Extrait 2 - La philosophie de Jacques
Eléments pour l'introduction
Jacques le Fataliste et son maître est une oeuvre de Diderot, dont l'écriture a commencé en 1764 et a
duré plusieurs années. Cette oeuvre se caractérise par la complexité de sa trame narrative (les récits
s'enchâssent et s'interrompent), le jeu fréquent de Diderot avec les conventions romanesques mais
également la réflexion philosophique qu'il propose et que l'on perçoit dès le titre.
Situation: dans le récit cadre principal, Jacques, son maître, le marquis des Arcis et son secrétaire font
route ensemble et logent dans la même auberge. Le marquis des Arcis s'apprête à raconter les
aventures de son secrétaire, quand le narrateur s'arrête feignant de répondre au lecteur qui attend la
suite du récit des amours de Jacques, par une digression sur le goût de Jacques pour le récit, signe de
sa classe sociale. S'en suit ce passage, qui est une explication de la philosophie du personnage
éponyme.
Quelle réflexion Diderot propose-t-il dans ce passage et comment l'argumentation fonctionne-t-elle?
1. Le fatalisme de Jacques: explicitation du raisonnement.
–Il n'y a pas de morale.
Le point de départ est le refus d'une morale universelle: "Jacques ne connaissait ni le nom de vice, ni
le nom de vertu". La répétition de la construction met en valeur le refus de Jacques de considérer que
l'homme choisit entre le bien et le mal. A cela il oppose être né "heureusement" ou
"malheureusement", c'est à dire avec des dispositions pour le bien ou le mal, sans que l'homme
choisisse (il est "né" ainsi). Le narrateur-auteur continue le raisonnement duel de Jacques avec le refus
- parallèle au premier- du nom de "récompenses" et "châtiments". Il faut comprendre que si l'homme
ne choisit pas entre la vertu et le vice, récompense et châtiment ne peuvent influer sur son
comportement. C'est pour cela que Jacques les réduit à "l'encouragement des bons", "l'effroi des
méchants".
–Le fatalisme
L'absence de moral est justifiée par le fatalisme de Jacques. L'homme est déterminé par un destin qui
est "écrit là-haut", il n'est pas libre, et ne peut donc pas choisir entre le bien et le mal. Cette idée est
reprise dans une longue phrase en deux mouvements. Le premier introduit une comparaison, celle de
"la boule" qui "suit la pente d'une montagne": comme la boule, l'homme ne peut échapper à son
destin, déterminé chez la boule par la force de gravité. La seule différence entre l'homme et une boule
est-ce "la conscience" de soi. Le second mouvement de la phrase insiste sur cette idée, pour la
reformuler: même si l'homme avait conscience et connaissance de tout ce qui déterminait ces actions
et les événements de sa vie, il continuerait d'agir "nécessairement", c'est à dire de façon déterminé,
sans choix.
–Le déterminisme
Enfin, tout son raisonnement s'appuie sur une conception spinoziste de l'individu : "je suis un; or une
cause n'a qu'un effet" et tout n'est donc qu' "une suite d'effets nécessaires", ce qui est cette fois-ci
l'expression du déterminisme (le mot n'existe pas encore à l'époque de Diderot) - qui se distingue du
fatalisme en cela qu'il n'y a pas ici d'instance supérieur qui "écrit" le destin.
–Mise en valeur du raisonnement.
On peut noter encore le parallélisme de construction, la dualité ("vice", "vertu", "récompenses",
"châtiments", "Gloire, ignominie"), la simplicité de la structure qui rendent claire la démonstration.
Diderot introduit aussi des variations pour exprimer le déni de Jacques "ne connaissait pas",
"prétendait", "quand il entendait… il haussait les épaules" - manifestation physique chez le personnage