2 Introduction – le « jeu allemand »: un concept fantôme
Formulation du sujet
Une fois de plus, les deux grands de la scène berlinoise créent l'événement à
Paris, en cette fin d'année. Tandis qu'à l'Odéon Thomas Ostermeier, le
directeur de la Schaubühne, présente Dämonen (Démons), de Lars Noren [...],
Frank Castorf, l'insoumis de la Volksbühne, est à Nanterre, jusqu'au dimanche
5 décembre seulement, avec Nach Moskau ! Nach Moskau ! ("A Moscou ! A
Moscou !"). C'est un bon, et même un très bon spectacle de Castorf (ce qui
n'avait pas toujours été le cas ces dernières années) : flamboyant,
dévastateur, iconoclaste évidemment, et porté par une énergie théâtrale
insensée.2
Cette entête tirée d'une critique parue de le journal Le Monde est enthousiaste, c'est
le moins que nous puissions dire. Lorsque les metteurs en scène allemands
débarquent à Paris cela crée apparemment un événement – du moins dans le milieu
théâtral parisien.
Si le terme est peut-être exagéré, il est vrai que le théâtre allemand3 semble exercer
une sorte de fascination sur le public francophone. Or celle-ci ne date pas d'hier.
Bernard Dort disait en 1981 déjà:
Aujourd'hui, le théâtre allemand est pour nous un objet d'admiration: son
organisation, sa stabilité, sa richesse, en font moins un modèle (nous n'osons
même pas espérer un jour en être là) qu'une sorte d'Eldorado dont on rêve
sans jamais essayer d'y aborder.4
Cette fascination date au moins des premières tournées du Berliner Ensemble dans
les années 505 et ne semble pas s'être estompée au vu de la place laissée aux
spectacles allemands par les grandes institutions théâtrales francophones dans leurs
programmations. En 2004, le festival d'Avignon s'associait à Thomas Ostermeier et
depuis son travail est montré de façon régulière au festival. Le festival d'Automne a
proposé l'année dernière deux spectacles du collectif berlinois She She Pop à son
public parisien et Vincent Baudriller à Vidy fait la part belle au théâtre allemand dans
la saison à venir en invitant Thom Lutz, Nicolas Stemann, Thomas Ostermeier et Milo
Rau. Or la réciproque semble impensable. Il est improbable qu'une mise en scène de
Jean-François Sivadier soit programmée au Deutsches Theater ou un spectacle de
Stanislas Nordey joué à la Schaubühne. Olivier Py a bien été invité à monter Die
Sonne6 à la Volksbühne en 2011 mais l'accueil du spectacle par le public
2 Darge, Fabienne : « Flamboyant, dévastateur, iconoclaste: Les trois soeurs revues pas Frank
Castorf ». http://www.lemonde.fr/culture/article/2010/12/04/flamboyant-devastateur-iconoclaste-les-
trois-soeurs-revues-par-frank-castorf_1449068_3246.html, consulté le 01.06.2015.
3 On regroupe sous le terme de théâtre allemand le théâtre germanophone soit le théâtre produit en
Allemagne, en Autriche et en Suisse allemande.
4 Dort, Bernard : « Entre mirage et “misère” », Théâtre/Public, n°37, Gennevilliers janvier-février
1981, p. 50.
5 Voir entre autre chose les critiques de Roland Barthes à ce sujet. In : Barthes, Roland : Écrits sur le
théâtre. Textes réunis et présentés par Jean-Loup Rivière. Éditions du Seuil, Paris 2002.
6 Die Sonne de Olivier Py, mise en scène: Olivier Py, Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz Berlin,
première : 02.11.2011.
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