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www.sciencedirect.com
Neuropsychiatrie
de
l’enfance
et
de
l’adolescence
60
(2012)
190–194
Point
de
vue
Apprentissage
et
référence
:
quelques
réflexions
de
dix
ans
d’expérience
d’un
Centre
référent
pour
trouble
d’apprentissage
chez
l’enfant
Lessons
learned
from
10
years
of
clinical
experience
in
a
Specialized
Consultation
Center
for
children
with
learning
disabilities
E.
Lenoble
Unité
de
psychopathologie
de
l’enfant
et
de
l’adolescent,
service
de
psychologie
et
de
psychiatrie
de
l’enfant
et
de
l’adolescent,
centre
référent
pour
les
troubles
d’apprentissage,
hôpital
Sainte-Anne,
1,
rue
Cabanis,
75014
Paris,
France
Dix
ans
ont
passé
depuis
la
création
des
«
Centres
référents
pour
le
diagnostic
et
la
prise
en
charge
médicale
des
troubles
spécifiques
d’apprentissage
chez
l’enfant
»,
les
lignes
qui
suivent
inviteront
le
lecteur
à
partager
nos
réflexions
autour
de
cette
nouvelle
organisation,
et
à
mettre
nos
hypothèses
de
travail
à
l’épreuve
du
temps
et
de
l’expérience
[1].
1.
Rappel
du
contexte
général
1.1.
Mars
2001
Un
plan
interministériel
«
en
faveur
des
enfants
atteints
d’un
trouble
spécifique
du
langage
oral
et
écrit
»
est
rendu
public,
trois
ministères
ont
travaillé
ensemble,
cinq
axes
de
travail
ont
été
dégagés,
28
mesures
sont
annoncées.
.
.
et
pour
la
plupart
soutenues,
y
compris
financièrement.
1.2.
Mai
2001
Concrétisation
d’une
des
mesures
de
ce
plan,
sous
forme
de
la
parution
d’une
circulaire
[2]
appelant
des
services
hospitaliers
spécialisés
à
se
porter
candidats
pour
«
être
identifiés
»
Centre
référent
pour
le
diagnostic
et
la
prise
en
charge
médicale
des
troubles
spécifiques
d’apprentissage
du
langage
oral
et
écrit.
Toute
une
série
de
Centres
référents
sont
ainsi
constitués
et
repérés
sur
l’ensemble
du
territoire
franc¸ais,
hébergés
pour
moitié
dans
des
services
de
neuropédiatrie,
et
pour
moitié
dans
des
services
de
pédopsychiatrie,
avec
deux
exceptions
(deux
services
d’ORL
sont
crédités
de
cette
identification).
Adresse
e-mail
:
Ce
plan,
national,
vient
dans
des
circonstances
particulières
dont
il
faut
rappeler
quelques
caractéristiques
:
la
montée
importante
de
la
pression
et
des
interrogations
concernant
les
«
enfants
dys
»
:
dysphasiques,
dyslexiques,
dysorthographiques,
dyspraxiques,
dyscalculiques.
.
.toutes
catégories
diagnostiques
en
pleine
expansion
;
la
place
décisive
des
associations
de
parents
d’enfant
«
dys
»
;
la
demande
que
l’institution
scolaire
formalise
et
pro-
pose
un
régime
particulier
pour
ces
enfants
«
dys
»
et
évite
ainsi
le
plus
possible
les
parcours
chaotiques
et
dou-
loureux
d’enfants,
crédités
par
ailleurs
d’intelligence
et
d’appétence
pour
apprendre,
mais
dont
les
« troubles
spé-
cifiques
d’apprentissage
»
rendent
l’avenir
scolaire
plus
que
sombre
;
une
forte
demande
de
reconnaissance,
de
nomination
et
de
catégorisation
de
ces
troubles
«
dys
»
[3].
Le
moyen
privilégié
pour
obtenir
cette
demande
de
reconnais-
sance,
principalement
adressée
à
l’institution
scolaire
a
été
celui
d’une
objectivation
médicale
des
troubles,
c’est-à-dire
d’une
catégorisation
spécifique,
distinguant
les
enfants
«
dys
»
des
enfants
porteurs
d’autres
pathologies
(celles
dite
« mentales
»
principalement),
en
s’appuyant
sur
les
références
venues
de
la
neurologie
et
neuropsychologie,
comme
disciplines
reines
du
«
spécifique
».
Il
faut
rappeler
qu’avant
cette
nouvelle
organisation
planifiée
au
niveau
interministériel,
il
était
proposé
assez
classique-
ment,
aux
enfants
rencontrant
des
difficultés
d’apprentissage,
de
rencontrer
tout
d’abord
le
psychologue
scolaire,
puis
éven-
tuellement
de
bénéficier
du
soutien
du
Réseau
d’aide
aux
élèves
en
difficulté
(RASED).
Une
orientation
vers
une
orthophoniste,
0222-9617/$
see
front
matter
©
2011
Elsevier
Masson
SAS.
Tous
droits
réservés.
doi:10.1016/j.neurenf.2011.11.002
E.
Lenoble
/
Neuropsychiatrie
de
l’enfance
et
de
l’adolescence
60
(2012)
190–194
191
une
équipe
de
Centre
médico-psychologique
(CMP)
ou
de
Centre
médicopsycho-pédagogique
(CMPP)
pouvait
ensuite
être
proposée
si
ces
mesures
de
première
intention
ne
suffisaient
pas.
En
résumé,
la
parution
du
plan
interministériel
de
2001
témoigne
du
fait
que
les
lignes
de
force
traditionnelles
organisant
les
divers
domaines
de
compétences
(pédagogique,
éducatif,
thérapeutique.
.
.)
sont
interrogées
:
des
groupes
de
pression
se
constituent,
les
débats
sont
ouverts.
Dix
ans
après,
en
2011,
que
pourrait-on
dire
?
Les
lignes
de
force
ont
effectivement
bougé.
.
.
Les
pédopsychiatres
se
sont
interrogés
sur
leur
place
[4],
les
psychopédagogues
également
[5],
les
neuropédiatres
s’interrogent
à
leur
tour.
Une
première
journée
«
d’assises
natio-
nales
des
Centre
référents
des
troubles
du
langage
»
est
d’ailleurs
prévue,
à
leur
initiative,
fin
novembre
2011.
Le
nombre
de
demandes
de
«
bilan
en
Centre
référent
»
ne
cesse
d’augmenter,
la
notion
de
spécificité
des
troubles
y
est
régulièrement
interrogée
[6].
L’afflux
des
demandes
aboutit
à
un
allongement
inquiétant
des
délais
d’attente,
de
sorte
qu’à
l’heure
actuelle,
la
situation
semble
tout
à
fait
déraisonnable.
2.
2001–2011
:
dix
ans
de
bouleversements.
.
.
À
l’école
:
réduction
drastique,
voire
disparition
du
système
des
RASED
;
disparition
des
« classes
de
perfectionnement
»,
«
classes
d’adaptation
»,
«
classes
de
transition
»
etc.
.
.et
du
système
d’orientation
correspondant
(CCPE,
CCSD
:
commissions
d’orientation
sous
la
responsabilité
d’un
inspecteur
de
l’Éducation
nationale)
;
apparition
et
multiplication
importante
des
Classe
d’inclusion
scolaire
(CLIS),
Unité
pédagogique
d’inclusion
(UPI)
et
Unité
localisée
d’inclusion
scolaire
(ULIS)
et
d’un
nouveau
système
d’orientation,
par
la
Maison
départementale
des
per-
sonnes
handicapées
(MDPH),
qui
n’est
plus
du
ressort
de
l’Éducation
nationale,
mais
de
l’organisation
départementale
des
Conseils
Généraux
en
matière
de
soutien
aux
politiques
en
faveur
des
personnes
handicapées
;
apparition
des
«
enseignants
référents
»,
«
interface
»
entre
l’école
et
la
MDPH
entrée
en
force
des
auxiliaire
de
vie
scolaire
(AVS)
dans
le
monde
scolaire.
Dans
le
champ
de
la
santé
:
multiplication
des
diagnostics
«
dys
»
et
des
recours
aux
Centres
référents,
non
pas
tant
du
côté
de
la
référence,
que
du
côté
d’une
expertise
destinée
à
éclairer
la
prise
de
déci-
sions
(ouverture
d’un
dossier
MDPH,
orientations
scolaires,
mesures
de
compensation
:
tiers-temps
supplémentaire
aux
examens,
ordinateur,
aides
financières.
.
.)
afin
que
le
sys-
tème
d’intégration,
puis
d’«
inclusion
»
prévu
pour
scolariser
les
élèves
«
dys
»,
relevant
désormais
de
la
MDPH,
puisse
fonctionner
;
confirmation
de
l’approche
«
catégorielle
»
de
la
clinique,
qui
se
décline
désormais
en
«
trouble
»
:
de
la
communication
orale,
de
l’attention,
des
acquisitions
scolaires,
qualifiés
de
«
spécifique
»
selon
la
CIM
10,
mais
pas
selon
le
DSM.
.
.
à
chaque
trouble
ainsi
découpé,
spécifié,
correspondrait
son
remède,
lui
aussi
pris
dans
ce
système
d’isolation
:
la
multipli-
cation
et
la
sur-spécialisation
des
outils
d’investigation
ainsi
que
des
techniques
de
remédiation,
apportent
d’un
côté
pré-
cision
et
rigueur,
mais
tendent
malheureusement
d’un
autre
côté
à
négliger
la
complexité
et
l’exigence
de
synthèse
à
mener
pour
ne
pas
perdre
de
vue
la
globalité
d’une
problé-
matique
chez
un
enfant,
sa
famille
et
les
conditions
de
son
environnement
;
la
médicalisation
de
l’étape
«
qualification
diagnostique
»
porte
sur
l’exigence
d’une
évaluation
la
plus
objective
pos-
sible
du
trouble
catégorisé
(mesures
chiffrées),
et
semble
aller
de
pair
avec
un
glissement
des
engagements
thérapeutiques
au
long
cours
vers
le
champ
du
handicap.
Dans
le
champ
du
handicap
:
élaboration
et
publication
de
la
loi
de
2005
[7]
figure
une
définition
du
handicap
(ce
qui
n’était
pas
le
cas
dans
la
loi
précédente,
datant
de
1975)
;
bouleversement
complet
du
paysage
et
des
modes
de
prise
en
charge
pour
les
« dys
»;
création
des
MDPH
;
inscription
et
reconnaissance
MDPH
indispensable
pour
déclencher
et
soutenir
toute
orientation
en
classe
spéciali-
sée,
ou
toute
mesure
de
soutien
désormais
assimilée
à
une
«
mesure
de
compensation
»
;
développement
des
services
de
soins
spécialisés
à
domicile
(SESSAD)
(constitués
de
professionnels
spécialisés
pou-
vant
intervenir
sur
le
lieu
scolaire)
et
des
AVS
(personnel
temporaire
disposant
d’une
sensibilisation,
mais
non
d’une
formation
professionnelle
spécialisée)
accompagnant
l’enfant
ou
le
groupe
directement
en
situation
de
classe
;
des
mesures
d’aide
financière,
rapportées
au
handicap
de
l’enfant
et
non
plus
à
l’acte
de
prise
en
charge,
sont
proposées
à
la
fois
pour
financer
des
suivis
par
les
profession-
nels
spécialisés
ne
disposant
pas
de
tarification
de
sécurité
sociale
pour
leurs
actes
(psychologues,
psychomotriciens,
ergothérapeutes.
.
.),
et
pour
financer
des
scolarisations
en
privé
dans
des
écoles
à
petits
effectifs
se
spécialisant
dans
les
«
dys
».
3.
Quelles
articulations
de
travail
pouvons-nous
faire
fonctionner
avec
ces
nouveaux
dispositifs
organisant
le
monde
scolaire,
celui
des
soins
et
celui
du
handicap
?
La
clinique
des
troubles
d’apprentissage
nous
indique
cela
:
le
sujet
embarrassé
avec
les
apprentissages
trouvera
toujours
un
moyen
de
se
faire
entendre
et
d’écrire
ce
qui
le
gêne,
quel
que
soit
le
vocabulaire
mis
à
sa
disposition
pour
qualifier
ses
troubles
(scientifique,
médical,
pédagogique,
social.
.
.).
Ce
sera
sa
fac¸on
192
E.
Lenoble
/
Neuropsychiatrie
de
l’enfance
et
de
l’adolescence
60
(2012)
190–194
à
lui
de
témoigner
de
ce
qui
l’empêche
de
fonctionner
dans
son
accès
aux
savoirs.
Le
pari
de
lire
la
clinique
selon
les
apports
théoriques
venus
de
la
psychanalyse,
s’il
n’a
rien
perdu
de
sa
légitimité
lorsqu’il
est
question
d’éclairer
la
psychopathologie,
doit
se
confronter
à
la
multiplicité
des
théories
et
des
savoirs
appelés
maintenant
au
secours
des
enfants
en
panne
avec
les
apprentissages.
Cette
réalité,
en
forme
mosaïque,
a
des
effets
:
un
certain
effet
de
position
de
résistance
et
de
méconnais-
sance
mutuelle
entre
des
équipes
se
référant
à
des
horizons
théoriques
et
pratiques
très
éloignés
les
uns
des
autres
;
un
effet
d’éclatement
et
de
dispersion
auprès
des
enfants
et
des
familles
qui
se
voient
attribuer
toutes
sortes
d’étiquettes
diagnostiques,
qui
reflètent
beaucoup
plus
l’orientation
théo-
rique
et
la
formation
des
praticiens
qu’ils
ont
consultés
que
l’état
clinique
de
l’enfant
lui-même
;
une
interrogation
sur
ce
qui
fait
référence,
dans
un
paysage
la
multiplication
des
références
donne
l’impression
qu’il
faut
surfer,
comme
sur
cette
formidable
et
incontournable
toile
que
constitue
Internet.
.
.
Nous
devons
soutenir
la
notion
de
«
Référence
»,
indispen-
sable
à
l’émergence
d’un
sujet
humain,
doué
d’identité
et
de
parole
et
tout
aussi
indispensable
à
l’émergence
d’un
système
d’inscription
quel
qu’il
soit.
Désormais
la
« Référence
» est
plu-
rielle.
Nous
sommes
tous
amenés
à
parler
plusieurs
langues,
à
croiser
nos
analyses
et
nos
lectures
pour
avancer
dans
nos
réflexions
et
dans
nos
propositions
thérapeutiques.
Une
organisation
des
soins
tout
à
fait
officiellement
désignée
:
«
Centre
référent
pour
les
troubles
d’apprentissages
du
langage
»
semble
de
ce
point
de
vue,
concernée
au
premier
chef,
par
ces
questions.
Pour
nous
orienter
dans
ce
nouveau
paysage,
nous
pouvons
nous
appuyer
sur
un
élément
quasi-structurel
:
les
réponses
pro-
posées
par
les
dispositifs
actuels
s’organisent
selon
trois
termes,
trois
forces
en
présence,
trois
registres
d’appartenance
(Édu-
cation
nationale,
Santé,
Personnes
handicapées).
Oserions-nous
penser
«
trois
consistances
»,
en
référence
aux
apports
théoriques
issus
de
la
psychanalyse
et
des
élaborations
topologiques
qu’elle
propose
?
Une
logique
ternaire
semble
toujours
plus
intéres-
sante
et
plus
propice
à
la
mise
au
travail.
C’est
bien
ce
que
nous
apprend
la
clinique
et
les
variations
infinie
de
la
structure
œdipienne.
.
.
Enfin,
puisque
nous
sommes
dans
le
registre
du
tiers
et
de
l’appel
à
la
référence,
il
convient
de
prendre
la
mesure
de
l’importance
de
l’inscription
sociale
vectorisée
par
la
scolari-
sation
et
l’entrée
dans
la
culture
écrite
:
l’école
est
obligatoire,
l’acquisition
des
apprentissages
fondamentaux
:
lire,
écrire,
compter.
.
.
est
attendue
chez
tous
les
enfants
d’une
classe
d’âge.
Cette
anticipation
et
ce
crédit
faits
aux
enfants
portent
tout
autant
l’enfant
lui
même
que
sa
famille
et
bien
sûr
ses
enseignants.
C’est
bien
la
valeur
d’une
inscription
:
donner
une
place
d’apprenant
à
un
enfant,
lui
en
indiquer
la
valeur
et
la
reconnaissance
qui
en
découle.
4.
Une
illustration
clinique
À
titre
d’exemple
d’une
trajectoire
de
soins
et
de
scolari-
sation
représentative
de
ce
nouveau
paysage,
citons
le
cas
de
cet
adolescent
de
14
ans,
non
lecteur,
maintenu
dans
le
circuit
dit
« normal
» par
la
décision
de
ses
parents.
Il
a
traversé
tout
le
primaire
sans
acquérir
la
lecture
et
fréquente
actuellement
une
classe
de
collège
banal.
Le
monde
scolaire
semble
s’être
aménagé
autour
de
cette
position
de
résistance
pour
le
moins
impressionnante.
Cet
adolescent,
dont
les
différents
bilans
ne
laissent
aucun
doute
quant
à
la
qualité
de
ses
ressources
intellectuelles,
béné-
ficie
en
classe
du
soutien
d’une
AVS,
il
suit
régulièrement
le
programme
thérapeutique
et
pédagogique
mis
en
place
autour
de
lui,
mais
aucune
évolution
n’est
perceptible,
et
les
interve-
nants
s’inquiètent.
.
.
le
dispositif
proposé
serait-il
une
fac¸on
de
cautionner
un
système
de
dérogation
sans
fin
à
la
loi
scolaire
?
L’ombre
d’une
complaisance
au
symptôme,
qui
irait
contre
les
intérêts
de
cet
adolescent,
plane
dans
les
esprits.
.
.
Mais
voilà,
dans
le
trio
collégien
non
lecteur,
professeur
de
mathématique
et
AVS-secrétaire
censée
ne
faire
que
lire
et
écrire
les
problèmes
de
mathématiques
soumis
au
raisonnement
de
l’adolescent,
une
faille
apparaît.
Le
professeur
de
mathéma-
tique
s’adresse
ostensiblement
à
l’AVS
du
jeune
homme
lors
des
tâches
de
mathématiques,
et
celui-ci
enrage
d’être
mis
de
côté
de
cet
échange.
.
.et
se
met
enfin
à
revendiquer
une
place
d’élève.
.
.
L’exclusion
d’un
terme
du
trio
soutenant
la
structure,
fami-
liale,
soignante,
scolaire,
est
une
constante
de
l’histoire
de
ce
garc¸on,
ce
sont
des
éléments
qui
avaient
pu
être
repé-
rés,
mais
jamais
vraiment
travaillés.
.
.
et
c’est
finalement
en
pleine
situation
scolaire
tout
à
fait
officiellement
aménagée
selon
les
nouvelles
dispositions
école/MDPH/Centre
référent,
qu’un
changement
de
position
décisif
et
authentique
semble
avoir
pu
enfin
émerger
du
côté
de
l’adolescent.
C’est-à-dire
qu’à
partir
d’un
fait
tout
à
fait
banal
:
un
élève
«
dys
»,
intégré
comme
il
se
doit,
dans
le
circuit
«
normal
»
avec
le
soutien
d’une
AVS,
un
évènement
s’est
produit
:
quelque
chose
d’une
inscription
aurait-elle
pu
enfin
fonctionner
?
C’est
ainsi
que
nous
pouvons
avancer
cette
hypothèse
que
la
clinique
quotidienne
nous
suggère
bien
souvent
:
la
mission
d’un
Centre
référent
pour
les
troubles
du
langage
oral
et
écrit
serait-
elle
de
favoriser
l’émergence
de
toutes
formes
de
«
surfaces
d’inscription
»
?
Les
troubles
d’apprentissage
peuvent-ils
être
pensés
comme
des
troubles
de
l’inscription,
repérables
selon
plusieurs
niveaux
et
grilles
d’analyse
?
5.
Apprentissages,
traces
et
surfaces
d’inscription
Depuis
les
années
1980,
l’essor
spectaculaire
des
neuros-
ciences
semble
principalement
s’être
organisé
autour
de
cette
question
fondamentale
:
qu’est-ce
qui,
dans
l’architecture
neu-
ronale
éminemment
complexe
et
hiérarchisée
propre
au
système
nerveux,
fait
trace
de
l’expérience,
qu’elle
soit
somatique,
sen-
sorielle,
émotionnelle,
cognitive,
qu’elle
parvienne
ou
non
à
la
conscience
[8].
.
.
quels
seraient
les
circuits
d’inscription
et
de
E.
Lenoble
/
Neuropsychiatrie
de
l’enfance
et
de
l’adolescence
60
(2012)
190–194
193
représentation
convoqués,
comment
s’organisent-ils,
comment
se
modifient-ils,
comment
évoluent-ils.
.
.Il
s’agit
dans
ces
tra-
vaux
d’approcher
au
plus
près
de
la
trace
somatique,
celle
portée
par
le
tissu
même
du
cerveau
et
dont
la
signature
est
recherchée
au
plan
électrophysiologique,
chimique,
moléculaire.
.
.pour
tenter
de
relier
ces
observations
à
celles
issues
de
la
clinique
(neurologique
ou
psychiatrique)
ou
du
fonctionnement
habituel
de
sujet
examiné
à
titre
expérimental.
Nombre
d’hypothèses
et
de
propositions
sont
actuellement
au
travail
dans
ce
champ
de
recherche
[9].
.
.
Si
l’on
se
situe
dans
le
registre
de
la
psychopathologie
telle
qu’elle
est
travaillée
et
traversée
par
les
concepts
issus
de
la
psy-
chanalyse,
les
symptômes
des
patients,
de
même
que
les
rêves
de
tout
un
chacun,
seraient
des
formations
d’un
système
de
pen-
sée
particulier
à
déchiffrer.
Freud,
à
ce
sujet,
a
écrit
des
textes
incontournables,
le
travail
de
«
déchiffrage
»
qu’il
y
propose,
insiste
sur
la
dimension
d’écriture,
propres
aux
productions
de
l’«
appareil
psychique
»
[10],
appareil
supposé
se
constituer
à
partir
de
plusieurs
niveaux
«
d’enregistrements
»
des
percep-
tions
(internes
ou
externes).
C’est-à-dire,
que
déjà,
étaient
interrogées
les
questions
de
traces,
de
mémoire
et
d’inscription.
Quelles
seraient
donc
les
surfaces
qui
permettraient
de
telles
inscriptions
?
Comment
se
fabriquent-elles
?
De
quelle
matière
sont-elles
faites,
à
quel
registre
appartiennent-elles
?
Les
hypothèses,
avancées
par
ces
chercheurs
et
ces
prati-
ciens
venus
de
siècles
et
d’horizons
différents,
insistent
sur
un
point
crucial
:
celui
de
la
constitution
d’un
lieu
(somatique,
psychique)
susceptible
de
permettre
l’émergence
des
représen-
tations
mentales,
de
la
pensée,
de
la
mise
en
mots.
.
.
C’est
en
référence
à
ces
hypothèses,
et
en
articulation
à
notre
clinique
quotidienne
de
Centre
Référent,
que
nous
avons
organisé
notre
piste
de
réflexion
autour
de
la
notion
de
surfaces
d’inscription,
destinée
à
recevoir
des
traces
qui
elles-mêmes
appelleront
une
lecture.
Un
alphabet
et
un
code
seront
requis
pour
mettre
en
place
cette
lecture
des
symptômes
rassemblés
sous
le
terme
« troubles
d’apprentissage
».
Une
certaine
dimension
d’arbitraire
sera
alors
inévitablement
convoquée
dans
un
premier
temps
pour
caté-
goriser
et
organiser
ce
regard
clinique.
Les
interprétations,
les
hypothèses
sur
le
sens
viendront
dans
un
second
temps,
dis-
tinct
du
premier.
C’est
le
processus
même
de
toute
lecture
[11].
.
.
6.
Les
lettres
:
un
cas
d’école
Nous
voudrions
souligner
maintenant
un
aspect
que
nous
rencontrons
régulièrement
dans
cette
clinique
de
la
non-entrée
dans
la
langue
écrite
:
le
traitement
infligé
aux
lettres,
celles
de
notre
alphabet
apparemment
si
concis
(26
lettres)
et
si
simple
à
manipuler.
.
.
Ce
sont
elles
que
les
enfants
attaquent,
déforment,
refusent,
collent,
segmentent.
Ils
ne
les
reconnaissent
pas,
ils
ne
veulent
s’en
servir
que
pour
éventuellement
les
dessiner,
mais
surtout
pas
pour
les
articuler
entre
elles
dans
un
élan
moteur
qui
nous
ferait
parler
d’écriture,
et
encore
moins
pour
les
déchif-
frer,
les
assembler
et
former
des
mots
susceptibles
d’être
lus.
.
.
Quelque
chose
de
l’opération
de
décollage,
de
différenciation
et
d’articulation
propre
au
travail
de
la
symbolisation
semble
ne
pas
pouvoir
se
faire.
Apprendre
le
langage
écrit
suppose
que
le
trajet
de
la
symbolisation
[12]
a
pu
être
mené
à
bien
:
traces
et
surfaces
d’inscription
doivent
être
ainsi
apprivoisées
et
rendues
fonctionnelles
pour
que
l’enfant
accepte
d’entrer
à
nouveau,
selon
le
Code
de
l’écrit,
dans
la
langue
qu’il
s’est
déjà
approprié
oralement.
Le
patient
et
passionnant
travail
fait
depuis
de
longues
années
dans
notre
équipe
autour
de
l’écriture
[13]
semble
remettre
tou-
jours
sur
le
métier
ce
point
d’origine,
cet
ombilic
de
l’inscription
pourrait-on
dire
:
l’enfant
osera-t-il
laisser
une
trace
de
lui
sur
une
feuille
?
Sa
main
pourra-t-elle
conduire
le
crayon,
osera-t-elle
appuyer
sur
la
mine
suffisamment
pour
marquer
sans
pour
autant
écraser
le
crayon
ou
trouer
le
papier
?
Acceptera-t-
il
de
jeter
un
œil
au
résultat,
à
sa
production
ainsi
séparée
de
lui
et
offerte
au
regard,
le
sien
et
celui
de
l’adulte
présent
à
ses
côtés
?
Actuellement,
c’est
le
qualificatif
«
dyspraxie
»
qui
vient
au
secours
de
ces
enfants
embarrassés
avec
l’écriture,
selon
le
raisonnement
suivant
:
la
dyspraxie
est
un
trouble
spécifique
de
la
coordination
motrice,
elle
touche
la
capacité
à
acqué-
rir
et
à
automatiser
des
procédures
d’apprentissage
de
gestes
complexes,
organisés
et
hiérarchisés
selon
une
visée
plus
ou
moins
symbolique.
Une
maladresse,
des
difficultés
d’organisation
visuomotrice
sont
classiquement
décrites
dans
le
tableau
clinique,
de
même
qu’une
«
vilaine
écriture
»,
une
«
dysgraphie
».
Une
très
récente
étude
[14]
sur
l’identification
de
critères
diagnostiques
concernant
les
dyspraxies
développe-
mentales
(TAC)
interroge
avec
rigueur
ce
point,
et
souligne
que,
si
l’écriture
est
régulièrement
touchée
dans
ces
tableaux
cli-
niques,
ce
serait
plutôt
à
mettre
sur
le
compte
d’une
immaturité
de
l’enfant
que
d’une
«
dysgraphie
»
à
proprement
parler.
Mais
en
pratique,
par
un
retournement
aussi
habituel
que
peu
rigoureux,
voici
ce
qui
se
passe
couramment
:
cet
enfant
écrit
mal,
il
est
fort
probable
qu’il
souffre
de
dyspraxie.
.
.
Que
peut-on
lui
proposer
en
situation
scolaire
?
une
AVS-secrétaire
?
une
dispense
de
devoirs
écrits
?
un
ordinateur
muni
de
logiciels
adequat
?
Ces
mesures
sont
bien
sûr
de
l’ordre
de
l’adaptation,
guidées
par
une
logique
de
contournement
d’une
fonction
empêchée
de
fonctionner
:
l’AVS-secrétaire
fera
alors
fonction
de
suppléance
et
l’enfant
ainsi
«
soulagé
»
s’appuie,
se
repose
sur
la
fonction
écriture
de
son
AVS.
La
dispense
de
devoirs
écrits
convoquera
des
questions
fort
délicates
quant
au
rapport
à
la
règle
scolaire
en
tant
principe
général
:
à
titre
« dérogatoire
»,
l’enfant
peut
passer
outre
la
règle
de
la
classe,
mais
il
y
aura
un
prix
à
payer
:
«
l’inscription
»
du
côté
des
divers
PAI,
PPS
et
de
la
MDPH.
.
.
Quant
à
la
proposition
de
passage
par
l’ordinateur,
elle
ouvre
des
questions
très
intéressantes
[15]
:
un
texte
lu
sur
ordina-
teur,
brillant
sur
un
écran,
verticalisé,
découpable,
modulable,
aménageable
à
merci,
ne
fait
pas
du
tout
appel
au
même
sujet
lecteur/scripteur
qu’un
texte
écrit
ou
imprimé
sur
un
papier.
La
surface
d’inscription,
de
même
que
les
modalités
de
cette
inscription
comptent.
.
.
Lorsqu’une
lettre
numérisée
apparaît
à
l’écran,
elle
est
déjà
formée,
elle
n’est
ni
malléable
ni
défor-
mable,
mais
récusable,
effac¸able
et
remplac¸able,
sans
laisser
de
traces
ni
de
ratures,
sur
simple
commande
(clavier
ou
«
souris
»).
.
.
toute
chose
impossible
avec
l’écriture
manuscrite,
les
lettres
tracées
sur
le
papier
sont
passées
par
toutes
les
194
E.
Lenoble
/
Neuropsychiatrie
de
l’enfance
et
de
l’adolescence
60
(2012)
190–194
articulations
corporelles
du
scripteur,
les
ratures
sont
inscrites,
comme
témoins
du
chemin
de
sa
pensée.
Alors,
ce
fameux
sujet
qui
ne
veut
pas
s’écrire
ni
lais-
ser
de
trace,
si
ce
n’est
dans
une
«
vilaine
écriture
»,
serait-il
feinté,
court-circuité
par
le
dispositif
numérique
de
l’ordinateur
?
Est-ce
une
voie
intéressante
?
La
clinique
nous
en
dira
sûrement
quelque
chose.
.
.
7.
Pour
conclure
Les
réflexions
et
interrogations
présentées
dans
ce
texte
sont
partielles,
et
témoignent
d’un
processus
en
cours.
Elles
se
veulent
une
invitation
à
ouvrir
des
pistes
de
travail.
En
effet,
les
notions
de
référence,
de
langue
et
d’apprentissage
font
appel
à
une
telle
multitude
de
champs
de
compétence
organisés
selon
des
histoires
et
des
lois
bien
différentes,
que
passer
de
l’un
à
l’autre
relève
souvent
d’une
expérience
proche
du
plurilinguisme.
Pourrons-nous,
saurons-nous
mettre
nos
différentes
langues,
nos
différents
registres
de
connaissances
en
réseau,
les
articuler
et
les
faire
fonctionner
selon
un
modèle
qui
se
référerait
plus
au
métissage
qu’à
l’impérialisme
?
L’aventure
des
«
Centres
référents
pour
troubles
du
langage
»
peut-elle
contribuer
à
ce
processus
?
Nos
jeunes
patients
tout
autant
que
nous
même
en
avons
bien
besoin.
.
.
Déclaration
d’intérêts
L’auteur
déclare
ne
pas
avoir
de
conflits
d’intérêts
en
relation
avec
cet
article.
Références
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Neuropsychiatr
Enfance
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Bergès-Bounes
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Forget
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L’enfant
et
les
apprentissages
malmenés.
Toulouse:
Erès;
2010.
p.
121–9.
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