Chapitre 4 Les chefs de service face à la mutation du secteur

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“Andesi04” (Col. : Guide 17x24 Noir) — 2013/3/1 — 12:01 — page 75 — #83
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Chapitre 4
Les chefs de service
face à la mutation
du secteur social
Gyslaine Jouvet
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PARTIE 1 • L’ÉVOLUTION DE LA FONCTION DE CHEF DE SERVICE
PLAN DU CHAPITRE
76
1.
La question de la construction de la légitimité du cadre
78
2.
Connaissance de la stratégie et de la fonction
79
3.
L’accompagnement au changement
79
4.
Produire du sens et du savoir
80
5.
À propos des outils utilisés
81
6.
Le parcours personnel et l’engagement éthique
83
7.
Posture et coopération
84
8.
Coopérer et manager
84
9.
Des évolutions attendues
85
10.
Une forme de management renouvelé
86
11.
Un management qui donne du sens aux pratiques
86
12.
Modifications des pratiques professionnelles
88
13.
La mise en place de réseau
90
14.
Bibliographie
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4 • Les chefs de service face à la mutation du secteur social
L
sont au carrefour d’une double injonction portée
par un impératif de performance qui traverse le secteur, d’un côté, une
visée sociétale qui prône la promotion de l’usager et, d’un autre côté,
une visée économique, qui subordonne les décisions à l’optimisation des
coûts. Les évolutions politiques, économiques et sociétales ont modifié
progressivement le paysage de l’action sociale et médico-sociale et ont engendré
de nouvelles contraintes et obligations. Les politiques sociales redéfinissent la
professionnalité des cadres et déstabilisent une identité de métier pour promouvoir
de nouveaux fondamentaux comme le développement social communautaire, le
travail en réseau, la gestion des risques. Elles promeuvent une identité professionnelle de cadre qui transcenderait les métiers et se déclinerait sur le modèle
d’une professionnalité unifiée. De nouvelles compétences et approches sont alors
demandées aujourd’hui aux chefs de service et interrogent leur exercice.
ES CADRES DU SOCIAL
Nous choisirons de parler de « chef de service », car si le terme de cadre intermédiaire est présent dans certaines structures, il n’est pas encore très répandu.
Le chef de service n’est plus l’animateur presque uniquement occupé par le
fonctionnement de son service. Ses compétences managériales et organisationnelles
se complètent aujourd’hui de capacités à anticiper et à innover. Il doit articuler
autorité, compétences et valeurs (accorder plus de valeur à l’homme qu’à la tâche)
pour conduire le management des ressources humaines dans une organisation
sociale ou médico-sociale.
Cette posture demande d’accepter les incertitudes actuelles et de les assumer. Le
chef de service a un rôle central pour traduire dans l’organisation concrète de
l’établissement les intentions ou injonctions de la commande associative ou des
pouvoirs publics. Il accompagne les professionnels pour qu’ils puissent mettre en
œuvre le droit des usagers. Il doit articuler :
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 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
• les projets individuels avec le projet de la structure ;
• les différentes dimensions : éducative, pédagogique, thérapeutique et social avec
le projet d’établissement ;
• les projets internes avec les projets des structures partenaires, en lien avec
l’environnement.
Le cadre doit par ailleurs aider à trouver un équilibre entre les dimensions
régulatrices et innovatrices. Cette gestion des différents niveaux du projet est
importante car là se joue une bonne partie de la dynamique institutionnelle ainsi
que la cohérence globale des prestations. Le chef de service ne peut plus être juste
décrit comme celui qui se situe entre le directeur et l’équipe de terrain. Une de
ses fonctions est d’aider les équipes à trouver un équilibre entre les dimensions
innovantes du projet tout en lui conservant une dimension réaliste.
Le chef de service a franchi une étape : une de ses principales occupations est celle
de manager. Il organise l’activité et le travail de celles et ceux qu’ils encadrent. Il doit
entraîner avec lui d’autres acteurs dans un projet commun et pour ce faire, agir sur
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PARTIE 1 • L’ÉVOLUTION DE LA FONCTION DE CHEF DE SERVICE
des ressorts psycho-sociaux et culturels qui s’avèrent extrinsèques à l’organisation
elle-même.
Face à l’évolution de ces exigences, un chef de service interviewé dans le cadre de
ma recherche avance :
« Ça nous amène à travailler de manière anticipée et par projet et de manière plus
rythmée et plus organisé dans le temps. Cette réalité a tendance à éloigner les cadres
des usagers, et ils sont de ce fait plus à même de jouer un rôle de tiers avec les
équipes d’acteurs de terrain, mais par ailleurs cela oblige à plus d’évaluation des
actions engagées. Il y a une obligation à ce que les cadres soient moins dans l’action
mais davantage dans le prévisionnel et dans l’accompagnement auprès des acteurs
de terrain. »
1. LA QUESTION DE LA CONSTRUCTION DE LA LÉGITIMITÉ DU
CADRE
La notion de légitimité est aujourd’hui utilisée à profusion, dans des domaines
variés et avec des aspects différenciés. Cette notion est complexe. Mon propos ne
cherchera pas à la définir définitivement mais tentera d’en définir certains contours
possibles.
78
Dans ce que j’ai pu observer au fil de mes recherches et de mes postes professionnels, la légitimité du cadre semble passer par un certain positionnement,
une compréhension du système et par la reconnaissance au travail au milieu des
enjeux de pouvoir. C’est en fait par sa capacité à articuler les acteurs internes
dans un projet et à relier ce projet avec les pouvoirs publics que le cadre joue sa
légitimité. Il la tient de sa capacité à agir dans l’objectif suivant : prouver à son
employeur et aux pouvoirs publics que les orientations et la législation en vigueur
sont bien déclinées au plus près des besoins des usagers. Au-delà de cette position
stratégique, il aura également à s’appuyer sur une dynamique d’apprentissages
culturels et professionnels des acteurs, sur la reconnaissance au travail bien au-delà
des enjeux de pouvoir et sur son histoire personnelle.
La question des chefs de service est présente sur le terrain, dans le quotidien. Ils
doivent apporter des réponses aux salariés ou aux usagers, voire prendre des
décisions. Il est important pour eux alors de connaître les contours de leur cadre
de délégation et leur marge de manœuvre par rapport au directeur. Ils semblent
éprouver d’autant plus de difficultés à se positionner dans le système de décision si
leur formation initiale ne les a pas préparés à l’exercice du rôle d’encadrement et
qu’ils ne bénéficient pas de formation spécifique à la fonction.
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4 • Les chefs de service face à la mutation du secteur social
2. CONNAISSANCE DE LA STRATÉGIE ET DE LA FONCTION
Si le chef de service n’est pas suffisamment informé du niveau stratégique ou quand
les délégations ne sont pas suffisamment claires, cela peut se traduire par un
manque de légitimité du cadre. Les équipes ne lui reconnaissent pas la compétence
ou l’autorité pour régler la situation. La question du sens des orientations politiques
et stratégiques doit être partagée avec les chefs de service. Il ne peut être considéré
comme un simple exécutant de la politique élaborée par les différentes instances.
Il a besoin d’être associé à des échanges stratégiques afin de porter les projets
et changements auprès des équipes et de s’inscrire dans une équipe de direction
cohérente et posée, sinon dès lors le cadre intermédiaire perd de sa légitimité et
donc sa crédibilité. Pour Patrick Lefèvre (2012), dans le Guide du métier de cadre,
« des ajustements sont à trouver au sein des équipes de direction pour permettre
que les responsabilités et les délégations se dessinent et qu’elles soient efficientes.
Le concept d’équipe de direction est à définir de manière plus lisible et formelle
au sein des établissements et services. Dans la réalité, la responsabilité du chef
de service est encore trop souvent le reflet d’un mode de direction initié par un
directeur d’établissement, qui tend à induire un modèle culturel dans lequel doivent
se positionner les cadres, parfois en situation d’inhibition, de dépendance ou de
contre dépendance au modèle ».
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Les cadres chefs de service sont encore trop souvent des « travailleurs de l’ombre ».
Ils ont à conquérir leur place au plan symbolique et stratégique et à gagner leur
autonomie dans la sphère de la direction. Ils sont détenteurs de responsabilités et
de délégations leur permettant de s’affirmer dans la ligne hiérarchique au travers
d’une posture, d’un discours et de pratiques qui prennent sens au sein d’une équipe
de direction.
79
3. L’ACCOMPAGNEMENT AU CHANGEMENT
Pour Daniel Gacoin (2011), les chefs de service sont encore trop des animateurs/exécutants. Ils ne sont pas suffisamment inscrits dans l’accompagnement
au changement ou alors subissent les conséquences du changement. Ils doivent se
confronter parfois à des professionnels sûrs de leurs techniques et qui se replient.
La réglementation des 35 heures a également impacté les chefs de service qui
vont compenser les manques. Selon Daniel Gacoin, les chefs de service sont
également impactés par la qualité : « Si l’objectif est compris, les méthodes sont
souvent plus difficiles, générant malentendus et quiproquos, et surtout une énorme
“chronophagie”. »
De plus, selon lui :
« Les disciplines du management ont été reçues parfois, non comme des clés de
lecture, mais comme des modèles de méthodes et positionnements, évoluant au
rythme de leur diffusion. Cela crée parfois des ravages quand il ne s’agit que
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PARTIE 1 • L’ÉVOLUTION DE LA FONCTION DE CHEF DE SERVICE
d’application de recettes, alors même que l’essence de la position, le sens sont
oubliés, ou que les cadres doivent évoluer face à des injonctions de telle ou telle
méthode nouvelle présentée, pour un temps, comme fondamentale. »
Le chef de service ne doit-il pas proposer dans le cadre de la conduite au
changement une organisation repérée ? Une organisation établie au service d’un
projet fort permet aux professionnels de s’adapter au changement grâce à une
lisibilité maximum des enjeux, des pratiques et des conséquences. Ce que le chef
de service est amené à traduire régulièrement dans l’équipe qu’il encadre grâce à
sa participation et à sa place dans une équipe de direction.
Il s’agit d’être vigilant afin que les chefs de service ne perdent pas la proximité
du terrain. S’ils sont sollicités sur de multiples champs, voire de multiples sites, ils
parent alors au plus pressé et finalement, passent plus qu’ils ne conduisent. Sans
cette présence rassurante et de contenance, ils ne peuvent pas être légitimés par
les équipes.
4. PRODUIRE DU SENS ET DU SAVOIR
80
Le mode de construction de sa légitimité passe par l’information, le positionnement
mais également l’action, l’expérience, la formation, l’innovation et la manière
de concilier l’ensemble. La construction de la légitimité du chef de service est
dépendante d’un fonctionnement qui ne repose pas sur un rapport de contrainte
pure et qui implique que les acteurs soient en mesure de se mobiliser en fonction du
sens. N’est-ce pas sur sa capacité à produire du sens que le cadre sera reconnu par
les différents acteurs ? Les éléments théoriques aident les cadres à développer leur
légitimité dans la mesure où ils favorisent la production de sens. La construction de
la légitimité du cadre et les enjeux de l’exercice de la fonction sont au cœur des
relations de travail, références identitaires, expériences, compétences, formations
au milieu des enjeux de pouvoir. Un certain nombre de savoirs et de connaissances
sont indispensables pour tenir une position de cadre. Le sens subjectif de leur
travail se construit largement sur la conception qu’ils ont de l’accompagnement des
usagers, en lien avec la culture de leur métier initial. Le savoir clinique, comme le
souligne Michel Chauvière (1999), reste fréquemment la principale source de leur
expertise et les savoirs d’expériences les aident à garder une marge d’autonomie
dans l’occupation d’un poste où les prérequis sont parfois peu formalisés et où
dominent des exigences de contractualisation. Ces savoirs leur permettent à la
fois d’être reconnus par les équipes qu’ils encadrent et de sauvegarder du pouvoir
vis-à-vis du directeur. Ils maîtrisent ainsi des informations que le directeur n’a pas
et qui concernent directement les populations accompagnées. Il se peut qu’en
fonction des lieux et des secteurs d’activité, l’accent soit mis sur l’une ou l’autre des
missions suivantes : communication interne et externe (indispensable à l’activité de
l’établissement ou du service entre les professionnels d’une part, entre le service et
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4 • Les chefs de service face à la mutation du secteur social
l’ensemble des partenaires d’autre part), encadrement du personnel ou supervision
pédagogique.
La place du chef de service dans l’équipe de direction et sa relation avec le
directeur jouent également un rôle important. Lorsque le chef de service n’est
pas reconnu dans sa fonction, il a tendance à se replier sur l’accompagnement
des usagers et à négliger l’activité d’encadrement. Ainsi certains chefs de service
fondent leur légitimité sur des compétences pédagogiques. Ils recevront par
exemple régulièrement des jeunes qui posent problème afin de leur rappeler la
loi et éventuellement pour poser une sanction. Ils parlent alors d’un savoir qui
inclut l’expérience et la connaissance relationnelle des personnes. Cette expertise
concerne aussi les liens que ces professionnels sont capables de faire entre leur
expérience et les dimensions théoriques pour formuler des diagnostics relatifs
aux problèmes rencontrés par les personnes. Cette légitimité aléatoire des chefs
de service risque quelquefois de les cantonner dans une fonction d’organisation
déconnectée des enjeux socio-politiques. Les contradictions qu’ils affrontent au
quotidien, dans leur relation avec un directeur qui a négocié un projet avec les
autorités de tarification sans forcément prendre en compte l’ensemble des moyens
financiers et humains, peuvent les contraindre à se replier sur une expertise clinique
ou au contraire à rechercher la sécurité dans une rationalisation des procédures
administratives et de la gestion des ressources humaines, sans réelle cohérence
avec l’intérêt des personnes accompagnées.
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5. À PROPOS DES OUTILS UTILISÉS
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Actuellement, le chef de service a besoin de s’inspirer d’un ensemble de techniques
et d’outils afin de faciliter la gestion de son activité. Comme le remarque J.-R. Loubat
(2006), jusqu’à une certaine époque, les cadres pratiquaient « un management
“intuitif et empirique” qui reposait entièrement sur les qualités personnelles du
dirigeant, son expérience et sa connaissance des hommes. C’était alors ses
postures de leader naturel, et plus particulièrement de figure charismatique, qui
prévalaient ». Si l’utilisation des outils aujourd’hui semble très utile, ils peuvent
également concourir à légitimer le chef de service, même si un certain esprit, que
nous pourrions qualifier d’« indigène » au travail social, est à sauvegarder. Car il
ne s’agit pas seulement d’une question d’outils. Les outils sont utiles et participent
à la professionnalisation des cadres mais l’esprit dans lequel ils sont maniés est
important. Aujourd’hui savoir pratiquer, avoir la connaissance du terrain aurait
tendance à devenir de moins en moins important. Cette connaissance qui sert à
soutenir l’autorité et à pouvoir dire le vrai tend à être remplacée par une panoplie
de méthodes, de techniques et d’outils de management.
Ces outils doivent s’adosser à un cadre institutionnel stable :
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PARTIE 1 • L’ÉVOLUTION DE LA FONCTION DE CHEF DE SERVICE
• favoriser un état de droit. Les lois de référence du secteur social et médico-
social font l’objet d’un rappel régulier pour une appropriation régulière des
professionnels ;
• le projet d’établissement ou de service est construit avec les professionnels ;
• un fonctionnement collectif est en place et les responsabilités sont précises. Les
missions sont formalisées au sein du projet d’établissement. Ce qui permet à
chacun des professionnels de s’approprier clairement leurs missions et les limites
de celles-ci et de s’articuler entre eux.
Par leur complexité, leur durée, la dureté des expériences humaines auxquelles elles
renvoient, les situations dans lesquelles se trouvent les usagers mettent parfois les
professionnels devant des questions sans réponse immédiate, auxquelles aucune
posture fixée à l’avance ni aucun fonctionnement préétabli ne peuvent répondre.
Pour que cette expérience de l’impasse de l’action ne conduise pas les professionnels
à se décourager ou à perdre leur créativité, les équipes ont la possibilité d’avoir
ensemble un questionnement éthique susceptible, faute de pouvoir résoudre toutes
les difficultés qui se présentent, d’amener au moins une ressource de pensée
indispensable pour maintenir vivant le désir d’agir pour et avec l’autre.
Ce type de management précité s’appuie sur plusieurs idées :
• l’engagement qui permet d’amener une présence sécurisante pour les profes-
82
sionnels, de porter le projet d’établissement. Cet aspect est à mettre en lien
avec l’éthique de conviction qui forme avec l’éthique de responsabilité les deux
dimensions développées par Max Weber (1963). Les bases de l’éthique de
conviction sont les bases précédant l’action ;
• l’anticipation, condition indispensable pour la mise en œuvre du projet d’établissement et des différentes actions qui en découlent. Nous sommes dans le
registre de l’éthique de responsabilité qui signifie se soucier des conséquences
de l’action ;
• la justice, pour permettre aux professionnels de travailler dans la transparence
et sans crainte d’arbitraire.
Il est à noter également que la connaissance du contenu des métiers encadrés
joue un rôle dans l’encadrement proposé : savoir-faire acquis par l’expérience.
C’est alors que nous pourrions avancer que pour acquérir les connaissances
requises, le chef de service aurait eu à exercer le métier lui-même ou alors une
identification de cette connaissance est à réaliser afin de pouvoir la développer et
la transmettre. Peut-on manager des professionnels du social sans en avoir été ?
Les chefs de service dans le secteur tirent-ils une part de leur légitimité de leur
fonction initiale ? Le schéma classique de la trajectoire « type » du travailleur social
pourrait se résumer ainsi : poste éducatif, chef de service, directeur. De nos jours, les
évolutions sectorielles exigent néanmoins un ensemble de compétences à mobiliser
qui sont le fruit d’une construction théorique et expérimentale. La légitimité du
« super-éducateur » ou « l’autolégitimation » ne semble plus suffire. Un ensemble
de références externes sont requises pour faire valoir des compétences et remettre
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4 • Les chefs de service face à la mutation du secteur social
en question « la légitimité naturelle » des professionnels du secteur pour aspirer aux
fonctions de manager.
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6. LE PARCOURS PERSONNEL ET L’ENGAGEMENT ÉTHIQUE
La posture du chef de service est influencée par son histoire sociale et personnelle.
Il acquiert sa légitimité grâce à cette posture et les valeurs qui en résultent. Il prend
des décisions en rapport avec deux critères mis à l’épreuve face aux exigences
de ce métier : celui de la conception de l’homme et de l’engagement éthique. La
conception de l’homme dépend de l’histoire du chef de service, de sa formation,
de son expérience personnelle et de sa maturité dans la fonction. L’engagement
éthique, qui consiste à donner et nommer le sens, et le pourquoi des actions ainsi
que les modalités de l’exercice du pouvoir relève de sa personnalité et renvoie à
des valeurs qui lui sont propres. Le chef de service peut accorder une priorité aux
personnes et aux relations humaines, ou aux objectifs et aux tâches, ou encore
à l’organisation et au fonctionnement. La priorité peut aussi être accordée aux
relations avec l’environnement. Un chef de service n’adopte jamais complètement
un style, il est appelé à composer en fonction des situations. Il est et exerce son
autorité de façon différente. Il marque par sa personne, son style de fonctionnement
institutionnel. Ses tâches sont souvent définies pour éviter que le fonctionnement
de l’établissement ou service soit trop dépendant de sa personnalité. Ce sont les
modalités de régulation formelle. La personne du cadre ne peut se dissocier du
personnage (du rôle attendu). L’un et l’autre doivent être en accord, ce qui implique
une adhésion de la personne aux qualités attendues du personnage. Une tension
existe entre la personne et le rôle. Ce qui laisse une latitude au cadre dans la façon
dont il assume ses responsabilités. Il nous semble que la posture la plus pertinente
s’articule autour de trois composantes : valeurs, autorité et compétences. Pour la
revue Études et recherches (2004), « les principaux comportements professionnels
que nous sommes en droit d’attendre d’un cadre intermédiaire sont les suivants :
l’honnêteté intellectuelle, la loyauté, l’implication, l’équité, l’ouverture aux autres,
l’enthousiasme et la discrétion ». M. G., chef de service rejoint ce propos :
83
« Je dirai être cadre, c’est avoir un certain caractère et certaines caractéristiques
psychologiques, intellectuelles et aussi culturelles et c’est surtout être honnête et
loyal ! Le caractère ne s’apprend pas... Il s’éduque. Cette éducation est faite par
l’environnement social dans lequel évolue l’individu. Il y a donc un impact fort de
l’environnement social, de l’éducation et de la formation, sur le caractère qu’à ou
pas l’individu. C’est ainsi que vous avez des cadres qui n’ont pas les caractéristiques
pour devenir des professionnels de l’encadrement mais qui s’accrochent et font de
mauvais petits chefs » (chef de service interviewée dans le cadre de l’ouvrage Parcours
et légitimité des cadres du social).
Nous avons pu noter au fil des rencontres avec les chefs de service qu’ils construisent
leur légitimité grâce à leur histoire personnelle, mais aussi à l’action, l’expérience,
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PARTIE 1 • L’ÉVOLUTION DE LA FONCTION DE CHEF DE SERVICE
la formation, l’innovation et la manière de concilier l’ensemble. Jusqu’à une
certaine époque, les chefs de service pratiquaient un « management intuitif » qui
reposait entièrement sur les qualités personnelles du cadre, son expérience et sa
connaissance des hommes.
7. POSTURE ET COOPÉRATION
84
En outre, la légitimité du cadre passe par sa compréhension du contexte dans
lequel il travaille. La coopération semble en effet pertinente. Elle peut être définie
comme « l’activité coordonnée d’acteurs, qui poursuivent des objectifs différents et
qui cherchent à établir des règles communes. C’est opposable à la concurrence
et à la compétition » (Bernoux, 1995). Les organisations sociales nécessitent des
configurations dans lesquelles l’initiative de chacun est requise. Toute disposition
qui conduit à favoriser davantage de polyvalence et de responsabilité favorise les
apprentissages qui conduisent à une institution apprenante. Penser le travail du
chef de service autrement, en y intégrant la reconnaissance de la posture et la
légitimité de l’autre, peut favoriser la capacité réciproque à construire un projet
commun. Le chef de service n’est pas celui qui surveille l’action mais celui qui
sait organiser le travail d’équipe. Ne doit-il pas permettre à l’équipe de s’ouvrir
à d’autres actions pour éviter le repli, développer le partenariat et la mise en
réseau ? C’est en ce sens que son appartenance à une équipe de direction est
importante. Les différents cadres dans une équipe de direction sont associés
dans : un environnement caractérisé par les textes législatifs et réglementaires,
les valeurs de l’association employeur, l’histoire de l’établissement et les données
territoriales. Ils ont à construire une organisation de travail avec des objectifs, des
structures, des techniques de production, une culture qui réunit les acteurs et fonde
le sentiment d’appartenance à une entreprise commune. Sans oublier, les usagers
et les acteurs professionnels de l’organisation qui mettent en œuvre des stratégies,
des comportements rationnels, des affects.
8. COOPÉRER ET MANAGER
Il convient d’écouter les hommes, de saisir les informations et les propositions faites,
et de considérer leurs opinions comme nécessaires et indispensables à la conduite
de l’organisation. L’équipe est un pôle de compétences. Manager c’est dialoguer,
négocier avant de décider. C’est dans cet espace que le chef de service pourra
puiser des ressources et les infuser au sein de l’équipe qu’il gère.
Les compétences du chef de service doivent pouvoir croiser les compétences de
l’équipe. Il s’agit de mutualiser les compétences des uns et des autres pour rendre
les organisations vivantes dans l’intérêt des personnes accueillies.
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4 • Les chefs de service face à la mutation du secteur social
Le chef de service s’appuie sur des méthodologies d’écoute, d’accompagnement
pour mettre en œuvre des actions ajustées. Dans une relation de management,
il s’agit de prendre également en compte les interactions, les analyser et les
retransmettre pour donner du sens. Ce qui suppose une cohérence entre savoir-faire
et savoir-être, qui se traduit par une maîtrise des savoirs et des outils mais aussi par
une culture de la rigueur appliquée à soi-même et par une posture d’exemplarité.
En effet, le cadre doit se montrer le plus juste possible et pour cela « être avec
chacun des professionnels comme il est avec tous » pour garantir un maximum
d’équité et un état de droit.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
L’autorité pourrait également concourir à obtenir une forme de coopération. Le chef
de service reçoit une délégation d’autorité liée à la fonction qu’il occupe et inscrit
dans la chaîne hiérarchique. Pour F. Mispelblom Beyer et C. Glee (2012) : « La
fonction qu’on occupe est l’assise de l’autorité qu’on vous délègue » ou encore :
« L’autorité, c’est ce grâce à quoi un encadrant ou un dirigeant obtient de la
cohésion, de l’enthousiasme, de la créativité, des idées de la part de l’équipe. »
Cependant elle n’opère pas spontanément, elle n’existe qu’à condition de la
respecter et de la faire respecter. Elle permet à celui qui la détient d’occuper une
place dans la tête de chacun des membres du service ou de l’unité. Elle est avant
tout un « effet de parole », elle est dépendante de la manière dont le cadre parle
aux salariés, se fait comprendre mais les comprend aussi. Le positionnement du
cadre vis-à-vis des équipes participe à sa réussite. Au moyen de l’autorité, on peut
obtenir la coopération : les salariés s’entraident, se passent des astuces et ne se
contentent pas seulement de coordonner des activités. G. Jouvet (2009) dans son
ouvrage rejoint cette idée : « Le dirigeant développe ainsi sa légitimité et son autorité
à partir de ses qualités personnelles (écoute, disponibilité...) et de ses compétences
à diriger. » Pour BR, chef de service : « Le pouvoir est constitué des attributions et
responsabilités inhérentes à une fonction. C’est la fiche de poste... L’autorité est
la qualité que de façon naturelle ou acquise, une personne dégage auprès des
personnes avec lesquelles, elle travaille, particulièrement lorsqu’il y a dépendance
hiérarchique. »
85
Au sein de cet ensemble de facteurs, le cadre semble acquérir une forme de
légitimité.
9. DES ÉVOLUTIONS ATTENDUES
Cependant aujourd’hui, le chef de service est au carrefour de la double injonction
portée par un impératif de performance qui traverse le secteur, d’un côté la
promotion de l’usager et d’un autre côté, l’optimisation des coûts. Nous avons
observé comment ces professionnels gèrent des contradictions qui les conduisent à
la fois à considérer l’intérêt des personnes accompagnées et à rationaliser l’action
éducative. Le chef de service doit aujourd’hui se repositionner et redéfinir les finalités
de sa pratique professionnelle pour trouver une nouvelle forme de légitimité.
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PARTIE 1 • L’ÉVOLUTION DE LA FONCTION DE CHEF DE SERVICE
10. UNE FORME DE MANAGEMENT RENOUVELÉ
Il s’agit aujourd’hui pour lui de développer des compétences managériales. Pour
J.-R. Loubat (2004), « un des points clés du grand chantier des années à venir
passera par la mise en place d’un nouveau management, n’affectant pas seulement
les positions statutaires mais surtout et avant tout les façons de penser le travail ».
Le vaste changement amorcé ne saurait être une simple adaptation conjoncturelle
mais le début d’une profonde mutation des secteurs social et médico-social. À
ce titre, les managers vont devoir faire face aux conséquences humaines de cette
mutation et plus particulièrement :
• envisager l’adéquation des compétences à l’évolution des vocations des structures
et des besoins des populations (et envisager des mouvements de personnels) ;
• repenser les pratiques professionnelles et donc les savoir-faire demandés aux
personnels...
La compétence doit être avant tout managériale. Les chefs de service doivent pouvoir
investir différents domaines, être capable de transférer des compétences dans des
espaces institutionnels et des missions multiples.
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Le cadre intermédiaire ne peut plus être utilisé comme un simple exécutant de
la politique élaborée « en haut », n’ayant rien à en connaître et chargé d’obtenir
des équipes la même adhésion. Ainsi cantonné dans la phase de mise en œuvre
du projet, il joue alors un unique rôle de gestionnaire du projet (planification,
organisation, planning, roulement). Un cadre dont la fonction est réduite ainsi à
une simple courroie de transmission ne peut permettre aisément à une équipe
de s’approprier ou d’élaborer un projet, ni de mettre en œuvre des actions de
changement pour peu qu’elles aillent au-delà de simples questions d’organisation.
Lorsqu’il est issu du terrain, ce sont ses qualités dans l’exercice du métier, sa
compétence reconnue par ses pairs, qui l’ont porté à cette nouvelle fonction, que la
direction lui a laissé le soin de définir. Faute d’une définition plus large, le cadre
a bâti sa fonction comme celle d’un super-éducateur, en faisant l’économie de la
dimension d’animateur d’équipe et de porteur de projet. La nécessaire distance
que le cadre doit aménager entre son équipe et lui s’avère indispensable dès lors
qu’il s’agit de piloter le changement au sein de l’établissement.
Il se déplace d’une légitimité essentiellement technique et professionnelle (l’encadrant est d’abord un bon professionnel) à une légitimité institutionnelle. Il doit
d’abord se positionner comme membre d’une équipe de direction.
11. UN MANAGEMENT QUI DONNE DU SENS AUX PRATIQUES
Pour autant, il n’est pas question pour lui de s’enfermer dans une forme de
management « aseptisé » qui n’utiliserait que des procédures et protocoles. Comme
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4 • Les chefs de service face à la mutation du secteur social
le souligne François Noble (2011), le management peut aussi permettre, « à
l’acteur d’agir autrement, d’être ouvert à l’imprévu, de penser des processus et pas
uniquement des procédures, de prendre des risques, de construire collectivement
le sens et de trouver un sens collectif à l’action ». Nous partageons la position de
François Noble qui écrit que « mieux gérer les hommes n’est pas les “casser” mais,
au contraire, leur permettre de penser et d’agir plus librement dans des postes
moins prescrits ».
Il s’agit d’articuler finalité sociale, économique et éthique. La commande publique
actuelle impose une forme de management orientée vers la recherche de la performance. Néanmoins, les valeurs démocratiques, professionnelles, institutionnelles
et le respect de la personne humaine doivent cohabiter avec les finalités proposées.
Ce qui nécessite une interrogation régulière d’ordre éthique pour respecter chaque
usager et également les professionnels. Brigitte Bouquet (2011) interroge cet aspect :
« Au-delà d’une simple gestion des contradictions, avoir une conception que d’aucuns
aspirent “renouvelée” de la direction, n’est-ce pas lier les finalités sociales et le
positionnement éthique conçus comme primordiaux, avec le management et la
gestion conçus comme des moyens ? N’est-ce pas veiller à des différences de position,
de rendre cette tension “suffisamment bonne” respectant chaque usager. »
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
Il n’y a pas de norme en la matière, et c’est donc en fonction du contexte que sera
pensé le système qui intègre l’environnement, la personne morale gestionnaire
avec ses valeurs, l’organisation du travail mais également les hommes et les
groupes constitués par les usagers, les professionnels qui mettent en œuvre des
comportements, des attitudes et aussi des affects. D’où l’intérêt du questionnement
éthique qui, comme nous pouvons le constater grâce à notre expérience mais aussi
par le biais des recommandations de bonnes pratiques professionnelles, semble
nécessaire :
87
« La réflexion éthique émerge d’un questionnement pouvant venir des professionnels,
des personnes accompagnées ou de leur entourage. Au plan institutionnel, il s’agit
d’une réflexion collective associant une pluralité de points de vue (usagers, proches,
représentants d’usagers, professionnels, personnes ressources...) déclenchée par
des situations concrètes singulières où entrent en contradiction des valeurs ou des
principes d’intervention. Elle donne du sens aux pratiques » (F. Noble).
La réflexion éthique constitue un élément dynamisant pour les organisations par la
recherche d’un équilibre entre la préservation de l’organisation et la dynamique
d’interrogation des valeurs et des règles qui la fondent. Elle contribue aussi à
impulser une dynamique de responsabilisation des équipes dans cette démarche
de questionnement.
C’est en ce sens que pour François Noble (2011), le management doit être étayé par
une position éthique, construite selon lui à partir de valeurs d’humanité, de rigueur
et d’efficience, « position éthique qui tient à la posture des acteurs eux-mêmes et
qui se traduit clairement dans les pratiques ». Éthique et management composent
un couple indissociable. Il est nécessaire alors d’expliciter le type de management
proposé par Patrick Lefevre et Yvan Mura (2010) :
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PARTIE 1 • L’ÉVOLUTION DE LA FONCTION DE CHEF DE SERVICE
« Le management traduit des intentions politiques, esquisse des stratégies et des
choix, énonce des positions éthiques et déontologiques, formule des orientations
managériales autour de valeurs et de stratégies appropriées à un contexte donné. »
12. MODIFICATIONS DES PRATIQUES PROFESSIONNELLES
Le chef de service cherche à développer des formes de transaction diversifiées
et enrichies avec son environnement. Cela peut avoir beaucoup de significations
concrètes : ouverture de l’équipe à d’autres discours, actions permettant de mettre
du tiers, d’éviter le repli, d’intégrer des données externes, de développer le
partenariat, etc. Selon B. Dobiecki et D. Guaquère (2001), « la question essentielle
du management des organisations est de garder de la cohérence et en même temps
de se développer dans des environnements avec lesquels il s’agit de s’adapter
et aussi, d’anticiper les changements. La gestion stratégique des hommes y est
centrale, ceux-ci pouvant être autant des freins que des porteurs du changement ».
88
Le chef de service est celui qui aide à développer des projets dans un environnement
donné entouré de partenaires. Il sait coopérer avec l’équipe qu’il encadre et met
l’action en débat et l’explique. Il encourage une approche plurielle qui intègre une
connaissance humaine et une prise en compte de la singularité de chaque acteur
dans l’organisation. Au-delà des méthodes et des techniques, le chef de service
reste un artisan qui exerce un style singulier à travers les actions et les postures qu’il
adopte.
Les pratiques coopératives sont rendues possibles par l’expression de processus
d’innovation. L’innovation suppose une volonté de changement et d’apprentissage
collectif selon M. Crozier et E. Friedberg (1977). Il s’agit de construire des règles de
fonctionnement coopératif, comme le décrit J.-F. Draperi (2003) : « Des règles coopératives qui ne peuvent être produites que par la coopération entre les membres, acte
par lequel s’édifient les conventions et les règles socio-économiques fondant l’action
collective. » Ces règles ne font pas partie des habitudes et doivent être négociées
en permanence. Elles nécessitent de la part des acteurs un acte d’apprentissage
mutuel. Le chef de service endosse alors la position managériale pour instituer
cette dynamique. Pour jouer ce rôle, il s’extrait de son métier d’appartenance
pour s’investir dans la rencontre avec l’ensemble des acteurs et des métiers. En
garantissant les règles du débat, « il permet et facilite le jeu démocratique, créant
des possibles en acceptant le caractère instable du système social » (Jouvet, 2009).
Une attention fine et bienveillante améliore les échanges communicationnels et le
climat de travail. C’est également s’appuyer sur l’engagement, indispensable pour
établir un climat de coopération. La vie d’un service ou d’un établissement constitue
une expérience de cohésion sociale n’excluant pas une explicitation des différences
qui se combinent autour d’un projet commun. La formation permet de s’approprier
certains savoirs et d’avoir suffisamment d’éléments de compréhension pour saisir
les enjeux de l’organisation. Dans la recommandation de l’ANESM sur la mission du
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4 • Les chefs de service face à la mutation du secteur social
responsable d’établissement publiée en décembre 2008, il est conseillé de valoriser
et de développer la compétence individuelle et collective par la formation continue.
Il est question également de mettre en valeur les talents et compétences spécifiques :
« Cette identification est en effet un mode de reconnaissance important des professionnels au sein des établissements, qui permet de cultiver leur sentiment d’utilité et
de plaisir au travail, et de tirer tous les bénéfices de leur créativité. »
Le chef de service avec son équipe ou ses équipes doit se préoccuper de la mise
en œuvre des projets sur le plan stratégique : « où va-t-on ? », mais également de
savoir « comment y va-t-on ? » en complétant ses connaissances avec celles des
apports des professionnels. Nous rejoignons D. Gacoin (2010) qui signale qu’« une
direction se doit de croire en la capacité d’apports des professionnels... Les agents
dans les établissements et les services n’ont pas pour seul objectif de développer leur
seul biais de satisfaction, mais sont en capacité d’apporter des solutions techniques
aux directions prises ».
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.
En s’inscrivant dans des pratiques coopératives et dans une dimension d’apprentissage, le groupe devient riche, porteur de projets variés, capable sans cesse de les
articuler et d’innover.
Nous soulignerons l’importance de resituer les responsabilités que les professionnels
du secteur social et médico-social doivent assumer. De par les systèmes pyramidaux
ou fortement hiérarchisés, les professionnels que nous rencontrons au quotidien
ont le sentiment que les responsabilités incombent uniquement à leur supérieur
hiérarchique. Ils imaginent pour certains qu’ils peuvent se départir de cette prise
de responsabilité. Ils semblent comprendre cette notion de responsabilité sur
le plan du droit uniquement. La responsabilité juridique implique un caractère
contraignant et répressif et recherche le préjudice « qui a été la cause, qui est
le coupable ». Dans son acception morale, la responsabilité signifie : « Je veux
répondre de mes actes, je me considère apte à répondre de mes actes. » i Dans
une institution sociale ou médico-sociale, trois formes de responsabilité règlent les
relations interprofessionnelles ainsi que celles de l’accompagnement décrit dans
les recommandations de bonnes pratiques professionnelles publié en juin 2010
comme suit :
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• la responsabilité institutionnelle : elle constitue la référence à la règle ;
• la responsabilité professionnelle : celle de la mission confiée et de la qualité
de l’aide apportée, parce que l’on peut justifier d’un savoir-faire officiellement
reconnu (profession et métier) et d’une intervention réglementée ;
• la responsabilité personnelle : cette responsabilité ne peut être engagée que
si elle est supportée par les deux premières et se joue principalement dans
l’espace relationnel entre professionnel et personne accompagnée. Elle suppose
ainsi l’abandon de la toute-puissance et la capacité de dialogue fondée sur la
reconnaissance de l’autre.
Ces trois niveaux de responsabilité nous semblent importants car ils soutiennent
le professionnel dans l’engagement d’une responsabilité morale et éthique qui
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PARTIE 1 • L’ÉVOLUTION DE LA FONCTION DE CHEF DE SERVICE
porte naturellement à l’action et entraîne l’acceptation du risque. Les professionnels
ne peuvent plus se situer dans une dépendance du chef de service et celui-ci
a également à donner une plus grande marge de manœuvre aux équipes qu’il
encadre. Pour les « chefs de service » qui jusqu’alors manageaient en « bon père de
famille », la tâche est rude. Ils sont dans l’obligation de trouver d’autres stratégies
pour asseoir une forme de légitimité au quotidien.
13. LA MISE EN PLACE DE RÉSEAU
Les exigences qui pèsent aujourd’hui sur les établissements et sur leurs encadrements sont importantes. La mise en place d’un réseau me paraît de ce point de vue
une initiative très intéressante, notamment parce que nombre de cadres sont seuls
dans leur fonction, particulièrement quand la structure est petite et ne dispose pas
de structures communes permettant l’échange.
De ce point de vue, pouvoir échanger entre pairs, c’est-à-dire entre personnes
ayant le même type de positionnement au sein des organisations, me paraît central.
D’autant que, parfois, certains peuvent se retrouver dans des situations très difficiles
pouvant avoir des conséquences personnelles fortes. Pouvoir être conseillé, soutenu,
notamment quand on démarre dans la fonction, me semble donc très important.
90
Nous pouvons penser que les chefs de service se trouvent comme l’écrit F.-M. Beyer
(2004) dans des situations qui ne sont pas de tout repos : « Le travail est souvent
harassant, il intervient dans des contradictions, des tensions, des conflits. » Ils ont
besoin de se retrouver ensemble parce que confrontés à une série de tensions
dans les organisations. La construction de la position de cadre, comme nous
avons pu le voir précédemment implique un ancrage dans l’espace symbolique de
l’institution ou du service. L’analyse de cet espace symbolique a conduit E. Enriquez
(1992) à révéler quatre grandes structures types : charismatiques, coopératives,
bureaucratiques et technocratiques.
Les chefs de service vivent au quotidien ces « réalités symboliques » en fonction
desquelles ils tentent de maintenir le cap. Pour cela, ils ont besoin de rencontrer
leurs pairs pour parler « professionnel » et éventuellement mutualiser des outils,
mais aussi fréquemment pour évoquer des anecdotes ou ce que nous pourrions
appeler « le vivant des institutions ».
En se rencontrant, ils semblent se construire une légitimité à agir et à dire. H. Hatzfeld (1998) définit la légitimité comme « le droit qu’on reconnaît à quelqu’un de faire
ou de dire quelque chose au nom d’un principe auquel est accordée une valeur ».
Elle distingue trois grands types de légitimité : institutionnelle, démocratique et de
compétences. Ces trois types de légitimité sont relatifs et l’acquisition de la légitimité
n’est pas valable dans toutes les situations. Il s’agit sans cesse de justifier la raison
de ses actes, leur validité et développer de nouvelles logiques d’action. C’est à
mettre en parallèle avec leur position institutionnelle, leur rôle vis-à-vis de la société
et leurs compétences.
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4 • Les chefs de service face à la mutation du secteur social
À mon sens, les cadres sont à la recherche de cette légitimité et c’est pour cette
raison qu’ils recherchent différents groupes d’appartenance. Les chefs de service
pourraient tirer leur légitimité à créer de la « reliure » entre acteurs, dépassant les
simples volontarismes en palliant les lourdeurs inhérentes à toute organisation, en
facilitant la compréhension entre pairs de spécialités et de cultures différentes.
Le débat sur la question de la légitimité est récurrent. La notion de légitimité
est aujourd’hui beaucoup utilisée, dans des domaines variés et avec des aspects
différenciés, sans que, pour autant, lui soit associée une définition claire. Nous
avons souhaité dans cet article modestement définir comment le chef de service
peut combiner la dimension sociale, la dimension économique et la dimension
politique (son positionnement), au sein du service qu’il gère pour accéder à une
forme de légitimité qui sera la sienne dans un contexte en évolution.
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