Traitements médicaux du rachis

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Traitements Médicaux du Rachis.
Application aux lombalgies
Jehan Lecocq et Marie-Eve Isner
Hôpitaux Universitaires de Strasbourg
Institut Universitaire de Réadaptation Clémenceau-Strasbourg
Le terme lombalgie est un symptôme signifiant douleur en rapport avec la colonne vertébrale
lombaire. L’International Association for the Study of Pain (IASP) définit la douleur comme
« une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion tissulaire existante
ou potentielle ou décrite en termes d’une telle lésion. ». Ainsi le patient est seul juge, et c’est
lui qui a raison. L’expression de toute douleur est dépendante de la personnalité de celui qui
souffre et du destinataire de la plainte. Elle est la résultante de plusieurs facteurs : mécanismes
générateurs, intensité sensorielle, signification, culture, éducation, …
La lombalgie est dite aiguë si elle ne dépasse pas six semaines et chronique lorsqu’elle est
d’au moins trois mois. Elle est qualifiée de subaiguë entre ces deux périodes.
L’évaluation de cette douleur lombaire est indispensable pour définir au mieux la stratégie
thérapeutique pour 2 raisons : d’une part il faut rechercher les nombreuses étiologies, qu’il
s’agisse des lombalgies symptomatiques secondaires à des affections graves (tumeur,
infection, spondylarthrite ankylosante, …) relevant d’un traitement spécifique, que des
fausses lombalgies dites viscérales (ce sont les « red flags »). Il s’agit donc dans cet exposé
des traitements des lombalgies communes dont l’origine lésionnelle est « mécanique », c’est
à dire les lésions dégénératives (arthrosiques) des disques et articulations zygapophysires ou
inter – apophysaire postérieures. D’autre part l’évaluation des lombalgies communes est
capitale sur le plan thérapeutique car la lombalgie n’est pas simplement en rapport avec une
lésion
organique
mais
avec
tout
un
ensemble
d’éléments
aboutissant
au
modèle « biopsychosocial » qui est un syndrome multidimensionnel ou syndrome
douloureux chronique de « douleur – maladie » différent de la « douleur-symptôme » de la
lombalgie aiguë. Cette évaluation est codifiée par la Haute Autorité de Santé (HAS) française
dans un document de décembre 2008 « douleur chronique : reconnaître le syndrome
douloureux chronique, l’évaluer et orienter le patient ». À partir de lésions (disque,
articulation inter – apophysaire postérieure, ligaments, muscles, …), il s’ensuit
progressivement une désinhibition neuromusculaire et surtout un comportement d’évitement
par kinésiophobie favorisée par les peurs et croyances liées à l’environnement culturel,
familial, professionnel et personnel (Verbunt, Eur J Pain, 2003), ce qui aboutit à un
syndrome de déconditionnement physique et psychique à l’effort. C’est le modèle
biopsychosocial qui prend en compte les interrelations entre les aspects biologiques,
psychologiques et sociaux de la maladie. Selon Burton (Eur Spine J, 2006) ces facteurs
psychosociaux représenteraient 35 % de la variabilité du handicap. Ainsi à côté des aspects
somatiques, ce sur quoi se focalisent le patient et le médecin, il existe les aspects
psychologiques dont le médecin sait bien que cela intervient mais pas le patient, et les aspects
environnementaux et événementiels (traumatismes, état des défenses psychiques,…)dont on
sous-estime l’importance.
Ainsi ce concept de maladie multidimensionnelle rend évident la nécessité d’une prise en
charge multidisciplinaire (Kamper, BMJ, 2015) et permet la recherche des facteurs de risque
de chronicité afin d’agir sur ceux qui sont modifiables, ce qui représente un temps important
du traitement médical : les facteurs psycho – comportementaux tels que dépression, anxiété,
isolement, absence de soutien familial ou surprotection, fausses croyances sur le mal de dos et
sur le caractère bénéfique du repos, attitude passive vis-à-vis de la maladie, ainsi que les
facteurs professionnels tels que insatisfaction au travail, tâches physiques lourdes, absence
d’adaptation, faible soutien, difficultés au travail, appréhensions, conflit pour l’indemnisation
d’une pathologie vécue comme professionnelle ou pour la recherche de mise en invalidité ou
pour l’interprétation des différents taux d’incapacité (par exemple en France Assurancemaladie de la Sécurité Sociale, Maison Départementale des personnes handicapées, la MDPH
qui a remplacé la COTOREP, Droit commun, Assurances privées, …) (Fayad 2004, Carrages
2005, Valat 2005, Van Tulder 2006, Lefèvre-Colau 2009, Balagué 2012), ....
Il s’agit d’un enjeu humain mais aussi économique. En effet les lombalgies sont très
fréquentes, première cause d’années de vie passée avec incapacité (Vos, Lancet 2012) et sont
à l’origine de coûts élevés. La prévalence des lombalgies aigues et chroniques sur la vie est de
l’ordre de 60 à 90 % et l’incidence annuelle de l’ordre de 15 %. Cependant le passage à la
chronicité ne représente que 10 % des lombalgies aigues, mais les lombalgies chroniques
représentent 70 à 90 % des coûts directs et indirects (Quebec Task Force, Spinal disorders
1987). Une étude en France a montré que les coûts indirects liés aux arrêts accident, au
nombre de journées de travail perdues et aux taux d’IPP avaient tendance à augmenter ces 10
dernières années (Chamoux, 2005).
Que la lombalgie soit aiguë ou chronique, les objectifs thérapeutiques seront d’une part de
diminuer les déficiences dont la douleur et les limitations de mouvement, d’autre part d’agir
sur les limitations fonctionnelles (selon la terminologie en 3 niveaux de la Classification
Internationale Fonctionnelle, ou incapacité selon l’ancienne classification des handicaps) en
rapport avec le déconditionnement à l’effort pour les formes chroniques et d’agir sur les
facteurs de risque de chronicité en rapport avec le retentissement social et professionnel. Cette
démarche est applicable aux lombalgies traumatiques aigues sans lésions rachidiennes ostéoligamentaires ou neurologiques objectivables et aux lombalgies post-traumatiques persistantes
après traitement orthopédique ou chirurgical de fracture ou luxation et sans lésion
neurologique car leurs présentations cliniques et leurs problématiques se rapprochent des
lombalgies communes.
Les moyens thérapeutiques et leur efficacité
Les moyens médicamenteux
Par voie générale, habituellement orale dans les lombalgies qui sont des douleurs par excès
de nociception, les antalgiques de classe I de l’OMS, comportant le paracétamol, les salicylés
et les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont autorisés et recommandés en cure courte pour
ces derniers (recommandations de l’American College of physicians, Chou, Ann Intern Med,
2007). Ceux de classe II correspondant aux opioïdes faibles tels que la codéine le tramadol
ainsi que le nefopam sont utilisées lorsque l’échelle visuelle analogique (EVA) est supérieure
à 5/10. Il est conseillé d’utiliser des associations de ces deux classes. Les antalgiques de classe
III de l’OMS, correspondant aux opioïdes forts ne sont pas conseillés.
Les myorelaxants ou décontracturants, notamment ceux faisant parti de la classe des
benzodiazépines n’ont pas fait la preuve de leur efficacité dans les lombalgies aussi bien
aiguës que chroniques.
Lorsque qu’il existe une composante de douleur neuropathiques radiculaire, il est conseillé
d’utiliser les médicaments agissant sur ce type de douleur qu’il s’agisse de certains
antidépresseurs tricycliques (amitriptyline, …), d’antiépileptiques (clonazépam, …) ou autres
GABAergiques (prégabaline, …) qui comportent tous des effets secondaires fréquents et non
négligeables, peu compatibles habituellement avec la conduite automobile et les activités
professionnelles.
L’application locale de topiques à base d’anti-inflammatoires non stéroïdiens au niveau
lombaire n’a pas fait la preuve de son efficacité. Parfois l’utilisation de topiques avec des
anesthésiques locaux (lidocaïne) peut être bénéfique.
L’utilisation de blocs anesthésiques à but diagnostique ou de blocs thérapeutiques avec des
corticoïdes ne sont pas recommandés dans les lombalgies chroniques sauf dans le cadre de
bilans préopératoires. Ils sont utiles essentiellement lorsque la lombalgie s’accompagne de
radiculalgie de type sciatique ou parfois dans une lombalgie aiguë isolée mais intense, par
voie épidurale ou peri-radiculaire au niveau foraminal de manière scannoguidée en cas de
radiculalgie associée. En intra-articulaire zygapophysaire les infiltrations donnent de bons
résultats (Bani, Neurosurg Focus, 2002). Plusieurs études ont montré que l’ensemble de ces
infiltrations ne modifiait pas à long terme l’évolution de la lombalgie ou de la sciatique mais
entrainait un effet antalgique immédiat et puissant pendant quelques semaines. Pour mémoire
nous signalons les thermocoagulations des facettes articulaires postérieures ou rhizolyse,
intéressantes lorsque l’origine de la douleur a été clairement identifiée en rapport avec une
arthrose inter-apophysaire postérieure après plusieurs tests diagnostiques d’infiltration
d’anesthésiques locaux associés à des corticoïdes. Cette technique donne de bons résultats si
l’indication est bien posée et le protocole rigoureux (Slipman, Spine J, 2003).
Signalons les rares cas d’indications de pompes aux opioïdes épidurales pour des lombalgies
majeures.
La mésothérapie utilise divers produits en injection locale superficielle mais les preuves
scientifiques selon l’Evidence-based Medicine (EBM) de leur efficacité manquent en l’état
actuel pour les lombalgies.
Les moyens non médicamenteux
Ils sont très nombreux et très variés : repos, physiothérapie au sens français du terme,
massages, appareillage, kinésithérapie « classique », reconditionnement à l’effort et activités
physiques, rééducation instrumentalisée, thérapies cognitivo-comportementales, programmes
éducatifs de type école du dos, protocoles multidisciplinaires, médecines alternatives
complémentaires (MAC), techniques se rapprochant de la chirurgie pour les tassements
vertébraux telles que cimentoplasties et kyphoplasties.
Il n’est pas possible dans cet exposé d’aborder tous ces moyens thérapeutiques et nous
n’insisterons que sur certains d’entre eux ; d’ailleurs un certain nombre d’entre eux ne sont
pas validés scientifiquement selon l’EBM et les études les concernant sont souvent de faible
qualité méthodologique.
Schématiquement, ces moyens peuvent être classés en 4 groupes selon qu’ils sont destinés à
traiter soit les déficiences, en tout premier lieu la douleur mais également les déficiences
physiques telles que la limitation de mobilité, soit le déconditionnement à l’effort, soit
l’ensemble des retentissements psycho-sociaux et professionnels évoqués précédemment. Les
programmes multidisciplinaires cherchent à agir en même temps sur ces trois domaines de
la classification internationale fonctionnelle.
Les massages dont le but est d’agir sur les douleurs et les contractures musculaires. Il existe
plusieurs centaines de techniques. La méta-analyse Cochrane de 2008 (Furlan) et celle de Van
Middlekoop en 2011n’ont pas mis en évidence d’efficacité sur la lombalgie sauf peut-être en
association avec d’autres thérapeutiques. (Il existe une preuve modérée d’efficacité sur la
douleur pour les cervicalgies selon la méta-analyse de Cheng en 2014).
La physiothérapie au sens d’utilisation d’agents physiques que sont l’électricité, les
vibrations, le froid ou la chaleur.
L’electrothérapie : la iontophoèse qui consiste en la pénétration transcutanée par
courant continu dit galvanique de protéines médicamenteuses ionisées n’a pas été étudié par
des essais randomisés contrôlés (ERC) pour la lombalgie.
La neurostimulation électrique transcutanée ou transcutaneous electrical nerve
stimulation (TENS) utilise un courant discontinu de basse fréquence. Cette technique avec un
appareil individuel portable est très utilisée. Les ERC en général de faible qualité
méthodologique rendent l’analyse des méta-analyses notamment Cochrane difficile et souvent
contradictoire ; l’efficacité sur la douleur dans diverses affections chroniques douloureuses
(Carroll 2001, Johnson 2007, Nnoham 2008), notamment les lombalgies (Khadilkar, 2005,
2008) et les cervicalgies (Kroeling, 2009) est difficile à affirmer bien que probable (tendance
à la supériorité du TENS comparativement au placebo). L’efficacité concerne cependant
prioritairement les douleurs neuropathiques comme les sciatiques. Des recommandations et
les conditions de prescription par les médecins algologues ont été faites par l’HAS
(« Evaluation des appareils de neurostimulation électrique transcutanée », septembre 2009).
L’indication repose essentiellement sur l’insuffisance et/ou l’impossibilité des traitements
médicamenteux. Nous ne ferons que signaler la neurostimulation médullaire qui ne concerne
dans le cadre des lombalgies que les douleurs radiculaires séquellaires majeures et
invalidantes en échec de tous les autres traitements, le plus souvent en post-opératoire (failed
back surgery syndrome). L’HAS a également édicté des recommandations en mars 2014.
Les vibrations électroinduites ou ultrasonothérapie ont une action thermique
censée avoir un effet antalgique. La méta-analyse Cochrane (Ebadi, 2014) a mis en évidence
une efficacité modérée sur la fonction mais pas sur la douleur dans les lombalgies chroniques.
Les ondes de choc radiales ou focalisées, très « à la mode » n’ont pas montré
d’efficacité sur les lombalgies. Le laser, actuellement peu utilisé, aurait un effet incertain
(Klein, 1990).
La thermothérapie chaude pour les lombalgies chroniques, soit en application locale
(fango, parafango, hot-pack, radiations infrarouges), soit corps entier en balnéothérapie isolée
ou dans le cadre de cure thermale (crénothérapie, spathérapie) a montré son efficacité et est
recommandée par l’HAS (Françon 2009) et l’EULAR (European League Against
Rheumatism), essentiellement comme adjuvant (French Cochrane, 2006).
La thermothérapie froide localisée (vessie de glace, cryothérapie gazeuse) est
utilisée dans les lombalgies aiguës et traumatiques bénignes en particulier dans les syndromes
myofasciaux des muscles paravertébraux. L’intérêt de la cryothérapie corps entier à -110° n’a
pas été étudié pour les lombalgies.
Le repos physique. Il est prouvé depuis plusieurs dizaines d’années que le repos strict sous
forme ou non d’alitement en phase aigue de lombalgie doit être le plus court possible, de
l’ordre de 48 heures et intermittent (Abenhaim, Spine, 2000). Il a été montré que sa
prolongation est délétère car c’est un facteur de risque de passage à la chronicité (Brurberg,
2010).
L’appareillage. L’immobilisation est discutée et discutable en favorisant la cinésiophobie et
le déconditionnement, mais elle permet d’éviter ou de limiter le repos, a fortiori l’alitement
car elle a un effet antalgique intéressant en phase aiguë ou subaiguë sur les lombalgies. Du
fait de l’adage de MF Kahn « mieux vaut être debout avec un lombostat qu’alité sans » une
immobilisation relative par corset plus ou moins souple dont le but est fonctionnel pour
faciliter la reprise ou le maintien de la rééducation et/ou d’activités physiques afin de réduire
l’incapacité ou sa durée, peut se justifier en limitant autant que possible la durée du port. La
méta-analyse Cochrane (Jellema, 2001) a montré qu’il y avait un bénéfice pour les lombalgies
communes. (Curieusement il n’y a pas eu d’études pour les cervicalgies chroniques dont on
connait tous les problèmes posés par le port d’orthèses cervicales à moyen ou long terme).
Les tractions vertébrales pratiquées par série de 5-6 sur des tables spéciales n’ont pas fait la
preuve de leur efficacité pour les lombalgies aiguës ou chroniques (Beurkens, 1995 ;
Vroomen, 2000) (ni d’ailleurs pour les cervicalgies). Elles paraissent plus intéressantes pour
les radiculalgies notamment les sciatiques par hernie discale puisque leur mode d’action est
discal en entrainant un écartement intervertébral et probablement aussi musculaire (Isner et
Lecocq, 2016).
La kinésithérapie, c’est-à-dire la thérapie par et pour le mouvement, comporte de
nombreuses techniques cherchant chacune à agir sur une anomalie considérée comme à
l’origine de la lombalgie : perte de mobilité rachidienne, rétractions musculaires souspelvienne, anomalies morphostatiques de l’ensemble du rachis, insuffisances musculaires
paravertébrale et/ou abdominale, troubles proprioceptifs. La plupart ont montré une efficacité
versus placebo à court terme avec des études de méthodologie faible rendant les résultats
discutables, que ce soient les techniques gymniques correctrices, en cyphose (Williams), en
lordose (Mc Kenzie) ou en position intermédiaire (Troisier) ou de type reconstruction
posturale de type Mézières ou bien la technique de Sohier (Hayden, 2011. Par contre il n’est
pas mis en évidence de différence entre ces techniques (Choi, 2011). La Kinébalnéothérapie,
les étirements musculo-aponévrotiques (stretching), le renforcement musculaire analytique
(qu’il soit isotonique ou isométrique) ou global type Kabat ou au cours d’exercices plus
généraux comme la méthode Pilates, très en vogue ou la rééducation proprioceptive sur ballon
de Klein Vogelbach n’ont pas fait la preuve scientifique de leur efficacité à elles seules.
Il en est de même des techniques instrumentales cherchant le renforcement musculaire sur
appareils d’isocinétisme ou avec un appareil d’électromyostimulation ou cherchant à
développer le contrôle postural, la proprioception, la mobilité et la force sur des plateformes
mobiles et /ou vibrantes (Hoover, Imoove, Huber,…).
Les programmes éducatifs et d’acquisition de compétences à partir d’exercices en groupe,
tels les écoles du dos développées en Scandinavie dans les années 1960 n’ont pas apporté la
preuve de leur efficacité lorsqu’ils sont utilisés seuls malgré plus d’une quinzaine d’études qui
leur ont été consacrées. Dans le même ordre de démarches l’apprentissage en ergothérapie ou
en kinésithérapie de l’économie lombaire évitant les mouvements à risques n’est actuellement
plus privilégié car elle favorise la cinésiophobie. Cependant l’éducation en phase aigue ou
subaigue limite le risque de passage à la chronicité (Engers, 2009, Hill 2011). Les
programmes d’éducation thérapeutique structurés de manière précise selon des bases
développées par le ministère de la santé et nécessitant l’accord des Agences Régionales de
Santé (ARS) se sont beaucoup développés pour de nombreuses affections telles que le diabète
mais aussi les lombalgies mais n’ont pas encore été évalués pour ces dernières.
Au terme de cette analyse des différentes méthodes, on peut reprendre les conclusions de
l’ANAES en 2002 qui est la structure qui a précédé l’HAS en France France au sujet des
techniques physiques « classiques » de la lombalgie chronique : « l’exercice physique est
efficace à court terme dans le traitement à visée antalgique et fonctionnelle de la lombalgie
chronique par rapport à l’absence de traitement ou un placebo (grade B). Il est impossible de
conclure sur l’éventuelle supériorité d’un type d’exercice par rapport à l’autre (flexion ou
extension), les résultats des études existantes, de faible qualité étant contradictoires.
L’exercice physique, quelle que soit sa forme est donc recommandé, mais aucune technique
ne l’est en particulier. Il faut noter que ces résultats ne sont obtenus que chez des patients
motivés et observants. »
À la lumière de la notion de déconditionnement à l’effort qui est le principal facteur de
pérennisation de la lombalgie commune et de la notion de modèle biopsychosocial de la
lombalgie chronique, la prise en charge rééducative s’est orienté depuis plus de vingt années
vers le réentraînement à l’effort ou reconditionnement à l’effort ou restauration
fonctionnelle rachidienne dans le cadre de programmes multidisciplinaires.
Ce syndrome de déconditionnement à l’effort développé dans les années 1980 par Tom
Mayer, entraîne une désadaptation physique de tous les organes mais aussi mentale,
psychique et socio-environnementale à l’origine d’une auto-aggravation aboutissant à la
spirale de chronicisation.
De nombreux protocoles multidisciplinaires comportant du reconditionnement à l’effort ont
ainsi vu le jour un peu partout dans le Monde. Ces protocoles sont en général différents les
uns des autres (Kamper, BMJ, 2015) mais reposent sur une base commune : prise en charge
de plusieurs semaines (1à 6) en ambulatoire ou en hospitalisation de jour,
de manière
quotidienne ou non, voire moins souvent en hospitalisation conventionnelle, le plus souvent
en groupe de 4-8 personnes. La motivation des patients est un point-clé (consentement
éclairé), déterminante dans certains pays, un peu plus difficile à appliquer en France compte
tenu de notre système de protection sociale. L’important est de réaliser les exercices prévus
indépendamment de l’existence de la douleur. La progression se fait par paliers
prédéterminés. La prise en charge pluridisciplinaire fait aussi appel en plus des exercices
physique à charges programmées (manutention, renforcement musculaire) ou de type
aérobique (cyclergomètre), à une surveillance médicale, aux traitements antalgiques
médicamenteux et non médicamenteux, à des techniques cognitivo-comportementales dont
l’importance a été soulignée dans l’étude Cochrane de 2011 par Henschke, à la relaxation, à
des exercices de kinésithérapie à sec et/ou en piscine, focalisés sur chacune des déficiences
(assouplissements, équilibre,…), à de l’ergothérapie, à de la manutention, à des activités
sportives et ludiques (marche nordique, natation, tennis de table, …) à des programmes
éducatifs de type programme d’éducation thérapeutique, à des entretiens nutritionnels et des
entretiens avec une assistante sociale. Des contacts sont pris avec les médecins du travail et
les Médecins-Conseil des CPAM ou d’autres organismes pour préparer le projet de
réinsertion.
La poursuite de manière régulière d’une ou plusieurs activités physiques et sportives adaptées
dans des associations sportives préparées à accueillir ce type de patients dans un réseau de
type « sport-santé sur ordonnance » est importante afin d’éviter de perdre le bénéfice de ces
protocoles. Certes il peut y avoir des exercices en auto-rééducation ou d’exercices supervisés
à période régulière par un kinésithérapeute ou un éducateur sportif formé mais c’est plus
aléatoire et fonction de la motivation du patient à sa sortie du protocole de réentrainement. La
loi française autorise maintenant (article 144 de la loi de modernisation de notre système de
santé du 26.01.2016) la prescription d’activité physique par le médecin traitant pour les
patients en affections de longue durée. L’HAS a également édité un document sur le
« développement de la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses validées » en
avril 2011.
A titre d’exemple le protocole en place à notre Institut universitaire de réadaptation
Clémenceau – Strasbourg comporte cinq semaines d’hospitalisation de jour, cinq jours par
semaine de 8H30 à 16H30. Il est prévu des séances d’ergothérapie (5/semaine), des séances
de musculation (3/semaine), des activités aérobiques (5/semaine), des ateliers éducatifs
(2/semaine), une visite médicale/semaine, de la kinésithérapie à sec et en piscine (4/semaine),
des activités sportives (2/semaine) ainsi qu’une réunion pluridisciplinaire, un suivi
psychologique et des actions de réinsertion socioprofessionnelle.
L’ANAES (HAS) avait conclu dès 2002 que « les prises en charge multidisciplinaires
associant, dans des proportions qui restent à définir, des séances d’éducation et de conseils,
des exercices physiques intensifs supervisés ou non par un kinésithérapeute, à une prise en
charge psychologique, sont recommandés pour le traitement à visée antalgique, fonctionnelle
et dans une moindre mesure pour le retour au travail des lombalgiques chroniques (grade
B). »
Après la méta-analyse Cochrane de 2003 (Karialeinen) et celle de 2006 (Guzman), la plus
récente de 2015 (« multidisciplinary biopsychosocial rehabilitation for chronic low back
pain.» Kamper, BMJ) conclut dans le même sens à une diminution des douleurs et de la
limitation fonctionnelle (incapacité) à long terme. Les résultats sont incertains pour l’activité
professionnelle mais globalement, l’absentéisme, les arrêts de travail diminuent et la reprise
du travail est meilleure si les protocoles sont entrepris suffisamment précocement mais les
résultats sont aussi dépendants des indemnisations du système de santé du pays concerné
(Guzman, 2006 ; Schaafsma, 2013). L’étude de Beaudreuil en 2010 à propos du protocole du
CHU Lariboisière à Paris a montré la répartition du retour au travail entre poste antérieur,
poste aménagé, poste à temps partiel, la plupart des reprises se faisant sur le poste antérieur.
D’autres résultats soulignent une meilleure aptitude physique, une diminution des peurs et
croyances alors même que la diminution de la douleur n’est pas toujours importante, la
résultante étant une amélioration de la qualité de vie, les patients adoptant un comportement
de bonne santé plutôt que de malade. Toutes les études soulignent que de telles prises en
charge devraient survenir tôt, avant la bascule dans la chronicité au cours des 3-4 premiers
mois après l’épisode aigu, après échec de la prise en charge standard antalgique et
fonctionnelle
médicamenteuse
et
kinésithérapique.
Le
coût
de
ces
protocoles
multidisciplinaires dans les services hospitaliers de Médecine physique et de Réadaptation
(MPR) ou en Centre est important. L’évaluation du rapport coût-efficacité est donc importante
mais est encore mal définie et les résultats semblent dépendre du système de santé (étude
Cochrane, Henschke, 2011).
Les Médecines alternatives complémentaires (MAC) sont nombreuses à pouvoir être
concernées par les lombalgies mais en pratique il s’agit surtout des manipulations vertébrales
dans le cadre de l’ostéopathie ou de la chiropraxie pratiquées soit par des professionnels de
santé dont des médecins, soit par des non-professionnels de santé selon la législation des pays.
En France le titre d’ostéopathe est donné aux professionnels de santé et aux nonprofessionnels de santé qui ont suivi un cursus spécifique de formation en ostéopathie de 3
ans (loi du 04.03.2002). Les manipulations vertébrales, mouvement forcé portant
brusquement les éléments articulaires au-delà de leur jeu physiologique habituel sans dépasser
les limites anatomiques, sont efficaces sur les lombalgies communes aigues et subaigües avec
un niveau de preuve de grade B. Les manipulations vertébrales (MV) sont également validées
dans les lombalgies chroniques, mais uniquement si elles sont relativement « récentes ». Au
niveau lombaire et à la charnière thoraco-lombaire, les MV sont contre-indiquées en cas de
radiculalgie ou de signe clinique neurologique. Une évaluation clinique diagnostique est
essentielle avant ce type de traitement afin de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une lombalgie
symptomatique d’une affection grave évoquée en début d’exposé afin qu’il n’y ait pas de
perte de chances par une prise en charge ostéopathique ou chiropraxique. Ce risque existe
d’ailleurs pour toutes les MAC qui ne sont à mettre en œuvre qu’après un bilan diagnostique
médical. Au niveau lombaire le risque d’accident par manipulation vertébrale est beaucoup
moins important qu’au niveau cervical, tel que la survenue post-manipulative d’une
radiculalgie ou d’un déficit neurologique éventuellement de type syndrome de la queue de
cheval, ce qui est une situation rare. Les autres MAC telle l’acupuncture sont utilisées dans les
lombalgies dans un but essentiellement antalgique.
Stratégies thérapeutiques
Pour les lombalgies aigues dont le lumbago : repos de 2 jours ou le plus court possible,
traitement médicamenteux antalgique. Éventuellement contentions souples pendant une à
deux semaines facilitant la reprise du travail ou le maintien d’activités physiques. Informer,
conseiller et rassurer est déterminant. Les manipulations vertébrales sont autorisées par un
professionnel formé sous certaines conditions d’examen clinique. Les massages et la
physiothérapie à visée antalgique sont autorisés mais ne sont pas déterminants. La
kinésithérapie n’est pas recommandée à ce stade. En cas de douleurs persistantes, importantes
et invalidantes des infiltrations articulaires postérieures de corticoïdes sont autorisées,
exceptionnellement épidurales. Aborder dès ce stade la recherche de facteurs de risque de
chronicité. Un avis auprès du médecin du travail peut faciliter la reprise professionnelle
précoce.
Pour les lombalgies subaiguës le traitement médicamenteux peut être poursuivi. La
kinésithérapie proprement dite doit être débutée avec des exercices supervisés ainsi que
l’auto-rééducation et la reprise d’activité physique et sportives régulières pour éviter le
déconditionnement. En cas d’échec et la poursuite d’arrêt de travail il faut débuter la prise en
charge multidisciplinaire. Des scores à partir d’auto-questionnaires sont construits et en cours
d’évaluation pour aider à prendre les meilleures décisions thérapeutiques (STarT Back
Screening Tool ; Hill 2008 et 2011 ; Bruyère 2014)-
Pour les lombalgies chroniques, lorsqu’un essai de kinésithérapie supervisée en secteur
libéral et d’auto-rééducation n’a pas apporté d’amélioration, il faut se tourner vers un
programme multidisciplinaire avec reconditionnement à l’effort en centre hospitalier ou en
centre de rééducation ou réadaptation. La physiothérapie et les massages ont peu d’intérêt,
tout au plus comme adjuvant dans le cadre d’un programme multidisciplinaire. La chirurgie
de la lombalgie commune chronique sans radiculalgie n’est envisagée qu’après échec d’un
traitement médical bien conduit de plusieurs mois ayant suivi cette stratégie et évaluation
psychologique et socioprofessionnelle.
Conclusion
Pour limiter le risque de lombalgies chronique à la suite d’un lumbago ou d’une lombalgie
aiguë, il faut un diagnostic précoce et exclure les pathologies secondaires, évaluer rapidement
selon le modèle biopsychosocial et repérer précocement les facteurs de chronicité, informer,
conseiller et rassurer le patient et lui expliquer le caractère bénin de la lombalgie commune,
éviter le maintien des stratégies inefficaces et éviter la physiothérapie et les massages
exclusifs, privilégier les stratégies multidisciplinaires avec des exercices physiques intensifs et
une prise en charge cognitivo-comportementale et éducative, encourager et favoriser le retour
au travail et maintenir les activités de la vie quotidienne, les activités physiques et sportives si
besoin dans un cadre adapté. Le meilleur traitement de la lombalgie chronique qui est un
problème de santé publique sur le plan humain et économique, est préventif.
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