Traitements Médicaux du Rachis.
Application aux lombalgies
Jehan Lecocq et Marie-Eve Isner
Hôpitaux Universitaires de Strasbourg
Institut Universitaire de Réadaptation Clémenceau-Strasbourg
Le terme lombalgie est un symptôme signifiant douleur en rapport avec la colonne vertébrale
lombaire. L’International Association for the Study of Pain (IASP) définit la douleur comme
« une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion tissulaire existante
ou potentielle ou décrite en termes d’une telle lésion. ». Ainsi le patient est seul juge, et c’est
lui qui a raison. L’expression de toute douleur est dépendante de la personnalité de celui qui
souffre et du destinataire de la plainte. Elle est la résultante de plusieurs facteurs : mécanismes
générateurs, intensité sensorielle, signification, culture, éducation, …
La lombalgie est dite aigsi elle ne dépasse pas six semaines et chronique lorsqu’elle est
d’au moins trois mois. Elle est qualifiée de subaiguë entre ces deux périodes.
L’évaluation de cette douleur lombaire est indispensable pour définir au mieux la stratégie
thérapeutique pour 2 raisons : d’une part il faut rechercher les nombreuses étiologies, qu’il
s’agisse des lombalgies symptomatiques secondaires à des affections graves (tumeur,
infection, spondylarthrite ankylosante, …) relevant d’un traitement spécifique, que des
fausses lombalgies dites viscérales (ce sont les « red flags »). Il s’agit donc dans cet exposé
des traitements des lombalgies communes dont l’origine lésionnelle est « mécanique », c’est
à dire les lésions dégénératives (arthrosiques) des disques et articulations zygapophysires ou
inter – apophysaire postérieures. D’autre part l’évaluation des lombalgies communes est
capitale sur le plan thérapeutique car la lombalgie n’est pas simplement en rapport avec une
lésion organique mais avec tout un ensemble d’éléments aboutissant au
modèle « biopsychosocial » qui est un syndrome multidimensionnel ou syndrome
douloureux chronique de « douleur maladie » différent de la « douleur-symptôme » de la
lombalgie aiguë. Cette évaluation est codifiée par la Haute Autorité de Santé (HAS) française
dans un document de décembre 2008 « douleur chronique : reconnaître le syndrome
douloureux chronique, l’évaluer et orienter le patient ». À partir de lésions (disque,
articulation inter apophysaire postérieure, ligaments, muscles, …), il s’ensuit
progressivement une désinhibition neuromusculaire et surtout un comportement d’évitement
par kinésiophobie favorisée par les peurs et croyances liées à l’environnement culturel,
familial, professionnel et personnel (Verbunt, Eur J Pain, 2003), ce qui aboutit à un
syndrome de déconditionnement physique et psychique à l’effort. C’est le modèle
biopsychosocial qui prend en compte les interrelations entre les aspects biologiques,
psychologiques et sociaux de la maladie. Selon Burton (Eur Spine J, 2006) ces facteurs
psychosociaux représenteraient 35 % de la variabilité du handicap. Ainsi à côté des aspects
somatiques, ce sur quoi se focalisent le patient et le médecin, il existe les aspects
psychologiques dont le médecin sait bien que cela intervient mais pas le patient, et les aspects
environnementaux et événementiels (traumatismes, état des défenses psychiques,…)dont on
sous-estime l’importance.
Ainsi ce concept de maladie multidimensionnelle rend évident la nécessité d’une prise en
charge multidisciplinaire (Kamper, BMJ, 2015) et permet la recherche des facteurs de risque
de chronicité afin d’agir sur ceux qui sont modifiables, ce qui représente un temps important
du traitement médical : les facteurs psycho – comportementaux tels que dépression, anxiété,
isolement, absence de soutien familial ou surprotection, fausses croyances sur le mal de dos et
sur le caractère bénéfique du repos, attitude passive vis-à-vis de la maladie, ainsi que les
facteurs professionnels tels que insatisfaction au travail, tâches physiques lourdes, absence
d’adaptation, faible soutien, difficultés au travail, appréhensions, conflit pour l’indemnisation
d’une pathologie vécue comme professionnelle ou pour la recherche de mise en invalidité ou
pour l’interprétation des différents taux d’incapacité (par exemple en France Assurance-
maladie de la curité Sociale, Maison Départementale des personnes handicapées, la MDPH
qui a remplacé la COTOREP, Droit commun, Assurances privées, …) (Fayad 2004, Carrages
2005, Valat 2005, Van Tulder 2006, Lefèvre-Colau 2009, Balagué 2012), ....
Il s’agit d’un enjeu humain mais aussi économique. En effet les lombalgies sont très
fréquentes, première cause d’années de vie passée avec incapacité (Vos, Lancet 2012) et sont
à l’origine de coûts élevés. La prévalence des lombalgies aigues et chroniques sur la vie est de
l’ordre de 60 à 90 % et l’incidence annuelle de l’ordre de 15 %. Cependant le passage à la
chronicité ne représente que 10 % des lombalgies aigues, mais les lombalgies chroniques
représentent 70 à 90 % des coûts directs et indirects (Quebec Task Force, Spinal disorders
1987). Une étude en France a montré que les coûts indirects liés aux arrêts accident, au
nombre de journées de travail perdues et aux taux d’IPP avaient tendance à augmenter ces 10
dernières années (Chamoux, 2005).
Que la lombalgie soit aiguë ou chronique, les objectifs thérapeutiques seront d’une part de
diminuer les déficiences dont la douleur et les limitations de mouvement, d’autre part d’agir
sur les limitations fonctionnelles (selon la terminologie en 3 niveaux de la Classification
Internationale Fonctionnelle, ou incapacité selon l’ancienne classification des handicaps) en
rapport avec le déconditionnement à l’effort pour les formes chroniques et d’agir sur les
facteurs de risque de chronicité en rapport avec le retentissement social et professionnel. Cette
démarche est applicable aux lombalgies traumatiques aigues sans lésions rachidiennes ostéo-
ligamentaires ou neurologiques objectivables et aux lombalgies post-traumatiques persistantes
après traitement orthopédique ou chirurgical de fracture ou luxation et sans lésion
neurologique car leurs présentations cliniques et leurs problématiques se rapprochent des
lombalgies communes.
Les moyens thérapeutiques et leur efficacité
Les moyens médicamenteux
Par voie générale, habituellement orale dans les lombalgies qui sont des douleurs par excès
de nociception, les antalgiques de classe I de l’OMS, comportant le paracétamol, les salicylés
et les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont autorisés et recommandés en cure courte pour
ces derniers (recommandations de l’American College of physicians, Chou, Ann Intern Med,
2007). Ceux de classe II correspondant aux opioïdes faibles tels que la codéine le tramadol
ainsi que le nefopam sont utilisées lorsque l’échelle visuelle analogique (EVA) est supérieure
à 5/10. Il est conseillé d’utiliser des associations de ces deux classes. Les antalgiques de classe
III de l’OMS, correspondant aux opioïdes forts ne sont pas conseillés.
Les myorelaxants ou décontracturants, notamment ceux faisant parti de la classe des
benzodiazépines n’ont pas fait la preuve de leur efficacité dans les lombalgies aussi bien
aiguës que chroniques.
Lorsque qu’il existe une composante de douleur neuropathiques radiculaire, il est conseillé
d’utiliser les médicaments agissant sur ce type de douleur qu’il s’agisse de certains
antidépresseurs tricycliques (amitriptyline, …), d’antiépileptiques (clonazépam, …) ou autres
GABAergiques (prégabaline, …) qui comportent tous des effets secondaires fréquents et non
négligeables, peu compatibles habituellement avec la conduite automobile et les activités
professionnelles.
L’application locale de topiques à base d’anti-inflammatoires non stéroïdiens au niveau
lombaire n’a pas fait la preuve de son efficacité. Parfois l’utilisation de topiques avec des
anesthésiques locaux (lidocaïne) peut être bénéfique.
L’utilisation de blocs anesthésiques à but diagnostique ou de blocs thérapeutiques avec des
corticoïdes ne sont pas recommandés dans les lombalgies chroniques sauf dans le cadre de
bilans préopératoires. Ils sont utiles essentiellement lorsque la lombalgie s’accompagne de
radiculalgie de type sciatique ou parfois dans une lombalgie aiguë isolée mais intense, par
voie épidurale ou peri-radiculaire au niveau foraminal de manière scannoguidée en cas de
radiculalgie associée. En intra-articulaire zygapophysaire les infiltrations donnent de bons
résultats (Bani, Neurosurg Focus, 2002). Plusieurs études ont montré que l’ensemble de ces
infiltrations ne modifiait pas à long terme l’évolution de la lombalgie ou de la sciatique mais
entrainait un effet antalgique immédiat et puissant pendant quelques semaines. Pour mémoire
nous signalons les thermocoagulations des facettes articulaires postérieures ou rhizolyse,
intéressantes lorsque l’origine de la douleur a été clairement identifiée en rapport avec une
arthrose inter-apophysaire postérieure après plusieurs tests diagnostiques d’infiltration
d’anesthésiques locaux associés à des corticoïdes. Cette technique donne de bons résultats si
l’indication est bien posée et le protocole rigoureux (Slipman, Spine J, 2003).
Signalons les rares cas d’indications de pompes aux opioïdes épidurales pour des lombalgies
majeures.
La mésothérapie utilise divers produits en injection locale superficielle mais les preuves
scientifiques selon l’Evidence-based Medicine (EBM) de leur efficacité manquent en l’état
actuel pour les lombalgies.
Les moyens non médicamenteux
Ils sont très nombreux et très variés : repos, physiothérapie au sens français du terme,
massages, appareillage, kinésithérapie « classique », reconditionnement à l’effort et activités
physiques, rééducation instrumentalisée, thérapies cognitivo-comportementales, programmes
éducatifs de type école du dos, protocoles multidisciplinaires, médecines alternatives
complémentaires (MAC), techniques se rapprochant de la chirurgie pour les tassements
vertébraux telles que cimentoplasties et kyphoplasties.
Il n’est pas possible dans cet exposé d’aborder tous ces moyens thérapeutiques et nous
n’insisterons que sur certains d’entre eux ; d’ailleurs un certain nombre d’entre eux ne sont
pas validés scientifiquement selon l’EBM et les études les concernant sont souvent de faible
qualité méthodologique.
Schématiquement, ces moyens peuvent être classés en 4 groupes selon qu’ils sont destinés à
traiter soit les ficiences, en tout premier lieu la douleur mais également les déficiences
physiques telles que la limitation de mobilité, soit le déconditionnement à l’effort, soit
l’ensemble des retentissements psycho-sociaux et professionnels évoqués précédemment. Les
programmes multidisciplinaires cherchent à agir en même temps sur ces trois domaines de
la classification internationale fonctionnelle.
Les massages dont le but est d’agir sur les douleurs et les contractures musculaires. Il existe
plusieurs centaines de techniques. La méta-analyse Cochrane de 2008 (Furlan) et celle de Van
Middlekoop en 2011n’ont pas mis en évidence d’efficacité sur la lombalgie sauf peut-être en
association avec d’autres thérapeutiques. (Il existe une preuve modérée d’efficacité sur la
douleur pour les cervicalgies selon la méta-analyse de Cheng en 2014).
La physiothérapie au sens d’utilisation d’agents physiques que sont l’électricité, les
vibrations, le froid ou la chaleur.
L’electrothérapie : la iontophoèse qui consiste en la pénétration transcutanée par
courant continu dit galvanique de protéines médicamenteuses ionisées n’a pas été étudié par
des essais randomisés contrôlés (ERC) pour la lombalgie.
La neurostimulation électrique transcutanée ou transcutaneous electrical nerve
stimulation (TENS) utilise un courant discontinu de basse fréquence. Cette technique avec un
appareil individuel portable est très utilisée. Les ERC en général de faible qualité
méthodologique rendent l’analyse des méta-analyses notamment Cochrane difficile et souvent
contradictoire ; l’efficacité sur la douleur dans diverses affections chroniques douloureuses
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