Autrui Quelques problématiques : En quoi autrui représente-t

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Quelques probmatiques :
En quoi autrui représente-t-il un danger ?
Puis-je savoir sans autrui que je suis libre ?
Des relations sans domination ni pouvoir sont-elles possibles ?
Suis-je capable de vouloir du bien à autrui ?
« Sans amis, nul ne voudrait vivre.» (Aristote)
En philosophie, « autrui » est ce qui est différent de moi. « L'homme » est ce que j'ai en commun avec les
autres, tandis qu'« autrui » est ce qui me différencie des autres, ce que je ne peux connaître totalement, à
cause de ma subjectivi. Se révèle parfois, chez l'autre lui-même, une étrange qui me déconcerte et vient
mettre en question la possibilité même d'entretenir avec lui des relations « normales ». En fait, l'existence la
plus quotidienne nous met constamment en contact avec l’altéri.
S'il peut m'arriver de désirer de temps à autre la solitude absolue, sous prétexte que les personnes qui
m'entourent me paraissent parfois pénibles à supporter, je devine que cet isolement deviendrait vite pesant à
son tour. La présence des autres m'est en fait indispensable.
I - La reconnaissance d'autrui
A - Le problème : Ne suis-je certain que de l'existence de ma conscience ?
Les philosophes des siècles passés n'ont guère traité le problème de la communication des
consciences. Ainsi, pour Platon, dans Le Banquet, l'amour pour une personne ne s'adresse pas à la
personne elle-même, mais, à travers cette personne, à l'Idée dont la personne est un reflet passager.
L'expérience de l'amour n'est donc pas, pour Platon, celle d'une communication des consciences
entre elles, mais celle d'une communication de la conscience avec l'Idée.
De même, pour Leibniz, chaque personne est une « monade » coupée de toutes les autres, «
sans fenêtre ». On ne peut communiquer avec autrui que de manière superficielle.
Quant à Descartes, la découverte du sujet pensant est en même temps l'expérience d'une
solitude radicale : ma conscience est la seule dont j'ai directement l'expérience. Le cogito ne se
forme pas par l'échange ; il existe indépendamment des autres.
Malebranche va plus loin : selon lui, on ne peut connaître autrui que « par conjecture » (par hypothèse). II y
a là une « tentation solipsiste ».
Ne sommes-nous pas tenus d'adopter la théorie du solipsisme, attitude consistant à penser
qu'il n'y a qu'une seule réalité, le Moi, à partir de laquelle toutes les autres se déterminent et qui, en
conséquence, nie la possibilité de la connaissance d'autrui ?
Ou puis-je affirmer qu'il existe d'autres consciences que la mienne avec lesquelles je puis communiquer ?
B La réponse : L'existence d'autrui est une certitude
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Un homme n'est pas un objet comme un autre, un pur spectacle pour cet unique spectateur
que serait ma conscience. L'existence d'autrui est pour moi une certitude vécue. Je crois
spontanément à l'existence des autres consciences (sans le secours d'un raisonnement laborieux),
comme je crois spontanément à l'existence du monde extérieur.
Husserl l'a bien montré : de même que « toute conscience est conscience de quelque chose
», de même notre conscience reconnaît l'existence d'autres consciences dans un sentiment de «
coexistence ».
Il - La communication des consciences
A - Malgré l'individualisme
Certes, les autres peuvent représenter un obstacle à la connaissance de soi-même. Les «
autres », la vie sociale, sont considérés comme un « bruit » qui nous détourne de notre vérité
intérieure. Ce n'est que dans la solitude, dans l'isolement du rapport à soi-même que l'on peut se
connaître. Rousseau critiquait ainsi la vie en société, qui nous oblige à porter des masques.
La vie sociale n'est qu'un jeu de rôles. En société, il faut toujours plaire, être conforme à une
certaine image sociale. Ces contraintes m'empêchent d'être moi-même. L’œuvre monumentale de
Balzac s'intitule : La Comédie humaine. Ce titre n'est pas innocent. En effet, et ainsi que le pense
Alain, la majeure partie de notre existence n'est que mascarade, cérémonie. Je passe mon temps à
jouer un rôle.
Le simple individualisme participe d'une attitude analogue. Les autres ne peuvent nous
imposer que des idées ou des comportements conformistes. II nous appartient de nous découvrir
ailleurs que dans ce que les autres nous proposent. Nietzsche invitait le «surhomme» à se détacher
des autres et à chercher ses propres valeurs.
B - La communication est un fait d'expérience
Non seulement, il existe des consciences autres que la mienne, mais encore les consciences peuvent entrer
en communication entre elles. C'est un fait indiscutable : nous communiquons avec les autres.
Dans un ouvrage au titre significatif : La Réciproci des consciences, Maurice Nédoncelle considère la
communication des consciences comme le fait primitif de la nature humaine. La relation avec autrui fait
partie intégrante de la condition humaine. La conscience n'est pas isolée du monde des consciences dans
lequel elle vit, «Nul n'est une île» (Titre d'un ouvrage de Thomas Merton).
III - Les divers modes de communication
A Le raisonnement
Si l'affirmation de l'existence d'autrui est antérieure à toute réflexion, la connaissance
d'autrui suppose le raisonnement. C'est bien souvent par analogie avec moi-même, par un travail de
réflexion à partir de mes expériences personnelles et de mes connaissances que je puis entrer en
communication avec les états de conscience des autres. Je puis donc interpréter par analogie le
comportement d'autrui et lui attribuer les états de conscience correspondants.
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Cependant, cette interprétation est sujette à bien des illusions et des erreurs. Souvent, en
croyant découvrir autrui tel qu'il est, je ne fais que le recouvrir de mes songes, en me projetant en lui.
B - Par le langage
« La véritable fin du langage, c'est de mettre les êtres en communication les uns avec les
autres, plutôt que de désigner les choses », dit Louis Lavelle dans La Parole et l'écriture. Chaque
homme étend ainsi sa pensée hors de lui et reçoit des autres leurs pensées.
Le dialogue, selon Platon, permet de se connaître soi-même. C'est l'un des moyens privilégiés
de la connaissance. C'est par le dialogue que Socrate réussit à « accoucher » les esprits. L'injonction
socratique Connais-toi toi-même») passe par la médiation d'un autre (un maître) qui nous enseigne
unerité qui se trouvait dé en dedans de nous.
L'importance de l'intersubjectivi, de la relation entre deux personnes, dans la formation du
moi a été soulignée par Hegel et par Sartre.
Pour eux, je ne peux me finir que par rapport à l'autre. « Pour obtenir une vériquelconque sur moi, il
faut que je passe par l'autre. » (Sartre).
Le langage permet la communication des consciences à travers l'espace : lettre, journaux,
radio, téléphone, fax, Internet... autant de moyens d'élargir la communication des consciences. Et à
travers le temps : « La lecture des bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes
gens des siècles passés, et même une conversation étudiée en laquelle ils ne nous couvrent que
les meilleurs de leurs pensée.» (Descartes : Le Discours de la méthode).
Cependant, cette communication par le langage présente certaines limites.
Déjà Platon, dans le Phèdre, disait prérer le langage dont on use
dans la conversation au langage écrit. Le livre reste muet. La conversation, au
contraire, permet un échange continuel d'idées ; elle permet de mieux expliquer, de
préciser les points difficiles.
Mais il y a plus : le langage n'offre aucune garantie de
communication sincère. On peut abuser de cet instrument qui, disait Talleyrand, «
a été donné à l'homme pour qu'il puisse déguiser sa pensée ».
II faut aller plus loin encore : le langage permet beaucoup plus la
communication de données impersonnelles que l'échange de sentiments intimes.
L'analyse de Bergson sur ce sujet est pertinente : le langage convient pour désigner les objets matériels,
juxtaposés dans l'espace. Mais il est disqualifié pour la communication des réalités spirituelles et personnelles
de la vie intérieure. Les moments de ma durée intérieure sont singuliers et incomparables. Quand je les livre à
autrui par le langage, les mots abstraits et généraux ne peuvent que les banaliser et les trahir.
Autrement dit, le langage fait participer les consciences à un monde commun, superficiel, un monde de
concepts. Mais il est difficile, sinon impossible, pour les consciences, de communiquer par le langage leur
singulari.
Enfin, le langage permet parfois d'éviter la communication des consciences. Souvent, en
effet, pour éviter la communication, par prudence ou par discrétion, on échange des politesses, on
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parle «de la pluie et du beau temps». II a été d'ailleurs dit, très finement, que «parfois le langage
permettait d'éviter l’indiscrétion du silence».
IV - La communication intuitive
A - Par les expressions et les gestes
La communication intuitive se réalise par la connaissance immédiate de la signification des expressions et des
gestes. C'est ainsi que nous lisons la colère dans les gestes de l'interlocuteur, comme la tristesse dans ses
larmes.
B - Par le regard
Le regard, en particulier, est communication immédiate des consciences. C'est dans les yeux que nous
trouvons l'homme, mieux que dans ses paroles : « Dans les yeux brille l'âme captive qui envoie ses
messages», dit Alain. Le regard d'autrui a, d'emblée, pour moi un sens humain.
Ceci est très pertinemment illustré par l'analyse du regard que J.P Sartre propose dans l'Etre et le Néant: dès
qu'autrui me regarde, je cesse de voir ses yeux comme des choses, comme de simples objets qu'on pourrait
décrire. Sartre se situe dans une perspective gélienne.
Pour Hegel, la relation première entre le Moi et l'autre, c'est le conflit.
Le fait premier n'est pas la solitude du « cogito » cartésien, mais le conflit des consciences.
De même que dans la logique dialectique, la thèse implique immédiatement l'antithèse, de même la
conscience de soi ne se pose qu'en s'opposant aux autres consciences.
En effet, lorsque je dis « je », je désire être reconnu par les autres comme une personne autonome, comme
une conscience. Lorsque le guerrier vainqueur laisse la vie sauve à son adversaire, il en fait son esclave qui le
reconnaîtra pour maître. (Reportez-vous au cours sur le désir)
Pour Sartre, de même, la communication par le regard serait d'emblée conflictuelle.
« Etre regardé, c'est se saisir comme objet inconnu d’appréciations inconnaissables, en particulier
d’appréciations de valeurs. »
Autrement dit, sentir que l'on me regarde, c'est sentir en mon être intime la présence de la
conscience d'autrui. D'où le malaise, la honte qui me saisit lorsque je devine ou pressens les
appréciations qu'autrui formule sur moi-même, « honte de soi devant autrui » ; je me sens diminué,
«dominé par autrui », esclave.
A mon tour, en regardant les autres, je suis par rapport à autrui comme autrui par rapport à moi : « En les
regardant, je mesure ma puissance ». Ainsi, « Nous pouvons nous considérer comme des esclaves, en tant
que nous apparaissons à autrui ».
Sartre a illustré brillamment cette analyse du regard hostile de l'autre dans sa pièce : Huis
clos. Dans cette pièce, les trois personnages se retrouvent en enfer ; ils s'attendent à de terribles
tortures physiques, obsédés par leur passé, leurs erreurs et leur lâcheté.
Lorsque la porte de l'« enfer » s'ouvre, aucun d'eux n’a le pouvoir de sortir ; ils constatent alors qu'ils sont
inséparables, qu'ils sont à la fois « victimes et bourreaux les uns des autres ».
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La véritable torture physique de l'enfer, c'est de constater que chacun a besoin de l'autre pour exister, mais
que le regard d'autrui est une menace constante pour toute vraie relation. « Pas besoin de gril, l’enfer, c'est
les Autres.» (Sartre)
Le cycle infernal de la dépendance à autrui ne peut être brisé. J'ai besoin des autres pour me
connaître et pour vivre, mais les autres m'empêchent d'affirmer mon individualité, car ils me
renvoient une fausse image de moi-même. Je suis un être libre, distinct des autres, mais les autres
entravent ma liberté. Je ne peux toutefois vivre sans eux...
Ainsi donc, pour Sartre, l'homme est un être pour autrui, irrémédiablement exposé, offert à
autrui comme une proie vivante. Les consciences, en se regardant mutuellement, se pétrifient, se
convertissent mutuellement en objets ; autant dire qu'elles se dénaturent. Le commerce des
consciences n'est pas une communication, c'est un duel les « moi » se réduisent en esclavage.
Critique de Sartre
Peut-on sortir du cycle infernal crit par Sartre ? Oui, si je considère l'autre comme une
personne me permettant de prendre conscience de moi, de me percevoir comme un individu à part
entière.
Il est impossible d'admettre que la communication par le regard se réalise uniquement sur le
mode du conflit. Le regard est communion autant qu'attaque. Le regard n'est pas nécessairement
domination, prise de possession ; il est des regards qui signifient oblation, communion.
On pourrait parodier Sartre et dire « la liberté, c'est les autres.» Puisque les autres sont le
seul miroir qui me permet de me connaître, ils me permettent aussi de gagner ma liberté. Je ne peux
pas vivre dans une solitude totale, j'ai besoin d'amour et de compréhension : il ne me reste donc plus
qu'à me « servir » des autres pour m'affirmer et affirmer ma liberté.
L'autre est différent de moi : il m'échappe, je ne peux le connaître qu'à travers ma propre
expérience. En constatant qu'il est différent, je prends conscience que je suis différent, et cette
opposition me permet d'affirmer ma propre individualité. L'autre est bien celui qui me permet de me
connaître et d'être libre. Si les autres sont un «enfer» pour moi parce que je ne peux me passer d'eux,
ils sont aussi ceux sans qui je ne peux exister.
C - Par la sympathie
L'expérience de la sympathie est susceptible de nous procurer une communication
authentique avec d'autres consciences.
Mais il convient de bien distinguer, à la suite de Max Scheler (Nature et formes de la
sympathie), la sympathie véritable de la simple contagion affective.
La contagion affective (la panique, le fou rire, l'ambiance) est une pure contamination affective, sans
participation affective, sans orientation vers autrui en tant qu'autrui. Toute différente est la véritable
sympathie, qui est un acte intentionnel au sens étymologique du terme, ie tendant vers autrui comme tel. Elle
consiste soit à se réjouir de la joie d'autrui, soit à s'affliger de sa tristesse (compassion ou pitié).
D - Par l'amour
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