L`éducation thérapeutique du patient : principes - chu

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Activité soignante
L’éducation thérapeutique
du patient : principes,
enjeux et finalités
Nathalie Ponthier
Directrice adjointe IREPS Bourgogne - Instance Régionale d’Éducation
et de promotion de la santé- Docteur en sociologie et Cadre de santé
I
Dès 1998, selon le rapport de l’OMS région
Europe, « l’éducation thérapeutique du patient devrait
permettre aux patients d’acquérir et de conserver les
capacités et les compétences qui les aident à vivre de
manière optimale leur vie avec leur maladie. Il s’agit,
par conséquent, d’un processus permanent, intégré dans
les soins, et centré sur le patient. L’éducation implique
des activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage de l’autogestion et de soutien psychologique concernant la maladie, le traitement prescrit, les soins, le cadre hospitalier et de soins, les
informations organisationnelles, et les comportements
de santé et de maladies. Elle vise à aider les patients et
leur famille (et/ou entourage) à comprendre la maladie
et le traitement, coopérer avec les soignants, vivre plus
sainement et maintenir ou améliorer leur qualité
de vie. »
Précisée dans la loi Hôpital Patients Santé Territoires (HPST) du 21 juillet 2009, l’éducation thérapeutique vise à donner au malade des connaissances,
des savoir-faire et des attitudes lui permettant de mieux
gérer son traitement, de prévenir certaines complications, de s’adapter à des situations nouvelles et d’améliorer sa qualité de vie. La loi donne un cadre juridique
aux pratiques d’éducation thérapeutique du patient et
insiste plus particulièrement sur les programmes d’éducation thérapeutique du patient. Un décret (n° 2010-904)
et un arrêté relatifs au cahier des charges des programmes d’éducation thérapeutique du patient et à la
composition du dossier de demande de leur autorisation, d’une part, et un décret (n° 2010-906) et un arrêté
nitialement développée dans le domaine des maladies chroniques comme le diabète ou l’asthme,
l’éducation thérapeutique du patient (ETP) est une
démarche émergente en cancérologie. Pour autant, les
évolutions thérapeutiques en cancérologie modifient la
durée de (sur)-vie et l’augmentation de la durée de (sur)vie des patients atteints de cancer contribue progressivement à donner à la maladie cancéreuse les caractéristiques d’une maladie chronique. Par exemple, les
patients doivent faire face à des symptômes, ajuster leur
vie sociale et professionnelle pour s’adapter à leur nouveau contexte d’existence avec la maladie. Ils doivent
faire face non seulement au diagnostic de cancer, mais
également à des options thérapeutiques. L’éducation
thérapeutique part du principe que les comportements
nécessaires pour vivre avec une maladie chronique peuvent être structurés par les patients eux-mêmes notamment grâce à des processus d’apprentissage en complémentarité d’une prise en charge « classique ».
L’éducation thérapeutique est ainsi une composante des
soins dans les maladies chroniques.
Définition et évolution
du cadre réglementaire
de l’éducation thérapeutique
du patient
L’éducation thérapeutique du patient a pour objectif de permettre au malade chronique de gérer, de
manière optimale, sa vie avec la maladie.
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Activité soignante
Figure 1. La différenciation de modèles de santé selon trois conceptions
(Réalisé à partir des travaux de C. Eymard).
Le modèle organiciste de la santé
négative (santé négative)
Le modèle global de la santé positive
(santé positive)
Le modèle de l’existence d’un sujet
autonome ouvert sur le monde (santé
expérience de vie)
Centration sur la maladie
Centration sur l’individu
Centration sur l’homme (accent mis
sur la subjectivité humaine dans
son existence)
Santé et la maladie vont de pair
La santé se définit en opposition
à la maladie
La santé est l’affaire du monde
médical
L’individu est un corps, objet
du travail de santé
Santé et maladie sont deux entités
distinctes
La santé est l’affaire de l’individu
L’individu est l’acteur principal devant
jouer un rôle, celui que les professionnels de santé ont écrit pour lui.
La santé est expérience de vie
individuelle et collective dont
la maladie fait partie
La personne est à la fois actrice
et décideuse
L’être humain est une somme
d’organes réparables
L’être humain est un être de besoins
L’être humain est considéré comme
qui s’adapte à un environnement
un sujet autonome et auteur de sa vie
Le terme de besoin connote des notions
de dépendance
Une définition en termes médicaux Une prédominance normative :
l’individu reste un objet à contrôler et
régulariser dans la perspective d’une
santé totale et dans un registre de
soumission aux normes médicales
Une reconnaissance des savoirs
d’expérience :
le savoir n’est plus uniquement
académique et expertise, il est aussi issu
de l’expérience de l’homme au quotidien
La santé est l’absence de maladie
La mort est un échec
thérapeutique
La santé est une réalité sociale
combinant une réalité objective
et un état subjectif
La santé est un idéal à atteindre
L’éducation thérapeutique :
entre interprétation
existentielle et biomédicale
de la santé et de la maladie
relatifs aux compétences requises pour dispenser l’éducation thérapeutique du patient, d’autre part, ont été
publiés le 4 août 2010 et définissent le cadre d’application de la loi.
Si la loi fixe un cadre juridique, l’éducation thérapeutique demande à être pensée et conçue à deux
niveaux complémentaires. Le premier niveau concerne
son intégration permanente aux soins. En effet, intégrée
aux soins, l’éducation thérapeutique du patient correspond à l’intention éducative de toute rencontre entre un
soignant et un soigné. Elle doit être permanente dans le
processus de soins et ancrée dans la relation soignantsoigné. Le deuxième niveau renvoie aux programmes
d’éducation thérapeutique du patient. Ces programmes
pluri-professionnels d’éducation thérapeutique du patient
correspondent à une prestation limitée dans le temps.
Ils sont soumis à autorisation de l’Agence régionale de
santé (ARS) fixée dans les textes d’application précités.
L’autorisation délivrée est pluri-annuelle.
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La santé vaut par ce qu’elle permet de faire et de
vivre. Phénomène multifactoriel, la santé dépend plus
que largement de facteurs non médicaux, et n’est pas
définissable seulement par des critères objectifs, mais
aussi et même surtout par une perception subjective
(figure 1).
Parler de la santé questionne la vie. À l’image de la
santé, la maladie s’appréhende dans l’expérience de vie
singulière de chacun.
Alors, comment se dit la maladie ? S’agit-il de déterminer, classer, catégoriser, médiatiser, informer… ? Dire
la maladie, c’est d’abord l’identifier, la déterminer, la
nommer : c’est l’affaire du corps médical. La responsa-
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bilité de la définition scientifique du pathologique revient
à la profession médicale. Le médecin va porter un jugement sur un écart à des normes physiologiques mais
aussi comportementales en matière de santé. Ce sont
ces écarts à une norme qui vont permettre au médecin
de catégoriser un état. Pour autant, ces écarts à la norme
ne seront dits pathologiques que dans la mesure où ils
sont concomitants d’un mal-être car suivant les termes
de Canguilheim, « il n’y a pas de pathologie objective ».
Pour la personne malade, dans sa relation avec le corps
médical, dire sa maladie, c’est avant tout la décrire, la
raconter en vue de trouver dans le discours des soignants
des éléments susceptibles d’éclairer et d’orienter sa situation propre, le vécu de son état de mal-être. Il s’agit pour
la personne malade d’inscrire sa maladie à la fois dans
une expérience subjective et dans une expérience corporelle.
Ainsi, s’interroger sur cette question de comment se
dit la maladie, c’est se confronter à la dialectique de l’expérience du mal-être et de sa formulation médicale. La
maladie est aussi une expérience subjective qui se
décline dans les histoires singulières des personnes
malades.
Le cancer est une maladie qui remet en interrogation
permanente la perspective d’une vie ordinaire et le sens
de la vie. La maladie laisse planer irrémédiablement dans
l’esprit des personnes une possible souffrance, une possible douleur, un possible handicap physique… Elle rappelle au quotidien que nous sommes mortels. Et peu de
mots peuvent évoquer un danger pour la vie comme le
mot « cancer ».
nels, souvent avec la participation de patients, sont diffusés par des établissements de soins ou des associations. La rédaction des SOR (Standards, Options et
Recommandations pour le Savoir des Patients), savoir
patients de la Fédération nationale des centres de lutte
contre le cancer, est l’exemple d’une démarche rigoureuse dans ce domaine. Cependant, il ne suffit pas de
mettre à la disposition des patients et de leurs familles
de l’information, même fiable et validée, pour qu’ils se
l’approprient. En effet, deux patients présentant la même
maladie peuvent être très différents dans leur capacité
à réagir et à agir. La différence réside dans les qualités
et les compétences personnelles que chaque personne
met en œuvre pour faire face à sa maladie. Devoir
s’adapter à une pathologie de longue durée comme le
cancer exige que le patient puisse négocier ses propres
priorités, ses préférences, pour devenir un acteur effectif du processus de décision et un partenaire des soins.
L’éducation thérapeutique
comme projet partagé :
l’enjeu du diagnostic éducatif
La démarche d’éducation thérapeutique se structure
autour de quatre étapes définies par la Haute Autorité
de santé (HAS) : élaborer un diagnostic éducatif, définir un programme personnalisé avec des priorités d’apprentissage, planifier et mettre en œuvre des séances
d’ETP individuelle et/ou collective, et enfin réaliser une
évaluation des compétences acquises et du déroulement
du programme. Le diagnostic éducatif est ainsi posé
comme la première étape de mise en œuvre d’un programme personnalisé d’ETP.
Mais « qu’attend-on du patient vivant une maladie
chronique ? Doit-il se vivre comme acteur, jouant le rôle
écrit pour lui par les soignants qui par postulat lui veulent
du bien ? Peut-il revendiquer son autonomie d’auteur de
sa vie en assumant les risques que cela comporte ? L’éducation thérapeutique reproduit la démarche classique du
modèle biomédical : interrogatoire du patient, diagnostic éducatif, et traitement sous la forme d’enseignements
adressés à des groupes de patients ; un contrat pédagogique finalisant le lien et la dépendance entre soignants
et patient. Les soignants bénéficient ainsi d’un modèle
« clés en main » qui « protocolise » et rassure en balisant
une manière de rencontre éducative reconnue comme
légitime. Il est seulement demandé au patient d’être le
Dimensions
d’une démarche éducative :
la place de l’information
Composante des soins, la démarche d’éducation thérapeutique relève de deux dimensions : une dimension
de prévention (la personne malade doit faire face à l’apparition de certains troubles ou symptômes liés à la maladie et à son traitement) et une dimension d’adaptation
à la maladie (la personne va devoir réorganiser, repenser son projet de (sur)-vie avec la maladie.)
L’éducation thérapeutique ne se confond pas avec
l’information, qui a pour objectif de prévenir le patient
de ce qui peut lui arriver. En cancérologie, de nombreux
documents d’information élaborés par des professionBulletin Infirmier du Cancer
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écoute active non sélective afin d’entendre les préoccupations de la personne, pour réaliser un bilan éducatif partagé (figure 2).
Qu’est-ce qu’elle a ?
Identifier,
les besoins,
Que vit-elle ?
les attentes,
Que
sait-elle ?
les potentialités,
Dans quel
Que croit-elle ?
les
ressources,
environnement
les difficultés,
est-elle ?
les ressources,
les difficultés...
de la personne Que peut-elle faire ?
Qui est-elle ?
Qu’est-ce qu’elle fait ?
Quels sont
ses projets ?
Conclusion
L’éducation thérapeutique implique ainsi pour les
soignants de profondes modifications conceptuelles et
pratiques. La maladie chronique, de par son inscription
dans la durée et son caractère multifactoriel, requiert
une réponse à une situation de santé plutôt qu’en référence à une pathologie. L’éducation thérapeutique doit
permettre de répondre aux exigences de qualité des
soins, favoriser la compréhension du soin et donner une
légitimité aux compétences de la personne malade.
Elle va également exiger du soignant, une réflexion
sur sa propre pratique. L’éducation thérapeutique du
patient demande aux soignants d’investir une posture
d’éducateur et la mise en œuvre d’une relation soignantsoigné plus égalitaire (moins asymétrique).
Figure 2. Le diagnostic éducatif comme espace de
compréhension et de négociation : « Qu’est-ce qu’elle a ? ».
« sujet/acteur » de sa santé, partenaire de soignants qui
attendent de lui, exigée comme valeur morale, l’observance des consignes apportées. Le patient, compliant, va
mobiliser ses forces, se soumettre aux injonctions éducatives, et assumer les restrictions et les limites que la vie dans
sa cruauté lui impose. Le patient peut-il être réduit ainsi
à un objet de soins, fussent-ils éducatifs ? »1.
S’engager dans une démarche d’éducation thérapeutique nécessite d’établir une relation partenariale.
Cette relation va se construire lors de cette première
étape de bilan : le diagnostic éducatif. Réaliser un diagnostic éducatif dans une perspective partenariale signifie pour le soignant-éducateur : essayer de cerner les
besoins, les attentes, les ressources, de la personne
malade. C’est s’intéresser à différents facteurs qui influencent la santé, le comportement de santé, la vie avec la
maladie au quotidien, pour tenter de comprendre :
- sa vision de sa santé ;
- ses comportements de santé ou de non-santé ;
- son vécu dans son parcours de la maladie et sa
manière de faire le deuil de sa santé antérieure ;
- ses connaissances, ses croyances, ses représentations ;
- ses habilités et ses caractéristiques personnelles ;
- ses projets et son contexte de vie : sa famille, son
entourage, son travail, son soutien social…
Il s’agit donc de construire un espace de négociation
avec le patient en adoptant une posture éducative et une
Bulletin Infirmier du Cancer
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