Festival d’Aix-en-Provence Don Giovanni Musique de Wolfgang Amadeus Mozart Livret de Lorenzo Da Ponte Dossier pédagogique 2013 Ont contribué à la rédaction de ce dossier : Elisabeth Rallo-Ditche, Valérie Brigot, Frédéric Isoletta SOMMAIRE Préambule p.3 Introduction p.5 A) Présentation 1) Synopsis 2) Wolfgang Amadeus Mozart en 1787 3) Lorenzo Da Ponte 4) Genèse et contexte 5) La création 6) L’espace et le temps 7) Les personnages p.6 p.6 p.8 p.8 p.8 p.9 p.9 p.10 Conclusion p.12 B) La production 2013 au Festival d’Aix-en-Provence 1) Distribution 2) Biographies 3) Approche de l’œuvre p.13 p.13 p.13 p.14 C) Pistes Pédagogiques 1) Des clés de lecture pour l’ouverture et la première scène 2) Suggestions d’activités pédagogiques a) En Education musicale b) En Arts plastiques c) En Lettres d) En Histoire e) Autres pistes possibles p.17 p.17 p.17 p.17 p.23 p.25 p.25 p.25 D) Pour aller plus loin : personnages (les rôles, les voix) p.26 2 noble et appelé art lyrique, il est un croisement artistique qui peut réunir le chant, le théâtre, la danse, les arts plastiques, et de nos jours la vidéo, nécessitant un chef d’orchestre, un orchestre, des chanteurs solistes, un chœur, un metteur en scène, et parfois un scénographe (costumes et décors font partie d’une production et sont établis en fonction de la mise en scène). Même si la musique ne change pas (en dehors de l’interprétation bien sûr), la mise en scène est aujourd’hui l’enjeu majeur de nombreuses productions, certaines déchainant les passions et les critiques. L’orchestre se trouve dans la fosse d’orchestre, tout simplement pour laisser la place visuellement et scéniquement aux chanteurs se trouvant sur le plateau. Préambule Ecrire un ouvrage lyrique reste un enjeu majeur pour les compositeurs, à l’instar de cette phrase du romantique germanique Robert Schumann : « Ma prière du matin et du soir ? Un opéra en allemand ». Certains ne s’y sont jamais frottés (Chopin, Brahms), d’autres y ont consacré la quasi-totalité de leurs corpus (Rossini, Verdi, Wagner). A l’époque mozartienne, l’opéra est composé de « numéros » : arias (soli, duos, trios…), chœurs, récitatifs. Au cours des XIXème et XXème siècles, la forme continue, c’est-à-dire sans interruption de musique, sera privilégiée par de nombreux compositeurs. Un récitatif est un genre proche de la voix parlée, déclamée, et fait avancer l’histoire, se trouvant appuyé par un ensemble réduit d’instruments (clavecin, basse continue pour le recitativo secco, ponctuations orchestrales pour le récitatif accompagné) alors que l’aria (air) est une mélodie accompagnée où la voix soliste est escortée par l’orchestre. Au contraire du récitatif, l’aria peut être sujette à une vocalité exacerbée, mettant en valeur la virtuosité du soliste. Le chœur, féminin, masculin ou mixte, se compose de quatre pupitres différents : soprani et alti chez les femmes, ténors et basses chez les hommes. Les voix sont donc classées par tessitures, ces dernières définissant l’ambitus de la voix, c'est-à-dire le registre (hauteur) où le chanteur peut chanter, de la note la plus grave à la plus aiguë. Le chœur peut représenter le peuple comme une allégorie (l’enfer, la morale…). Costume destiné à M. Garcia pour le rôle de Don Juan dans l’opéra Don Giovanni - Gottfried Engelmann Qu’est ce qu’un opéra ? C’est tout simplement la mise en musique d’un texte théâtral qui serait adapté ou pas d’une œuvre littéraire. Les textes sont chantés au lieu d’être parlés, déclamés, et sont accompagnés par un orchestre. (Exemple : Les Noces de Figaro de Mozart, dont le texte a été adapté du Mariage de Figaro de Beaumarchais par le librettiste Lorenzo Da Ponte). L’ouverture est toujours exclusivement instrumentale, orchestrale. Comme son nom l’indique, c’est elle qui précède la première scène de l’opéra, laissant le beau rôle à l’orchestre. Le rideau peut être baissé ou ouvert selon la mise en scène. Généralement, l’ouverture présente les thèmes principaux présents dans l’œuvre. Les thèmes sont les mélodies sur lesquelles se base le compositeur pour créer son morceau. A partir de la fin du XIXème siècle, certaines œuvres ne comportent plus d’ouverture, comme c’est le cas avec Elektra de Richard Strauss. Le genre a considérablement évolué depuis son apparition vers 1600 en Italie où les florentins ont la folle idée de vouloir parler en chantant ! Sérieux (Opéra seria) ou divertissant (Opéra buffa), il peut également s’appeler Drama giocoso (drame joyeux), Singspiel (divertissement en allemand) et adopter des formes plus libres jusqu’à nos jours (Opéra de chambre, Fantaisie lyrique). A la fois populaire, 3 Le librettiste, homme de lettres, travaille en collaboration avec le compositeur pour écrire le livret – qui peut être adapté d’un roman, d’un conte, d’une pièce de théâtre… et rendre ainsi le sujet, traduit ou pas, proche des attentes opératiques et vocales du compositeur. Certains compositeurs écrivent eux-mêmes leurs livrets, à l’instar de Wagner, et parfois Richard Strauss. De Beethoven à Nino Rota en passant par Chopin, Liszt et Paganini, de nombreux compositeurs ont repris les thèmes principaux de Don Giovanni, notamment La ci darem la mano pour en écrire des variations. Avec une distribution exceptionnelle (Ruggero Raimondi, Jose Van Dam…), le film de Joseph Losey a naturellement contribué au succès de l’œuvre, même deux cents ans après sa création. De Kierkegaard à Gounod, en passant par Wagner ou Tchaïkovski, l’admiration pour Don Giovanni reste sans borne. © Elisabeth Carecchio Répétition de Don Giovanni de Mozart Mise en scène Peter Brook (Festival d’Aix 1998-99) 4 Ce sont les Italiens qui ont contribué au passage de Don Juan dans les autres pays, mais on ne sait pas comment la pièce est passée d’Espagne en Italie, des comédiens allaient en Espagne, des espagnols jouaient à Naples… Le drame espagnol est devenu parodique, il a été traduit d’une langue à l’autre et d’un système théâtral à l’autre, dans la forme de la commedia dell’arte. On connaît une version de Cicognini à Florence en 1632, le personnage de Don Juan est superficiel, le rythme plus frénétique et la joie de vivre a disparu. En 1658, une version est jouée à Paris, avec l’Arlequin célèbre Biancolelli. La complicité avec Arlequin se développe, les plaisirs sexuels de Don Juan sont mis en avant, et il est dévalorisé, comparé à un porc. Le comique l’emporte, dans le goût de la commedia dell’arte, avec force facéties et jeux de scène. Dorimond et Villiers, en 1660 donnent à Paris Le Festin de Pierre ou le fils criminel. La pièce insiste sur le conflit entre le père et le fils, la culpabilité du fils et l’élément comique est moins important. La révolte du fils contre le père était déjà dans la pièce de Tirso, elle prend ici de l’importance, et redonne de l’épaisseur au personnage, corrigeant l’effet simplificateur de la commedia dell’arte. Cette rébellion familiale, un peu « racinienne », efface certains traits du Don Juan espagnol que Molière va retrouver dans sa pièce, en 1665, gardant aussi des aspects de la commedia dell’arte qu’il connaît bien. On ne traitera pas ici du Dom Juan de Molière, bien connu. On soulignera simplement que Da Ponte connaissait cette pièce et qu’il en a tiré des éléments, faisant cependant de son Don Giovanni un personnage très différent du héros cynique et pervers de Molière, comme on le verra par la suite. Soulignons qu’à cette même époque, un certain Cazanigga, compositeur célèbre en son temps, présente son Don Giovanni o sia Il convitato di pietra, sur un livret de Bertati dont saura s’inspirer Da Ponte pour sa collaboration avec Mozart. Pour conclure cette introduction, laissons la parole à Goethe qui affirmait en 1791, année de disparition du compositeur autrichien : « Cette œuvre est unique en son genre et la mort de Mozart ne nous permet plus de rien attendre d’analogue ». Introduction Don Giovanni a maintes fois été qualifié d’«Opéra des opéras» (notamment par Richard Wagner) et fut cité en modèle par de nombreux compositeurs, et ce parmi les plus illustres. Aimé, il l’est encore et toujours par nombre d’artistes et de créateurs tant cet ouvrage lyrique dépasse le cadre de la musique, au demeurant si belle et réussie soit-elle, traitant un sujet théâtral. Car Don Giovanni éclipse le non moins célèbre Dom Juan de Molière dont il est en partie inspiré. Personnage déjà mythique et légendaire prêt à tout pour arriver à ses fins, le gentilhomme sans scrupule et blasphémateur n’est plus Don Juan, il devient Don Giovanni, dont les principaux arias font rêver les chanteurs à la voix de barytonbasse. Même si le mythe a forcément inspiré d’autres compositeurs à l’instar de Gluck avec un ballet-pantomime (1761), ou Cazzaniga avec un opéra exactement contemporain (1787), et Richard Strauss avec un poème symphonique un siècle plus tard, Don Giovanni surpasse de loin les différentes adaptations qui jalonnent l’histoire de la musique. Wolfgang Amadeus Mozart compose avec la complicité, ô combien importante, du librettiste Lorenzo Da Ponte (qui a alors déjà collaboré avec le maître pour Le Nozze Di Figaro) une œuvre majeure du grand répertoire lyrique qui fait le bonheur des scènes du monde entier. Il sait surtout réunir en un seul opéra tout ce qui fait la réussite de l’art lyrique : le divertissement et le drame, le sérieux et le léger. Il est de coutume de dire qu’un mauvais livret ne peut pas faire un bon opéra et ce n’est pas le formidable équilibre du texte qui rassemble habilement des éléments empruntés aux dramaturges antérieurs qui contredira cette maxime (la légende dit qu’un certain Casanova, compatriote de Da Ponte aurait donné des conseils avisés au librettiste et posé sa touche personnelle…). Ajoutons à cela une partition où l’orchestre, tout en soutenant et laissant les voix s’exprimer sans les étouffer, prend une place prépondérante dans la signification en s’exprimant et illustrant le caractère des personnages, quitte à dévoiler un sentiment caché au cœur de la partition. Souvent qualifiée de tragique, Don Giovanni n’en est pas moins une œuvre buffa, divertissante, qui sait parfaitement jouer avec nos émotions et nous transporter en quelques mesures, quelques notes, quelques mots de la farce au drame, dans une cohérence parfaite où les personnages trouvent naturellement ème leurs places. Don Giovanni condamne bel et bien le libertinage, et ce au XVIII siècle, peut être la plus grande période de naissances de «systèmes» dans l’histoire de la philosophie, et pourtant il condamne aussi une sorte de morale commune. Mozart et Da Ponte héritent non seulement de sources qui leur étaient ème contemporaines, mais d’un mythe européen, né en Espagne au début du XVII siècle sous la plume de Gabriel Tellez, plus connu sous le nom de Tirso de Molina. 5 1) Synopsis A) Présentation de l’œuvre L’action se passe à Séville, à une époque non déterminée. Don Giovanni est un dramma giocoso en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart crée le 29 octobre 1787 à Prague sous la direction du compositeur. L’œuvre se base sur le mythe de Don Juan, de Tirso de Molina à Molière. Acte I : Leporello, valet de Don Giovanni, attend son maître devant un palais en se plaignant de sa condition de serviteur, alors que celui-ci, masqué, poursuit Donna Anna (scène 1). Ses cris alertent le Commandeur, son père, qui provoque Don Giovanni et meurt en duel. Anna, partie chercher du secours, (scène 3) découvre le cadavre et chante sa douleur et son désir de vengeance à son fiancé Ottavio. La scène suivante montre Don Giovanni accompagné de Leporello, plongé dans de nouveaux projets amoureux. Arrive Elvire sa femme (scène 5), qui le cherche, ayant été lâchement abandonnée. Don Giovanni ne la reconnaît pas et, simplement charmé par « l'odeur de femme », découvre fort embarrassé une Elvire furibonde. Il s'esquive donc habilement, en l'adressant avec désinvolture et cruauté à Leporello qui l’informe des nombreuses conquêtes de son maitre (Air du Catalogue). Paraît une noce (scène7) : Don Giovanni est attiré par la future mariée, Zerline, « autre pièce nouvelle ». Il use de son pouvoir de grand seigneur pour écarter le futur mari, Masetto, qui comprend les desseins de Don Giovanni mais ne peut que s'incliner. Il promet aussitôt le mariage à Zerline qui est partagée, entre regrets vis-à-vis de Masetto et un nouveau statut social inespéré. Sur le point de céder, elle est arrêtée par l'arrivée d'Elvire (scène 10), toujours en furie, qui lui ouvre les yeux et lui dit quel homme est Don Giovanni. Elvire emmène Zerline: Don Giovanni échoue donc pour la deuxième fois. Don Ottavio, son ami, et Anna arrivent pour lui raconter ce qu'il ne sait que trop, et lui demander son aide pour découvrir le coupable, ce que fait Don Giovanni bien volontiers. L'arrivée d'Elvire (scène 12) complique une fois de plus les choses. Elvire clame sa douleur et adresse à Don Giovanni de véhéments reproches, Anna et Ottavio sont ébranlés par sa conviction et ne croient pas Don Giovanni qui essaie de la faire passer pour folle. Une intonation de Don Giovanni a permis à Anna de reconnaître la voix de son agresseur (scène 13) : elle réussit à tout raconter à son fiancé et lui révèle l'identité du coupable, ce que Don Ottavio a peine à croire (scène 14). Tous deux jurent de punir Don Giovanni. Leporello entre en scène (scène 15) pour expliquer comment il a entrepris d'enivrer la noce et calmé Masetto, tout en réussissant à reprendre Zerline à Elvire. Don Giovanni, rendu à son désir jubilatoire, décide d’une grande fête et chante son espoir d'augmenter sa liste de dix noms dans la nuit. Ils partent préparer la partie de plaisir, tandis que Zerline se fait pardonner par Masetto (scène 16). Don Distribution des personnages et des tessitures Don Giovanni, gentilhomme : baryton-basse Leporello, valet de Don Giovanni : baryton-basse Donna Anna, fille du Commandeur fiancée de Don Ottavio : soprano Don Ottavio, fiancé de Donna Anna : ténor Le Commandeur, père de Donna Anna : basse Donna Elvira, jeune femme : soprano Zerlina, jeune paysanne fiancée de Masetto : soprano Masetto : paysan, fiancé de Zerlina : ténor Chœur mixte Orchestre symphonique 6 Giovanni revient, Masetto se cache, le séducteur tente une nouvelle manœuvre auprès de la jeune fille, et une fois de plus est mis en échec par Masetto. Don Giovanni, servi par son habitude et sa présence d'esprit, remet généreusement Zerline à Masetto et les entraîne à la fête, ainsi que trois personnages masqués qui viennent d'arriver devant le palais. Ce sont bien évidemment Ottavio, Anna et Elvire. C'est la fête dans le palais illuminé (scène 20) : Don Giovanni convoite Zerline qu'il n'a pas renoncé à posséder, à n'importe quel prix, et Masetto enrage. Tous chantent à l'invitation de Don Giovanni la liberté, liberté de jouir de tous les plaisirs de la vie débarrassée des contraintes sociales et morales. Don Giovanni passe à l'acte et tente de violer Zerline. Tous accourent pour châtier le coupable, et Don Giovanni ne se sauve qu'en faisant passer le malheureux Leporello pour le violeur. Mais les autres ne le croient pas, Don Giovanni s’enfuit suivi de Leporello, terrorisé et admiratif. Elvire part en le maudissant et pousse un cri terrible en sortant, elle vient de voir la statue du Commandeur qui se rend à l'invitation de Don Giovanni. Don Giovanni fait face, commande à dîner pour son hôte, mais celui-ci refuse et invite Don Giovanni à son tour. Malgré les supplications de Leporello, Don Giovanni, toujours brave, accepte. Le Commandeur demande alors la main de Don Giovanni en gage et celui-ci la lui donne. Un froid de glace l'envahit aussitôt. Don Giovanni demande à la statue « Che chiedi? Che vuoi? » (« Quel est ton désir? »). Le Commandeur exige de Don Giovanni le repentir, celui-ci refuse avec obstination malgré les souffrances qu'il endure et est englouti par le feu de l’Enfer. Arrivent alors Anna, Ottavio et Elvire, Zerline et Masetto avec les représentants de la justice humaine, mais la justice divine a déjà frappé, la société est sauve et chacun retourne à sa place : Leporello pour trouver un nouveau maître, Elvire pour retrouver la paix intérieure ; Anna, pour accomplir son deuil, demande un an de délai à Ottavio qu'elle assure de son amour, Zerline et Masetto partent chez eux, réconciliés. Tous chantent la morale de l'histoire : « une mauvaise vie entraîne une mauvaise mort », comme le dit Sganarelle dans le Dom Juan de Molière – telle est la loi de l'ordre et de Dieu. Acte II Don Giovanni a un nouveau projet (scène 1) : séduire la camériste d'Elvire en portant l'habit de Leporello tout en lui chantant une sérénade. Leporello, sous l'habit de son maître, est poussé par lui à se faire pardonner d'Elvire, mélancoliquement accoudée à sa fenêtre (scène 2) et toute prête à accorder le pardon à Don Giovanni. Leporello profite de la situation (scène 3) et Don Giovanni savoure la « burla » – autrement dit, le mauvais tour qu'il joue à Elvire, dans la bonne tradition du Don Juan espagnol. Don Giovanni pourtant doit renoncer à la camériste, il est rejoint par Masetto et un groupe de paysans armés, et doit s'en débarrasser. Resté seul avec Masetto, il se fait reconnaître et le rosse violemment. Don Giovanni rejoint son valet dans le cimetière où se trouve le tombeau du Commandeur (scène 11), il rit et se plaît à raconter qu'il a, faisant preuve d'une belle insouciance et d'une belle santé, tenté de séduire en chemin une nouvelle fille, amoureuse de Leporello, sous l'habit de celui-ci. Mais s'élève alors une voix qui lui prédit qu'il aura fini de rire avant l'aurore! Don Giovanni découvre que cette voix vient de la statue de pierre du Commandeur, et, par dérision, oblige Leporello terrorisé à lire l'inscription de la pierre tombale – qui promet le châtiment –, et à inviter le Commandeur à souper. La statue répond "oui" de la tête. Don Giovanni, un peu étonné mais non effrayé, part pour préparer la réception. Ottavio presse Anna de l'épouser, mais celle-ci est toujours sous le coup des émotions violentes qui l'agitent et diffère le mariage jusqu'à avoir obtenu vengeance. On retrouve Don Giovanni dans son palais (scène 13), bien décidé à festoyer, boire et manger, et à écouter jouer son orchestre privé. Elvire fait irruption pour inciter Don Giovanni à changer de vie (scène 14). Celui-ci l'humilie une fois de plus en lui chantant insolemment la gloire des femmes et du bon vin. © Elisabeth Carecchio Don Giovanni de Mozart Mise en scène Peter Brook (Festival d’Aix 1998-99) 7 2) Wolfgang Amadeus Mozart en 1787 de Figaro, Cosi fan tutte et Don Giovanni, sont loin d'être sans intérêt et son apport personnel n'est pas négligeable : Don Giovanni lui appartient en propre et Mozart, loin de ne faire que « l'illustrer » par la musique, en propose une première et magistrale interprétation. Da Ponte a mis sa « griffe », sans aucun doute, à l'opéra Don Giovanni, et le livret, fort bien composé, est en deux actes qui se terminent tous deux par la mise à mal du personnage principal : à la fin du premier acte, Don Giovanni est sur le point d'être découvert par ceux qui le poursuivent de leur haine et à la fin de l'acte II, il est châtié par le Ciel et son envoyée, la statue du Commandeur. C'est dire que le dramma giocoso est, malgré ses aspects comiques voire burlesques grâce à Leporello (le valet de Don Giovanni), un drame au sens plein du terme. Enfant prodige et compositeur de génie, Wolfgang Amadeus Mozart (17561791) a touché avec perfection à tous les genres et toutes les formes de musique, que ce soit dans le domaine de la symphonie, du concerto, de la musique pour clavier, de la musique de chambre (la sonate, le quatuor à cordes…), de l’opéra ou de la musique sacrée. Installé en famille à Prague au début de l’année 1787, il y ème connait un succès considérable en dirigeant sa 38 Symphonie (dite «Prague») et ème en exécutant la partie soliste de son 25 Concerto pour Piano et Orchestre. C’est toutefois avec les représentations des Noces de Figaro, opéra créé six mois plus tôt à Vienne, que Mozart reçoit un triomphe à la hauteur de son talent et digne de son rang, lui qui était si fier d’entendre dans les rues et les brasseries de Bohème siffloter, jouer et chanter les thèmes de son adaptation de l’ouvrage de Beaumarchais au terme d’une première collaboration avec le librettiste Lorenzo Da Ponte. Au vu des succès praguois, un nouvel opéra sera commandé pour l’automne et façonné dans un contexte marqué par la mort, d’abord celle de son ami le comte Hatzfeld puis celle de son père Léopold, qui le marquera évidemment beaucoup et qui influencera certainement le contenu de l’énorme chantier en cours : la composition de Don Giovanni. La création de l’opéra dans cette ville de Prague, où Mozart se sent comme chez lui, est un véritable triomphe. A son retour à Vienne, il est nommé (à la suite de Gluck) compositeur de la Chambre Royale et Impériale. Malgré tout, les difficultés financières persistent. A une des rares représentations de Don Giovanni lors du retour à Vienne du compositeur, l’empereur Joseph II lui dit : « l’opéra est divin, je dirai même qu’il est mieux que Figaro, mais ce n’est pas le mets qui convient aux dents de mes Viennois », ce à quoi Mozart rétorqua : « Laissons-leur le temps de mâcher ». 4) Genèse et contexte de l’œuvre Mozart disait avoir composé Don Giovanni pour les habitants de Prague et quelques-uns de ses amis. Prague lui rendait bien cet attachement : un récital de piano qu'il donna en janvier 1787 déchaîna l'enthousiasme, et il fut invité partout, dans toutes les fêtes et tous les salons. De plus, il possédait une grande affection pour la cantatrice Josepha Dušek, qu'il consulta sur sa musique et pour laquelle il composa un air de concert. Après sa mort, son premier biographe important sera un ème Tchèque, et Leoš Janáček, compositeur du XIX siècle, rendra hommage à Don Giovanni dans son opéra De la Maison des Morts. 3) Lorenzo Da Ponte Lorenzo Da Ponte a écrit de nombreux livrets d’opéras, entre autres pour les 1 2 compositeurs Salieri et Martini . Les trois livrets qu’il écrit pour Mozart, Les Noces 1 Compositeur italien, Antonio Salieri (1750-1825) ne doit aujourd’hui sa renommée qu’à sa supposée rivalité avec Mozart, notamment à travers le film de Milos Forman. Il fut toutefois un compositeur honorable ayant son importance à l’époque classique, contemporaine de Mozart. Maître de chapelle de l’Empereur à Vienne, il fut un pédagogue (ayant eu pour élèves Beethoven, Meyerbeer, Schubert, Liszt…) et un compositeur d’opéras reconnu, important le style italien à Vienne. S’il put être jaloux de Mozart, il fut également l’un des seuls à reconnaitre son génie, à l’instar de Joseph Haydn. 2 Reconnu dans l’Europe entière pour son érudition exceptionnelle et ses multiples talents (compositeur, penseur, mathématicien, théologien…), le Padre Martini (1706-1784), moine franciscain basé à Bologne, était avant tout un enseignant renommé du contrepoint et eut comme disciple le jeune Mozart, pour lequel il garda toute sa vie une très grand estime. La statue du Commandeur à Prague, Anne Chromy (2000) 8 Sous le règne de l'Impératrice d'Autriche Marie-Thérèse, la Chancellerie de Bohème fut supprimée et rattachée à l'administration de Vienne. Avec l'arrivée de Joseph II les choses s'aggravèrent encore. Il régna en despote, empêchant les conseils (les Diètes) de prendre des décisions et de s'exprimer, et « germanisa » la Bohème de façon systématique, imposant l'allemand dans l'administration et l'enseignement. En 1787, l’autonomie tchèque n’est alors plus qu’un lointain souvenir. Les tchèques se mirent alors à résister à Prague en se regroupant en une municipalité unique, en développant leur propre culture et en érigeant un théâtre national comme symbole de cette volonté, théâtre bleu et or construit par deux hommes très nationalistes : le comte de Nostitz et le futur Grand Burgrave de Bohème, Rinek, soutenus par Josepha Dušek et son mari compositeur František Xaver Dušek, tous deux francs-maçons et proches de Mozart. Les spectacles qui y sont représentés à cette époque sont tous des ouvrages qui prônent la liberté collective et individuelle, et Les Noces de Figaro y firent souffler un vent de révolution, d'autant que des bruits d'agitation populaire commençaient à parvenir de France. ingrata ». La scène finale fut quant à elle supprimée au profit de l'entrée de tous les personnages pour assister, en poussant un cri d'horreur, à la mort de Don Giovanni, précipité aux Enfers. 6) L’espace et le temps L’espace La construction du Don Giovanni est très soignée, elle se déploie dans l’espace de manière précise. L’acte I est projeté en avant par une exposition-action extrêmement rapide et culmine dans le final de l’acte pendant lequel Don Giovanni manque de se faire prendre. La première scène du second acte semble reprendre un dialogue et annule la coupure entre les deux actes. Ainsi, les deux actes de Don Giovanni ne connaissent pas d’hiatus, et à l’intérieur, le puzzle est parfait. Dans le premier acte on trouve trois groupes de scènes, chacune concernant les trois femmes, et cela amène au quartetto de la scène entre Elvire, Anna, Ottavio et Don Giovanni. Dans le second acte s’organise une poursuite, Don Giovanni étant celui que l’on chasse. De nombreux coups de théâtre venant de la commedia dell’arte suscitent un intérêt constant. 5) La création Don Giovanni est donné pour la première fois le 29 octobre 1787. Don Giovanni n’occupe pas la scène en permanence : il apparaît dès le début, puis se cache après le meurtre, pour réapparaître ensuite très brièvement. Il revient, reconnaît Elvire et s’enfuit de nouveau. Il chante avec Zerline puis repart, et quand il chante enfin un air, celui-ci dure une minute et demie, et c’est une invitation à la fête. Dans le second acte, il apparaît pendant cinq scènes, mais soit il parle, soit il se masque sous les traits de son valet. Il disparaît ensuite de la scène 6 à la scène 10, réapparaît dans la scène du cimetière, disparaît encore et n’est là de façon stable que dans le final. Les ruptures de construction figurent un véritable labyrinthe où le protagoniste peut apparaître et disparaître à volonté, tout en étant présent dans les discours et les pensées des autres personnages en permanence : Don Giovanni occupe l’espace tout en étant perpétuellement en fuite. L'aspect libertaire de Don Giovanni dans le contexte de l’époque n'échappa ème pas au public de Prague. Le décor s’inspirait du paysage praguois du XVIII siècle, comme le vignoble de Losohirz et le cimetière juif, qui étaient les symboles d'une sorte de capitale libre occulte, contre le pouvoir autrichien. Sans compter les rapports que la statue du Commandeur pouvait avoir avec la légende du Golem pour les pragois. Le choix de l'italien comme langue du livret était le signe du refus de l'allemand. Après Don Giovanni, on traduisit directement en tchèque tous les Singspiel venus d'Allemagne. Et, bien sûr, le "Viva la libertà!" chanté par Don Giovanni revêtit un sens bien précis pour les Tchèques, qui en surent gré à leur ami "Monsieur Mozart". La création viennoise connut quant à elle beaucoup moins de succès le 7 mai 1788, se heurtant au conservatisme du public autrichien. Les chanteurs étaient pourtant encore meilleurs que ceux de Prague. La structure de l’œuvre subit quelques modifications du fait de cette nouvelle distribution : l'air de Don Ottavio « Dalla sua pace la mia dipende », aujourd'hui toujours chanté, remplaça l'air « Il mio tesoro », celui-ci ne convenant pas au nouveau chanteur. Furent également ajoutées trois scènes pour Zerline et Leporello, aujourd'hui généralement supprimées, et une quatrième pour Donna Elvira, qui est chantée comme dans la scène 11 de l'Acte II avec un récitatif accompagné et l'air « Mi tradi quell'alma Il est essentiel de noter les lieux, qui ont un sens précis : la plupart des scènes ont lieu dans la rue, dans un espace ouvert, social et neutre : Acte I Devant la maison du Commandeur Une rue au point du jour Devant l’entrée du palais de Don Giovanni Salle de bal de Don Giovanni 9 désinvolture. Il semble vouloir habiter le temps de « l'éveil », le commencement du désir qui ne serait pas le début d'une durée. Et pour échapper à la durée, à l'immobilité, il repousse le mariage, les institutions, les êtres et les sentiments qui figent la vie et empêchent les possibles. Le Final de l’acte I se passe dans le salon de bal de Don Giovanni, lieu spacieux et festif. Acte II Sur le côté de la maison d’Elvire La cour du Commandeur, la nuit La chambre de Don Giovanni Le cimetière Chez Don Giovanni 7) Les personnages Don Giovanni est un être capricieux qui a le courage des hommes de sa classe sociale – sa réponse au Commandeur est une réponse de brave : « On ne me traitera jamais de lâche / Mon cœur est ferme dans ma poitrine / Je n'ai pas peur je viendrai ». Il ne peut être pris comme un simple représentant d'une aristocratie décadente et a bien des traits d'un grand fauve, par son appétit extraordinaire, sa capacité sexuelle, son énergie vitale – les autres en parlent comme d'un monstre, à la cruauté de bête féroce. Est-il seulement humain? Par ailleurs, il brise les liens sociaux et engendre des comportements violents contre sa personne, et après avoir dressé contre lui leurs malheureux fiancés, les jeunes-femmes, si rapidement tombées dans les bras du gentilhomme, deviennent de véritables furies. Le Final de l’opéra a lieu dans son « repaire », où il est enfermé et pris au piège. Maquette et décor de Don Giovanni de Mozart Mise en scène de Dmitri Tcherniakov (Festival d’Aix 2010) On notera que, par rapport aux sources, Da Ponte supprime l’élément marin, ainsi que le naufrage sur une plage, et que les déplacements sont restreints à la ville : plus de pays étrangers, plus de campagne. Le temps Au fur et à mesure que l’opéra avance et que le temps se fait pressant, les lieux se ferment, la fin se passe dans la chambre de Don Giovanni. L’espace encercle Don Giovanni, l’accule à rentrer dans sa demeure, à mettre fin à ses déplacements continuels. Un événement chasse l'autre, un instant succède à un autre instant, le temps est fragmenté, l'ivresse du présent peut ne durer que quelques minutes : son air dit du « champagne », « Fin che dal vino... », dure seulement une minute et vingt secondes! Tout s'épuise dans l'acte même, alors que la société construit des institutions et des structures faites pour durer. La marche en avant est forcenée, elle entraîne cette exaltation du présent. Il en tire une expérience particulière : Don Giovanni refuse toujours de parler du futur ou du passé, qu'il congédie avec Ruggero Raimondi dans le film de Joseph Losey La dualité de sa relation avec son valet Leporello est une des clefs de cette intrigue. Valet du maître, celui qui se nommait Sganarelle chez Molière revêt bien 10 des caractères, se montrant tour à tour obéissant, moqueur, frondeur, malhonnête, complice… Ce personnage issu de l’opéra bouffe serait finalement un observateur avisé de la course effrénée de son maître. Giovanni est entière et totale, elle semble attachée à lui malgré la fureur qu’elle éprouve, donnant raison à Georges Bataille : « Si l’objet de notre amour évoque la ruine – le vain éclat, la mort – rien ne contribue davantage à le désigner comme l’être élu. » Masetto a tout du personnage buffa, reste faible face aux femmes, se laisse berner, reçoit des coups et pardonne tout à sa Zerlina. Le Commandeur apparait à la fois comme homme et comme statue, figure libératrice vengeresse, ce qui, comme le souligne Aristote, rend l’histoire « encore plus belle ». Vengeance du mort, punition des dieux, dénouement théâtral salvateur, le jeu est fini. La statue du Commandeur, inventée par Tirso de Molina, a peut-être une signification différente pour Mozart et pour les pragois, pouvant renvoyer à une créature à la fois bienfaisante et cruelle, qui peut tuer en effet, plus qu'à un archange purificateur du Ciel catholique. A Prague, le golem est un homme artificiel, d’argile, un des hommes-clés de Prague, pouvant tout détruire sur son ème passage d’après une légende de la fin du XVI siècle. D'autant que la pratique des invitations et du repas peut faire penser à une sorte de potlatch : donner-recevoir-rendre. Cette statue n'est pas un envoyé du Ciel comme les autres, et mérite qu'on interroge sa figure et sa signification. Zerlina est un caractère qui, dans le passé du mythe, a été la pêcheuse Thisbé chez Tirso, ou la paysanne Charlotte chez Molière. Elle gagne maintenant en complexité : Mozart s’emploie à lui enlever l’aspect rustique d’une Charlotte pour embellir sa nature, la rendre tendre et ardente, sans pour autant lui ôter son côté naïf et ambivalent (charmée et finalement pas mécontente de l’être). Don Ottavio suit Anna partout pour épouser sa cause, il cherche à la venger du mieux qu'il peut, mais il essaie surtout de la comprendre et de la consoler. Il s'instaure à la fois comme « son père et son époux », souffre de ses souffrances et vit de son bonheur. Don Ottavio est tellement identifié à l'autre, dans son parfait amour, qu'il ne peut vivre que pour et par l'autre, et tout accepter: « Un fidèle amour doit céder / Au désir de celle qui m'adore ». Il n'est pas un personnage ridicule, au contraire, sa fidélité et sa flamme ardente le rendent pathétique et touchant. Don Giovanni / Le Commandeur Don Giovanni rencontre d’abord le Commandeur vivant, et le tue. La scène est capitale pour la compréhension des rapports entre Don Giovanni et la statue du Commandeur : Don Giovanni éprouve de l’angoisse une première fois, lorsqu’il voit l’âme du « vieux » s’envoler. La première apparition se passe dans le cimetière, Don Giovanni a alors un rôle blasphématoire dans un lieu sacré, où la statue lui annonce en quelque sorte sa fin prochaine. La filiation entre le père et le fils, et le conflit générationnel qui en découle, est ici criante. De là à voir derrière le masque du Commandeur Léopold Mozart ? La dernière rencontre est fatale au libertin, qui paye pour ses pêchés, ses crimes que la société humaine a été incapable de lui faire payer. Ne voulant se repentir, il est entrainé aux Enfers dans une conclusion moralisatrice. Donna Anna, figure absente chez Molière, apparaît chez Tirso hors scène, mais Da Ponte et Mozart lui donnent une dimension nouvelle, et c’est elle qui sera aimée des Romantiques. Elle est celle qui guide les autres victimes, la fille aimante et désespérée par la mort de son père qui a voulu la défendre, la femme décidée à punir le coupable. Elle est l’opposée de Don Giovanni en ce qu’elle est liée d’amour à Ottavio, même si la rencontre avec Don Giovanni l’en éloigne et la transforme profondément elle aussi, en faisant d’elle une « furie vengeresse ». Il faut ème remarquer aussi qu’elle n’est pas une jeune vierge du XIX siècle, comme l’ont ème imaginée les Romantiques, mais bien une femme du XVIII siècle, capable d’audace puisqu’elle a ouvert sa porte la nuit à Don Giovanni croyant recevoir Ottavio. Donna Elvire est prise dans l’amour-passion, et elle n’est pas dénuée d’un certain comique, du moins au début. Lorsqu’elle entre en scène et qu’elle découvre Don Giovanni, lorsque Leporello lui lit la liste et qu’elle demeure éberluée, lorsqu’elle intervient toujours au moment où Don Giovanni va arriver à ses fins, avec Zerline, et qu’elle représente aux yeux du spectateur le « terzo incommodo » qui tombe mal… Mais, plus complexe que Zerline, elle évolue dans l’œuvre jusqu’à être une figure du pardon, chère à Mozart. La passion qu’elle ressent pour Don Don Giovanni face à la statue du Commandeur dans le film de Joseph Losey 11 concurrencer l’ouvrage de Canazziga et Bertati à Venise… mais au final, la postérité n’en retiendra qu’un, et un seul : le Don Giovanni de Mozart. Conclusion Là où Mozart fait preuve de son génie, ce n’est pas en créant le genre dramma giocoso, terme qui se veut courant à cette époque malgré les idées reçues à ce sujet, mais en faisant exploser le genre par les formes, les types vocaux, le langage et les personnages hérités de la commedia dell’arte. Ici, ce sont les évènements qui dictent la forme musicale, devenant à son tour théâtre. Grand admirateur et lecteur de Shakespeare, Mozart le rejoint sur ce point avec ce mélange de drame et de divertissement. Les portraits psychologiques sont ici plus poussés et mystérieux que dans les opéras antérieurs du maître et l’orchestre est alors peut-être finalement le personnage principal de ce chef-d’œuvre sans égal. Il joue le rôle d’un véritable personnage et conduit l’ouvrage lyrique jusqu’aux dernières notes en s’empreignant de tous les caractères possibles, agitant le spectre du tragique, du surnaturel comme celui de la farce, et contribuant à faire de cet ouvrage lyrique un chef-d’œuvre parmi les chefs-d’œuvres. Les deux personnages antonymes de l’œuvre sont bien sûr Don Giovanni et Le Commandeur, on pourrait même penser que ce sont les uniques acteurs de cette course à l’abyme, ouvrant quasiment et clôturant l’ouvrage avec un point de passage central lors de la scène au cimetière. De ce point de vue, les autres personnages et en particulier les femmes, conquêtes passées ou futures, ne seraient que des « éléments » du développement et de la trame qui opposeraient deux personnages, l’un acteur d’une vie blasphématoire et licencieuse, l’autre juge et garant d’une morale indispensable et « naturelle ». Paradoxalement, le personnage de Don Giovanni ne saurait exister sans les autres, sans les femmes et sans ses prétendus rivaux, son valet à qui il rappelle fréquemment son rang, et la justice divine, qui ose s’opposer à lui. Le personnage fascine, c’est évident. Laissons une nouvelle fois la parole à Goethe, ayant assisté, de passage dans la ville éternelle, à l’opéra Don Juan de Fabrizzi sur des textes de Lorenzi. Bien que ce dernier fut de moindre qualité que la version de Mozart et da Ponte, le poète écrit à son propos : « Quatre semaines durant, tous les soirs, on donna un Don Juan à Rome et l’engouement de la ville fut tel que, jusqu’au boutiquier avec toute sa smala, au parterre et dans les loges, personne ne put vivre qui n’eût point vu Don Juan brûler aux enfers et le Commandeur monter en esprit-saint vers le ciel » (Lettre à Karl Friedrich Zelter, 17 avril 1815). Cette anecdote ne reconsidère nullement le génie de la partition de Mozart mais démontre une fois de plus l’importance, et ici la fascination, source de tous les fantasmes, pour le personnage de Don Juan. La « mode » Don Juan s’empare de l’Italie, où les notes de Gardi sur les mots de Foppa tentent de 12 2) Biographies B) La production 2013 au Festival d’Aix-en-Provence - Dmitri Tcherniakov : Dmitri Tcherniakov est né à Moscou en 1970. Diplômé de l’Académie russe de Théâtre, il met en scène pièces et opéras dans son pays natal comme à l’étranger. Il crée aussi les costumes et les décors de nombre de ses productions. Il remporte de nombreux prix théâtraux, parmi lesquels le prix national du « Masque d’or » à plusieurs reprises. Il est nommé « Meilleur metteur en scène de l’année » dans son pays, pour ses nombreuses productions d’opéras, et reçoit le Prix Franco Abbiati de la critique musicale italienne en 2009. Parmi ses plus importantes productions, signalons The Rake’s Progress de Stravinsky, Eugène Onéguine (au Théâtre Bolchoï de Moscou puis en tournée à l’Opéra National de Paris et à la Scala de Milan), La Légende de la Cité invisible de Kitège de RimskiKorsakov (au Théâtre Mariinski puis, dans une nouvelle version à l'Opéra d'Amsterdam), Une Vie pour le tsar de Glinka et Tristan und Isolde (au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg), Aida (Théâtre d’Etat de Novossibirsk), Boris Godounov (Staatsoper de Berlin), La Khovantchina (Staatsoper de Munich), Le Joueur de Prokofiev (à Berlin et à la Scala de Milan), Macbeth de Verdi à l’Opéra National de Paris, Wozzeck au Bolchoï, Dialogues des Carmélites à Munich, Don Giovanni à Aix-en-Provence et Moscou, Simon Boccanegra à l'English National Opera de Londres, Rouslan et Ludmila de Glinka pour la réouverture du Théâtre Bolchoi historique, Le Trouvère à Bruxelles, Jenufa à l'Opéra de Zurich. 1) Distribution DON GIOVANNI Wolfgang Amadeus Mozart (1756 - 1791) Dramma giocoso en deux actes KV 527 Livret de Lorenzo da Ponte Créé le 29 octobre 1787 au Théâtre National de Prague Direction musicale Mise en scène, scénographie Costumes Lumières Marc Minkowski Dmitri Tcherniakov Elena Zaytseva et Dmitri Tcherniakov Gleb Filshtinsky Don Giovanni Leporello Masetto Don Ottavio Donna Anna Donna Elvira Zerlina Il Commendatore Rod Gilfry Kyle Ketelsen Kostas Smoriginas Paul Groves Maria Bengtsson Sonya Yoncheva Joelle Harvey Anatoli Kotcherga Chœur Estonian Philharmonic Chamber Choir Orchestre London Symphony Orchestra - Marc Minkowski : D’abord bassoniste, Marc Minkowski aborde très jeune la direction d’orchestre, notamment sous le regard de Charles Bruck au sein de la Pierre Monteux Memorial School aux États-Unis. À l’âge de dix-neuf ans, il fonde Les Musiciens du Louvre, ensemble qui prendra une part active au renouveau baroque et avec lequel il défriche aussi bien le répertoire français (Lully, Rameau, Campra, Marais, Mouret, Rebel, Mondonville...) que Haendel (premiers enregistrements du Trionfo del Tempo, d’Amadigi et de Teseo, mais aussi Ariodante, Giulio Cesare, Hercules, Semele, les motets et la musique d’orchestre), avant d’aborder Mozart, Rossini, Offenbach, Bizet ou Wagner. Il sillonne l’Europe, avec ou sans son orchestre, de Salzbourg (Die Entführung aus dem Serail, Die Fledermaus, Mitridate, Così fan tutte) à Bruxelles (La Cenerentola, Don Quichotte de Massenet, Les Huguenots de Meyerbeer, Il Trovatore en 2012) et d’Aix-en-Provence (L’incoronazione di Poppea, Le Nozze di Figaro, Idomeneo, et un nouveau Sérail) à Zurich (Il Trionfo del Tempo, Giulio Cesare, Agrippina, Les Boréades, Fidelio, La Favorite), en passant par la Musikfest Bremen (avec laquelle s’est instauré depuis 1995 un partenariat régulier pour les productions des Musiciens du Louvre Grenoble). Production du Festival d'Aix-en-Provence 2010 Spectacle en italien surtitré en français – 3h10 entracte compris Théâtre de l’Archevêché 5, 8, 10, 13, 15, 18, 20 et 23 juillet 2013 – 21h 13 Régulièrement à l’affiche de l’Opéra de Paris (Platée, Idomeneo, Die Zauberflöte, Ariodante, Giulio Cesare, Iphigénie en Tauride, Mireille) et au Châtelet (La Belle Hélène, La Grande-Duchesse de Gérolstein, Carmen, Die Feen de Wagner en création française), il se produit aussi dans d’autres théâtres parisiens, notamment l’Opéra Comique où il ressuscite La Dame blanche de Boieldieu, dirige en 2002 Pelléas et Mélisande pour le centenaire de l’ouvrage, Cendrillon de Massenet; mais aussi à Venise (Le Domino noir d’Auber), Moscou (création scénique de Pelléas en Russie, spectacle d’Olivier Py), Berlin (Robert le Diable, Trionfo del Tempo en 2012), Amsterdam (Roméo et Juliette, les Iphigénies en Aulide et Tauride), Vienne au Theater an der Wien (Hamlet en 2012) ou au Staatsoper où les Musiciens du Louvre Grenoble furent en 2010 le premier orchestre français à se produire dans la fosse (Alcina de Haendel). Directeur musical du Sinfonia Varsovia depuis 2008, Marc Minkowski est également l’hôte régulier d’orchestres symphoniques avec lesquels son répertoire e évolue de plus en plus vers le XX siècle (Ravel, Stravinsky, Lili Boulanger, Albert Roussel, John Adams, Henryk Gorecki ou Olivier Greif). Souvent invité en Allemagne – par la Staatskapelle de Dresde, l’Orchestre philharmonique de Berlin, le DSO Berlin ou les différents orchestres de Munich – il dirige également le Los Angeles Philharmonic, les Wiener Symphoniker, le Mozarteum Orchester, le Cleveland Orchestra, le Mahler Chamber Orchestra, le Swedish Radio Orchestra, le Finnish Radio Orchestra, l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, le BBCSO, l’Orchestre du Théâtre Mariinsky jusqu’au tout jeune Qatar Philharmonic Orchestra. Après le succès remporté en 2009 par les Musiciens du Louvre Grenoble et leur fondateur au Wiener Konzerthaus lors d’une intégrale des Symphonies londoniennes de Haydn enregistrée live par Naïve – leur éditeur exclusif depuis 2007 –, la même salle les a accueillis pour l’enregistrement de l’intégrale des Symphonies de Schubert (sorti septembre 2012). En mai 2012 s’est déroulé la deuxième édition de « Ré Majeure », le festival que Marc Minkowski a créé sur l’Ile de Ré. Au cours de la saison 2012-2013, Marc Minkowski dirigera Lucio Silla de Mozart à la Mozartwoche de Salzburg, dont il a été nommé directeur artistique. Coproduit avec la Musikfest Bremen, Lucio Silla sera repris à Brême en septembre 2013. Marc Minkowksi fera ses débuts avec le Wiener Philharmoniker en mai 2013, et dirigera le London Symphony Orchestra dans Don Giovanni au Festival d’Aix-enProvence en juillet 2013. A l’automne 2012, il fête les « 30 ans » de son orchestre dans le cadre d’un « Domaine Privé » à la Cité de la Musique et à la Salle Pleyel. 3) Approche de l’œuvre Echange de points de vue entre le metteur en scène Dmitri Tcherniakov et son dramaturge Alexeï Parin, mai 2010. Alexeï Parin, dramaturge En tant que mythe ou « personnage éternel », Don Juan évolue dans l’histoire de l’humanité depuis trois siècles déjà. Il a traversé des farces et des tragédies, des comédies et des drames, des opéras et des opérettes, des films et des peintures. Or au sommet de la pyramide formée par ces libertins hétéroclites qui renversent chacun à leur manière les lois et les principes de la société, et qui tous s’appellent Don Juan, il y a le Don Giovanni de Da Ponte et Mozart. Le compositeur autrichien repensa et développa le canevas savamment agencé et le charmant habillage verbal inventés par son librettiste vénitien, et il en tira une formule-parabole idéale qui, à toutes les époques, conserve son actualité, prouvant ainsi sa valeur immuable. La tradition présente Don Juan comme un séducteur invétéré, obsédé par ses victoires érotiques, qui renie son lien avec les notions mêmes de Péché et de Mal, qui plaide innocent devant la mort et le Jugement Dernier. Mais pourquoi diable le Don Giovanni de Mozart ne reconnaît-il aucune de ses fautes ? Et qu’est ce qui provoque une sympathie si forte pour toutes les escapades de ce « perfide séducteur » ? Pourquoi nous fait-on assister à tous ses festins et ses fêtes, ses jeux et ses provocations ? Et pourquoi la musique de l’arrivée du Commandeur et de sa lutte avec Don Giovanni, à la fin du drame, nous fait-elle découvrir une nouvelle dimension de l’univers, qui n’est pas sans répercussion sur notre vision des choses et du monde ? Des temps nouveaux commençaient quand Don Juan fit son entrée dans l’Histoire. Son désir de bouleverser la morale commune traduisait les aspirations de l’individualisme qui venait de hisser ses couleurs et ne cessait de se renforcer. Les bases altruistes de la vie familiale, de la morale induisant une réglementation rigide de la vie en commun constituaient autant d’obstacles sur la voie d’un individualisme florissant. Ce mouvement était marqué d’un côté par la libération des traditions médiévales, jadis légalisées par l’Eglise et entravant le développement de l’individu, et de l’autre par le retour aux principes ludiques d’antan, quand le jeu et la fête servaient d’outil pour renverser les normes et les règles, frayant la voie à l’individu libre qui s’exprime pleinement aux moments vertigineux de la folie universelle. Dmitri Tcherniakov Je pense qu’à un certain moment de sa vie – peut être suite à une désillusion totale ou à une révision cardinale des valeurs – Don Giovanni a pu accéder à une compréhension nouvelle. Il comprend alors que le sens n’est pas là 14 où tout le monde le trouve habituellement. Il veut revenir sur ses pas, retrouver un comportement naturel, « animal », repartir de zéro, réapprendre à s’écouter luimême, inventer une langue nouvelle, s’extérioriser. Don Giovanni comprend aussi que lui seul, le marginal, la « bête noire », peut faire entendre cette leçon. Et il met alors en œuvre un plan grandiose : apporter une vérité nouvelle au monde des hommes. C’est pour lui comme une mission d’intérêt supérieur : il doit inventer un langage nouveau, retrouver un état antérieur de l’humanité, retourner à la source. système des valeurs bourgeoises, mais d’explorer un chemin autre. Il ne lutte pas «contre», il lutte «pour»! Alexeï Parin La société vigilante doit résister à ce Don Giovanni marginal et semeur de discorde. Et celui qui mène la résistance doit être l’incarnation même de ce code des valeurs. Le Commandeur est cet homme-là. Rempart du pouvoir suprême, ce patriarche ne peut guère rester impassible quand les valeurs éternelles de la morale sont offensées, d’autant qu’il est enjoint par la société de protéger l’ordre établi : en tant que père d’une famille ramifiée, il se bat pour cette institution. Lorsqu’il s’oppose à Don Giovanni, ce n’est donc pas l’honneur de Donna Anna qu’il défend, mais des principes ! Don Giovanni le hait car il est son exact opposé, mais en même temps il existe entre eux un lien intime et inextinguible : son point de vue alternatif sur le monde et la vie humaine s’est formé dès sa jeunesse par une dispute occulte avec des hommes de ce genre. Don Giovanni comprend que son combat avec le Commandeur n’est pas une simple petite guerre locale, mais qu’il s’agit de l’opposition de deux principes fondamentaux : tout ce qui est sérieux et approuvé par la société contre tout ce qui est informel, utopique et antisocial. Et les deux hommes mènent leur combat avec une tension qui ne faiblit jamais. Alexeï Parin Don Giovanni impose sa vision du monde en affirmant un comportement «différent», alternatif, qui sort du cadre de la norme traditionnelle. Et ce comportement n’est pas sans lien avec le sens de la fête, de la dérision et du rire que le philosophe russe Mikhaïl Bakhtine rattache au concept de «culture populaire». Cette dernière, caractérisée par son aspect universel, non-officiel, utopique et hardi, s’oppose à la «haute culture». Souvenons-nous alors du rythme frénétique de l’Air du champagne, des ritournelles baroques de la Sérénade, des trois rythmes de danse superposés lors de la petite fête au palais, et des «airs à la mode» qui sont insérés dans la musique du festin final. Et rappelons enfin que Mozart, auteur de Don Giovanni, n’évitait pas le lexique obscène des «bas-fonds » ni dans sa correspondance (ses lettres à sa cousine Baesle en témoignent), ni dans le quotidien. Ne possédant pas encore la panoplie de l’art post-moderne qui aurait permis un amalgame d’époques, de cultures et de genres, Mozart forge par ses propres moyens un héros « alternatif », « utopiste » – « cool », enfin. Don Giovanni est extrêmement embarrassé lorsqu’il doit articuler sa vision du monde, car il est lui-même en pleine découverte, il expérimente une nouvelle manière de vivre. Ce n’est pas un hasard si notre héros n’a aucun air suffisamment développé pour démontrer son caractère : il vit dans l’action, non dans l’expression. Dmitri Tcherniakov Le fait est que tous les autres personnages tombent dans le piège dressé par Don Giovanni et que, malgré leurs efforts, ils en viennent à le suivre dans ses folies. D’abord forts de leurs principes, ils finissent par les trahir sous l’influence de Don Giovanni, et en même temps ils éprouvent une peur inconsciente, ils ne savent plus que faire ni que croire. C’est qu’il est difficile de devenir vulnérable, d’entrouvrir sa coquille, de dénuder son âme... Tout leur système de valeurs s’écroule donc devant leurs yeux. Mais Don Giovanni n’est pas heureux pour autant : il comprend que son expérience tourne en rond. Hystérique, il essaie de forcer les choses et les gens. Or il n’y a pas de bonne voie. Don Giovanni a raison. Les autres aussi. Il a tort, exactement comme les autres. Personne ne connaît la bonne voie. Et peut-être bien qu’il ne faut pas détruire cette «coquille» de la civilisation, parce qu’on se retrouve alors dans une impasse… A la fin de l’ouvrage, tous les personnages, débarrassés de Don Giovanni et de son influence, sont pressés de remettre leur «plumage», de se retrouver en un lieu connu et bien protégé. Mais le cœur n’y est plus : Don Giovanni n’aurait-il pas eu raison ? Ne leur a-t-il pas montré un autre aspect des choses ? C’est là que se confrontent deux réponses à une seule problématique : comment réussir à vivre sa vie. Nous nous demandons comment notre existence est organisée et structurée, de quoi elle est constituée, nous voulons en comprendre les principes, savoir si nous avons raison Dmitri Tcherniakov Dans notre spectacle, le terrain d’expérience de Don Giovanni présente le modèle de relations humaines le plus réglementé et le plus hiérarchisé possible et qui, tel une forteresse, semble a priori destiné à lui résister. Ce champ d’expérimentation est une famille bourgeoise et riche, avec tout ce que cela implique de règlements implicites, de valeurs établies, de moyens de protection. Cette famille constitue un modèle social hétéroclite et à plusieurs niveaux, mais qui semble inébranlable. C’est aussi une image du monde. Lorsque Don Giovanni rentre dans ce cercle et commence son activité subversive, nous voyons tout de suite à quel point il est marginal, solitaire, « différent ». Lui est seul, eux sont unis. Dès lors, il ne s’agit pas de mettre l’accent sur la stratification sociale. On se trouve plutôt face à une parabole existentielle. Le but de Don Giovanni n’est pas de s’opposer au 15 ou non. Mais fondamentalement, il n’y a pas de réponse univoque. Et à la fin de l’opéra, aucun vainqueur… 16 2) Suggestion d’activités pédagogiques C) Pistes Pédagogiques a) En Education musicale Analyser la première scène en faisant jouer les rôles des personnages (voir Des clefs pour la lecture, C) 1)) par les élèves, comme dans un cours de théâtre. Les laisser ensuite imaginer ce qui pourrait illustrer musicalement cette scène. Puis écouter la scène, avec ou sans le support vidéo, et noter les procédés employés par le compositeur. Etablir la structure de cette scène, préparer un tableau correspondant avec les élèves et remplir ce tableau à l’écoute de la scène (caractères, éléments musicaux, présence et rôle de l’orchestre). On pourra rappeler ou expliquer ce qu’est un opéra, soit à partir de la recherche de mots clés, soit à partir d’un exposé qui peut tout à fait se présenter sous la forme d’un diaporama informatique, que les élèves auront créé en salle dédiée ou à la maison. On demandera aux élèves d’établir un tableau relevant les différents types de voix utilisées dans l’opéra de Mozart et à quels personnages ils sont associés. Cette manière de procéder est-elle typique du compositeur ou répond-elle à une forme de convention ? On relèvera les raisons qui imposent l’italien comme langue « officielle » de l’opéra à l’époque de Mozart. L’ouverture donnera l’occasion au professeur de rappeler la composition de l’orchestre qui accompagne généralement l’opéra. Il peut parler de l’évolution de cette formation plus précisément dans ce genre. L’ouverture de Don Giovanni se structure en deux parties de longueurs inégales et que l’on distingue par une opposition très nette de leurs caractères respectifs : la première étant dramatique et sombre, la seconde joyeuse et dynamique. On pourra demander aux élèves d’en chronométrer les durées respectives. Ils remarqueront alors qu’une place plus importante est donnée à la deuxième partie. Le professeur les incitera à réfléchir sur l’appellation dramma giocoso proposée par Mozart pour définir son œuvre et dont les deux termes s’opposent de la même façon. En conclusion, ils pourront ensemble s’interroger sur la place que donne le compositeur aux styles seria et buffa dans son œuvre, et dans quelles proportions ils y sont représentés. Don Giovanni est avant tout un personnage d’action. On écoutera les trois airs principaux qui lui sont attribués avec la traduction. On cherchera comment la musique accompagne ce personnage tout en mouvement. On s’attachera plus particulièrement à la manière dont est articulé le texte et quel trait du personnage est induit. On pourra demander pour chaque extrait de mimer la posture que pourrait pendre Don Giovanni dans chaque scène, se transformant en statue emblématique du personnage. 1) Des clés de lecture pour l’ouverture et la première scène Exemple avec l’ouverture et la première scène : Leporello / Donna Anna, Don Giovanni puis le Commandeur : L’ouverture présente et oppose deux idées, deux caractères : l’un en ré mineur, lancinant et obstiné, qui préfigure la mort, le châtiment, et l’apparition de la statue du Commandeur, l’autre en ré majeur, virevoltant et tournoyant, vif et insouciant, à l’image du gentilhomme qui dévore la vie à toute allure pour finalement tourner en rond. Ici le contraste et l’opposition sont flagrants entre deux mondes qui s’affrontent, l’un les pieds sur terre (et pourtant c’est le surnaturel qui punit Don Giovanni) et l’autre perché dans les hauteurs de la portée sur la partition. En quelques minutes, nous passons de la farce au drame, ce qui caractérise particulièrement cette œuvre. Du monologue grincheux et comique de Leporello à la mort du Commandeur, seules quelques pages peignent les contrastes et les caractères de cet opus protéiforme. L’ouverture à peine terminée, voici que Leporello se plaint déjà de son sort dans un air léger et divertissant. Pendant que son maitre est dans les étages avec sa « belle », il est chargé de faire le guet. L’orchestre est sautillant, souvent à l’unisson et homorythmique de la mélodie accompagnée du soliste. Arrivent alors Don Giovanni, se dissimulant le visage, poursuivi par Donna Anna. Le ton monte et les deux nouveaux arrivants se disputent pendant que Leporello se cache. L’orchestre se fait plus présent et le registre s’élargit, Donna Anna chantant aisément dans les aigus. Le Commandeur, père de Donna Anna, barre alors la route à Don Giovanni. Le climat est plus tendu, le texte plus haché et les silences pesants. L’orchestre prend alors la place d’un véritable personnage, figurant bon nombre de situations. Le tempo s’accélère et les traits de doubles croches illustrent le combat quand tout s’arrête pour peindre la mort du Commandeur. La pulsation aux cordes graves figure les battements de cœur du mourant et la descente chromatique la mort qui s’empare du corps du patriarche, scène ô combien émouvante et singulière dans toute l’histoire de l’opéra. 17 Leporello est un personnage issu de l’opéra-bouffe. L’Air du catalogue est un des morceaux les plus représentatifs du personnage. Les élèves pourront en découvrir le texte par la traduction, puis choisir parmi la liste un type de femme dont ils feront la description, à la manière des Caractères de La Bruyère par exemple. Cet exercice sera relayé en arts plastiques par la constitution d’une galerie de portraits et d’une création sonore en éducation musicale ou d’un montage d’accompagnement qui pourrait aboutir à un diaporama. Les élèves pourront aussi étudier une chanson à énumération, telle que Oh! Hé! Hein! Bon! de Nino Ferrer ou encore La Complainte du Progrès de Boris Vian, et en relever le caractère comique, que l’on retrouve dans l’air composé par Mozart. Donna Anna représente la noblesse. Son personnage appartient plutôt au style seria. Il serait d’ailleurs intéressant de faire un tableau récapitulatif classant les différents personnages selon le style auquel ils appartiennent, à la fin de l’étude de Don Giovanni, de façon à réfléchir encore une fois à l’intitulé dramma giocoso proposé par Mozart et au juste équilibre que réclament ces deux termes. Une première écoute de l’air Or sai chi l’onore permettra de noter les différents sentiments exprimés par la musique. Puis dans une seconde écoute, accompagnée du texte cette fois-ci, on relèvera les mots mis en valeur par la musique, en correspondance avec les sentiments exprimés. On soulignera alors la virtuosité demandée à l’interprète et le style qu’elle induit. Donna Elvira est un personnage en proie à divers sentiments dans lesquels dominent la colère, l’hystérie et la compassion. On pourra comparer un air comme Ah fuggi il traditor à d’autres airs similaires de l’époque baroque, très représentés dans cette période et en dresser les points communs et les points divergents. On proposera aux élèves un jeu théâtral sur l’expression des sentiments : un groupe d’élèves devra faire évoluer l’interprétation d’un sentiment vers son contraire, par exemple du rire à la tristesse, de la joie à la colère, chaque intervenant étant une graduation de l’un vers l’autre. On cherchera dans la tragédie classique des scènes de colère, voire d’hystérie, en s’interrogeant sur le caractère parfois caricatural que l’on peut trouver aussi chez Donna Elvira. Don Ottavio est l’image de l’amoureux transi et cette position lui donne un côté un peu raisonnable qui s’oppose à la fougue de Don Giovanni. En analysant, à l’écoute, la structure très nette de son air Il mio Tesoro, on remarquera avec les élèves que la beauté de ce morceau va de pair avec un enchaînement presque convenu des différentes parties, marqué de longues tenues ou de vocalises. Finalement, l’air est à l’image du personnage, quasi parfait mais sans surprise. Zerlina est un personnage attachant dont les airs dévoilent la finesse et l’intelligence sous différentes facettes. Cependant, le duo célèbre qu’elle chante avec Don Giovanni, permettra à lui seul de définir ce rôle. On s’attachera tout d’abord à la découverte du recitativo secco précédent, en soulignant la liberté de jeu et d’expression qu’il offre et qui est perceptible par la variété des intonations et des tempi. Le texte pourrait d’ailleurs donner la possibilité d’un exercice de diction, dont la consigne insisterait sur la nécessité de varier les inflexions de la voix et la vitesse du débit de la parole. Ce serait aussi l’occasion d’écouter d’autres formes de récitatifs, pour voir comment la liberté totale d’expression est relayée aux instruments, par un accompagnement plus soutenu de l’orchestre dans un récitatif accompagné. On peut aussi s’interroger sur la part d’expressivité donnée à la voix dans d’autres formes de « parlé-chanté » tels que le Sprechgesang, le rap ou encore le slam. On procédera ensuite à une première écoute du duo La ci darem la mano pour en définir la structure en deux parties. On notera la différence de tempi entre les deux sections qui induisent un changement radical dans la psychologie de Zerlina, qui passe du doute et de l’hésitation à un engagement enthousiaste. On relèvera la manière dont se distribuent les voix, passant d’un dialogue, à une homorythmie fusionnelle. On demandera ensuite aux élèves de jouer la scène, en parlant, en français sous forme de texte improvisé ou avec une traduction ou encore en italien. Ce duo pourra aussi donner lieu à une interprétation de la classe, le rôle de Zerlina chanté par les filles, celui de Don Giovanni par les garçons, en transposant ce duo à la quinte inférieure, en ré majeur. Masetto par certains côtés pourrait faire penser à Figaro relégué à la place de second rôle. Il en garde cependant le côté révolté. On pourra aborder l’étude de ce personnage en faisant écouter quelques chants révolutionnaires et en notant avec les élèves l’efficacité de la simplicité musicale de ces morceaux. On écoutera ensuite l’unique air de Masetto Ho capito, en soulignant les similitudes avec les airs révolutionnaires. On pourra ensuite écouter l’air de Figaro Se vuol ballare en notant les traits communs de caractère entre les deux personnages, tracés par la musique. Ce moment permettra aussi de rappeler les idées véhiculées à l’époque par les philosophes des Lumières. Le commandeur donne à l’opéra une dimension surnaturelle, presque fantastique. Dans un premier temps, on pourra chercher avec les élèves d’autres rôles de personnages fantastiques dans l’histoire de l’opéra (comme par exemple dans David et Jonathas de Charpentier ou dans The Fairy queen de Purcell). On notera l’utilisation de la voix pour chacun des personnages, les inflexions qui leur sont demandées (comme dans l’Air des sorcières chez Purcell ou l’Air du ténor dans Carmina Burana de Carl Orff) et la place particulière des voix extrêmes, les basses profondes par exemple, dans de nombreux rôles. On pourra aussi évoquer les problèmes de mise en scène liés à l’intervention du surnaturel dans l’opéra et ème rappeler l’importance des machineries au XVIII siècle. Les élèves pourront, avec l’aide de leur professeur de technologie, concevoir un décor de la scène finale de Don Giovanni incluant la statue du commandeur, (habitée, carénée ou maquillée…) et proposer différents moyens de faire disparaître Don Giovanni. 18 L’orchestre dans Don Giovanni tient un véritable rôle au sens dramaturgique du terme à deux moments précis : lors du bal ordonné par Don Giovanni en l’honneur des futurs mariés et au début du banquet dont l’issue sera fatale à Don Giovanni. On pourra rapprocher cette utilisation « intra diégétique » de l’orchestre à la musique de film en projetant aux élèves des exemples qui sont nombreux dans l’histoire du cinéma : musiques militaires dans Pirates des Caraïbes, musique d’ambiance dans un hôtel de La mort aux trousses, répétition dans un train de Certains l’aiment chaud… On notera l’extrême modernité de la scène de bal qui superpose musique « intra diégétique » à la musique « extra diégétique » de l’opéra, si l’on peut qualifier ainsi la musique inhérente au genre… L’utilisation de l’orchestre en tant qu’acteur dans la scène finale, donne à Mozart l’occasion de citer un des airs les plus populaires des Noces de Figaro. On dirait aujourd’hui qu’il propose une private joke à son public. Pour faire ressentir le caractère comique de cette autocitation, on pourrait encore utiliser le cinéma de la façon suivante : projeter le générique du film Attrape moi si tu peux dont la musique est devenue familière à la plupart de nos oreilles, puis regarder un extrait du dessin animé des célèbres Simpsons (saison 15, épisode 18) qui reprend le graphisme du générique et en partie la musique, créant une complicité souriante avec les spectateurs. En écoutant ensuite l’Air de Figaro, puis sa transposition dans Don Giovanni, on comprendra l’intemporalité du comique parodique. Pour conclure l’étude de cet opéra, on pourra demander aux élèves de confectionner un quizz, sous forme d’un jeu : on brossera un portrait ou un événement qui lui est lié, il faudra trouver le personnage qui lui est associé, comme par exemple : « Au début du deuxième acte, je révèle mes talents de joueur de mandoline, qui suis-je ? ». Proposition d’une séquence d’éducation musicale à partir des pistes pédagogiques Autour du duo de Zerlina et Don Giovanni La ci darem la mano Don Giovani : Enfin, ma Zerlinette, nous voilà débarrassés de ce nigaud/nous l’avons proprement mis à la porte Zerlina : Monsieur, c’est mon mari/ DG : Qui ? Ce rustaud ?/ Croyez-vous qu’un seigneur/un noble chevalier, tel que moi/puisse souffrir que ce visage charmant/ces yeux incomparables/soient profanés par un vil paysan ?/ Z : Mais, seigneur/j’ai donné ma parole de l’épouser/ DG : Ta parole ne vaut rien/Ton destin n’est pas d’être paysanne/une autre vie attend ces yeux si brillants/ces lèvres si belles/ces mains si douces et fluettes/que je peux toucher et sentir comme la rose/ Z : ah ! je ne veux pas/ DG : Qu’est-ce que tu ne veux pas ?/ Z : qu’à la fin, je ne sois abusée/Je sais que souvent avec les femmes/vous autres chevaliers n’êtes pas honnête, ni sincère/ DG : Eh, c’est un mensonge du peuple !/Toute noblesse porte dans son regard, l’honneur !/Allons, ne perdons de temps/à l’instant même, je veux t’épouser !/ Z : Vous ?/ DG : Bien sûr, moi !/Ce château est à moi/Nous serons seuls/et là/ma belle/nous nous marierons. Cours n°1 • Les élèves écoutent le récitatif Alfin siam liberati qui précède le La ci darem la mano de l’Acte I, scène 9. • Un échange entre élèves et professeur permet de dégager quelques remarques portant sur l’accompagnement très dépouillé et la mise en valeur de la prosodie. 19 • Une seconde écoute est proposée aux élèves qui doivent chercher une pulsation. La difficulté de l’exercice montre que le tempo est dicté par la parole et l’expression du texte, ce qui laisse une grande liberté aux chanteurs. Refrain Roméo kiffe Juliette et Juliette kiffe Roméo Et si le ciel n’est pas clément tant pis pour la météo Un amour dans l’orage, celui des dieux, celui des hommes Un amour, du courage et deux enfants hors des normes • On rappelle la signification des mots utilisés : tempo, pulsation, récitatif. • Le texte traduit est donné aux élèves. On répartit la lecture du texte entre différents membres du groupe, sans forcément reproduire l’alternance du duo, mais plutôt en cherchant un découpage conforme aux respirations et à la ponctuation. Chaque intervenant cherche ensuite à varier l’intonation de la phrase qu’il a à dire. On demande alors à un petit groupe d’élèves de ponctuer chaque phrase par une intervention sonore improvisée à l’aide de percussions, en donnant une intention (en fonction du texte : doute, précipitation, affirmation…). On cherche enfin à affiner la caractéristique de chaque intervention en jouant sur la durée, l’intensité… de façon à trouver une cohérence globale. 2- Juliette et Roméo se voient souvent en cachette Ce n’est pas qu’autour d’eux les gens pourraient se moquer C’est que le père de Juliette a une kippa sur la tête Et celui de Roméo va tous les jours à la mosquée Alors ils mentent à leurs familles, ils s’organisent comme des pros S’il n’y a pas de lieux pour leur amour, ils se fabriquent un décor Ils s’aiment au cinéma, chez des amis, dans le métro Car l’amour a ses maisons que les darons ignorent • On enregistre en fin de séance la production des élèves. Refrain Cours n°2 : 3- Le père de Roméo est vénèr, il a des soupçons La famille de Juliette est juive, tu ne dois pas t’approcher d’elle Mais Roméo argumente et résiste au coup de pression On s’en fout papa qu’elle soit juive, regarde comme elle est belle Alors l’amour reste clandé dès que son père tourne le dos Il lui fait vivre la grande vie avec les moyens du bord Pour elle c’est sandwich au grec et cheese au McDo Car l’amour a ses liaisons que les biftons ignorent • Le professeur propose une écoute comparative autour de l’idée d’un chant proche de la parole : > Réécoute du recitativo secco : Alfin siam liberati > Ecoute d’un recitativo accompagnato : Mà qual mai s’offre… (Acte I, scène 3 jusqu’à la mesure 62) Refrain > Ecoute d’un exemple de Sprechgesang : Mondestrunken, première pièce du Pierrot Lunaire de Schœnberg. 4- Mais les choses se compliquent quand le père de Juliette Tombe sur des messages qu’il n’aurait pas dû lire Un texto sur l’i-phone et un chat Internet La sanction est tombée, elle ne peut plus sortir Roméo galère dans le hall du bâtiment trois Malgré son pote Mercutio, sa joie s’évapore Sa princesse est tout près mais retenue sous son toit Car l’amour a ses prisons que la raison déshonore Mais Juliette et Roméo changent l’histoire et se tirent À croire qu’ils s’aiment plus à la vie qu’à la mort Pas de fiole de cyanure, n’en déplaise à Shakespeare Car l’amour a ses horizons que les poisons ignorent > Ecoute d’un exemple de slam : Roméo kiffe Juliette de Grand Corps Malade Roméo Kiffe Juliette, Grand Corps Malade 1- Roméo habite au rez-de-chaussée du bâtiment trois Juliette dans l’immeuble d’en face au dernier étage Ils ont 16 ans tous les deux et chaque jour quand ils se voient Grandit dans leur regard une envie de partage C’est au premier rendez-vous qu’ils franchissent le pas Sous un triste ciel d’automne où il pleut sur leurs corps Ils s’embrassent comme des fous sans peur du vent et du froid Car l’amour a ses saisons que la raison ignore Refrain 20 Roméo kiffe Juliette et Juliette kiffe Roméo Et si le ciel n’est pas clément tant pis pour la météo Un amour dans un orage réactionnaire et insultant Un amour et deux enfants en avance sur leur temps. la séquence, en collant le premier travail de création à partir du récitatif et l’interprétation du chant sur lequel on peut rajouter une mise en espace. Cours n°5 : On pourra demander à la classe de chanter le refrain du slam de Grand Corps Malade, en alternance avec un soliste qui déclamera les différents couplets, tandis que la pulsation sera donnée par un élève à la percussion. • On procède à l’enregistrement du montage, puis on termine la séance par la projection d’œuvres picturales, en cherchant les correspondances que l’on peut établir entre les images et les différentes étapes de la scène (doute de Zerlina, empressement de Don Giovanni, union des personnages) • On remarque au fur et à mesure des écoutes, un cadrage de plus en plus grand du texte par un accompagnement « pulsé », on note que l’expression musicale du texte est soulignée par une instrumentation colorée et par un tempo de plus en plus marqué. • On note les mots à retenir : Sprechgesang, slam, recto-tono et quelques termes définissant les différences de tempi (adagio, andante, allegro, presto…). Cours n°3 : • Les élèves écoutent cette fois-ci, le duo La ci darem la mano précédé de son récitatif. Ils remarquent que l’air est structuré en deux parties qui se distinguent par leur tempo respectif. Le Baiser à la dérobée Jean-Honoré Fragonard 1766 • On donne le texte avec sa traduction et l’on essaye de repérer à quel moment se produit le changement de tempo ; On note que cela correspond à un changement dans l’attitude des protagonistes, corrélé à une distribution différentes des voix, puisque l’on passe d’une alternance (dialogue) à une homorythmie. Angélique et Médor Antonio Bellucci 1654 • On demande de jouer la scène, soit en improvisation d’après le texte, soit à l’aide du texte en français. • On commence à apprendre le chant, en classe entière, puis en deux groupes, garçons et filles, en transposant le texte original une quinte plus bas, c’est-à-dire en ré majeur, en cherchant à garder l’expressivité trouvée à travers le travail de mise en scène. Cours n°4 : • Une partie du cours est consacrée à la finalisation de l’apprentissage du chant, puis le groupe met en place un montage des différentes activités proposées durant Danse à la ville Pierre-Auguste Renoir 1883 21 Fiche pédagogique correspondant à la séquence : Niveau 5°/4° Séquence n° : Pré-requis : l’élève sait identifier la pulsation d’un morceau Objectifs Percevoir et produire : l’élève identifie la pulsation. Il apprend à décrire et identifier les différents tempi. Il apprend que la musique peut avoir un temps pulsé (air) ou plus libre (récitatif), en fonction de l’expressivité voulue par le compositeur. Il apprend que le tempo peut varier en fonction de l’effet théâtral voulu. Il apprend que continuité et rupture sont des éléments dramatiques. Construction d’une culture : l’élève apprend que dans l’opéra, la musique est soumise à des impératifs multiples, de part son caractère englobant plusieurs genres artistiques. Questions transversales : Arts, espace, temps/Arts, rupture et continuité Compétences visées Domaine de la voix et du geste : l’élève apprend à maîtriser son corps pour : attitude et posture -maîtriser sa voix et sa respiration -interpréter différents genres vocaux -y associer une mise en espace évaluation : -capacité à chanter en groupe -capacité à s’engager individuellement -capacité à allier voix et geste Domaine du temps : évaluation : -l’élève sait identifier une pulsation -l’élève apprend à distinguer et identifier différents tempi -l’élève différencie un temps libre d’un temps pulsé -l’élève montre qu’il sait identifier différents tempi par le geste -par l’écoute, il nomme le tempo -l’élève identifie différentes formes de temps Domaine des styles : situation évaluation : -l’élève repère les matériaux caractéristiques d’une époque -création vocale à partir du récitatif -création d’une mise en espace -enregistrements de la classe Œuvre de référence : La ci darem la mano Acte I, scène 9 Projet musical : création, interprétation et mise en espace Compétences associées Domaine du timbre et de l’espace : -reconnaître les instruments évaluation : -nommer les instruments accompagnateurs Domaine de la forme : L’élève repère la structure d’un air évaluation : -capacité à distinguer les différentes sections d’un morceau Vocabulaire : dénomination des tempi, récitatifs sec et accompagné, air, duo, Sprechgesang, slam… 22 b) En Arts plastiques Il est possible de concevoir plusieurs affiches pour annoncer le spectacle, en proposant aux élèves d’imaginer le personnage titre en costume d’époque ou en costume d’aujourd’hui et en leur demandant quel impact peut produire sur le public ces différents « partis pris ». On peut aussi, dans le même esprit mais d’une manière plus ludique, créer une bande-annonce de l’opéra avec les élèves, grâce à un logiciel adapté et gratuit. Il est important de rappeler le rôle de l’Ouverture. On peut le comparer au générique d’un film, à la différence qu’elle se joue rideau fermé. Une analyse du rapport image et bande sonore dans un film célèbre, comme par exemple La mort aux trousses d’Hitchcock, permettra de dégager la fonction du générique et de voir quelles sont les similitudes et des différences que l’on observe dans une ouverture d’opéra. On peut enfin comparer plusieurs peintures de l’époque de Don Giovanni, ainsi que d’époques ultérieures, et en définir les esthétiques et les courants artistiques (comme le Néoclassicisme et le Romantisme naissant) dont l’opéra de Mozart est contemporain : La Mort de Socrate Jacques-Louis David 1787 Vue du Temple de l’Amour dans le jardin anglais du Petit Trianon Louis Nicolas de Lespinasse 1787 Les Vendanges Francisco Goya 1787 23 Apothéose des héros français morts pour la patrie pendant la guerre de la Liberté Anne-Louis Girodet 1787-1801 Voyageur contemplant une mer de nuages Caspar David Friedrich 1818 Le Radeau de la Méduse Théodore Géricault 1819 24 c) En Lettres Le professeur pourra étudier la pièce de Molière Dom Juan et la comparer au livret de Da Ponte pour définir les points de vue de chacun des auteurs sur ce personnage mythique et sur le message qui nous est transmis. Cette étude sera l’occasion de rappeler l’historique de la naissance de ce personnage et du statut de mythe qu’il a acquis aujourd’hui. Le professeur demandera aux élèves de chercher des renseignements sur l’illustre Casanova dont s’est servi Da Ponte pour brosser les traits généraux de son personnage. Il serait intéressant de débattre sur la façon dont Don Giovanni est perçu par les élèves : héros ou « very bad boy » ? Et parallèlement, sur l’image de la femme véhiculée par cette œuvre. L’Espagne représente un « ailleurs » attirant pour de nombreux dramaturges et compositeurs à l’époque baroque et à l’époque classique. L’étude de Don Giovanni sera l’occasion d’évoquer certaines de ces œuvres et de s’interroger plus généralement sur la part d’exotisme accordée à un pays et des possibilités dramaturgiques qu’elle offre. d) En Histoire On pourra situer Don Giovanni dans son contexte historique et se poser la question de savoir si l’on trouve des indices qui annonceraient un événement majeur qui a marqué l’Europe entière : la Révolution Française. On demandera aux élèves d’établir un tableau chronologique de correspondance entre l’œuvre de Mozart, les évènements politiques de son époque et les progrès de la science. e) Autres pistes possibles : S’imprégner du Werther de Goethe qui attise déjà les passions et marque la naissance d’une nouvelle esthétique. Visionner les mêmes scènes dans des captations vidéo de productions différentes et analyser les procédés des metteurs en scènes. S’appuyer sur le long-métrage de Joseph Losey à la distribution singulière. 25 Musicalement, Il n’y a aucun « thème de Don Giovanni » dans la partition, alors qu’il y a les violons du Commandeurs, et une facture spéciale pour chacun des autres personnages, un « style » pour Elvire, Anna, Ottavio, Zerline, Leporello ou Masetto. Ainsi, l’ouverture est sous le signe du Commandeur, tout comme la scène de la disparition de Don Giovanni. Baryton, il se maintient le plus souvent dans le registre aigu, preuve de son impatience et de son excitation permanentes. Quand il est inquiet ou qu’il a peur, sa voix gagne de l’étendue. Mais surtout il s’adapte aux 3 partenaires vocaux : avec Zerline, il restreint son ambitus , avec Masetto, il se cantonne dans l’ambitus du partenaire, avec Elvire son agitation se traduit par la montée de la voix, puis il reprend son calme en chantant la sérénade. Dans la scène où elle viendra le supplier, il chante dans l’aigu, comme pour la provoquer. Et s’il entre dans le registre du Commandeur vivant, il ne chante plus que de façon restreinte à la fin, jusqu’au dernier cri sur un ré aigu. Il est le seul personnage de cet opéra qui ne soit pas un type humain déterminé, qui change constamment de couleur musicale. Il n'éprouve pas le besoin d'expliquer ses motivations ou ses sentiments. Si sa tessiture de baryton (voix médium, grave) passe partout, il est pourtant unique, et reste droit dans la tempête comme le conçoivent les romantiques, affrontant son destin à l’image d’un Ruy Blas ou d’un Rodrigue. D) Pour aller plus loin : personnages (les rôles, les voix) La distribution des voix est toujours pour le compositeur un élément essentiel et une contrainte qui dirige aussi sa création. La seule voix de « basse noble » est celle du Commandeur ; Don Giovanni et Leporello ont presque le même timbre ; celui de Masetto, quoique du même ordre, est plus réduit ; les deux voix de soprano d'Elvira et Anna sont à égalité ; Zerline a une voix plus grave et peut être ème ème chantée par une mezzo-soprano. Aux XVII et XVIII siècles, où le chanteur n’est pas acteur mais essentiellement interprète vocal, le chant baroque est centré sur 1 les vocalises, et les rôles sont donnés aux chanteurs en fonction de leur tessiture , de leur puissance sonore et de leur capacité de virtuose. Le chanteur est asexué, le 2 fait d’être homme ou femme ne déterminant pas la prise de rôle, et le castrat est en pleine gloire. La typologie vocale est alors composée de quatre catégories : soprano, alto ou contreténor, ténor et basse. C’est à Mozart surtout qu’on doit ce qu’on appelle les « emplois dramatiques »: une nouvelle classification vocale voit le jour, au fur et à mesure de ses créations, car dans Idoménée par exemple, les rôles sont encore dramatiquement flous. Six catégories existent désormais : soprano, mezzo soprano, alto, ténor, baryton et basse. On subdivise ces catégories en sous catégories, déterminées par les emplois dramatiques, et chaque rôle correspond à sa « voix ». Par exemple, la voix de soprano est subdivisée en soprano léger (ou colorature), soprano lyrique, soprano dramatique, soprano di mezzo carrattere… Le baryton prend aussi plus d’importance, et dans Don Giovanni, par exemple, il y a trois rôles de baryton : Mazetto, Leporello et Don Giovanni, le héros, ce qui est encore peu fréquent. Leporello : la tessiture est également celle d’un baryton, même si toutefois la véritable appellation serait la basse « bouffe », sans parler des talents de comédien que le rôle requiert. Avec la même voix que son maître, ce qui rend facile et plausible les inversions de rôle dans la pièce, il entretient avec Don Giovanni une relation quasi de couple, c’est même lui qui reçoit les invités à la maison. Il a une étendue de voix très ample, plus encore que celle du Commandeur. C’est également lui qui a la tessiture la plus large, couvrant deux octaves. Dans l’Air de la liste il parcourt presque toute l’étendue de sa voix, le contraste entre la rapidité du tempo et l’utilisation de l’étendue de la voix donne un caractère buffo à l’aria. Don Giovanni : sa tessiture serait celle d’une basse chantante, c'est-à-dire qui monte relativement aisément dans les aigus. Aujourd’hui le rôle est tenu par des barytons mais il faut préciser qu’à l’époque de Mozart, cette appellation n’existait pas. Masetto : lors de la création, une seule et même personne tenait le rôle du Commandeur et de Masetto, les deux personnages n’étant jamais ensemble sur scène (le procédé n’est plus d’actualité). Baryton, il utilise une étendue limitée, cependant dans le final du premier acte, son affolement le fait descendre au la bémol grave. 1 La tessiture est l’étendue totale entre deux notes extrêmes d’un rôle, et au sein de cette étendue, la région dans laquelle se tiennent la voix et l’écriture vocale. 2 Castrat: de l’italien castrato, châtré. La pratique de la castration pour des raisons musicales a été pratiquée en Espagne et en Italie aux XVII° et XVIII° siècles. Les castrats sont souvent dotés de timbres particuliers, capables de performances vocales, et souvent d’une admirable technique. L’opéra français n’emploiera jamais de castrats. Mozart, pour sa part, éprouvait de la réticence vis-à-vis de cette voix. 3 Etendue d'une mélodie, d'une voix ou d'un instrument, entre sa note la plus grave et sa note la plus élevée. 26 Zerline : l’air du duo Là ci darem la mano est déjà indiqué dans quelques accords d’accompagnement dans l’Air du Catalogue et dans l’air de Masetto au début de la noce. Le spectateur comprend immédiatement que Zerline va finir sur la liste elle aussi, ce qui la transforme de femme et épouse infidèle en victime. Elle résiste – faiblement – et se rend assez vite. L’air est simple, ce qui signale le rang inférieur de Zerline : si elle avait été une dame de qualité, il eût été indispensable d’introduire par une orchestration la romance qui fait suite de façon immédiate au récitatif. A noter que Zerline fut considérée à l’origine comme la primadonna de l’œuvre. Concernant sa tessiture, simple et apparemment naïve, elle descend un peu dans Là ci darem la mano, comme si elle montrait sa gravité. Dans la scène du final de l’acte I, son cri “Aiuto” lui permet d’affirmer son étendue vocale. Le danger passé, elle retrouve son ambitus habituel. Ottavio : ses deux airs sont parmi les plus beaux de la partition, ce qui le valorise et lui donne une présence évidente, notamment par sa voix de ténor, à la différence des autres personnages masculins. Au timbre pondéré et doux, représentant la loi et le véritable amour, sa voix n’atteint pas des hauteurs particulières, sauf dans l’air Il mio Tesoro où il partage le désir de vengeance des autres et s’élève à un certain héroïsme. Donna Anna : son étendue vocale se révèle plus constante que celle d’Elvire, elle se maîtrise davantage, malgré sa douleur, elle atteindra à deux moments les notes extrêmes dans l’adagio de la scène 18 et dans son aria du second acte. Elle est annonciatrice de la mort de Don Giovanni de par la musique même : ainsi lorsqu’elle reconnaît son agresseur en Don Giovanni à son intonation, les accords joués sont ceux qui accompagneront l’arrivée du Commandeur. Donna Elvira : dans son aria célèbre de la fin, elle chante son pardon, dans un style différent de son air d’entrée sur scène. Elle a perdu sa raideur et sa fureur, elle pardonne, du moins l’espace d’un moment, au traître qu’elle a tant aimé. Ses dernières paroles seront des paroles de malédiction avant de retourner à la solitude du couvent. Première de Don Giovanni à Vienne Le Commandeur : basse noble, il chante dans l’octave ré aigu/ré grave. Lorsqu’il devient la Statue, il gagne dans toute l’étendue de son registre. Son charisme grandit au cours de l’ouvrage, évoluant de la première scène à la scène au cimetière, pour atteindre son apogée au banquet final. Sa voix adopte un discours de plus en plus haché et posé, affichant sa gravité. 27