par un objectif de microscope de forte ouverture numérique et où un trou de filtrage spatial – conjugué
optiquement au point de focalisation laser – permet
* Pour correspondance
1
Institut Fresnel – CNRS – Université Aix-Marseille – Domaine Universitaire de St Jérôme – 13397 Marseille Cedex 20 – E-mail : [email protected]
Web : http://www.fresnel.fr/mosaic
SPECTRA ANALYSE n° 262 • Juin - Juillet 2008
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DOSSIER IMAGERIE
TECHNOLOGIE APPLIQUÉE
Figure 1
III - La nanophotonique
pour isoler une molécule
Schéma de principe
de la microscopie
confocale, volume
d’analyse, et spectres
d’absorption et
d’émission d’une
molécule fluorescente.
Figure 2
Dispositifs
nanophotoniques
pour la réduction du
volume d’analyse de
molécules sous la
limite de diffraction.
La concentration
est indiquée pour
obtenir en moyenne
une molécule dans le
volume d’analyse.
de rejeter le bruit de fond (1) (voir la figure 1). Pour
obtenir le meilleur rapport signal sur bruit, il est nécessaire d’utiliser une forte ouverture numérique de
focalisation afin de maximiser l’intensité d’excitation
et la fluorescence collectée, tout en minimisant la contribution du bruit de fond (proportionnel au volume
d’analyse).
D’un point de vue fondamental, la microscopie confocale se heurte au phénomène de diffraction, qui limite
le diamètre minimal d’un faisceau focalisé à environ
la longueur d’onde optique. D’un point de vue technique, cette approche est de plus limitée par le coût
et la complexité des objectifs ayant une ouverture supérieure à 1,45. Le plus petit volume défini par la microscopie confocale est alors de 0,1 fL (soit 0,1 μm3).
Pour obtenir des volumes d’analyse plus réduits, et
une contribution plus faible du bruit, le recours à des
techniques de nanophotonique s’impose comme une
solution (voir III - La nanophotonique pour isoler une
molécule).
Par ailleurs, l’ouverture limitée de l’optique pour collecter la fluorescence fixe une limite au signal maximum détectable par molécule. L’efficacité typique de
la collection de fluorescence est de 5 %, ce qui amène à
un signal moyen par molécule de 500 000 photons détectés par seconde. Des structures nanophotoniques
permettent de dépasser ce seuil, (voir IV - La nanophotonique pour exalter la fluorescence).
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SPECTRA ANALYSE n° 262 • Juin - Juillet 2008
Une limite essentielle de la microscopie confocale
pour définir le volume d’analyse repose sur la direction selon l’axe optique. Alors que le diamètre
selon la dimension transverse peut être réduit sous
500 nm, selon la direction longitudinale, la diffraction impose des tailles supérieures au micromètre. Une forte réduction du volume d’analyse peut
alors être obtenue en jouant uniquement selon cet
axe (2) (figure 2).
Afin d’éviter de sonder un volume étendu selon
l’axe optique, une option consiste à utiliser des
ondes évanescentes générées par réflexion totale
interne sur une interface. Les ondes évanescentes
ne se propagent pas et décroissent exponentiellement selon la distance à l’interface. Pour autant,
l’intensité locale portée par une onde évanescente n’est pas nulle, et peut exciter une molécule fluorescente. Cette approche est nommée
TIRFM pour total internal reflection fluorescence microscopy. Les volumes obtenus mesurent
typiquement 500 nm de diamètre pour 150 nm
d’extension axiale (4). Des objectifs de microscope spéciaux sont disponibles dans le commerce
pour cette méthode, mais la réflexion total interne dans un prisme de verre d’indice élevé peut
également être employée.
Pour réduire fortement le volume d’analyse, une
autre démarche consiste à confiner la zone accessible aux molécules en employant des capillaires
micro- et nanofluidiques (5). La hauteur des capillaires, qui peut être aussi faible que 200 nm, fixe
alors l’étendue longitudinale du volume d’analyse.
Cette démarche a l’avantage de pouvoir être couplée à des forces électromotrices pour contrôler le
flux de molécules au travers de la zone d’observation. La caractérisation de fragments d’ADN isolés
a ainsi été réalisée (5).
Les deux approches décrites précédemment
– champ évanescent et nanostructure – peuvent
être combinées dans le cas de nano-ouvertures
percées dans des films métalliques opaques (6).
Ces nano-ouvertures possèdent un diamètre de 30
à 100 nm, qui empêche toute propagation optique
directe. La lumière est alors confinée à l’entrée des
nano-ouvertures suivant les trois axes de l’espace,
ce qui produit des volumes de l’ordre de la dizaine
de zeptolitres (soit 10-20 L), autorisant la détection
d’une molécule individuelle dans une solution de
concentration supérieure à 100 μM. Cette approche constitue actuellement le record en réduction
optique de volume d’analyse.
Enfin, pour réduire le volume d’analyse tout en
conservant une simplicité d’utilisation et un faible coût, des travaux récents suggèrent l’emploi de
billes micrométriques en polystyrène (7). En positionnant une microbille au point de focalisation de
l’objectif de microscope, une réduction d’un facteur 10 du volume confocal d’analyse a été obtenu,
conjointement avec une exaltation x4 du signal de
fluorescence.
Technologie appliquée
Nanostructures photoniques pour la détection exaltée
de la fluorescence de molécules individuelles
IV - La nanophotonique
pour exalter la fluorescence
Une première approche pour augmenter le signal de
fluorescence est d’améliorer l’efficacité de collection
du dispositif pour diriger l’essentiel de la lumière émise
vers les détecteurs. Une mise en œuvre consiste à placer un miroir (empilement de couches diélectriques
ou film mince métallique) au voisinage de la molécule,
ce qui a aussi pour effet de modifier les taux d’excitation et d’émission de la molécule.
A titre d’exemple, dans le domaine des supports utilisés pour la fabrication de puces à ADN, l’emploi d’un
miroir optimisé permet une exaltation du signal d’un
facteur 10 à 15 comparativement à une lame de verre simple (3, 8). Ce type de support fait l’objet d’une
commercialisation par la société française Genewave
(Palaiseau, Essonne - www.genewave.com).
Cette approche peut être combinée avec des structures microfluidiques pour aboutir à un montage de détection de molécules individuelles totalement intégré
sur puce (9).
Une seconde approche pour exalter le signal de fluorescence repose sur le renforcement local de l’intensité
lumineuse au voisinage de nanostructures métalliques.
L’interaction entre le champ lumineux, l’émetteur et la
structure peut être largement renforcée lorsqu’entrent
en jeu des résonances plasmoniques avec les électrons
libres en surface du métal. Différentes démonstrations
expérimentales ont été reportées pour des nanoparticules métalliques (10) (figure 3), des nano-ouvertures
dans des films métalliques (11) ou des nano-antennes
(3). Toutes ces expériences montrent qu’un renforcement du champ lumineux de plusieurs ordres de
grandeur peut être obtenu, mais que des précautions
doivent être prises pour éviter que les pertes dans le
métal ne viennent dégrader fortement le rendement
d’émission des molécules.
V - Conclusion
Des avancées récentes en nanophotonique permettent
de confiner et d’exalter le champ lumineux, et donnent
accès à un contrôle de l’environnement électromagnétique d’une molécule individuelle. Tous les paramètres
de l’émission moléculaire (taux d’émission radiative,
temps de vie, directivité, photoblanchiment…) peuvent être modifiés. Ces nouvelles possibilités permettent des améliorations essentielles dans la détection
de fluorescence, et ouvrent des perspectives d’applications innovantes en biochimie analytique à l’échelle
d’une molécule individuelle.
BIBLIOGRAPHIE
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reflective slides: application to bi-color microarrays, Appl. Phys. Lett., 2005, 87, 031102.
Figure 3
Renforcement de l’intensité lumineuse entre deux nanoparticules
sphériques en or (diamètre 50 nm) éclairées par un faisceau
uniforme de longueur d’onde 467 nm (image fournie par
Brian Stout, Institut Fresnel). L’échelle d’intensité est en unités
logarithmiques. La courbe du bas indique une coupe transverse
selon l’axe passant par le centre des sphères.
(9) YIN D., LUNT EJ, BARMAN A., HAWKINS AR & SCHMIDT H., Microphotonic control of single
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