DOSSIER SCIENTIFIQUE Les mécanismes immuns associés à l’ITSL : mise à jour Une meilleure compréhension de la biologie des cellules dendritiques sublinguales/buccales donne un meilleur aperçu des mécanismes d’action associés à l’ITSL et ouvre la voie au développement de vaccins anti-allergies de seconde génération. Comprendre les mécanismes de l’ITSL L’immunothérapie sublinguale (ITSL) spécifique des allergènes est un traitement sûr, efficace et durable des allergies respiratoires de type I chez les adultes comme chez les enfants [1,2]. Les mécanismes immuns associés à l’ITSL sont en train d’être déchiffrés et ils suggèrent que les réponses des cellules T spécifiques d’allergènes sont cruciales dans l'induction de tolérance par voie sublinguale [3]. Des études ont montré que, durant l’immunisation sublinguale, l'allergène est capté par les cellules dendritiques de Langerhans buccales qui possèdent des propriétés tolérogènes uniques [4,5]. Dans un tel contexte, nous avons entrepris une caractérisation détaillée desdites cellules dendritiques sublinguales/buccales (CD) chez la souris BALB/c. Les CD myéloïdes ou plasmacytoïdes buccales, isolées après traitement des tissus buccaux par collagénase et purifiées par tri cellulaire, conservent leur aptitude à capter, dégrader et présenter l’allergène aux lymphocytes T (LT) CD4+ in vitro. De telles CD buccales sont en mesure d’orienter les réponses des LT CD4+ vers la production d’interféron-gamma (IFNγ) et d’interleukine 10 (IL10) (soit une réponse des cellules Th1 et, probablement, des cellules T régulatrices). Les CD myéloïdes buccales CD11b+ /CD11c+ et les CD plasmacytoïdes B220+ /120G8+ présentent un profil d'expression du récepteur TLR étendu, semblable à celui observé chez leurs homologues spléniques. Fait intéressant : les CD CD11b+/CD11c-, qui ■ Les CD CD11b+/CD11cexpriment des taux remarquablement élevés de TLR2, 4, 5 et 7. Figure 1. Caractérisation des CD myéloïdes buccales Caractérisation des sous-groupes de cellules dendritiques tolérogènes dans les tissus buccaux de la souris 16 14 6 4 2 CD11b+, rate TLR9 TLR7 TLR5 TLR4 TLR3 TLR2 TLR9 TLR1/6 TLR7 0 TLR5 CD11b 8 TLR3 TLR4 Muqueuse 10 TLR2 Sous-muqueuse 12 TLR1/6 Muscle Quantité relative / bêta-actine Des analyses immuno-histologiques et par cytométrie en flux ont été réalisées en utilisant des anticorps dirigés contre divers marqueurs de surface des CD. Trois sous-groupes de CD buccales présentant une distribution cellulaire bien distincte ont été identifiés (figure1, partie gauche), parmi lesquels : • des CD de Langerhans CD207+, situées dans la muqueuse même ; • une sous-population prédominante de CD myéloïdes CD11b+/CD11c- et CD11b+ /CD11c+ CD, situées à l’interface muqueuse /sous-muqueuse ; • des CD plasmacytoïdes B220+/120G8+, au niveau des tissus sous-muqueux. Tri cellulaire Tissus buccaux CD11b+ buccales 9 DOSSIER SCIENTIFIQUE représentent, sur le plan quantitatif, le principal sous-groupe de cellules buccales présentatrices d’antigène, expriment des niveaux remarquablement élevés de TLR2, 4, 5 et 7 (figure 1, partie droite). Signalons que, comme le précise J.P. Allam (cf. page 11), lorsque les CD buccales de Langerhans sont stimulées par l’intermédiaire du TLR4, elles stimulent également la production d’IFNγ et d’IL10 par les LT CD4+, suggérant là une propriété générale des CD buccales [5]. C’est pourquoi les systèmes de libération qui ciblent les CD buccales, ainsi qu’une sélection d’agonistes de TLRs utilisés comme adjuvant, en association avec les allergènes, pourraient tous deux présenter un intérêt pour améliorer l’induction de la tolérance durant l’ITSL. Implications cliniques pour l’immunothérapie sublinguale Nous avons testé divers formulations et adjuvants dans un modèle murin d’immunothérapie sublinguale. Dans ce modèle, des souris BALB/c sont sensibilisées à l’ovalbumine (OVA) et présentent donc une hyperréactivité bronchique (HRB) facilement détectable, associée à des index de Penh élevés (mesurés par pléthysmographie du corps entier), comparativement à des souris saines (figure 2). Après ITSL par OVA soluble, une réduction mineure de l’HRB est observée (figure 2). Il est intéressant de remarquer que le fait de cibler l'OVA ■ Figure 2. Évaluation des divers formulations et adjuvants sublinguaux chez les souris sensibilisées à l’OVA. 100 Indice de Penh (%) 80 60 40 20 0 Souris saines 10 Souris ITSL sensibilisées avec OVA à l’OVA soluble ITSL avec OVA soluble + TLR2 ITSL avec OVA soluble + TLR4 ITSL avec OVA soluble + TLR2/4 ITSL avec OVA/PSC vers les CD buccales grâce à des nanoparticules polysaccharidiques (PSC) muco-adhésives, ou d’administrer l’antigène avec des agonistes TLR2 ou TLR4 (Pam3CSK4, OM294-BA-MP ou des probiotiques sélectionnés comme Lactobacillus plantarum), améliore considérablement l’induction de la tolérance par voie sublinguale (figure 2) [6-8]. Associés à ces améliorations, de tels systèmes de libération ou agonistes des TLR favorisent également la production d'IFNγ/IL10 par LT CD4+ naïfs, en drainant les ganglions lymphatiques cervicaux après l’ITSL [7,8]. Nos données confirment que les CD sublinguales/buccales sont orientées vers l’induction de tolérance, en induisant les réponses des cellules Th1 et probablement des cellules T régulatrices Tr1. Il convient donc de développer spécifiquement des vaccins sublinguaux de seconde génération afin de mieux cibler les allergènes vers les CD buccales dans le contexte des signaux médiés par le TLR, afin d’augmenter la production d’IFNγγ/IL10 par les cellules T CD4+. Dr L. Mascarell, Antony (France) 1. Wilson DR, Lima MT, Durham SR. Sublingual immunotherapy for allergic rhinitis : systematic review and meta-analysis. Allergy 2005 ; 60 : 4-12. 2. Didier A, Malling HJ, Worm M, Horak F, Jager S, Montagut A, et al. Optimal dose, efficacy, and safety of once-daily sublingual immunotherapy with a 5-grass pollen tablet for seasonal allergic rhinitis. J Allergy Clin Immunol 2007 ; 120 : 1338-45. 3. Moingeon P, Batard T, Fadel R, Frati F, Sieber J, Van Overtvelt L. Immune mechanisms of allergen-specific sublingual immunotherapy. Allergy 2006 ; 61 : 151-65. 4. Allam JP, Novak N, Fuchs C, Asen S, Berge S, Appel T, et al. Characterization of dendritic cells from human oral mucosa : a new Langerhans' cell type with high constitutive FcepsilonRI expression. J Allergy Clin Immunol 2003 ; 112 : 141-8. 5. Allam JP, Peng WM, Appel T, Wenghoefer M, Niederhagen B, Bieber T et al. Toll-like receptor 4 ligation enforces tolerogenic properties of oral mucosal Langerhans cells. J Allergy Clin Immunol 2008 ; 121 : 368-74 e1. 6. Razafindratsita A, Saint-Lu N, Mascarell L, Berjont N, Bardon T, Betbeder D et al. Improvement of sublingual immunotherapy efficacy with a mucoadhesive allergen formulation. J Allergy Clin Immunol 2007 ; 120 : 278-85. 7. Van Overtvelt L, Lombardi V, Razafindratsita A, Saint-Lu N, Horiot S, Moussu H et al. IL-10-Inducing Adjuvants Enhance Sublingual Immunotherapy Efficacy in a Murine Asthma Model. Int Arch Allergy Immunol 2007 ; 145 : 152-62. 8. Mascarell L, Van Overtvelt L, Lombardi V, Razafindratsita A, Moussu H, Horiot S et al. A synthetic triacylated pseudodipeptide molecule promotes Th1/TReg immune responses and enhances tolerance induction via the sublingual route. Vaccine 2007 ; 26 : 108-18. Focus: La biologie des cellules de Langerhans buccales Interview du Dr Jean-Pierre ALLAM, université de Bonn (Allemagne) Expressions : Est-il légitime de considérer la muqueuse buccale comme un organe tout à fait spécifique et privilégié en termes de réponse immunitaire ? DR J.-P. ALLAM : Effectivement, ses caractéristiques immunitaires sont tout à fait spécifiques et distinctes de celles des autres muqueuses de l’organisme. Deux types de constatations montrent bien que, sur le plan immunitaire, la muqueuse buccale a des propriétés principalement inductrices de tolérance vis-à-vis des allergènes : • d’une part, alors que la microflore buccale est caractérisée par une colonisation microbienne particulièrement importante, les infections bactériennes aiguës sont rares et peu sévères dans cette localisation ; • d’autre part, la fréquence des réactions allergiques au niveau buccal est très faible comparativement aux autres épithéliums de revêtement de l’organisme, tels que la peau, la muqueuse nasale et l’épithélium pulmonaire. Expressions : Quelles sont les principales différences entre les cellules de Langerhans buccales (CLb) et les cellules de Langerhans épidermiques ? DR J.-P. ALLAM : Ces différences résident non seulement dans la distribution des immunorécepteurs acquis, tels que les récepteurs à haute affinité pour les immunoglobulines E (Fc epsilon R1), mais concernent également les récepteurs caractéristiques du système immunitaire inné, tels que les Toll-like receptor 4 (TLR 4). Expressions : Quel est le rôle joué par les TLR4 ? DR J.-P. ALLAM : L’expression des TLR4 à la surface des CLb humaines permettent à ces cellules de répondre à divers allergènes bactériens issus de la microflore buccale, et notamment aux lipopolysaccharides des membranes bactériennes. Le comportement immunologique des CLb a été analysé en utilisant des ligands du TLR4. Il a ainsi été montré que sous l’effet de l’activa- tion du TLR4, ces cellules acquièrent un phénotype tolérogène, exprimant des marqueurs impliqués dans l’induction de tolérance, tels que B7H1 et B7H3. La production d’interleukine est également stimulée. Des expériences de cocultures de CLb et de lymphocytes T ont permis de démontrer que l’activation des TLR4 est à l’origine de l’induction de cellules T tolérogènes qui, non seulement produisent des niveaux élevés de TGF bêta, mais aussi expriment le facteur de transcription foxp3. Certains composants bactériens de la microflore buccale pourraient exercer un effet de régulation négative de la réponse immune, par le biais des récepteurs TLR4. De tels ligands des TLR4 pourraient être une voie de recherche prometteuse dans la perspective du développement des adjuvants pour l’optimisation de l’immunothérapie sublinguale. Expressions:Quelles sont les conséquences de l’activation des Fc epsilon R1 ? Celles-ci sont encore mal connues. Cependant, des résultats préliminaires ont montré que l’activation de ces récepteurs caractéristiques de l’immunité acquise pourrait : • déclencher l’induction de la production de cytokines tolérogènes telles que l’interleukine-10 (IL-10) ou le TGF bêta ; • stimuler le recrutement de lymphocytes T régulateurs, par le biais de la production de chimiokines telles que CCL17 et CCL22. Des ligands des TLR4 pourraient être ciblés dans la perspective du développement des adjuvants pour l’optimisation de l’ITSL. La conjonction de ces propriétés, liées aux récepteurs Fc epsilon R1 et TLR4, font des cellules de Langerhans de la muqueuse buccale des acteurs immunitaires particulièrement adaptés pour capter et transporter les antigènes au cours de l’immunothérapie sublinguale. 11