Note du Cerfa 48 Politique industrielle ou politique de la compétitivité? Discours et approches en Allemagne Henrik Uterwedde Novembre 2007 Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) L’Ifri est, en France, le principal centre indépendant de recherche, d’information et de débat sur les grandes questions internationales. Créé en 1979 par Thierry de Montbrial, l’Ifri est une association reconnue d’utilité publique (loi de 1901). Il n’est soumis à aucune tutelle administrative, définit librement ses activités et publie régulièrement ses travaux. En 2005, l’Ifri a ouvert une branche européenne à Bruxelles. Eur-Ifri est un think tank dont les objectifs sont d’enrichir le débat européen par une approche interdisciplinaire, de contribuer au développement d’idées nouvelles et d’alimenter la prise de décision. Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que la responsabilité des auteurs. Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) © Tous droits réservés, Ifri, 2007 - www.ifri.org ISBN : 978-286592-218-5 EUR-IFRI IFRI 27 rue de la Procession 22-28 av. d'Auderghem 75740 paris cedex 15 - France B -1040 Bruxelles - Belgique TEL.: 33 (0)1 40 61 60 00 TEL.: 32(2) 238 51 10 FAX: 33 (0)1 40 61 60 60 FAX: 32(2) 238 51 15 E-Mail: [email protected] E-Mail: info.eurifri.ifri.org SITE INTERNET: www.ifri.org Sommaire INTRODUCTION ..................................................................................... 2 Qu’est-ce que la politique industrielle ? ...............................................3 UN INTERVENTIONNISME DISCRET, MAIS RÉEL ...................................... 5 Le volontarisme politique dans le discours et en pratique ................5 Fédéralisme et néocoporatisme : un système d’acteurs multiples .............................................................6 L’INTERVENTIONNISME GAGNE DU TERRAIN, MAIS LE RÉFÉRENTIEL RESTE LIBÉRAL .................................................. 9 À NOUVEAU CONTEXTE, NOUVEAUX DÉBATS : .................................... 12 Un patriotisme économique à l’allemande ? ......................................12 Les investisseurs financiers — des « sauterelles » ? ......................12 « Libéraux mais pas dupes » — le conflit sur EADS.........................13 Comment se protéger contre les « fonds souverains » ? ................14 CONCLUSION...................................................................................... 17 1/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? Introduction Il serait préférable que l’Allemagne intervienne (…) moins au profit de son industrie car celle-ci a toujours profité du fait d’avoir été exposée tôt aux marchés mondiaux. Aujourd’hui, les exportations allemandes vont bien, à la différence des exportations françaises. La politique industrielle de Sarkozy n’est pas un signe de force, mais de faiblesse. L. Meier, Financial Times Deutschland, 11 septembre 2007 En Allemagne, l’approche française semblerait impensable – mais seulement en ce qui concerne le style. Dans notre pays, la politique ordolibérale est en effet en retrait et la politique industrielle avance. (…) Aujourd’hui les hommes politiques se prononcent eux aussi sur la direction que devraient prendre, selon eux, les entreprises et les branches. M. Döbler, A. Sirleschtov, Der Tagesspiegel, 9 septembre 2007 a politique industrielle reste décidément une pomme de discorde L entre la France et l’Allemagne. Des différends, voire des conflits, ont récemment fait l’actualité à ce sujet. La crise au sein d’EADS a opposé les deux gouvernements dans un bras de fer sans précédent qui a envenimé les relations bilatérales. L’activisme du nouveau président français dans le domaine industriel inquiète l’Allemagne, qu’il s’agisse des plans de méga-fusions « franco-françaises » — réalisés (comme dans le cas de GdF-Suez) et annoncés (le 6 septembre 2007) -, des spéculations sur la possible constitution d’un groupe d’armement par la fusion de Thales et Safran, qui ne resteraient pas sans conséquences pour EADS1, ou encore de Henrik Uterwedde est directeur adjoint du Deutsch-Französisches Institut (dfi) de Ludwigsburg. 1 La Financial Times Deutschland du 9 septembre 2007 fait état de l’objectif français de créer un nouveau groupe d’armement français par la fusion de Thales et de Safran. « La politique industrielle de Paris », ainsi titre la FTD, « alarme EADS » car elle pourrait changer la donne pour EADS concernant ses fournisseurs, son positionnement dans le secteur d’armement et la structure de son capital. 2/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? l’éventuelle éviction de Siemens du groupe nucléaire Areva2. De manière plus générale, le « patriotisme économique » affiché par les dirigeants français depuis la déclaration de Dominique de Villepin en 2005 déconcerte l’opinion publique et les acteurs en Allemagne ; ces derniers s’interrogent sur ses conséquences à la fois sur l’industrie allemande et sur l’avenir de l’économie européenne. Ces divergences franco-allemandes ne sont pas nouvelles. Elles ont accompagné les relations bilatérales depuis les débuts de la construction européenne et s’expliquent par le fait que nos deux pays ont été confrontés à des défis structurels différents après 1945 : modernisation et développement industriel pour la France, reconstruction d’une industrie certes amputée par la guerre, mais très développée et exportatrice pour l’Allemagne. À cela s’est ajoutée une forte opposition concernant les orientations fondamentales de la politique économique. Les cinquante ans de la construction européenne ont aussi été marqués par des différences franco-allemandes sur l’orientation de l’économie européenne. Ces divergences n’ont pas empêché les deux gouvernements de lancer des coopérations importantes dans le domaine économique. La France et l’Allemagne ont ainsi rapproché progressivement leurs pratiques, si bien que nos visions d’un modèle économique et social européen semblent aujourd’hui largement converger. Toutefois, la récurrence des conflits franco-allemands montre que les deux pays restent imprégnés de référentiels différents, faisant resurgir parfois des oppositions qu’on croyait depuis longtemps dépassées. Qu’est-ce que la politique industrielle ? Il n’est pas toujours facile de faire la part entre discours et pratiques. Ils peuvent se contredire, rendant la politique du partenaire peu « lisible » et prêtant à confusion, voire débouchant sur des procès d’intention lorsque des problèmes surgissent. La prolifération du terme « politique industrielle », devenu un véritable fourre-tout désignant tout et son contraire, est devenue en elle-même un facteur de confusion. S’agit-il d’une politique de développement industriel général cherchant à combler un retard industriel ? D’une politique visant à protéger ou à renforcer les producteurs nationaux contre la concurrence étrangère ? Ou tout simplement d’une politique de « lobby industriel » visant à renforcer les producteurs industriels en les protégeant de réglementations trop contraignantes en matière d’environnement ou de protection des consommateurs ? D’une 2 Cf. « Sarkozy will Siemens ausbooten », Süddeutsche Zeitung, 9 septembre 2007. Cet article rapporte le fait que le président français souhaite voir Areva reprendre dès 2009 la part de 34 % que détient Siemens dans son capital. Alors qu’Angela Merkel a souhaité, lors d’une rencontre bilatérale à Meseberg, que la coopération avec Siemens soit poursuivie, Nicolas Sarkozy a laissé la question ouverte. 3/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? politique sectorielle tendant à créer ou à renforcer des secteurs « stratégiques » et ainsi à structurer le système productif ? Ou au contraire d’une politique industrielle « horizontale » favorisant l’émergence de conditions-cadres favorables à l’industrie ? D’une politique des « champions nationaux » (ou européens) dont l’objectif est de constituer des groupes nationaux capables d’être des leaders dans la compétition internationale ? Ou d’une politique de la compétitivité du système productif, du « site de production » (Standortpolitik), afin d’améliorer les conditions de production et l’attractivité du territoire national en agissant sur un vaste ensemble de facteurs ? Si la définition de la politique industrielle a évolué depuis les années 1960 et 1970 vers une acception moins dirigiste, moins colbertiste, plus horizontale et plus libérale, toutes les interprétations énoncées précédemment sont présentes dans les débats sur la politique industrielle, ainsi que dans son élaboration. Dans ce contexte, l’objectif de cette contribution est d’expliquer l’approche allemande et de la situer par rapport aux multiples définitions mentionnées. Pourquoi la notion de politique industrielle n’a-t-elle pas fait recette dans l’Allemagne de l’après-guerre ? Comment fonctionne cette étrange alchimie entre un référentiel libéral, des pratiques corporatives, voire interventionnistes, et un système d’acteurs diversifiés ? Le débat actuel sur la protection des entreprises allemandes contre les « fonds souverains » marque-t-il une inflexion de la politique allemande ? Enfin, quels sont les enseignements pour le dialogue franco-allemand ? 4/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? Un interventionnisme discret, mais réel Le volontarisme politique dans le discours et en pratique Les mythes fondateurs de l’après-guerre sont très différents en France et en Allemagne. À la modernisation pilotée par l’État en France s’est opposé en Allemagne le principe de l’économie sociale de marché (Soziale Marktwirtschaft), rendue populaire par Ludwig Erhard, le « père » de l’essor économique allemand. D’où une différence également dans les approches politiques. Alors qu’en France, la politique industrielle était de première importance pour la modernisation économique du pays, elle n’avait pas grand sens en Allemagne, le pays industriel par excellence – la notion même de politique industrielle a du reste été bannie du vocabulaire officiel jusqu’à une période récente. D’une manière générale, l’interventionnisme d’État était mal considéré. Dans le modèle de l’économie sociale de marché, le rôle de l’État est surtout limité à la Ordnungspolitik – l’instauration puis la sauvegarde d’un cadre réglementaire pour assurer le bon fonctionnement du marché – et à des mesures sociales compensatoires pour assurer la justice sociale3. Par contre, les politiques structurelles, tant sectorielles que régionales (Strukturpolitik), devaient rester limitées, tout comme la politique conjoncturelle (Prozesspolitik), qui n’a été mise en place qu’en 1966, avec l’entrée du Parti social-démocrate (SPD) au gouvernement fédéral. À partir du moment où le SPD a adhéré à la doctrine de l’économie sociale de marché dans son programme de Godesberg de 1959, les responsables allemands se sont entendus pour rejeter une politique volontariste à la française visant à structurer le système productif (Strukturlenkung). Quant à la pratique, la situation est plus nuancée. Tout au long des années 1960 et 1970, la politique économique allemande a 3 Sur la doctrine de l’ordolibéralisme qui est au fondement de ce modèle, cf. P. Commun (dir.), L’ordolibéralisme allemand. Aux sources de l’économie sociale de marché, Cergy-Pontoise, CIRAC, 2003. 5/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? développé des actions structurelles (politiques régionales, sectorielles ou technologiques). Dans les années 1970, après le premier choc pétrolier et face aux crises d’adaptations industrielles, le discours libéral (dont le ministère de l’Économie s’est toujours considéré comme le veilleur du temple) a été de plus en plus contesté. Face à lui, une approche plus interventionniste, représentée par le ministère de la Recherche, prônait une politique technologique plus active pour moderniser le tissu industriel du pays. Dans les années 1980, certains Länder, comme le Bade-Wurtemberg ou la Bavière, ont mis en place une stratégie volontariste de modernisation industrielle misant sur les nouvelles technologies et leur diffusion dans le tissu industriel, notamment les petites et moyennes industries (PMI). Qui plus est, l’Allemagne a aussi soutenu certains secteurs tels que le charbon, l’agriculture ou, plus tard, les chantiers navals. Si l’interventionnisme étatique a été moins voyant, moins étendu et de nature différente qu’en France, c’est en raison de facteurs touchant à la culture politique, économique et sociale de l’Allemagne depuis 1945. Fédéralisme et néocoporatisme : un système d’acteurs multiples L’État allemand s’organise selon une structure à deux étages : la fédération (Bund) et les seize États fédérés (Länder). En matière économique, ces derniers ont activement participé à la réalisation d’une stratégie régionale de développement économique et industriel4, se distinguant des discours et principes libéraux soutenus par le ministère fédéral de l’Économie. L’exemple le plus flagrant en est la Bavière, qui a connu ses propres « Trente Glorieuses » en transformant une économie rurale et traditionnelle en une région prospère tournée vers l’industrie high-tech. D’autres Länder comme le BadeWurtemberg, la Rhénanie du Nord Westphalie ou plus récemment la Thuringe n’ont pas non plus hésité à mettre en œuvre leur propre stratégie de développement économique en utilisant toute une panoplie d’instruments à leur disposition : banques régionales de développement, politique de la formation, aide aux petites et moyennes entreprises (PME), implantation de centres de recherche et transfert technologique, etc. L’action de l’État s’en trouve diversifiée, faisant apparaître de surcroît une division du travail verticale entre Bund et Länder. Ajoutons que certains domaines de la politique économique ont été confiés à des acteurs certes publics, mais indépendants de l’influence gouvernementale : à la Bundesbank en matière de politique 4 I. Bourgeois (dir.), Allemagne : compétitivité et dynamiques territoriales, Coll. Travaux et Documents du CIRAC, Cergy-Pontoise, juillet 2007. 6/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? monétaire, ou à l’office des cartels (Bundeskartellamt) en matière de contrôle des fusions et des cartels. Notons en passant que le principe d’indépendance n’interdit pas l’interaction entre les pouvoirs publics et ces organismes. Ainsi, gouvernement et banque centrale peuvent tout à fait mener un dialogue, alors que le ministre de l’Économie peut passer outre un avis de l’office des cartels. Outre la multiplicité des acteurs, mentionnons le rôle actif des organisations professionnelles (Verbände) et leur capacité à s’autoréguler et à se substituer à la réglementation publique dans beaucoup de domaines. Autant que possible, les pouvoirs publics s’en remettent aux intérêts organisés pour assurer les régulations nécessaires, qu’il s’agisse du système des conventions collectives5, du système de la normalisation industrielle – délégué largement aux professionnels6 -, de la formation professionnelle – réalisée par une coopération entre les entreprises, aidées par les chambres de commerce et d’industrie, et le système scolaire public – ou encore de la régulation de certains secteurs. Ce qui prévaut, c’est donc une certaine retenue des pouvoirs publics et une culture de partenariat avec les acteurs économiques et sociaux. Ce système est baptisé « néocorporatiste » parce que pour réaliser la régulation économique, il fait appel à une articulation entre acteurs publics et privés ; les grandes organisations économiques deviennent ainsi des acteurs de la politique publique. Il s’agit en premier lieu des grandes confédérations patronales, industrielles et syndicales, des Spitzenverbände : BDI (Bundesverband der deutschen Industrie, confédération de l’industrie allemande), BDA (Bundesvereinigung der deutschen Arbeitgeberverbände, confédération des organisations patronales impliquées dans la négociation collective), DIHK (Deutscher Industrie- und Handelskammertag, Fédération des chambres d’industrie et de commerce) DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund, confédération syndicale allemande). Ce système fonctionne grâce à une bonne capacité d’organisation et d’autorégulation des entreprises, des secteurs économiques et de leurs organismes représentatifs, mais aussi grâce au caractère coopératif du capitalisme rhénan et de son modèle d’entreprise partenarial. Ainsi, les liens solides et étroits entre les banques et les grandes entreprises industrielles ont protégé ces dernières contre des tentatives d’offres publiques d’achat (OPA) ; à cette fin, des tables rondes ont été discrètement organisées pour chercher des solutions « allemandes » contre de potentiels repreneurs étrangers7. 5 On parle de l’autonomie des partenaires sociaux, Tarifautonomie, et l’Etat ne s’en mêle pas. 6 Par un simple contrat de 1975, l’institut DIN, organisme qui prend la forme d’une d’association, est reconnu par l’État comme l’institution compétente en la matière, contre la promesse du DIN de tenir compte des intérêts publics le cas échéant. 7 Ce verrouillage par les réseaux finance-industrie a été appelé « Deutschland AG » (société anonyme Allemagne) ; cf. H. Uterwedde, « L’économie allemande : 7/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? Aussi la structuration du système productif a-t-elle favorisé un tel partage du travail et une telle – relative – retenue de la politique : la solidité du tissu industriel allemand, à laquelle s’ajoutent sa diversité régionale, sa spécialisation favorable aux échanges internationaux et sa capacité d’adaptation, lui ont permis d’être très compétitif et de bien se positionner dans la division internationale du travail ; son fonctionnement en réseau est caractérisé par des formes de coopération, de coordination et de solidarité hors pair. Ce qui explique que le besoin en interventions politiques est limité, et que certains débats, comme celui sur les délocalisations industrielles, aient une importance plus réduite et une tonalité beaucoup moins alarmiste qu’en France. Dans ce contexte, le rejet officiel d’une emprise de l’État sur l’appareil productif s’accompagne en pratique d’une politique industrielle implicite. Celle-ci a toujours été moins visible qu’en France. D’une part parce qu’elle a reposé sur une pluralité d’acteurs, étatiques ou non, ainsi que sur une culture de la coopération et du partenariat sur le terrain ; d’autre part parce qu’elle s’est souvent appuyée sur un ensemble de pratiques tellement rodées qu’elles ne nécessitaient pas toujours de formuler explicitement les objectifs et les instruments de la politique industrielle. D’où un malentendu qui ne cesse de nourrir des querelles franco-allemandes : en Allemagne, on reproche à la politique française son penchant dirigiste, voire colbertiste, tout en développant des pratiques qui peuvent être identifiées à une politique industrielle qui ne dit pas son nom. En retour, on a tendance en France à soupçonner le partenaire allemand de pratiquer un double langage. comment sortir de la langueur ? », in Fr. Guérard (dir.), Regards sur l’Allemagne unifiée, Paris, La Documentation française, 2006, p. 9-46. 8/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? L’interventionnisme gagne du terrain, mais le référentiel reste libéral a mondialisation a récemment provoqué des fissures dans le capitalisme coopératif à l’allemande. Les très grandes entreprises adoptent désormais des stratégies mondiales ; elles tendent à relâcher leurs liens avec le territoire allemand et à se défaire de solidarités multiples auxquelles elles étaient auparavant attachées. L’effet protecteur de la « Deutschland AG » n’est plus aussi efficace puisque les liens solides entre banques, groupes financiers et industrie se délitent, parallèlement à la montée en puissance des marchés financiers et de leurs contraintes8. Les déséquilibres régionaux très accentués suite à la réunification allemande poussent l’État à un interventionnisme plus fort. L Dans cette situation, les pouvoirs publics ont cherché de nouvelles voies d’intervention. À plusieurs reprises, le chancelier Schröder (1998-2005) s’est distingué par une approche volontariste. Dans une action spectaculaire en 1999, il tenta de sauver de la faillite le groupe du bâtiment Holzmann, en poussant les banques à lui accorder de nouveaux crédits. Cette initiative a toutefois fait long feu. Ne réussissant pas à empêcher la faillite définitive du groupe en 2002, cette action volontariste est restée dans la mémoire publique comme un exemple à ne pas suivre. Elle a renforcé la majorité des acteurs et des commentateurs dans leur conviction que le rôle de l’État n’est pas d’intervenir et de se substituer à la responsabilité des entreprises. Au printemps 2004, le chancelier Schröder essaya de persuader la Deutsche Bank d’absorber la Postbank (filiale de la poste allemande, qui devait entrer en bourse). Bien que l’argumentation de Gerhard Schröder, selon laquelle l’Allemagne aurait besoin d’un champion national dans le secteur bancaire, ait alors été partagée par bon nombre de leaders économiques, l’initiative a fini par tourner court. Cet épisode montre bien que, outre le caractère improvisé de l’action du chancelier, le gouvernement fédéral n’a pas les moyens d’imposer ce genre de construction de « champions 8 Ceci dit, l’économie allemande reste relativement protégée, et les grands groupes leaders sont loin du degré d’ouverture aux investisseurs étrangers qu’on observe en France (plus de 40 % pour les groupes du CAC-40). 9/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? nationaux » à un milieu économique dominé par des entreprises privées, à la fois fortes et soucieuses de leur indépendance. Dans le même sens et face au risque de désindustrialisation, le chancelier, soutenu en cela par les gouvernements français et anglais, a, à plusieurs reprises, mis en garde la Commission de Bruxelles contre certaines directives « pénalisant » les intérêts des producteurs. Ainsi, Jacques Chirac, Tony Blair et Gerhard Schröder ont adressé, en février 2003 et en février 2004, des lettres communes au président du Conseil. Si cette démarche s’apparente à du lobbying pour les intérêts industriels, elle a aussi posé la question d’un nouvel équilibre entre les politiques commerciale, industrielle et de concurrence au niveau européen. Sous l’effet de la mondialisation, du danger de désindustrialisation et de la politique européenne, la politique industrielle n’est plus un terme maudit en Allemagne. Cependant, celui-ci conserve une acception libérale et horizontale. En témoigne cette déclaration programmatique du ministère fédéral de l’Économie : « L’autonomie et la responsabilité des entreprises, la liberté de contrat entre les partenaires économiques, la concurrence et un système efficace de formation des prix constituent les piliers fondamentaux d’une économie de marché. Ils ne doivent pas être défaits par des interventions étatiques. C’est pourquoi l’objectif de la politique industrielle réside avant tout dans la création de conditions générales qui sauvegardent la compétitivité de l’industrie et qui augmentent le potentiel de croissance, d’emploi et d’innovation de l’industrie.9 » Cette affirmation s’inscrit dans la lignée des discours officiels allemands. En raison de l’existence d’une politique d’aides sectorielles et d’une politique active d’accompagnement dans certaines branches, il nous faut nuancer ce référentiel libéral. Toutefois, celui-ci n’est pas vraiment contredit par la pratique politique. À titre d’exemple, dans les secteurs aérospatial et maritime (chantiers navals, techniques et navigation maritime, ports), deux secrétaires d’État remplissent le rôle de « coordinateurs », organisant un dialogue sectoriel avec les entreprises et les organisations professionnelles et syndicales. Leur objectif est d’« identifier des champs de problèmes et d’élaborer des ébauches de solutions communes.10 » Il s’agit là d’une coordination « douce », qui ne prétend pas imposer une quelconque vision étatique, mais s’inscrit dans la culture partenariale en engageant un dialogue public-privé proche du terrain, de type bottomup. La même philosophie se retrouve dans les programmes-cadres du ministère fédéral de la Recherche concernant les technologies transversales susceptibles d’améliorer la compétitivité industrielle : les programmes pour les techniques d’information et de communication, pour la biotechnologie et pour la nanotechnologie, 9 BMWA : Politik für eine wettbewerbsfähige Industrie, d’après le site du ministère : <www.bmwa.bund.de/Navigation/Wirtschaft/industrie.html> 10 Ibid. 10/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? encouragent des projets réalisés en principe par des centres de recherche et des entreprises associés ; la promotion des réseaux d’excellence et centres d’excellence vise à favoriser l’émergence de « grappes » (clusters) régionales et/ou sectorielles. En fin de compte, s’il y a une politique industrielle sectorielle – du moins une tentation de la mener –, celle-ci s’inscrit avant tout dans la perspective d’une politique du système productif, du « site de production » (Standortpolitik), politique transversale visant la compétitivité du made in Germany : l’attractivité du territoire pour les investisseurs, les coûts de production, la qualification de la main-d’œuvre, la performance de recherche-développement, le climat entrepreneurial, etc. C’est cette approche qui apparaît comme la véritable matrice de la politique économique allemande. La politique des réformes initiée par le chancelier Schröder en 2003 (Agenda 2010), mais aussi les nombreux « pactes de compétitivité » conclus dans les grandes entreprises allemandes s’inscrivent dans cette logique : améliorer les conditions de production et d’investissement en agissant sur les coûts salariaux, la flexibilité des entreprises, leur capacité d’innovation, l’enseignement et la formation, les infrastructures de recherche, etc. 11/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? À nouveau contexte, nouveaux débats : Un patriotisme économique à l’allemande ? Quand Dominique de Villepin, dans sa conférence de presse du 27 juillet 2005, a évoqué le « patriotisme économique » pour justifier la protection des firmes françaises contre des tentatives de reprise par des groupes étrangers, il s’est heurté à la critique des pays voisins. Réaction prévisible, car ces propos semblaient conforter la vue selon laquelle la France continuerait à emprunter une voie spécifique, revendiquant une « exception française » tout en faisant fi des règles du marché unique et de la libre circulation des capitaux. Ainsi, le journaliste Michael Stürmer n’a pas été le seul à fustiger le Sonderweg français, parlant de « la grande nation derrière un mur de béton11 ». Dans un pays qui se targue d’avoir une économie ouverte, tout en ayant protégé bon nombre de groupes nationaux grâce aux mécanismes subtils de la Deutschland AG, des déclarations comme celles du Premier ministre français sont en effet mal vues. La désintégration progressive des réseaux de banques/ finances et de l’industrie, qui s’est manifestée pour la première fois – et de manière spectaculaire – lors de l’OPA de Vodafone sur Mannesmann en 2000, a nourri les débats. Des revendications sont alors apparues, visant une plus grande protection des firmes allemandes contre des tentatives d’OPA ou de reprise étrangères. Ces débats ont pris des formes différentes. Les investisseurs financiers — des « sauterelles » ? En 2005, une polémique est née sur le rôle des investisseurs financiers, qualifiés de « sauterelles » (en allusion au fléau biblique) par le président du SPD, Franz Müntefering. Dans un journal populaire allemand, il s’en est pris aux excès du capitalisme 11 Die Welt, 6 avril 2006. 12/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? financier : « Quelques investisseurs financiers n’accordent pas la moindre pensée aux hommes dont ils détruisent les emplois – ils restent anonymes, n’ont pas de visage, s’attaquent à des entreprises comme une nuée de sauterelles, les exploitent et s’en vont. C’est contre cette forme de capitalisme que nous luttons.12 » Cette critique a déclenché une vive polémique – on a reproché à Müntefering de véhiculer une vision fausse du rôle des investisseurs dans le capitalisme moderne -, mais aussi des applaudissements venant de la gauche socialiste et de certains syndicats. Le mot de « sauterelles » est en tout cas entré dans le débat économique courant, désignant un type d’investisseur « prédateur » cherchant un profit financier immédiat au détriment de la valeur industrielle des entreprises concernées. Au-delà de son caractère épisodique, cette polémique traduit un certain scepticisme vis-à-vis de ce qui est considéré comme un excès de la mondialisation. Le débat a rebondi récemment à la lumière de la crise financière internationale, avec la critique visant le comportement de certains fonds spéculatifs (hedge fonds). Le gouvernement allemand a tenté de sensibiliser les autres grandes puissances industrielles lors du sommet du G8 à Heiligendamm en juin 2007, en proposant une initiative pour établir davantage de transparence dans les marchés financiers internationaux, mais il s’est heurté aux réticences britanniques et américaines. Le développement de la crise financière internationale a rendu le terrain plus propice à ce genre de réflexions. Lors de leur rencontre à Meseberg le 9 septembre 2007, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont repris l’initiative en proposant aux partenaires européens une initiative visant à assurer une plus grande transparence des agences de rating (évaluation des entreprises), ainsi qu’un code de bonne conduite à adopter par les fonds spéculatifs. « Libéraux mais pas dupes » — le conflit sur EADS La controverse franco-allemande sur la restructuration du groupe EADS, en 2006-2007, est elle aussi révélatrice du débat et des attitudes allemandes en matière de politique industrielle. Traditionnellement, le gouvernement allemand est très réticent à intervenir directement dans les décisions des entreprises, fussent-elles de caractère public. Il a confié la part allemande dans le capital d’EADS au groupe Daimler-Benz ; l’État allemand ne détient donc pas, contrairement à l’État français, une participation directe dans ce groupe. Cependant, les mauvais souvenirs laissés par l’affaire 12 Bild am Sonntag, 17 avril 2005. 13/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? Aventis13 ont alerté les responsables politiques dès qu’il a été question de restructurer EADS, revoir ses sites de production et ses structures de décision. Le gouvernement fédéral, tout comme les chefs de gouvernement des Länder concernés par des sites de production d’Airbus, a fait front pour exiger des solutions strictement équitables quant aux efforts et sacrifices nécessaires, ainsi qu’aux chances futures. L’affaire a ainsi été politisée et portée au plus haut sommet par le côté allemand, déterminé cette fois-ci à ne pas céder à un « patriotisme économique » français présumé (et au demeurant bien réel). Sans pouvoir entrer dans le détail de cette affaire, force est de constater que les responsables politiques allemands se trouvaient comme tiraillés entre leur souci traditionnel de ne pas s’ingérer dans les affaires des entreprises, et la nécessité qu’ils sentaient d’être « à armes égales » avec la France, qui elle n’a pas hésité à utiliser son influence politique. « Libéral mais pas idiot » : cette boutade, attribuée au ministre de l’Économie Michael Glos, traduit bien ce questionnement sur le comportement à adopter quand le partenaire, ou le concurrent, ne partage pas les mêmes principes libéraux qu’affiche l’Allemagne. Comment se protéger contre les « fonds souverains » ? On retrouve le même type de conflit dans le débat déclenché en été 2007 sur l’attitude à adopter face aux fonds souverains, détenus ou pilotés par des États comme la Russie, la Chine ou les pays producteurs de pétrole. Le rôle de plus en plus important de ces fonds, qui pèsent environ 2 500 milliards de dollars au niveau mondial et cherchent des opportunités d’investissement financier, a été perçu comme une menace potentielle pour les entreprises allemandes et l’économie allemande. Ce qui pose problème, c’est surtout le soupçon que les objectifs politiques de certains États pourraient régir ces fonds souverains. Un des protagonistes actifs de ce débat est le ministreprésident du Land de Hesse, Roland Koch, qui a alerté les pouvoirs politiques à plusieurs reprises : « Nous vivons un phénomène nouveau dans la mondialisation. Des États surgissent comme investisseurs, avec des fonds qui valent des milliards d’euros, et achètent des entreprises étrangères afin d’exercer une influence politique. Leur souci n’est pas la rentabilité mais la puissance politique. Afin de sauvegarder les intérêts allemands, l’État allemand doit avoir un droit de veto. (…) Tous les pays ont ce genre de règles, même la Grande- 13 En 2004, le groupe privé franco-allemand avait été poussé par le gouvernement français à conclure une alliance « franco-française » avec Sanofi-Synthelabo ; les positions et les intérêts du partenaire allemand n’avaient pas été pris en compte. 14/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? Bretagne libérale. L’exception, c’est l’Allemagne. Nous sommes les seuls dindons de la farce et nous nous trouvons dans la ligne de mire des fonds souverains. Nous devrions mettre fin à cela14. » Le débat sur cette question a fait apparaître un large éventail de positions. Une partie de la classe politique a approuvé la revendication d’instaurer un système de protection efficace, mettant l’accent sur l’éventuel danger venant de fonds qui pourraient poursuivre des objectifs non avoués et mettre des firmes ou des secteurs sous influence politique étrangère. Quant au SPD, il a essayé d’élargir le débat pour contrôler aussi les investissements venant des hedge fonds, mais cette revendication a aussitôt été rejetée par l’Union chrétienne-démocrate (CDU). Les milieux économiques ont été plus réticents ; la plupart des organisations professionnelles ont souligné l’importance fondamentale de marchés financiers libres pour une économie tournée vers les marchés mondiaux. Quant à la Confédération fédérale de l’industrie (BDI), elle souligne dans un papier stratégique : « La protection de la sécurité nationale est un intérêt politique légitime. Celui-ci ne doit pourtant pas servir de prétexte pour discriminer certains investisseurs étrangers15. » Son président Jürgen Thumann a plaidé en faveur d’une réglementation qui pourrait s’inspirer de celle des Etats-Unis, tout en mettant en garde contre un nouveau protectionnisme. L’association des PME de la CDU (Mittelstandsvereinigung) pense que la législation actuelle concernant la concurrence et la lutte contre les cartels est suffisante pour lutter contre l’abus de pouvoir venant de fonds souverains. À ces remarques s’ajoutent des critiques plus fondamentales venant du parti libéral FDP. Son président Guido Westerwelle estime que le projet de s’isoler contre le capital étranger « signifie une politique d’appauvrissement de l’Allemagne. C’est la méthode de la Corée du Nord16 ». Cette critique est relayée par la presse libérale. Comme le souligne le Financial Times Deutschland du 2 août 2007 : « La politique doit s’occuper de règles générales et non pas d’entreprises spécifiques. Des exceptions, comme EADS/Airbus, doivent être justifiées avec soin. (…) Si l’on n’y prend pas garde, la discussion sur les fonds souverains va nous amener à une renaissance de la Deutschland AG, c’est-à-dire d’une économie de marché politique et non transparente. » Cette critique de la Deutschland AG (le verrouillage du capital des grandes firmes allemandes contre des reprises inamicales) au nom de la liberté du capital est loin de faire l’unanimité. À la question : « Est-ce que vous êtes un nostalgique de la Deutschland AG ? », le chef du gouvernement de la Hesse Roland Koch (CDU) répond : « La Deutschland AG fut meilleure que sa réputation car elle a contribué au bien-être dans notre pays. Sa dissolution fut trop 14 Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, 9 septembre 2007, p. 47. Tagesspiegel, 9 septembre 2007. 16 Handelsblatt, 5 juillet 2007. 15 15/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? rapide et pas assez stratégique. Nous devons en tirer des enseignements.17 » Devant l’ampleur qu’a prise le débat sur les fonds souverains, le gouvernement fédéral, qui s’est donné un temps de réflexion avant de se prononcer sur les mesures de protection appropriées, cherche à calmer le jeu. Dans ce contexte, le ministre des Finances Peer Steinbrück (SPD) trouve la discussion publique « un peu agitée ». Selon lui, l’objectif du gouvernement est d’avoir « davantage de transparence des fonds souverains et, comme dans d’autres pays, une possibilité d’un droit de regard du gouvernement dans le cas d’une menace potentielle pour la sécurité nationale », par exemple en élargissant les contrôles existants dans l’industrie de l’armement à d’autres secteurs18. Néanmoins, il ne serait pas question de protectionnisme vis-à-vis des investisseurs étrangers19. Au demeurant, lors de leur rencontre de septembre 2007, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy se sont prononcés pour des mesures européennes de protection contre certains fonds souverains chaque fois que ces derniers fausseraient la concurrence. Cela étant, le gouvernement allemand reste attaché à la liberté de circulation des capitaux. Dans cette optique, il s’est prononcé contre la proposition de la Commission européenne de protéger les réseaux européens d’approvisionnement en gaz et électricité contre une reprise par des fonds souverains. On ne pourrait recourir à une telle mesure qu’en dernier ressort, si les fonds en question adoptaient un comportement « politique »20. 17 Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, 9 septembre. Il s’agit de la loi sur les relations économiques extérieures (Außenwirtschaftsgesetz) qui prévoit des contrôles et des mesures de protection dans l’armement. 19 <boerse-online.de>, 4 septembre 2007. 20 Handelsblatt, 1er octobre 2007. 18 16/17 H. Uterwedde / Politique industrielle ou politique de la compétitivité ? Conclusion ême si on a fini par adopter la notion de politique industrielle en M Allemagne, celle-ci reste un concept étranger. Certaines pratiques peuvent certes être assimilées à une telle démarche, mais elles s’inscrivent alors dans la perspective d’une politique plus globale de la compétitivité du site de production allemand (Standortpolitik). La priorité est ainsi donnée à des actions « horizontales » visant à créer des conditions optimales pour les producteurs et les investisseurs, et ainsi pour la croissance et l’emploi. Si les pratiques peuvent être moins libérales que les discours, le référentiel reste largement libéral. Les quelques tentatives d’intervenir plus directement, souvent hésitantes et inspirées de la pratique française, sont restées des exceptions à la règle ; dans de nombreux cas, elles ont été accompagnées par un débat critique dénonçant ce genre d’interventionnisme. Ainsi, la bataille politique autour d’EADS a laissé des souvenirs mitigés en Allemagne. Même lorsqu’elle voit la nécessité d’intervenir, comme dans le cas des fonds spéculatifs ou souverains, l’Allemagne préfère aux interventions directes la voie indirecte, régulatrice, ou encore des partenariats publics-privés comme dans la politique technologique. Le caractère coopératif du capitalisme rhénan, reposant sur la conjonction d’acteurs multiples publics ou privés, sur des pratiques corporatives, ainsi que sur un fonctionnement en réseau des entreprises, a jusqu’ici favorisé ce genre de politique à « profil bas », et souvent « bottom-up ». Reste à savoir si et comment elle résistera aux évolutions et crises mondiales du futur. Concernant les relations franco-allemandes, les conflits récents ne sauraient masquer la convergence de fond qui est apparue entre nos deux pays, passant d’une politique industrielle « vieille école » à une politique de compétitivité globale, qui est en quelque sorte la version française de ce qu’on appelle en Allemagne Standortpolitik21. Faire la part entre des rivalités et des intérêts communs, des convergences profondes et des différences de style ainsi que de conditions structurelles reste un exercice difficile, mais indispensable pour bien comprendre les possibilités et les limites d’une action commune en Europe. 21 À ce sujet, cf. les résultats de l’étude comparative du Commissariat général du Plan et du Deutsch-Französisches Institut, Compétitivité globale : une approche franco-allemande, Rapport du groupe franco-allemand sur la compétitivité, La Documentation française, 2001. 17/17