Rouget de Lisle et la Marseillaise

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Rouget de Lisle et la Marseillaise
Claude Joseph Rouget de Lisle naît le
10 mai 1760 à Lons-le-Saulnier. Il est
l’aîné des huit enfants de Claude Ignace
Rouget, avocat du roi au Baillage de
cette ville. Dès son plus jeune âge, il se
passionne pour la musique et la poésie.
Après des études au collège, il entre
à l’École militaire de Paris. Il en sort
sous-lieutenant et termine ses études au
corps royal du Génie. Sous la Révolution, il devient lieutenant en premier
en 1789, puis capitaine le 1er avril 1791.
Au moment de la prise de la
Bastille, il est à Strasbourg, où il écrit
les paroles d’un Hymne à la Liberté mis
en musique par Ignace Pleyel et exécuté
Claude Joseph Rouget de Lisle sur la place d’Armes, l’actuelle place
en 1792 Kléber. Il est toujours à Strasbourg
lorsque l'Assemblée nationale adopte la
déclaration de guerre à l’empereur d’Allemagne. Le voilà désormais aux
premières loges de l’action militaire.
Il l’est également dans le domaine politique, puisqu’il fait partie de la Société des Amis de la Constitution. Il est même rédacteur de la Feuille de Strasbourg, qui en est l’organe. On est au début de la Révolution, et ce groupe défend la monarchie constitutionnelle. Il recrute dans la bourgeoisie protestante et les nobles libéraux. Pas question de suffrage universel ou de république, Robespierre et ses Montagnards sont encore loin. La figure de proue de ce club est le maire de Strasbourg, le baron Philippe -­‐ Frédéric De Dietrich, riche industriel. Les gens qu’il reçoit chez lui sont des officiers de la garnison et des partisans d’une monarchie simplement modernisée. La naissance de la Marseillaise Or, à l’occasion d'une réception organisée le 24 avril 1792 le maire s’adresse à Rouget de Lisle : « Monsieur de Lisle, faites-­nous quelque beau chant pour ce peuple soldat qui surgit de toutes parts à l'appel de la patrie en danger et vous aurez bien mérité de la nation ». De retour chez lui, rue de la Mésange, Rouget de Lisle écrit les six couplets et compose au violon la musique d’un Hymne de Guerre. Dès le lendemain matin, Rouget de Lisle retrouve le maire dans son jardin et le lui soumet. Le baron le joue sur son clavecin et le trouve excellent. Le lendemain soir, 24 avril, au cours du fameux dîner, le chant est interprété avec l’accompagnement d’une dame au piano. Le texte est fortement inspiré d'une affiche apposée à l'époque sur les murs de Strasbourg par la municipalité ou par Société des amis de la Constitution. Un parent de Rouget de L'Isle rapporte qu'il aurait affirmé, lors d'une réunion, s'être inspiré d'un chant protestant de 1560 exécuté lors de la conjuration d'Amboise. Selon d’autres sources, Rouget a pu songer à l'ode de Nicolas Boileau « sur un bruit qui courut, en 1656, que Cromwell et les Anglais allaient faire la guerre à la France » Aux armes, citoyens ! L'étendard de la guerre est déployé ! Le signal est sonné ! Aux armes ! Il faut combattre, vaincre, ou mourir. Aux armes, citoyens ! Si nous persistons à être libres, toutes les puissances de l'Europe verront échouer leurs sinistres complots. Qu'ils tremblent donc, ces despotes couronnés ! L'éclat de la Liberté luira pour tous les hommes. Vous vous montrerez dignes enfants de la Liberté, courez à la Victoire, dissipez les armées des despotes ! Marchons ! Soyons libres jusqu'au dernier soupir et que nos vœux soient constamment pour la félicité de la patrie et le bonheur de tout le genre humain ! L'expression les « enfants de la Patrie » fait référence aux engagés volontaires du Bas-­‐Rhin, dont faisaient partie les deux fils du maire. Il peut aussi s’agir des cadets de la Garde Nationale locale. Rouget de Lisle chantant pour la première fois la Marseillaise, Tableau d’Isidore Pils, 1849 Voici ce que raconte l’épouse du maire, dans une lettre à son frère Ochs, chancelier bâlois : Cher frère…je te dirai que depuis quelques jours, je ne fais que copier et transcrire de la musique, occupation qui m’amuse et me distrait beaucoup, surtout dans ce moment où partout on ne cause et ne discute que de politique de tout genre. Comme tu sais que nous recevons beaucoup de monde, et qu’il faut toujours inventer quelque chose, soit pour changer de conversation, soit pour traiter des sujets plus distrayants les uns que les autres, mon mari a imaginé de faire composer un chant de circonstance. Le capitaine du génie Rouget de Lisle, un poète et compositeur fort aimable, a rapidement fait la musique du chant de guerre. Mon mari, qui est un bon ténor, a chanté le morceau, qui est fort entrainant et d’une certaine originalité. C’est du Gluck en mieux, plus vif et plus alerte. Mais de mon côté, j’ai mis mon talent d’orchestration en jeu; j’ai arrangé les partitions sur clavecin et autres instruments. J’ai donc beaucoup à travailler. Le morceau a été joué chez nous à la grande satisfaction de l’assistance. Je t’envoie copie de la musique. Les petits virtuoses qui t’entourent n’auront qu’à la déchiffrer, et tu seras charmé d’entendre le morceau. Ta sœur, Louise Dietrich, née Ochs. A l’origine, la Marseillaise aurait donc surtout servi à changer les idées d’une compagnie de convives un peu lassés de parler de politique ! Dans les premières éditions à deux liards qui furent répandues pendant l’été 1792, cette magnifique improvisation fut intitulée par son auteur : “Chant de guerre pour l’Armée du Rhin, dédiée au Maréchal Luckner”. Le chant se répand dans toute la France. Entonné par le bataillon des Marseillais dans leur marche vers Paris en juillet 1792, il est rebaptisé La Marseillaise par les Parisiens. A Strasbourg même, ce n’est qu’après avoir été exécutée à Paris le 14 octobre 1792 qu’elle devint vraiment populaire. Eulog Schneider la traduit en vers allemands sous le titre Kriegslied der Marseiller. On le rencontre ensuite dans des circonstances étonnantes. Goethe, qui a assisté à la reddition de la garnison française de Mayence en juillet 1793, montre les soldats français sortant lentement de la ville. Et voici qu’un escadron de chasseurs à cheval se met à jouer la Marseillaise. « Ce Te Deum révolutionnaire, écrit Goethe, a quelque chose de triste et de menaçant, même lorsqu’il est exécuté vivement; cette fois, les musiciens le jouaient très lentement, en réglant la mesure sur la lenteur de la marche. C’était saisissant et terrible ». Goethe rentre ensuite chez les siens, et va dîner au restaurant. Selon la coutume allemande, les convives sont accompagnés par des musiciens. Or, les musiques qui sont immédiatement demandées sont Ca ira et la Marseillaise. . La suite de la carrière de Rouget L'œuvre connaîtra une plus grande fortune que son auteur. Le 1er mai 1792 Rouget de Lisle est nommé à Neuf-­‐Brisach, puis détaché à Huningue. Il y est suspendu par Lazare Carnot. Les circonstances ont été conservées. Après la chute de Louis XVI, une commission est envoyée à Strasbourg pour recueillir le serment des responsables locaux. La municipalité reste fidèle à la monarchie constitutionnelle : on la purge, puis on la suspend. Les officiers de la garnison sont également mis en demeure de prendre position. Rouget de Lisle reste monarchiste. Carnot, pour le convaincre, demande aux troupes de jouer la Marseillaise. Rien n’y fait. Les commissaires, navrés, le suspendent. Ils le considèrent comme « une pauvre tête politique ». Il reprend du service lors de l’invasion qui menace Paris. Il est définitivement suspendu en août 1793. Suspecté, il est incarcéré à la prison de Saint-­‐Germain-­‐en-­‐Laye. Il est sauvé par la chute de Robespierre. Le 30 ventôse an III (20 mars 1795), il participe à l’expédition de Quiberon avec Hoche dont le plan de bataille permet de repousser un débarquement royaliste. Sous la Convention thermidorienne il est considéré comme un véritable Tyrtée et un décret du 26 messidor an III (24 juillet 1795) dispose que « les airs et chants civiques qui ont contribué au succès de la Révolution seront exécutés par les corps de musique de la garde nationale et des troupes de ligne ». Il participe aux côtés de Bonaparte à la défense de la Convention le 13 vendémiaire (5 octobre 1795), opération chassant les royalistes des Tuileries, du Louvre et du Palais-­‐
Royal. Après un passage à l'armée de l'ouest à la suite de Tallien, il démissionne le 9 avril 1796. Il compose en 1796 un recueil d’Essais en vers et en prose. Le 18 floréal an VI (7 mai 1798), il fait représenter à l’opéra un Chant des Vengeances. Puis il est accrédité agent auprès du gouvernement français par l'ambassade de la République Batave. Après le 18 brumaire il s’oppose à Bonaparte. Sous Portrait de Rouget de Lisle âgé. l'empire, il est cependant à la tête d'une entreprise de fournitures de vivres auprès des armées. Après la chute de Napoléon, il semble avoir retrouvé sa fibre de monarchiste constitutionnel, puisqu’en 1825, il publie Chants français, et même un hymne royaliste, intitulé Vive le Roi ! mais qui ne séduit pas Louis XVIII. Il n'arrive pas non plus à percer dans sa carrière littéraire, malgré des préfaces, des traductions d'ouvrages anglais, des mémoires… Il est décidément resté un monarchiste modéré. Au moment de la Révolution de 1830, il traverse Paris pour se rendre à une invitation, au milieu de barricades où l’on entonne son chant. Il arrive chez ses amis, pose son chapeau et s’exclame : « Plus rien ne va. Savez-­‐vous ce qu’ils chantent ? La Marseillaise ! ». Louis Philippe, qui installe une monarchie parlementaire selon les goûts de Rouget, lui accorde enfin une petite pension viagère. Il finira sa vie dans une situation précaire, devant même vendre l'héritage de son père. On sait qu’il fait un passage à la prison de Sainte-­‐Pélagie pour dettes. Malade, il est recueilli en 1826 par un de ses camarades de l'armée, le général Bein, à Choisy-­‐le-­‐Roi. Il décède dans cette ville le 26 juin 1836 à l'âge de 76 ans, et il y est inhumé. Au printemps 1915, les troupes françaises subissent des revers en Artois. Raymond Poincaré, Prési-­‐
dent de la République, pour leur redonner de l’ardeur décide que les cendres du poète seront transportées aux Invalides le 14 juillet 1915.. Etranges destins que ceux de l’hymne national et de son compositeur. Rouget n’a jamais été franchement un républicain. Politique-­‐
ment, il se situait entre les Le transfert des cendres de Rouget de Lisle aux Invalides, en 1915 monarchistes modérés et les girondins. Au moment de la chute de Louis XVI, il refuse de se rallier à la République, alors que la trahison du roi est patente. Il n’en reste pas moins un patriote. A titre de comparaison, rappelons que Lafayette, une autre figure des débuts de la Révolution, passera à l’ennemi. Il serait intéressant de comparer son à celui d’autres acteurs de la Révolution. Talleyrand et Fouché, si opposés, ont survécu, et même mieux que survécu, au prix de trahisons successives. Carnot et Kellermann sont devenus des dignitaires de l’Empire. Monet, maire de Strasbourg, s’est retrouvé petit employé, au fond d’un petit bureau, avant d’en être chassé par les monarchistes…Rouget, lui, a fini dans la misère, mais est finalement resté fidèle à l’essentiel de ses idées. Sa Marseillaise, elle, lui a échappé et commencé à vivre sa propre vie, alors que lui-­‐même semble s’en distancier. Bannie par la Restauration et l’Empire, elle ressurgit sous la IIIe République. Rouget l’a t-­‐il reniée ? Cela n’a plus aucune importance aujourd’hui. Elle a depuis trouvé un père adoptif, le peuple français. Pierre Jacob SEINGUERLET E., Strasbourg pendant la Révolution, Paris, 1881. LOTH Arthur, BRIERE-­‐LOTH, Pierre, La Marseillaise, Enquête sur son véritable auteur, Nouvelles Editions Latines, Paris, 1992. THIERSOT, Julien, Histoire de la Marseillaise, Paris, 1915 
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