Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2014) 62, 83—89 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com CAS CLINIQUE Diagnostic d’un trouble sévère de régulation de l’humeur à partir d’un cas d’instabilité psychomotrice Severe mood dysregulation diagnostic based on a case of psychomotor instability L. Masi a,∗, C. Mille b, J.-M. Guilé b a Unité de psychiatrie, CHU Sainte-Justine, 3175, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal, QC H3T 1C5, Canada b Pôle femme — couple — enfant, service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, CHU d’Amiens, 2, place Victor-Pauchet, 80054 Amiens, France MOTS CLÉS Trouble sévère de régulation de l’humeur ; Enfant ; Instabilité psychomotrice ; Rage ; Colère ; Irritabilité chronique ; Pathologie de l’humeur ; Troubles du comportement Résumé Le nombre d’enfants et d’adolescents diagnostiqués et traités pour une bipolarité a considérablement augmenté alors que seulement quelques uns de ces enfants ont réellement un diagnostic s’apparentant à une maladie bipolaire « typique ». La controverse actuelle concerne les enfants et adolescents avec une irritabilité chronique, des crises de colère et une comorbidité élevée pour les troubles de l’hyperactivité avec déficit de l’attention et considérés jusqu’à présent comme souffrant d’une forme développementale de manie. Pour ces enfants, le DSM-5 a proposé un nouveau diagnostic : le trouble sévère de régulation de l’humeur (TSRH). Beaucoup d’enfants diagnostiqués bipolaires ou comme ayant des troubles des conduites, souffrent en réalité de TSRH. Aussi, à travers l’exposé du cas clinique d’un enfant agité, nous avons illustré un tableau clinique de TSRH. Ce patient semblait souffrir de troubles de l’opposition avec provocation, associés à un risque d’évolution psychopathique et présentait finalement cette pathologie qui s’inscrit en réalité dans un trouble de l’humeur. Dans une perspective intégrative, l’instabilité psychomotrice associée au TSRH est analysée ici selon une évaluation clinique standardisée couplée à une investigation des aspects psychopathologiques et psychomoteurs. Notre observation a ainsi abouti à un diagnostic de TSRH associé à une instabilité psychomotrice syndromique. Les perspectives thérapeutiques sont ensuite exposées à partir des connaissances actuelles sur les dimensions psychodynamique et neurophysiologique des instabilités psychomotrices et plus particulièrement de celles liées à un TSRH associé à un trouble de la personnalité. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. ∗ Auteur correspondant. Unité de psychiatrie CHU Sainte-Justine, 3175, chemin de la Côte, Sainte-Catherine Montréal, QC, H3T 1C5, Canada. Adresse e-mail : [email protected] (L. Masi). 0222-9617/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.003 84 L. Masi et al. KEYWORDS Disruptive mood dysregulation; Disorder; Child; Psychomotor instability; Mood disorder; Rage; Anger; Chronic irritability; Behavioral disorder Summary Children and adolescents have been overdiagnosed with bipolarity over the last decades. However, only a small number of them actually meet the diagnostic criteria for ‘‘typical’’ bipolar disorder. The current controversy targets children and teenagers with chronic irritability and high comorbidity for attention deficit hyperactivity disorders (ADHD) which have been considered until now as suffering from a form of developmental mania. The DSM5 has introduced a new diagnostic category, disruptive mood dysregulation disorder (DMDD). Many children diagnosed with bipolarity or conduct disorder actually suffer from DMDD or even DMDD with ADHD. Thus in keeping with the clinical case of an agitated child, we reported a clinical case of DMDD. This patient seemed to be suffering from behavior disorders with a risk for psychopathic evolution. This pathology is actually part of the mood disorder spectrum. DMDD will be analysed with an integrative approach including a standardized clinical assessment associated with exploring the psychopathological and psychomotor aspects. Our observation led to diagnosing DMDD associated with psychomotor instability syndrome partly consecutive to an environment unfavorable to the development. We discuss the therapeutic perspectives based on current knowledge with respect to the psychodynamic and neurophysiologic dimensions of psychomotor instabilities and in particular those related to DMDD with a personality disorder. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction Les conduites d’opposition, de même que l’irritabilité et l’explosivité affective, sont des motifs fréquents de consultation en pédopsychiatrie. Afin d’apporter une lecture décalée par rapport aux troubles du comportement, beaucoup de cliniciens mettent en lumière la souffrance psychique de l’enfant, soulignant la dimension intériorisée et dysphorique des troubles, mettant l’accent sur les perturbations de l’humeur et leur caractère épisodique. Des études nord-américaines ont proposé au début des années 2000 de considérer ces troubles externalisés avec irritabilité et explosivité comme des variantes infantiles des troubles bipolaires [1]. Les TB étant distribués sur un continuum, la variante infantile constituait un phénotype large prodromique d’une évolution vers un TB adulte (voir pour revue Benarous et al. [2]). Dans ce contexte, Leibenluft [3] a opérationnalisé le concept de trouble sévère de régulation de l’humeur comprenant dysphorie chronique, hypervigilance et crises de colères répétées. L’étude longitudinale d’enfants présentant ce syndrome n’a pas confirmé l’évolution vers un TB adulte mais plutôt vers la dépression [4]. Ce diagnostic est apparu dans le DSM-5 [5] sous le nom de disruptive mood dysregulation disorder (DMDD) pour lequel nous conserverons la traduction francophone provisoire de trouble sévère de régulation de l’humeurs (TSRH). Lors des consultations pédopsychiatriques, les enfants et adolescents avec une irritabilité chronique peuvent recevoir un diagnostic de troubles de l’opposition avec provocation (TOP), troubles de l’hyperactivité avec déficit de l’attention alors que l’entité à l’origine de ces confusions diagnostiques correspond au trouble sévère de régulation de l’humeur. Pour illustrer nos propos, nous allons présenter le cas d’un enfant hospitalisé pour une crise clastique qui s’inscrivait dans un tableau clinique de TSRH. De plus, cette présentation de cas va nous permettre de décrire l’articulation entre la description du tableau clinique psychiatrique, l’analyse psychopathologique et la démarche clinique appuyée sur l’utilisation d’instruments standardisés. En effet, le diagnostic et la prise en charge des enfants reposent idéalement sur une approche psychopathologique associée à une évaluation standardisée. Le défi est donc d’associer dans la démarche diagnostique les deux perspectives, l’éclairage psychopathologique et l’évaluation standardisée. Cette situation clinique illustre le risque de noyer l’évaluation diagnostique par les facteurs environnementaux dominants auxquels sont attribués non seulement un rôle étiopatho-génétique mais une contribution actuelle déterminante au tableau clinique au détriment de contraintes ayant pesé sur le développement psychique, cognitif et physiologique et laissé une empreinte pérenne qui alimente le tableau indépendamment des facteurs environnementaux. L’autre risque est de dénier l’accès aux soins, à une réflexion diagnostique et thérapeutique de fond, en raison des déterminants familiaux et de l’orientation nécessaire vus les approches sociales et éducatives. Présentation du cas clinique Nous avons fait la connaissance de Stéphane, garçon de huit ans, suite à une crise clastique à son domicile. Depuis l’âge de quatre ans, il était confié à la même famille d’accueil. Stéphane n’avait plus de contact avec son père après avoir grandi dans un contexte familial violent. Il se rendait au domicile maternel les fins de semaine et une partie des vacances scolaires, une organisation inchangée depuis le début du placement. Une éducatrice rencontrait ponctuellement la mère et la famille d’accueil. Des rencontres médiatisées avec le père avaient aussi été mises en place au départ, mais avaient dû être arrêtées suite au comportement inadapté, voire dangereux, du père. Le frère de Stéphane, âgé de neuf ans, vivait dans une autre famille d’accueil. Sa mère vivait en concubinage, et de cette union était issue une petite fille âgée de six mois. Cette demi-sœur habitait au domicile parental à temps complet. Le beau-père, au comportement agressif, Diagnostic d’un trouble sévère de régulation de l’humeur à partir d’un cas d’instabilité psychomotrice avait tendance à s’alcooliser avec la mère, aux antécédents d’abus de toxiques multiples. Une première hospitalisation avait eu lieu à l’âge de six mois en raison d’une exposition à un gaz lacrymogène durant un conflit de voisinage. À la suite de plusieurs signalements ont eu lieu des interventions éducatives : une mesure d’aide éducative, un placement temporaire en foyer d’urgence à trois ans, une aide éducative en milieu ouvert (AEMO) judiciaire à quatre ans dans un contexte d’alcoolisme parental, de violences conjugales et de carences de soins. Stéphane avait intégré une famille d’accueil à l’âge de cinq ans. Le jeune garçon suivait une scolarité adaptée en institut médico-éducatif (IME) présentant une dyslexie/dysorthographie ayant entraîné un retard des acquisitions scolaires. Ces troubles étaient pris en charge à l’IME avec une rééducation orthophonique. Un suivi psychologique et pédopsychiatrique avait été mis en place en centre médico-psychologique (CMP), puis rapidement suivi en raison de l’intensité de l’instabilité psychomotrice, par une prise en charge de deux journées et demie par semaine en centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) et interrompue prématurément à six ans. C’est dans ce contexte que la prise en charge de Stéphane par l’équipe de pédopsychiatrie de liaison du CHU d’Amiens avait débuté deux ans plus tard le 25 décembre. Stéphane avait alors huit ans, lors de son arrivée aux urgences après avoir menacé de se défenestrer suite à la destruction de l’un de ses cadeaux par son beau-père. Il était prévu que Stéphane passe la période de Noël en compagnie de sa mère et de son beau-père. Ce dernier, n’ayant pas toléré que le garçon ne se plie pas à son autorité, a cassé ce jouet, un hélicoptère en plastique, dans le but de sévir contre le comportement jugé insolent. Stéphane avait ensuite présenté une crise clastique détruisant tout autour de lui. Du fait du suivi éducatif existant et de la chronicité des troubles, le pédopsychiatre des urgences avait préconisé un retour au domicile. La mère était totalement opposée à ce projet malgré la période de Noël. Elle ne montrait aucune indulgence pour son fils et restait revendicative quant aux soins. Elle avait indiqué à l’équipe des urgences que son fils leur serait laissé quelle que soit la décision médicale. Par conséquent, afin d’apaiser les tensions familiales, une hospitalisation avait été décidée pour mettre en place un traitement symptomatique à visée sédative. Finalement, elle a été propice à un bilan diagnostique. Le patient avait rapidement noué des liens avec l’équipe. Il n’exprimait aucune idée suicidaire et n’élaborait pas sur cette menace de défenestration qui apparaissait comme un propos impulsif dans un contexte de crise. Lors de la première rencontre dans le service, Stéphane avait peu parlé mais avait tout de même exprimé sa tristesse. Aux entretiens, il se montrait coopérant, mais son attention était difficile à retenir. Il se dirigeait spontanément vers des jeux destinés aux plus jeunes. Il recherchait le contact, nous prenait la main, cherchait à attirer notre attention. Après quelques jours, nous avons rencontré la mère de l’enfant. Celle-ci s’était rapidement montrée débordée émotionnellement. Alors que le patient pensait sortir de l’hôpital, nous lui avons annoncé qu’il resterait. Les sanglots provoqués par cette déception ont été nommés « crise » par la mère. Ils ont été apaisés lorsqu’elle prit Stéphane dans ses bras à notre demande. Nous avons pu observer à travers cette 85 scène les difficultés que rencontrait cette mère dans son rôle de réassurance maternelle. De plus, elle pensait ne pas être entendue par les équipes sociales et médicales concernant les crises de Stéphane, qu’elle comparait au comportement de son père décrit comme violent. Nous constations l’absence de repères temporels chez la mère et l’enfant, et la difficulté pour Stéphane de construire son espace transitionnel, fondement des activités de penser et de fantasmer. Sa mère ne connaissait pas les dates auxquelles elle devait recevoir son fils. Celui-ci était perdu dans son emploi du temps entre ses milieux de vie et ses activités éducatives. En outre, sa mère était incapable de parler de son enfant bébé et des relations qu’elle pouvait avoir avec lui. Mais nous savions que ces interactions précoces s’étaient déroulées dans un contexte de dépendance éthylique des parents et que l’histoire était émaillée d’épisodes violents avec une notion de maltraitance paternelle à l’égard de Stéphane. Nous avons continué l’évaluation en rencontrant la famille d’accueil et nous avons pu observer que bien qu’il semblait exister entre Stéphane et le père de la famille d’accueil un lien affectif fort, l’assistante maternelle exprimait en revanche des propos rejetants et culpabilisants envers le patient. Elle faisait part de sa lassitude face à l’agitation, à l’explosivité et aux crises d’opposition, qui selon elle, apparaissaient lorsque l’on contrariait Stéphane. Un épisode similaire à celui de l’hôpital a été rapporté par la famille d’accueil : une crise s’est arrêtée lorsque leur fille eut une attitude réconfortante. Durant ces événements appelés « crises » par son entourage adulte, l’enfant semblait perdre le contrôle de ses mouvements et s’acharnait dans un désordonnément d’émotions contre lui-même, les autres et les objets. Ces moments d’agitation se présentaient plusieurs fois par semaine et pouvaient durer jusqu’à trois heures consécutives. Cette hospitalisation, dont le projet initial consistait en la mise en place d’un traitement symptomatique à visée sédative, nous permit d’observer un tableau clinique multiforme qui ouvrait plusieurs possibilités thérapeutiques en fonction de notre évaluation diagnostique et de la discussion clinique. Symptômes cliniques évocateurs d’un trouble sévère de régulation de l’humeur Dans le cas de notre patient, nous retrouvions une dysphorie persistante et des crises de colères fréquentes et intenses, caractéristiques du TSRH. En effet, les critères fondamentaux du TSRH sont : une irritabilité chronique sévère et ; des crises de rage [5] D. Purper-Ouakil résume les caractéristiques de la manière suivante [6] : • une humeur chroniquement anormale et définie par la présence d’une irritabilité, de colère ou de tristesse, présents quasiment en permanence ; • une hyperréactivité aux stimuli négatifs, avec au moins trois crises de colère par semaine ; • une hyperexcitabilité avec au moins trois symptômes parmi les suivants : insomnie, distractibilité, fuite des idées, instabilité/nervosité, débit verbal rapide, comportement intrusif dans les relations interpersonnelles. Ce 86 L. Masi et al. critère était utilisé pour la définition initiale du TSRH avec hypervigilance [1], mais n’a pas été retenu par le DSM-5 [5] comme nous le verrons ci-dessous. Les crises de colère comprennent des manifestations verbales et comportementales et des réactions disproportionnées en termes de durée et d’intensité par rapport à la situation. Le début des troubles apparaît avant 12 ans et la durée d’évolution est d’au moins un an. On note un retentissement personnel dans au moins deux domaines de vie tels que la sphère scolaire, familiale, sociale, etc. Les recherches en cours indiquent que les enfants avec TSRH diffèrent de ceux diagnostiqués bipolaires dans leur devenir, dans le sex-ratio, dans les antécédents familiaux et dans la physiopathologie [4]. Évaluation standardisée Afin d’approfondir le bilan clinique psychiatrique de Stéphane, nous avons associé notre observation sémiologique à un entretien semi-structuré d’évaluation diagnostique, la version francophone du Kiddie-SADS (Schedule for Affective Disorder and Schizophrenia, version pour les enfants de 6 à 18 ans ou K-SADS) avec le module du Kiddie SADS parents et enfant dédié au TSRH. Cet entretien permet de guider la démarche diagnostique en fonction des critères du Diagnostic and Statistical Manual (DSM) avec les parents puis l’enfant. En ce qui a trait au Kiddie-SADS, nous avons utilisé la version de l’entrevue semi-structurée concernant l’épisode actuel, un instrument couramment utilisé dans les études pédopsychiatriques et qui présente une validité clinique satisfaisante établie depuis les premières versions développées par Puig-Antich (Ambrosini, 2000). Les diagnostics ont été établis par le « Best-Estimate » [7] qui permet de classer et de déterminer le diagnostic principal. En effet, le Kiddie-SADS peut générer plusieurs diagnostics qui vont pouvoir être hiérarchisés en prenant en compte l’ensemble des données cliniques tel que le requiert la méthode consensuelle du Best-Estimate (team consensus). Afin de préciser plusieurs dimensions sémiologiques, nous avons utilisé plusieurs auto-questionnaires : l’Affective Lability Scale [8] (ALS) pour la labilité émotionnelle et le Beck Depression Inventory II (BDI-II) pour l’humeur dépressive. Dans le cas de Stéphane, le Kiddie-SADS indiquait un trouble de l’opposition avec provocation (TOP) trouble déficitaire de l’attention avec/ou sans hyperactivité (TDAH) neurodéveloppemental. Les résultats à l’ALS confirmait une grande instabilité de l’humeur. Le Kiddie-SADS TSRH parents et enfants indiquait un TSRH avec hypervigilance. En revanche, aucun syndrome dépressif n’a été retrouvé ni au BDI-II ni au Kiddie-SADS. De même, nous n’avons pas retrouvé de troubles anxieux lors de cette évaluation clinique standardisée. Le bilan standardisé était convergent avec l’impression clinique d’instabilité psychomotrice syndromique. Ce bilan diagnostique standardisé a été discuté en équipe dans le contexte de l’observation clinique et de l’histoire personnelle et familiale de Stéphane. Les symptômes anxieux retrouvés nous évoquaient un diagnostic d’anxiété de séparation, mais nous n’avions pas tous les critères cliniques pour confirmer ce diagnostic au KSADS. Un tableau clinique d’instabilité psychomotrice a été retrouvé avec la triade inattention, hyperactivité et impulsivité sans toutefois qu’il ne s’agisse d’un TDAH neurodéveloppemental selon la description DSM, mais plutôt d’une instabilité psychomotrice syndromique [9]. Exploration de la psychomotricité Le bilan psychomoteur explore les troubles tonico-praxiques associés à l’instabilité en précisant leur dynamique selon le contexte sensoriel et relationnel, les difficultés de repérage spatio-temporel, les anomalies de la représentation et de l’investissement du corps. Le bilan psychomoteur de Stéphane a mis en évidence une instabilité psychomotrice contextuelle sans impulsivité et un profil sensoriel particulier [10]. Au questionnaire de Dunn explorant l’intégration sensorielle [11], on retrouve une hyposensorialité de la zone orale sans distinction des aliments. Ce déficit sensoriel pourrait être mis en lien avec l’avidité affective et l’agrippement relationnel de Stéphane. Approche psychodynamique Au-delà de la clinique psychiatrique, c’est le bilan psychologique et l’analyse psychodynamique qui différencieront les diverses configurations psychopathologiques associées au tableau clinique d’instabilité psychomotrice syndromique avec TSRH. Dans la situation de Stéphane, l’exploration psychodynamique a retrouvé les éléments d’une organisation psychique et relationnelle s’apparentant à un état limite. Il semblait y avoir une transaction borderline entre la mère et le fils avec la présence de messages maternels contradictoires et des confusions de vécus et de temps. La mère ne connaissait pas les dates où elle recevait son fils au domicile. Stéphane était lui aussi perdu dans son emploi du temps. La relation enchainait des moments de rapprochement et de rejet sans suite compréhensible ou prévisible. L’identité de l’enfant paraissait diffuse, ce qui contribuait à l’impulsivité et rendait compte de son comportement immature et de la perturbation du contact avec la réalité. Sur le plan personnel, le jeune garçon présentait des changements de fonctionnement brusques et fréquents, « semblant lâcher une pensée pour une autre » [12]. Les variations de fonctionnement s’observaient dans les sphères motrices, cognitives et émotionnelles. La dyschronie était importante dû à l’incapacité de se percevoir en continuité sur le plan temporel. Du fait de son attachement insécure, Stéphane n’avait pas atteint une conception de son identité qui lui permette de faire face aux séparations sans une insécurité profonde. Les relations d’objet étaient modulées par des mécanismes de défense : clivage, projection, dévaluation. Nous pensions que l’angoisse d’abandon activait ces mécanismes. Nous retrouvions la description de J.M. Guilé d’une perception des pairs insécurisante associée à une ambivalence extrême sur le plan relationnel [13]. Les variations émotionnelles étaient rapides et imprévisibles : des frustrations banales pouvaient aussi bien susciter des actes agressifs démesurés qu’un repli prolongé. Lors des périodes éveillant un sentiment d’échec, le patient exprimait sa conviction profonde d’être mauvais. Diagnostic d’un trouble sévère de régulation de l’humeur à partir d’un cas d’instabilité psychomotrice Dans cette forme clinique, l’inattention et l’hyperkinésie s’inscrivaient dans un tableau affectif complexe où l’instabilité était notable. Les recours à l’agir étaient fréquents et occasionnaient des gestes auto et hétéroagressifs. La pathologie de l’agir de Stéphane impliquait un défaut de contenance au niveau émotionnel. Les conduites d’opposition répétées traduisaient les défenses narcissiques [13] au sens d’Otto Kernberg [14] et la souffrance narcissique était manifeste. D’un côté, sa mère se montrait rejetante et ambivalente, et d’un autre, la mère de la famille d’accueil était en violent conflit avec lui. Pour les deux femmes, les comportements de l’enfant étaient considérés comme des actes de mauvaise volonté qu’il fallait réprimer. Les points de repère spatiaux disparaissaient à chaque changement. Les messages immédiats étaient compris, mais ils ne pouvaient pas être rattachés à un continuum puisque ceux-ci ne pouvaient être appréhendés que de façon morcelée. Sur le plan relationnel, Stéphane entrait en contact avec les adultes, mais de manière régressive et familière. Il engageait une relation insolite autant par l’intensité (multitude de désirs projetés avec très peu de censure) que par la qualité. L’autre semblait considéré comme un objet qu’il ne pouvait posséder qu’en discontinuité, mélange d’appel passionnel puis d’oubli [15]. Lors de frustrations, Stéphane présentait de grands moments de rage dirigés vers sa mère et sa famille d’accueil : des cris, des pleurs et des insultes blessantes. Ces moments semblaient exprimer sa solitude et son désespoir. Ces événements étaient incompris par les adultes de son entourage qui lui renvoyaient des messages d’hostilité. Stéphane présentait des variations de fonctionnement dans les sphères motrices, émotionnelles et relationnelles. Ce tableau clinique pouvait évoquer un état limite. Le sujet est incapable de se percevoir en continuité dans le temps et n’a pas atteint une conception qui lui permette de faire face aux séparations sans anxiété excessive. L’angoisse de perte d’objet était majeure et peu contenue dans l’espace psychique. Selon M. Lemay, le syndrome carentiel n’est pas déterminé par un abandon mais prend son sens selon le milieu substitutif [15]. Dans le cas de Stéphane, le milieu de la famille d’accueil a pu lui apporter une certaine stabilité, d’une part, parce que cette famille d’accueil est la même depuis le placement et, d’autre part, parce que la relation avec le père de la famille reste un point d’ancrage pour l’enfant par une certaine symbolique du père retrouvée. Aussi n’avons nous pas constaté de vécu abandonnique chez cet enfant. Discussion diagnostique Ainsi, d’un point de vue clinique, nous retrouvions pour Stéphane une instabilité psychomotrice qui ne s’inscrivait ni dans un TDAH ni dans une instabilité psychomotrice symptomatique (trouble autistique, trouble envahissant du développement, etc.). En effet, en plus d’être liée à un TSRH, cette instabilité était syndromique [9]. Cette instabilité psychomotrice ne peut se comprendre qu’en référence à l’organisation psychique de l’enfant et à l’évolution de ses modalités relationnelles et seulement en le restituant dans un contexte clinique [9,16]. De ce fait, il était 87 intéressant d’utiliser l’approche psychopathologique pour mieux comprendre et appréhender le patient. Cette description empruntait plusieurs éléments à C. Mille [17] qui soulignent bien la dimension relationnelle de ces troubles. Quelle que soit l’étiopathogénie retenue, l’instabilité psychomotrice s’exprime dans un registre relationnel. Les troubles extériorisés marquant la clinique de cette instabilité ne peuvent laisser indifférent l’entourage dont les réactions viennent à leur tour alimenter la symptomatologie [9,17]. Sachant que la comorbidité de l’instabilité psychomotrice avec les autres troubles disruptifs est importante, il n’était pas étonnant de retrouver chez Stéphane des conduites d’opposition significatives, un trouble oppositionnel au sens du DSM-IV. Enfin, nous avons observé chez Stéphane des crises de colère disproportionnées par rapport à la situation qui les a provoquées. La fréquence est supérieure à trois fois par semaine. Entre les crises, Stéphane reste irritable et triste. Ces crises sont présentes à l’école et à la maison depuis l’âge de 6 ans, sans qu’il n’y ait jamais eu de nette amélioration. Ces symptômes sont décrits dans le DSM-5 pour le diagnostic de TSRH. Aussi, dans cette définition restreinte à une dysphorie associée à des crises de rage, le TSRH se distingue du TDAH mais peut tout de même se combiner avec lui au sein de tableaux composites [6]. Ce diagnostic clinique corroborait aux résultats des entretiens semi-structurés d’évaluation diagnostique avec le Kiddie-SADS module TSRH et l’ALS. En effet, Stéphane était distrait et impulsif quel que soit l’environnement où il se trouvait. Toutefois, l’évaluation individuelle et familiale n’avait pas révélé l’existence de difficultés de séparations avec le milieu familial [16]. Lors des séparations, on observait des crises de colère qui pouvaient exprimer une angoisse de perte d’objet dû à un défaut de contenance psychique à l’origine d’une explosion d’émotion. Ainsi, ce défaut de contenance psychique ne se traduisait non pas par une angoisse de séparation mais plutôt par des conduites d’opposition qui nous évoquaient des tentatives pour maîtriser l’objet et par des crises de colère en lien avec un TSRH. Par ailleurs, le risque d’apparition d’un syndrome dépressif dans le cadre d’une instabilité de l’enfance est connu [12] car le retentissement fonctionnel sur les apprentissages et les relations minent l’estime de soi [18]. Cependant, sur le plan clinique, nous n’avons pas retrouvé de syndrome dépressif constitué. Dans le cas présent, l’articulation entre l’évaluation clinique standardisée et l’évaluation psychopathologique nous a permis de diagnostiquer un TSRH par l’intermédiaire de la première évaluation et nous permettait par la deuxième d’expliquer l’instabilité psychomotrice syndromique sous l’angle de l’état limite chez l’enfant. Cette approche enracine la prise en charge dans la compréhension psychopathologique des instabilités et des déficits de l’attention [16]. Proposition thérapeutique La démarche diagnostique multi-axiale a évité une prescription purement symptomatique dans le but de simplement « calmer des comportements bruyants ». La prise en charge 88 est multimodale, volontiers pluridisciplinaire à l’instar du bilan diagnostique. Dans le cadre de cette prise en charge thérapeutique, nous avons amorcé une réflexion en vue d’un traitement médicamenteux. Initialement, le choix de la molécule devait être purement sédatif, mais ce traitement symptomatique a été écarté avec l’hospitalisation qui a permis de faire un bilan diagnostique et de prévoir un plan thérapeutique à long terme. En l’absence de recommandation ou de consensus pour le traitement du TSRH, il est judicieux de prévoir une prise charge multimodale. En effet, la prise en charge thérapeutique devrait se baser sur les plans suivants : • pharmacothérapie pour la dimension neurophysiologique ; • psychothérapie pour l’aspect psychopathologique (tel que décrit plus haut) ; • psychomotricité pour renforcer l’intégration sensorimotrice et la construction de l’image de soi (tel que décrit plus haut). Tant qu’il n’y aura pas de consensus de traitement pour le TSRH, l’irritabilité et l’agressivité resteront un challenge thérapeutique pour ces enfants souffrant de sérieux dysfonctionnements sociaux et psychiatriques. De plus, il est capital que la pharmacothérapie ne soit pas la seule dimension de la prise en charge. Actuellement, les options pharmacologiques sont les suivantes : les antidépresseurs, les thymorégulateurs, les psychostimulant, les neuroleptiques atypiques et les alpha-2 antagonistes [19]. D’après les données actuelles, les traitements antidépresseurs et les psychostimulants ne peuvent être utilisés sans que ne leur soient associés un stabilisateur de l’humeur ou un neuroleptique. Les patients TSRH semblent mieux répondre aux traitements pharmacologiques et non pharmacologiques lorsque ceux-ci sont utilisés ensemble (comme le TDAH). L’étude de Waxmonsky a montré la tolérance et l’efficacité pour le méthylphénidate chez des enfants TSRH et TDAH en associant ce traitement à une thérapie de modification comportementale [20]. Dans le cas de Stéphane, nous notons l’importance des facteurs psychosociaux et biographiques sur le développement psychiques, moteur et de la personnalité. En effet, la symptomatologie du TSRH est en partie liée aux facteurs environnementaux, au contexte psychosocial et aux troubles de l’apprentissage. Il est donc capital d’appréhender l’enfant avec l’ensemble de son fonctionnement psychique et de ses difficultés sur le plan social, familial et scolaire. Aussi, pour la prise en charge de Stéphane, l’option médicamenteuse n’a pas été retenue et la psychothérapie a été poursuivie au CMP et au CHU d’Amiens. La prise en charge consistait en une psychothérapie basée sur des entretiens individuels au CMP avec un pédopsychiatre et une psychologue, des entretiens mère-enfant au CHU et des entretiens enfant-famille d’accueil au CMP. Les entretiens avec la mère et la famille d’accueil étaient dans des structures séparées, par 2 thérapeutes différents, afin de bien distinguer les espaces pour l’enfant et les figures parentales. En effet, la guidance, l’écoute et le soutien parental appartiennent à toute prise en charge de l’instabilité en raison de son retentissement et de la participation des parents à la perpétuation ou la résolution du problème. Ce soutien est apporté L. Masi et al. lors d’entretiens parentaux qui peuvent alterner avec des entretiens familiaux. Pour finir, la mise en place d’une approche psychomotrice trouvait son indication dans le cadre du TSRH et des troubles d’intégration sensorielle reposant sur les deux versants, moteur et psychique. Elle n’avait cependant pas pu être mise en place immédiatement pour Stéphane. Cette approche aurait ciblé le renforcement de l’intégration sensori-motrice et des capacités d’inhibition. Elle aurait aussi visé à soutenir la construction de la pensée en explorant les rythmes et en favorisant le déplacement de l’énergie investie dans les mouvements désordonnés du corps vers une pensée soutenue [21]. Une approche corporelle sera finalement mise en place en IME. Conclusion Par ailleurs, cette présentation clinique nous rappelle à quel point il est nécessaire dans le champ de la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent de garder une perspective développementale. Dans cet exemple clinique et dans d’autres situations cliniques étudiées par ailleurs [22], nous avons constaté l’importance de l’aspect psychopathologique pour la compréhension du TSRH. Le bilan diagnostique articulant observation sur l’unité, situation d’entretien standardisé et explorations dynamiques a permis de dégager une composante de TSRH au-delà du tableau d’instabilité psychomotrice et d’éviter une prescription neuroleptique sédative. Les entretiens avec la famille d’accueil, d’une part, et les premiers entretiens mère—fils, d’autre part, ont permis d’expliciter les défauts de contrôle émotionnel du patient, combien cette explosivité s’imposait à Stéphane qui en demeurant très affecté et comment ces crises prenaient leurs racines et leur sens dans la relation de Stéphane aux adultes et dans la répétition des situations de maltraitance et d’incompréhension relationnelle. Selon C. Mille, grâce au jeu des hypothèses psychopathologiques, le thérapeute ouvre les perspectives de travail à son patient dans les multiples dimensions souvent inattendues sans faire abstraction des éléments de l’évaluation objective. Le TSRH est un trouble encore méconnu qui a un impact important sur la qualité de vie de l’enfant et dont l’identification du diagnostic modifie la prise en charge. Pour un même tableau clinique psychiatrique, tel que dans le cas de Stéphane, la psychopathologie est multiple et riche. Le fait d’avoir cerné un TSRH dès le début nous a permis de ne pas considérer les troubles du comportement comme des conduites d’opposition mais plutôt comme s’intégrant dans le registre des pathologies de l’humeur. Notre diagnostic de TSRH se complète par l’hypothèse d’un trouble d’intégration sensorielle s’observant fréquemment dans le cadre de cette pathologie et dont l’évaluation permettra d’optimiser les traitements. Aussi, l’évaluation initiale complète de Stéphane a influencé le pronostic et a permis la prise en charge la plus adaptée. En fonction des différentes approches, la réflexion clinique et thérapeutique pour ce patient était ouverte sur un large éventail de possibilité et ce tableau clinique de troubles externalisés témoignait en réalité d’une pathologie internalisée appartenant aux troubles de l’humeur. Diagnostic d’un trouble sévère de régulation de l’humeur à partir d’un cas d’instabilité psychomotrice Le diagnostic de TSRH vise à distinguer ces enfants de ceux souffrant de troubles bipolaires, et à éviter d’attribuer à tort un diagnostic de TOP. Les enjeux de la prise de conscience de l’existence du TSRH sont majeurs pour la prise en charge thérapeutique, notamment médicamenteuse [23]. Le risque est effectivement celui de prescrire des traitements médicamenteux chez des sujets de plus en plus jeunes, médicaments peu ou pas efficaces et aux effets secondaires potentiellement sévères. Aussi serait-il nécessaire de développer des traitements efficaces et d’avoir les moyens d’agir de manière préventive. Cela impose l’identification préalable des particularités de cette pathologie, sans se limiter aux catégories nosographiques développées chez l’adulte, ces dernières ne répondant pas toujours aux particularités cliniques de la population pédiatrique. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Birmaher B, Axelson D, Goldstein B, Strober M, Gill MK, Hunt J, et al. Four-year longitudinal course of children and adolescents with bipolar spectrum disorder: the Course and Outcome of Bipolar Youth (COBY) Study. Am J Psychiatry 2009;166(7):795—804. [2] Benarous X, Rahin M, Milhet V, Guilé JM, Chen D, Consoli A. Dysrégulation émotionnelle et comportementale severe : une nouvelle entité pour les enfants instables ? [3] Leibenluft E. Severe mood dysregulation, irritability, and the diagnostic boundaries of bipolar disorder in youths. Am J Psychiatry 2011;168:129—42. [4] Krieger FV, Stringaris A. Bipolar disorder and disruptive mood dysregulation in children and adolescents: assessment, diagnosis and treatment. Evid Based Ment Health 2013;16(4):93—4. [5] Mazet P, Bassou I, Simonot AL. 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