activité soignante n°2-13:nouvelles AFIC n°1vol5 08/07/13 19:10 Page54 Activité soignante L’éducation thérapeutique du patient : principes, enjeux et finalités Nathalie Ponthier Directrice adjointe IREPS Bourgogne - Instance Régionale d’Éducation et de promotion de la santé- Docteur en sociologie et Cadre de santé I Dès 1998, selon le rapport de l’OMS région Europe, « l’éducation thérapeutique du patient devrait permettre aux patients d’acquérir et de conserver les capacités et les compétences qui les aident à vivre de manière optimale leur vie avec leur maladie. Il s’agit, par conséquent, d’un processus permanent, intégré dans les soins, et centré sur le patient. L’éducation implique des activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage de l’autogestion et de soutien psychologique concernant la maladie, le traitement prescrit, les soins, le cadre hospitalier et de soins, les informations organisationnelles, et les comportements de santé et de maladies. Elle vise à aider les patients et leur famille (et/ou entourage) à comprendre la maladie et le traitement, coopérer avec les soignants, vivre plus sainement et maintenir ou améliorer leur qualité de vie. » Précisée dans la loi Hôpital Patients Santé Territoires (HPST) du 21 juillet 2009, l’éducation thérapeutique vise à donner au malade des connaissances, des savoir-faire et des attitudes lui permettant de mieux gérer son traitement, de prévenir certaines complications, de s’adapter à des situations nouvelles et d’améliorer sa qualité de vie. La loi donne un cadre juridique aux pratiques d’éducation thérapeutique du patient et insiste plus particulièrement sur les programmes d’éducation thérapeutique du patient. Un décret (n° 2010-904) et un arrêté relatifs au cahier des charges des programmes d’éducation thérapeutique du patient et à la composition du dossier de demande de leur autorisation, d’une part, et un décret (n° 2010-906) et un arrêté nitialement développée dans le domaine des maladies chroniques comme le diabète ou l’asthme, l’éducation thérapeutique du patient (ETP) est une démarche émergente en cancérologie. Pour autant, les évolutions thérapeutiques en cancérologie modifient la durée de (sur)-vie et l’augmentation de la durée de (sur)vie des patients atteints de cancer contribue progressivement à donner à la maladie cancéreuse les caractéristiques d’une maladie chronique. Par exemple, les patients doivent faire face à des symptômes, ajuster leur vie sociale et professionnelle pour s’adapter à leur nouveau contexte d’existence avec la maladie. Ils doivent faire face non seulement au diagnostic de cancer, mais également à des options thérapeutiques. L’éducation thérapeutique part du principe que les comportements nécessaires pour vivre avec une maladie chronique peuvent être structurés par les patients eux-mêmes notamment grâce à des processus d’apprentissage en complémentarité d’une prise en charge « classique ». L’éducation thérapeutique est ainsi une composante des soins dans les maladies chroniques. Définition et évolution du cadre réglementaire de l’éducation thérapeutique du patient L’éducation thérapeutique du patient a pour objectif de permettre au malade chronique de gérer, de manière optimale, sa vie avec la maladie. Bulletin Infirmier du Cancer 54 Vol.13-n°2-avril-mai-juin 2013 activité soignante n°2-13:nouvelles AFIC n°1vol5 08/07/13 19:10 Page55 Activité soignante Figure 1. La différenciation de modèles de santé selon trois conceptions (Réalisé à partir des travaux de C. Eymard). Le modèle organiciste de la santé négative (santé négative) Le modèle global de la santé positive (santé positive) Le modèle de l’existence d’un sujet autonome ouvert sur le monde (santé expérience de vie) Centration sur la maladie Centration sur l’individu Centration sur l’homme (accent mis sur la subjectivité humaine dans son existence) Santé et la maladie vont de pair La santé se définit en opposition à la maladie La santé est l’affaire du monde médical L’individu est un corps, objet du travail de santé Santé et maladie sont deux entités distinctes La santé est l’affaire de l’individu L’individu est l’acteur principal devant jouer un rôle, celui que les professionnels de santé ont écrit pour lui. La santé est expérience de vie individuelle et collective dont la maladie fait partie La personne est à la fois actrice et décideuse L’être humain est une somme d’organes réparables L’être humain est un être de besoins L’être humain est considéré comme qui s’adapte à un environnement un sujet autonome et auteur de sa vie Le terme de besoin connote des notions de dépendance Une définition en termes médicaux Une prédominance normative : l’individu reste un objet à contrôler et régulariser dans la perspective d’une santé totale et dans un registre de soumission aux normes médicales Une reconnaissance des savoirs d’expérience : le savoir n’est plus uniquement académique et expertise, il est aussi issu de l’expérience de l’homme au quotidien La santé est l’absence de maladie La mort est un échec thérapeutique La santé est une réalité sociale combinant une réalité objective et un état subjectif La santé est un idéal à atteindre L’éducation thérapeutique : entre interprétation existentielle et biomédicale de la santé et de la maladie relatifs aux compétences requises pour dispenser l’éducation thérapeutique du patient, d’autre part, ont été publiés le 4 août 2010 et définissent le cadre d’application de la loi. Si la loi fixe un cadre juridique, l’éducation thérapeutique demande à être pensée et conçue à deux niveaux complémentaires. Le premier niveau concerne son intégration permanente aux soins. En effet, intégrée aux soins, l’éducation thérapeutique du patient correspond à l’intention éducative de toute rencontre entre un soignant et un soigné. Elle doit être permanente dans le processus de soins et ancrée dans la relation soignantsoigné. Le deuxième niveau renvoie aux programmes d’éducation thérapeutique du patient. Ces programmes pluri-professionnels d’éducation thérapeutique du patient correspondent à une prestation limitée dans le temps. Ils sont soumis à autorisation de l’Agence régionale de santé (ARS) fixée dans les textes d’application précités. L’autorisation délivrée est pluri-annuelle. Bulletin Infirmier du Cancer La santé vaut par ce qu’elle permet de faire et de vivre. Phénomène multifactoriel, la santé dépend plus que largement de facteurs non médicaux, et n’est pas définissable seulement par des critères objectifs, mais aussi et même surtout par une perception subjective (figure 1). Parler de la santé questionne la vie. À l’image de la santé, la maladie s’appréhende dans l’expérience de vie singulière de chacun. Alors, comment se dit la maladie ? S’agit-il de déterminer, classer, catégoriser, médiatiser, informer… ? Dire la maladie, c’est d’abord l’identifier, la déterminer, la nommer : c’est l’affaire du corps médical. La responsa- 55 Vol.13-n°2-avril-mai-juin 2013 activité soignante n°2-13:nouvelles AFIC n°1vol5 08/07/13 19:10 Page56 Activité soignante bilité de la définition scientifique du pathologique revient à la profession médicale. Le médecin va porter un jugement sur un écart à des normes physiologiques mais aussi comportementales en matière de santé. Ce sont ces écarts à une norme qui vont permettre au médecin de catégoriser un état. Pour autant, ces écarts à la norme ne seront dits pathologiques que dans la mesure où ils sont concomitants d’un mal-être car suivant les termes de Canguilheim, « il n’y a pas de pathologie objective ». Pour la personne malade, dans sa relation avec le corps médical, dire sa maladie, c’est avant tout la décrire, la raconter en vue de trouver dans le discours des soignants des éléments susceptibles d’éclairer et d’orienter sa situation propre, le vécu de son état de mal-être. Il s’agit pour la personne malade d’inscrire sa maladie à la fois dans une expérience subjective et dans une expérience corporelle. Ainsi, s’interroger sur cette question de comment se dit la maladie, c’est se confronter à la dialectique de l’expérience du mal-être et de sa formulation médicale. La maladie est aussi une expérience subjective qui se décline dans les histoires singulières des personnes malades. Le cancer est une maladie qui remet en interrogation permanente la perspective d’une vie ordinaire et le sens de la vie. La maladie laisse planer irrémédiablement dans l’esprit des personnes une possible souffrance, une possible douleur, un possible handicap physique… Elle rappelle au quotidien que nous sommes mortels. Et peu de mots peuvent évoquer un danger pour la vie comme le mot « cancer ». nels, souvent avec la participation de patients, sont diffusés par des établissements de soins ou des associations. La rédaction des SOR (Standards, Options et Recommandations pour le Savoir des Patients), savoir patients de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, est l’exemple d’une démarche rigoureuse dans ce domaine. Cependant, il ne suffit pas de mettre à la disposition des patients et de leurs familles de l’information, même fiable et validée, pour qu’ils se l’approprient. En effet, deux patients présentant la même maladie peuvent être très différents dans leur capacité à réagir et à agir. La différence réside dans les qualités et les compétences personnelles que chaque personne met en œuvre pour faire face à sa maladie. Devoir s’adapter à une pathologie de longue durée comme le cancer exige que le patient puisse négocier ses propres priorités, ses préférences, pour devenir un acteur effectif du processus de décision et un partenaire des soins. L’éducation thérapeutique comme projet partagé : l’enjeu du diagnostic éducatif La démarche d’éducation thérapeutique se structure autour de quatre étapes définies par la Haute Autorité de santé (HAS) : élaborer un diagnostic éducatif, définir un programme personnalisé avec des priorités d’apprentissage, planifier et mettre en œuvre des séances d’ETP individuelle et/ou collective, et enfin réaliser une évaluation des compétences acquises et du déroulement du programme. Le diagnostic éducatif est ainsi posé comme la première étape de mise en œuvre d’un programme personnalisé d’ETP. Mais « qu’attend-on du patient vivant une maladie chronique ? Doit-il se vivre comme acteur, jouant le rôle écrit pour lui par les soignants qui par postulat lui veulent du bien ? Peut-il revendiquer son autonomie d’auteur de sa vie en assumant les risques que cela comporte ? L’éducation thérapeutique reproduit la démarche classique du modèle biomédical : interrogatoire du patient, diagnostic éducatif, et traitement sous la forme d’enseignements adressés à des groupes de patients ; un contrat pédagogique finalisant le lien et la dépendance entre soignants et patient. Les soignants bénéficient ainsi d’un modèle « clés en main » qui « protocolise » et rassure en balisant une manière de rencontre éducative reconnue comme légitime. Il est seulement demandé au patient d’être le Dimensions d’une démarche éducative : la place de l’information Composante des soins, la démarche d’éducation thérapeutique relève de deux dimensions : une dimension de prévention (la personne malade doit faire face à l’apparition de certains troubles ou symptômes liés à la maladie et à son traitement) et une dimension d’adaptation à la maladie (la personne va devoir réorganiser, repenser son projet de (sur)-vie avec la maladie.) L’éducation thérapeutique ne se confond pas avec l’information, qui a pour objectif de prévenir le patient de ce qui peut lui arriver. En cancérologie, de nombreux documents d’information élaborés par des professionBulletin Infirmier du Cancer 56 Vol.13-n°2-avril-mai-juin 2013 activité soignante n°2-13:nouvelles AFIC n°1vol5 08/07/13 19:10 Page57 Activité soignante écoute active non sélective afin d’entendre les préoccupations de la personne, pour réaliser un bilan éducatif partagé (figure 2). Qu’est-ce qu’elle a ? Identifier, les besoins, Que vit-elle ? les attentes, Que sait-elle ? les potentialités, Dans quel Que croit-elle ? les ressources, environnement les difficultés, est-elle ? les ressources, les difficultés... de la personne Que peut-elle faire ? Qui est-elle ? Qu’est-ce qu’elle fait ? Quels sont ses projets ? Conclusion L’éducation thérapeutique implique ainsi pour les soignants de profondes modifications conceptuelles et pratiques. La maladie chronique, de par son inscription dans la durée et son caractère multifactoriel, requiert une réponse à une situation de santé plutôt qu’en référence à une pathologie. L’éducation thérapeutique doit permettre de répondre aux exigences de qualité des soins, favoriser la compréhension du soin et donner une légitimité aux compétences de la personne malade. Elle va également exiger du soignant, une réflexion sur sa propre pratique. L’éducation thérapeutique du patient demande aux soignants d’investir une posture d’éducateur et la mise en œuvre d’une relation soignantsoigné plus égalitaire (moins asymétrique). Figure 2. Le diagnostic éducatif comme espace de compréhension et de négociation : « Qu’est-ce qu’elle a ? ». « sujet/acteur » de sa santé, partenaire de soignants qui attendent de lui, exigée comme valeur morale, l’observance des consignes apportées. Le patient, compliant, va mobiliser ses forces, se soumettre aux injonctions éducatives, et assumer les restrictions et les limites que la vie dans sa cruauté lui impose. Le patient peut-il être réduit ainsi à un objet de soins, fussent-ils éducatifs ? »1. S’engager dans une démarche d’éducation thérapeutique nécessite d’établir une relation partenariale. Cette relation va se construire lors de cette première étape de bilan : le diagnostic éducatif. Réaliser un diagnostic éducatif dans une perspective partenariale signifie pour le soignant-éducateur : essayer de cerner les besoins, les attentes, les ressources, de la personne malade. C’est s’intéresser à différents facteurs qui influencent la santé, le comportement de santé, la vie avec la maladie au quotidien, pour tenter de comprendre : - sa vision de sa santé ; - ses comportements de santé ou de non-santé ; - son vécu dans son parcours de la maladie et sa manière de faire le deuil de sa santé antérieure ; - ses connaissances, ses croyances, ses représentations ; - ses habilités et ses caractéristiques personnelles ; - ses projets et son contexte de vie : sa famille, son entourage, son travail, son soutien social… Il s’agit donc de construire un espace de négociation avec le patient en adoptant une posture éducative et une Bulletin Infirmier du Cancer Bibliographie Eymard C. Essai de modélisation des liens entre éducation et santé. Questions Vives, 2004 ; 2 (5). 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