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Pour commencer
LE PATRIMOINE...
UNE NOTION EN MOUVEMENT
Des monuments historiques chers à Prosper Mérimée
aux Journées européennes du patrimoine, bien des
évolutions sont intervenues dans le rapport que la
société entretient avec l’héritage reçu des générations
précédentes. S’interroger sur « le patrimoine du (ou au)
xxie siècle », c’est d’abord rappeler que le patrimoine
constitue une construction sociale en perpétuelle
évolution, tant dans les objets qu’elle recouvre que
dans les modalités de sa gestion.
UN CHAMP EN CONSTANT ÉLARGISSEMENT
À ses débuts, sous la monarchie de Juillet (1830-1848), la politique
des monuments historiques a essentiellement protégé les « hauts lieux
du pouvoir et de la foi » : palais, châteaux, cathédrales, abbayes… ainsi
que les sites archéologiques. Tout au long du e siècle, la notion de
patrimoine s’est peu à peu imposée, s’élargissant à des édices moins
prestigieux – témoignages de l’ancienne société rurale, installations
industrielles, lieux de mémoire… – jusqu’à inclure les sites naturels,
les ensembles urbains, les paysages, les savoir-faire, le patrimoine dit
« immatériel » etc. C’est dire qu’à une conception très politique –
pour l’historien et ministre de Louis-Philippe François Guizot, les
monuments avaient avant tout pour fonction de contribuer à (re)
construire la nation – s’est au l du temps substituée une conception
bien plus anthropologique : le patrimoine s’analyse comme une
construction symbolique permettant à un collectif humain, grâce
à des objets reconnus comme « biens communs », de se doter de
repères partagés.
Dans le monde « globalisé » que connaît notre e siècle, cette
tendance historiquement observée depuis des décennies ne semble
pas près de s’inverser…
VERS UN GOUVERNEMENT PARTAGÉ DU PATRIMOINE ?
Pour décrire la situation française, les analystes des politiques culturelles parlent
volontiers d’un « gouvernement partagé de la culture », tant dans notre pays l’ensemble
des collectivités publiques – Communes, Départements, Régions, État – concourent à
la vie culturelle. Le patrimoine fait assez largement exception, tant l’État a conservé les
principales prérogatives en la matière… – c’est toujours lui qui détient les compétences
majeures en matière de protection et de labellisation. Au cours des dernières décennies
toutefois, de plus en plus nombreuses ont été les collectivités territoriales à intervenir
de façon active dans l’étude, la conservation, la restauration et – surtout – la
mise en valeur de l’héritage collectif. D’ores et déjà, la loi a donné aux Régions la
responsabilité de l’inventaire du patrimoine culturel, des Départements, tel l’Isère, ont
créé un « label » départemental en vue de
distinguer certains édices remarquables,
les Communes sont propriétaires de la
moitié des monuments historiques et de
la grande majorité des musées… quant
aux intercommunalités, ce guide est
l’illustration qu’elles aussi contribuent,
par la valorisation du patrimoine, à la
construction d’un sentiment commun
d’appartenance.
Dans le contexte d’une décentralisation
accrue et d’une territorialisation de plus en
plus importante de l’action publique, il ne
serait donc pas étonnant que le e siècle
se traduise, au sein de « l’organisation
territoriale de la République », par une
nouvelle répartition des compétences en
matière de patrimoine.
LA RECONNAISSANCE
DE L’EXPERTISE CITOYENNE
Longtemps, la question du patrimoine
a été en France une « aaire d’État ».
L’évolution de la notion vers une acception
plus anthropologique a conduit, non
seulement à « territorialiser » l’action
publique, mais aussi à mettre en évidence
le rôle majeur que joue en la matière la
« société civile ».
Parallèlement, les réexions engagées au
niveau international ont abouti à une
meilleure prise en compte de la personne et de ses droits : à preuve, outre la « Convention
pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel » adoptée en 2003 par l’Unesco,
la « Convention-cadre sur la valeur du patrimoine culturel pour la société », adoptée à
Faro (Portugal) en 2005 par le Conseil de l’Europe (cf. p. 7).
En soulignant le « besoin d’impliquer chacun dans le processus continu de dénition
et de gestion du patrimoine culturel » et en reconnaissant le droit de toute personne à
« s’impliquer dans le patrimoine culturel de son choix », cette dernière prégure par ailleurs
certains articles de la « Déclaration de Fribourg sur les droits culturels » (2007). Tous ces
textes sont de nature à promouvoir, dans le siècle à venir, une nouvelle approche, plaçant
au centre, non pas l’objet patrimonial sorti de son contexte social, mais le citoyen, en
tant qu’il entretient avec le patrimoine une relation singulière et possède à ce titre, lui
aussi, sa propre expertise.
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