Espaces de pouvoirs nationaux, espaces de pouvoirs internationaux :
Stratégies cosmopolites et reproduction des hiérarchies sociales
Yves Dezalay et Mikael Rask Madsen
En réaction contre le paradigme étatique, qui dominait la discipline des relations
internationales (R.I.), depuis deux décennies, un petit groupe de chercheurs, proches de
l’économie ou de la sociologie politique, ont mis l’accent sur l’importance croissante
d’espaces de pratiques transnationales qui échappent à des logiques d’Etats1. C’est d’ailleurs
une des raisons pour lesquelles ces travaux, tout en prenant en compte l’activité des grandes
bureaucraties internationales, comme celles de l’ONU ou de la Banque Mondiale, ont préféré
analyser des univers de pratiques, jusque-là négligés par la théorie dominante des relations
internationales : entreprises multinationales2, communautés épistémiques3 et surtout ces
réseaux militants4 qui se sont développées à partir de la fin des années soixante autour de
thèmes comme les droits de l’homme et la défense de l’environnement.
Avec la fin de la guerre froide, la mondialisation des marchés financiers et l’essor des
nouvelles technologies de communication, ces nouveaux espaces de pratiques transnationales
se sont multipliés, en même temps que s’accroissait leur sphère d’influence, notamment aux
dépens des champs nationaux dont ils contribuaient à remettre en question l’autonomie. Vers
la fin des années 90, bon nombre d’auteurs, comme Sassen5, Strange6, Negri7, y ont vu le
signe d’un déclin structurel et presque inéluctable des Etats Nations. Une décennie plus tard,
ce dépérissement annoncé n’apparaît plus comme une évidence. Au contraire. Le
renforcement des institutions étatiques, voire leur reconstruction post-conflits, sont même
affichés désormais comme des objectifs politiques prioritaires8. Le retour de l’Etat gendarme
se nourrit de la « guerre contre le terrorisme »9, mais aussi des interventions militaires et
1 Thomas Risse-Kapen, (ed.) Bringing Transnational Relations Back In : Non-State Actors,
Domestic Structures, and International Institutions, Cambridge, Cambridge University Press.
1995 ; Martha Finnemore, National Interests in International Society, Ithaca, Cornell
University Press, 1996.
2 Susan Strange, States and Markets, London, Pinter. 1988. Saskia Sassen, The Global City :
New York, London, Tokyo, Princeton, Princeton University Press, 1991.
3 Peter Haas, « Introduction : Epistemic Communities and International Policy
Coordination », Knowledge, Power and International Policy Coordination, special issue,
International Organization 46, 1992, pp. 1-36.
4 Margaret Keck, Kathryn Sikkink, Activists beyond Borders, Advocacy Networks in
International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
5 Saskia Sassen, Loosing Control ? Sovereignty in an Age of Globalization, New York,
Columbia University Press, 1996. Saskia Sassen, Territory, Authority, Rights: From
Medieval to Global Assemblages, Princeton, NJ: Princeton University Press 2006.
6 Susan Strange, The Retreat of the State, The Diffusion of Power in the World Economy,
Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
7Michael Hardt and Antonio Negri, Empire, Cambridge, MA: Harvard University Press,
2000.
8 A titre d’exemple de ces programmes qui se revendiquent explicitement d’un nouvel
impérialisme de la Rule of Law comme instrument d’une politique mondiale de restauration
des Etats nations, voir : Jane Stromseth, David Wippman, Rosa Brooks, Can Migth Make
Rights ? Building the Rule of Law After Military Interventions, Cambridge, Cambridge
University Press, 2006.
9 Robert Rotberg, « Failed States in a World of Terror » », Foreign Affairs, 3, Juillet-Août
2002, pp. 12-24. Eisenstat S. J. Porter, J. Weinstein, « Rebuilding Weak States »Foreign