10 Contre l’exclusion : repenser l’économie
groupes significatifs de la population, tels par exemple certaines catégories d’immigrants
ou les citoyens de certaines régions considérées comme marginales.
L’exclusion qui affecte la société aujourd’hui n’est donc pas le résultat des
inégalités sociales et économiques, propres au capitalisme, mais plutôt d’une stratégie de
gestion de ces inégalités. Elle est le produit de la crise de l’État keynésien, voire d’une
conception de la gestion du social qui cherche à assurer la maintien des privilèges des
couches sociales dominantes, même si le rythme général de croissance a ralenti
comparativement aux années fastes de la société fordiste. Il en résulte une société divisée
en deux grandes classes : ceux qui ont tous les droits, qui jouissent d’une large sécurité
sociale, qui bénéficient d’un revenu stable, et ceux qui voient leurs droits de citoyens
érodés par des revenus faibles et incertains, par la remise en question des programmes de
sécurité sociale et par leur rapport précaire au marché du travail.
Ce problème est à la fois individuel et global. Il est individuel parce que qui dit
exclusion dit exclus. La situation d’exclusion est à l’origine de vécus spécifiques,
de drames humains, mais aussi de solidarités nouvelles entre des individus qui constituent
le ferment d’un secteur communautaire riche en liens sociaux et en énergie innovante.
Mais l’exclusion constitue aussi, et surtout, un problème global, dans la mesure où
elle révèle une crise profonde des modalités de régulation qui jadis cimentaient la société
et la reproduisaient.
L’État-nation, dont les attributs économiques ont été conçus et introduits sous
l’impulsion de la pensée keynésienne, est en crise. Cette crise ne se traduit pas par la
disparition de l’État, ni comme lieu de pouvoir économique et politique ni comme espace
d’articulation de la lutte politique. Elle ne sonne pas non plus l’heure de la disparition de
la nation comme espace de régulation. La crise de l’État-nation exprime surtout
l’asservissement des États et de leurs dispositifs régulateurs, notamment de leurs
politiques sociales et économiques, aux normes financières imposées par des instances
transnationales, voire mondiales.
La mondialisation progressive de l’économie a fait éclater le cadre étatique
de régulation économique et sociale. Les politiques économiques et sociales qui visaient
le renforcement des appareils productifs et des marchés nationaux sont remplacées
rogressivement par des politiques d’ouverture économique, ce qui, par le fait
même, pose des standards de compétitivité plus élevés. Dans ces nouveaux espaces
économiques supranationaux, les grandes corporations bénéficient des rentes de
localisation et d’avantages comparatifs multiples, ce qui apporte un dur coup aux
politiques sociales des États.
C’est que ces politiques comptaient parmi leurs objectifs celui d’intégrer au
marché l’ensemble des citoyens, d’en faire des consommateurs dans le but justement de
renforcer le marché intérieur et, partant, de soutenir l’appareil productif national. Sous la
gestion fordiste du social, pauvres et riches constituaient des consommateurs, d’où leur
intégration malgré leurs différences structurelles. L’intégration se réalisait par la
consommation et était soutenue par des politiques sociales dont la rentabilité se mesurait
en fonction de la reproduction élargie du capital.