Le thème du débat d’aujourd’hui porte sur « Repenser le commerce international. » Ce thème est
exactement le titre d’un livre publié par l’économiste et Prix Nobel Paul Krugman en 1994. C’était le
début de ce que les économistes appelaient « la nouvelle théorie du commerce international. » Cette
nouvelle théorie se voulait plus puissante, plus fine, plus proche des mécanismes réels des
économies et mettait l’accent sur l’infrastructure, l’innovation et les facteurs de production
spécialisés. Dans un autre genre, les années 1990 sont aussi les années du « Consensus de
Washington » : les organisations internationales (Banque mondiale et Fonds Monétaire
International) pensaient avoir trouvé le modèle de développement économique : désendettement,
dévaluation, ouverture des économies aux marchés mondiaux. Les théories du commerce
international nous enseigne que les pays vont se spécialiser et/ou différencier leurs produits
amenant alors à un approfondissement des économies et donc un renforcement de ces mêmes
économies. D’un côté, Paul Krugman expliquait les mécanismes, de l’autre les institutions voulaient
forcer ces mécanismes et remplir après tout leur mandat : aider le monde. Seulement on avait oublié
les coûts d’ajustement. Passez d’un équilibre à un autre – même supposé meilleur – est coûteux. Le
pire coût est le syndrome du gagnant : le gagnant est celui qui rafle tout.
Ont suivi la crise Mexicaine en 1994, la crise asiatique de 1997, la crise argentine de 1998, la crise
russe de 1998, la bulle internet de 2000 et la crise de la titrisation des prêts hypothécaires de 2007.
Force est de constater qu’il est nécessaire de « repenser le commerce international. »
En ce qui me concerne, j’aimerais « repenser le commerce international » de deux façons différentes.
La première est qu’il faut repenser « l’organisation » du commerce international. La crise
économique aujourd’hui est une excellente opportunité pour repenser le mandat des organisations
internationales, leur nombre, les acteurs, redéfinir la multilatéralisme par rapport au bilatéralisme
toujours très fort. Il ne s’agit pas de faire disparaître le FMI ou la Banque Mondiale, ou l’Organisation
Mondiale du Commerce ; sans ces institutions les citoyens les plus fragiles des pays les moins
développés n’auraient même pas de lendemain. Mais il s’agit de revoir les mandats, les modes de
fonctionnement et surtout la vraie place du multilatéralisme.
La deuxième façon de repenser le commerce international est davantage au niveau académique. Je
veux amener la réflexion ici au-delà de la réforme des institutions internationales. Repenser le
commerce international, cela veut dire pour moi raffiner les modèles des économistes, de travailler
sur une nouvelle « nouvelle théorie du commerce international » qui prendrait en compte la
régionalisation davantage que la mondialisation, qui intègrerait les dimensions culturelles et
environnementales sans oublier l’éthique. Cette nouvelle théorie qui mettrait en avant le « bien-
être » et non pas seulement le PIB serait le pendant de ce que la Commission Sen-Stiglitz-Fitoussi
proposait pour l’alternative à la mesure d’une économie que représente le PIB. Ces nouveaux
modèles intègreraient donc la complexité du monde tel que vécu par les êtres humains : ils vivent
dans des régions économiques (théorie des zones monétaires optimales) plus que des pays
(définitions politiques), ont des habitudes (culture), des exigences sociales (protection de
l’environnement, règlementations sanitaires, etc.). Ces modèles nous serviraient à mieux représenter
la mécanique du commerce international (les délocalisations pour raisons de coût, mais aussi pour