CARDIOLOGIE
V1239F_2009
Epidémiologie de l’insuffisance
cardiaque
Olivier Gurné
Service de Cardiologie, Clin Univ St-Luc, UCL, Bruxelles
Keywords: chronic heart failure – epidemiology
Définition
De nombreuses définitions de l’insuffisance car-
diaque ont été utilisées, probablement en raison
de la complexité de ce syndrome clinique aux
multiples facettes.
La plus simple est certainement d’exprimer l’in-
suffisance cardiaque comme une situation où le
coeur est incapable de maintenir un débit cardia-
que adéquat pour faire face aux besoins métabo-
liques de l’organisme et au retour veineux.
Selon les derniers guidelines de la Société euro-
péenne de Cardiologie (2009), l’insuffisance
cardiaque est un syndrome clinique qui se ca-
ractérise par trois éléments:
- symptômes de l’insuffisance cardiaque,
comme par exemple un essoufflement à
l’effort ou, dans les cas plus sévères, au
repos, de la fatigue…;
- signes cliniques, comme par exemple la
tachycardie, des crépitements de stase à
l’auscultation pulmonaire, un oedème des
membres inférieurs, une hépatomégalie…;
- objectivation d’anomalies cardiaques
structurelles ou fonctionnelles, comme
par exemple un taux élevé de BNP (Brain
Natriuretic Peptide), des anomalies à l’écho-
graphie cardiaque…
L’insuffisance cardiaque peut être relativement
asymptomatique (dysfonction ventriculaire gau-
che) ou, selon l’évolution, être symptomatique
(décompensation cardiaque). Elle peut égale-
ment apparaître seulement à l’effort plus ou
moins important et dans les cas plus sévères
être déjà présente au repos. Souvent, on uti-
lise une classification fonctionnelle, celle de la
NYHA (New York Heart Association Functional
Classification), qui comporte quatre classes: le
patient en classe I n’a pas de symptômes lors
d’une activité ordinaire, le patient en classe II
présente une légère limitation de ses activités
physiques, le patient en classe III a une limita-
tion marquée de son activité physique, même
pour des activités légères. Le patient en classe
IV présente des symptômes pour la moindre
activité et même déjà au repos.
C’est une pathologie chronique et évolutive,
qui est grevée d’une morbidité et d’une morta-
lité non négligeables. La survie des patients en
insuffisance cardiaque est similaire à celle de
beaucoup de cancers.
Epidémiologie
L’insuffisance cardiaque est une pathologie re-
lativement fréquente dont la prévalence est
d’environ 2-4% dans la population générale. On
considère dans ce chiffre que la prévalence de la
dysfonction ventriculaire gauche asymptomati-
que est semblable à celle de l’insuffisance car-
diaque symptomatique. Il n’existe pas de bonnes
données belges, mais on estime qu’au niveau des
pays européens, cela représenterait quelque 15
millions de patients. Si on extrapole les données
américaines à notre population belge, environ
200.000 personnes seraient atteintes d’insuffi-
sance cardiaque.
En termes d’incidence, on estime qu’il y a dans
le monde 2 millions de nouveaux cas par an-
née et, de nouveau, si on extrapole à partir
des données américaines, cela représente en
Belgique une quarantaine de nouveaux patients
par jour.
La prévalence de l’insuffisance cardiaque aug-
mente de façon marquée avec l’âge, et cela plus
précocement chez l’homme que chez la femme,
ceci étant lié à l’incidence de la maladie corona-
rienne plus précoce chez lui (Figure 1).
Cette notion de prévalence accrue chez les per-
sonnes âgées est importante pour différentes
raisons. En effet, l’incidence de l’insuffisance car-
diaque est actuellement croissante en raison du
vieillissement de la population, qui se traduit no-
tamment par un plus grand nombre de patients
atteints d’une maladie coronarienne ou d’une
hypertension artérielle. Cette prévalence accrue
est liée également, de façon un peu paradoxale
a priori, à une survie accrue des patients après
un syndrome coronarien aigu. L’amélioration des
techniques de diagnostic pourrait également
jouer un rôle par un meilleur dépistage de ces
patients.
Vaisseaux, Coeur, Poumons n Numéro Spécial n 2009
3
L’insuffisance cardiaque peut se définir comme une situation où le coeur est incapable de
maintenir un débit cardiaque adéquat pour faire face aux besoins métaboliques de l’or-
ganisme et au retour veineux. Cette pathologie chronique et évolutive est grevée d’une
morbidité et d’une mortalité importantes, avec une survie comparable à celle de beaucoup
de cancers. Elle est relativement fréquente, avec quelque 200.000 cas pour notre pays, dont
une quarantaine de nouveaux par jour. La prévalence de l’insuffisance cardiaque augmente
de façon marquée avec l’âge, qui influence aussi le type d’insuffisance cardiaque, l’insuf-
fisance cardiaque à fonction systolique préservée étant plus fréquente chez les patients
âgés, tout en étant aussi délétère sur le plan pronostique. Les comorbidités associées à
l’âge compliquent le traitement et péjorent également le pronostic. Dans nos régions, la
cause la plus fréquente de dysfonction systolique est certainement la pathologie coro-
narienne. L’insuffisance cardiaque coûte cher, essentiellement en raison des fréquentes
hospitalisations qu’elle occasionne.
L’insuffisance cardiaque compte actuellement
pour environ 1 à 2% du budget des soins de
santé. A côté du défi médical, elle représente
donc aussi un défi économique auquel le système
de santé va devoir faire face. On estime que deux
tiers environ du coût des soins liés à l’insuffisance
cardiaque sont liés aux hospitalisations de ces
patients, d’où l’importance d’une prise en charge
optimale, qui permette au patient de rester le
plus possible à domicile. Cette problématique est
d’autant plus importante que l’insuffisance car-
diaque chronique représente une cause fréquente
d’hospitalisation chez les personnes âgées, avec
un risque de réadmission particulièrement élevé
après une première hospitalisation.
L’âge des patients est également important à
considérer parce qu’il influence aussi le type
d’insuffisance cardiaque que l’on rencontre chez
eux: de façon classique, l’insuffisance cardiaque
peut être causée par une anomalie de la fonc-
tion systolique, c’est-à-dire de la contraction
du coeur, ou par une anomalie de la fonction
diastolique du coeur, c’est-à-dire de son remplis-
sage. Actuellement, on préfère utiliser le terme
d’insuffisance cardiaque à fonction systolique
préservée plutôt que de parler d’insuffisance
cardiaque diastolique. En fait, si la prévalence
de l’insuffisance cardiaque est plus élevée chez
les patients âgés, on constate que chez eux, elle
est plus souvent liée à une dysfonction diasto-
lique. Chez les patients plus jeunes, on retrouve
par contre davantage de dysfonction systolique
(Figure 2).
On sait maintenant que le pronostic de l’insuf-
fisance cardiaque avec une fonction ventricu-
laire gauche préservée est pratiquement aussi
mauvais, en termes de survie et en termes de
ré-hospitalisation, que celui des patients avec
une fonction ventriculaire gauche diminuée
(Tableau 1).
A l’âge est souvent associée la problématique des
comorbidités, qui sont beaucoup plus fréquentes
chez les patients âgés, comme les pathologies
pulmonaires chroniques, le diabète et l’insuffi-
sance rénale (Figure 3).
Non seulement ces facteurs rendent le traitement
de ces patients plus complexe en termes de pres-
cription pour le médecin et de compliance pour le
patient, qui doit prendre de nombreuses médica-
tions, mais ces facteurs de comorbidités assombris-
sent le pronostic de la pathologie et augmentent
les réadmissions à l’hôpital (Figure 4).
Etiologie
Dans nos régions, la cause la plus fréquente de
dysfonction systolique est certainement la pa-
thologie coronarienne, à l’origine de 60 à 70%
des cas. L’hypertension artérielle, des maladies
infectieuses comme les myocardites virales, des
toxiques comme l’alcool ou les anthracyclines,
et en particulier l’adriamycine, des atteintes val-
vulaires, certains troubles du rythme (tachycar-
diomyopathies) sont des causes relativement
fréquentes. Dans un nombre non négligeable
de cas, on ne trouve pas d’étiologie et on parle
alors de cardiomyopathie dilatée idiopathique.
Des pathologies plus rares existent également,
comme la cardiomyopathie du post partum, la
non compaction du ventricule gauche, certaines
formes congénitales…
L’insuffisance cardiaque à fonction ventriculaire
gauche systolique préservée est certainement
plus difficile à définir et il est rare de trouver
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4
10
8
6
4
2
0
20-24 25-34 35-44 45-54 55-64 65-74 75+
Hommes
Femmes
% de population
Etats-Unis: 1988-94
Figure 1: Prévalence de l’insuffisance cardiaque selon l’âge et le genre.
< 40 40-49 50-59 60-69 70-79 q80
Fonction systolique préservée
Dysfonction systolique
78%
72%
58%
40%
60% 61%
39%
22%
28%
42%
46%
54%
Figure 2: CHF: FEVG vs âge.
une seule cause bien précise. Elle est souvent
favorisée par un ensemble de facteurs comme
l’âge, l’hypertension, le diabète. Elle est plus fré-
quente chez la femme.
Souvent, on retrouve chez les patients hospita-
lisés pour insuffisance cardiaque des facteurs
favorisant le déclenchement de l’événement,
comme la survenue d’une fibrillation auriculaire,
d’une infection respiratoire ou autre, d’une ané-
mie. La prise en charge de ces patients âgés est
donc bien souvent une optimalisation de ces
différents facteurs, à savoir un traitement de
leur infection, une optimalisation de leur trai-
tement hypotenseur, un contrôle de la réponse
ventriculaire de leur fibrillation auriculaire, voire
envisager une cardioversion.
Conclusions
L’insuffisance cardiaque est une pathologie chro-
nique, grevée d’une morbidité et d’une mortalité
importantes. Nous allons être confrontés à une
‘croissance épidémique’ de cette pathologie, liée
en partie au vieillissement de la population. L’im-
pact économique risque donc d’être significatif.
Il est donc indispensable d’améliorer la prise en
charge de ces patients en optimalisant le rapport
coût/bénéfice. Cela signifie non seulement une
bonne prise en charge médicamenteuse, mais
également une approche pluridisciplinaire,
l’éducation des patients aura certainement un
rôle à jouer.
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5
Hypertension
Diabète
BPCO
Désordres oculaires
Hypercholestérolémie
Athérosclérose
Arthrite
BPCO
Désordres thyroïdiens
HTA compliquée
Alzheimer
Dépression
Insuffisance rénale
0 10 20 30 40 50 60
% de patients
55
31
26
24
21
20
19
14
14
11
9
8
7
Figure 3: Comorbidités les plus fréquentes chez les patients 65 ans avec insuffisance cardiaque:
analyse de 122.630 sujets.
Philbin et al. Malki et al. Smith et al. Dauterman et al.
IC avec 44 26 46 58
fonction
systolique
préservée
(IC-FEP)
IC 42 33 46 58
systolique
(IC-FED)
Tableau 1: Taux de réhospitalisations chez des patients souffrant d’insuffisance cardiaque (%).
Probabilité
Total
Toute hospitalisation
Hospitalisation liée à une ACSC
Hospitalisation liée à une CHF ACSC
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
1
0,8
0,6
0,4
0,2
0
(CHF) ACSC = (Chronic Heart Failure) Ambulatory Care Sensitive (e.g. preventable)
Condition [condition sensible aux soins ambulatoires (en rapport à l’insuffisance cardiaque chronique)]
JB Braunstein, et al. JACC 2003;42:1226.
Figure 4: Les comorbidités (extra-cardiaques) augmentent les hospitalisations chez les patients
souffrant d’insuffisance cardiaque. Une analyse de 122.630 sujets âgés de 65 ans et plus.
CARDIOLOGIE
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